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  • Exégèse tintinesque

    Le Temple du Soleil d’Hergé, la suite des Sept Boules de Cristal, fait l’objet d’un essai exégétique de Pierre Fresnault-Deruelle que les tintinophiles devraient découvrir avec le plus grand intérêt (Hergé et les Incas ou la malédiction déjouée, paru aux éditions 1000 Sabords).

    Disons pour commencer qu’il faut, sinon avoir cet album de 1948 sous la main, du moins l’avoir (bien) lu pour apprécier la science de Pierre Fresnault-Deruelle, décortiquant cette aventure incroyable du jeune journaliste belge.

    Rappelons que nous sommes au lendemain de la seconde guerre mondiale, au sujet de laquelle il a été beaucoup reproché à Hergé son lourd silence. Le dessinateur avait d’ailleurs choisi pour cette nouvelle aventure d’entraîner Tintin, Milou et Haddock dans une pérégrination déconnectée de l’actualité guerrière des années 40, en mêlant mystique, archéologie, dépaysement, investigation (car le Professeur Tournesol a été enlevé dans l’album précédent) et réflexion sur le choc des civilisations, à travers un inattendu et immortel génie du mal, Rascar Capac.

    Pierre Fresnault-Deruelle entend montrer toute la science de la composition et du rythme d’Hergé

    L’essai Hergé et les Incas propose une étude case par case et planche par planche, décrivant en détail les choix scénaristiques et visuels du génie belge, depuis un commissariat de police péruvien jusqu’à l’hôpital où sont soignés les sept savants atteints d’un mal mystérieux – la malédiction de Rascar Capac.

    Allant au-delà de la simple description, Pierre Fresnault-Deruelle entend montrer toute la science de la composition et du rythme d’Hergé. Une simple case montrant Tintin s’agripper à une chaîne donne l’occasion à l’auteur de s’arrêter sur la mise en scène pleine de sens, mais aussi de parler des références d’Hergé, en l’occurrence, pour cet exemple, l’illustrateur Jules Férat pour une édition ancienne de L’Île mystérieuse de Jules Verne.

    L’essai tintinesque est d’ailleurs riche de sources pouvant expliquer le travail d’Hergé : gravures du XIXe siècle, affiches publicitaires de l’entre-deux-guerres, coupures de presse du début du XXe siècle, peintures (l’étonnant portrait de l’empereur inca Tupac Yupanqui ou celle, plus célèbre, de William Blake, Caïn fuyant la colère de Dieu) ou d’autres bandes dessinées, à commencer par le Zig et Puce d’Alain Saint-Ogan.

    Pour illustrer cette exégèse, pas de reprises de planches ou de vignettes en raison des droits d'auteur de l'œuvre d'Hergé, mais des visuels antérieurs à l'œuvre d'Hergé ou au contraire contemporaines, ce qui donne paradoxalement à cet ouvrage un charme particulier.

    Pierre Fresnault-Deruelle, Hergé et les Incas ou la malédiction déjouée,
    éd. 1000 Sabords, 2023, 170 p.

    https://www.editions-1000-sabords.fr
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Fresnault-Deruelle

    Voir aussi : "Dictionnaire amoureux de Tournesol"

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  • Courtoise et romantique Maguelone

    Voilà une œuvre peu connue de Brahms, La Belle Maguelone, que propose en album b-records, dans une version publique au Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet. L’enregistrement date des 5 et 6 mars 2023.

    La Maguelone Romazen op.33 du compositeur allemand a été composée sur des poèmes de Ludwig Tieck. L’ensemble de lieder se base sur un récit anonyme du XVe siècle que le récit en français dit par Roger Germser éclaire : "Voici en la manière qui s’ensuit, l’ystoire (sic) de la belle Maguelone, fille du roi de Naples et du vaillant Chevalier Pierre, fils du Comte de Provence".

    Le baryton Stéphane Degout et la mezzo-soprano Marielou Jacquard – sans oublier le piano d’Alain Planès – se lancent à corps perdu dans cette série de lieder dans lequel le romantisme revisite une certaine image fantasmée du Moyen-Âge.

    Il faut saluer la puissance vocale de Stéphane Degout dans le court lied "Traun! Bogen ynd Pfeil sind gut für den Feind". L’esprit courtois sied à merveille cette œuvre romantique de Brahms. On s’en persuade dans le poème "Sind es Schmerzen, sind es Freuden" dans lequel Pierre de Provence chante un amour naissant et dévastateur : "Est-ce la douleur, est-ce la joie ? / Qui traverse mon cœur ? / Tous les désirs anciens disparaissent / Mille nouvelles fleurs éclosent".

    La passion partagée par Maguelone est tout aussi cruelle pour elle, qui doit entendre l’impossibilité d’une idylle pour un étranger. Marielou Jacquard chante ainsi ce coup de foudre dans l’un des plus brillants lied de l’album : "Amour vint d’un lointain pays" ("Liebe kam ais ferren Landen").  

    Il ne manque ni la confidente – en l’occurrence la nourrice de la belle Maguelone – ni l’esprit courtois ni la place de la vertu et du mariage. Pour autant, nous sommes bien au XIXe siècle, comme le prouve la déclamation enflammée et romantique de la fille du roi de Naples ("Et dois-je le croire ? / Ne va-t-on pas me ravir / Ce délicieux délire ?", "So willst du des Armen dich gnädig erbamen"). Les propos de Pierre sont à l’avenant dans le lied suivant : "Comment puis-je supporter / La joie et la volupté ? / Sans perdre mon âme / Sous les battements de mon cœur ?", "Wie soll ich die Freude, die Wonne denn tragen?").

    Pour autant, nous sommes bien au XIXe siècle

    Comme toute histoire d’amour digne de ce nom, il y a la rencontre avec les deux futurs amants et la déclaration, sans oublier le don d’une bague confiée par la mère de Pierre. C’est ce dernier qui chante ce rendez-vous ("War es dir, dem diese Lippen bebten"). Cependant, il fallait bien un obstacle à cet idylle – et future union : c’est la perspective d’un futur mariage arrangé de Maguelone avec un autre noble, Ferrier de Valois, qui contraint les amoureux à prendre la poudre d'escampette. "Je m’enfuirai avec elle", chante Pierre, puisque seule la fuite avec elle leur permettra de vivre heureux. Suit un délicat chant qui dit l’émotion de Pierre en voyant sa belle endormie sur l’herbe ("Repose-toi, doux amour"). Là encore, Brahms est dans le plus pur romantisme : l’émotion à son paroxysme, la nature au diapason et toujours l’environnement gothique dans ce magnifique lied tout en retenue.

    Romantisme encore avec l’élément marin, les vagues et la tempête, présents à la faveur d’un incident au départ banal – un oiseau s’intéressant à l’étoffe rouge de Maguelone. Brahms utilise dans le lied "Verzweiflung" son talent de coloriste musical pour rendre les vagues écumantes autant que le tourment de Pierre embarqué loin de sa belle.

    Marielou Jacquard/Maguelone réapparaît dans le chant suivant, tout en retenue dans son désespoir de se retrouver seule, loin de Pierre. On gouttera ce lied qui parle d’amour disparu, de tourments intérieurs mais aussi de mort ("Wie schnell verschwindet so Licht als Glanz"). La séparation est aussi cruelle pour Pierre, recueilli loin de Naples et de la Provence, en Égypte. Sans nul doute y a-t-il là ce goût de l’orientalisme, cher à l’esprit du XIXe siècle.  

    Le temps des retrouvailles est proche cependant pour les deux amoureux, mais ce ne sera pas sans un nouveau voyage en mer, mis en musique avec gourmandise et légèreté par le compositeur allemand, avec une Marielou Jacquard tout aussi enjouée et irrésistible ("Bien aimé, où te mène / Ton pied hésitant ? Le rossignol parle / De nostalgie et de baiser"). Stéphane Degout est au diapason dans le tourmenté, joyeux mais aussi plein d’incertitudes "Wie froh und Frisch mein Sinn sich heb".

    L’auditeur sera sans doute surpris que, contrairement à beaucoup d’oeuvres romantiques, c’est un happy end qui conclut cette histoire de passion idéale, courtoise et contrariée. Stéphane Degout chante ainsi, avec un plaisir non dissimulée, ce qui pourrait être la morale de l’histoire de la Belle Maguelone et de Pierre : "L’amour fidèle dure toujours / Il survit à de nombreuses heures / Il ne s’alarme d’aucun doute, / Son courage reste toujours sain".  

    Johannes Brahms, La Belle Maguelone,
    Stéphane Degout (baryton), Marielou Jacquard (mezzo-soprano),
    Alain Planès (piano), Roger Germser (récit), b-records, 2023

    https://www.b-records.fr

    Voir aussi : "Les paroles, la musique et le vieil homme"

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  • Génie vidi vici

    Que n’a-t-on écrit sur Léonard de Vinci ! Peu d’artistes ont été à ce point évoqués avec passion. Et peu de tableaux ont été aussi étudiés que La Joconde, sans pour autant que le tableau le plus célèbre du monde ait dévoilé tous ses secrets. Autant dire que le roman de Michel Douard, On m'a piqué la Joconde (éd. Eyrolles) n’entend pas élucider les secrets de Mona Lisa. Dans la postface de son roman historique, l’auteur revendique son travail de romancier, devant faire des zones d’ombres des espaces de fiction.

    On m'a piqué la Joconde retrace les dernières années de la vie du génie italien. Lorsque le roman commence, le peintre se morfond à Rome, sous-utilisé par son mécène, le pape et l’Église. Or, arrive 1515, la célèbre Bataille de Marignan qui voit François Ier triompher. Le jeune roi français en profite pour rencontre Léonard de Vinci et lui proposer de le suivre en Touraine pour y travailler en toute liberté et être logé "comme un prince". L’occasion est trop belle pour l’artiste qui accepte la proposition. Il amène avec lui ses disciples Mezlzi et Salaï ("son démon"), son serviteur Battista, ainsi qu’un tableau inachevé, La Joconde.

    Un objet pop

    Un nouveau roman historique sur la Renaissance, François Ier et Léonard de Vinci ? Rien de nouveau sous le soleil ? Et pourtant, si. Car le livre de Michel Douard entend revisiter un genre parfois poussiéreux pour en faire un objet pop. Comment ? D’abord par la facture éditoriale – couverture potache, tranche verte flashy – mais surtout par le style virevoltant de l’auteur.

    Michel Douard ne s’ennuie pas et n’ennuie pas non plus une seconde le lecteur, avec une histoire se déroulant entre les années 1515 et 1519 – non sans un flash-back vers les premières années du génie italien. L’humour est omniprésent dans ce formidable roman, en particulier dans les dialogues hyper modernes et parsemés de citations de chansons que beaucoup reconnaîtront ("Où sont les femmes ?", "Là-bas"…).

    On m'a piqué la Joconde frappe également par ses passages sur la relation mi amicale mi filiale entre le vieux maestro italien et le jeune roi âgé d’une vingtaine d’années. Entre les deux, il y a aussi et surtout cette Mona Lisa, étrange tableau dont la disparition au milieu du roman propose une explication partielle de l’existence de plusieurs versions de La Joconde. Après la lecture de ce formidable roman, il ne reste plus qu’à se précipiter vers un de ces nombreux essais sur Léonard de Vinci et sur La Joconde.     

    Michel Douard, On m'a piqué la Joconde, Histoire ébouriffante de Léonard de Vinci,
    éd. Eyrolles, 2023, 240 p.

    https://www.eyrolles.com/Litterature/Livre/on-m-a-pique-la-joconde-9782416009068
    https://micheldouard.com

    Voir aussi : "À l’ombre de Ponta

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  • Franck par Lazar

    César Franck : voilà un compositeur discret, pour ne pas dire oublié, et dont la popularité semble beaucoup se limiter au "Panis angelicus". Dommage. On doit remercier le pianiste français Ingmar Lazar pour ce choix d’œuvres pour piano, à commence par la délicate première sonate commençant par un "Larghuetto-Allegro moderato" tout en finesse.

    Avec César Franck, on est au cœur de cette musique française de la deuxième moitié du XIXe siècle. Alors que la musique allemande et romantique domine et que le modernisme s'annonce, la France reste dans une facture classique, avec parfois une fausse candeur ("Adagio, andante moderato"), mais sans jamais vendre au diable son élégance, ni ses influences romantiques (le troisième mouvement de la Sonate n°1, "Rondo, allegro vicace").

    L’auditeur trouvera ce puissant, subtil et ambitieux "Grand Caprice" (1843), aux arabesques sonores incroyables et demandant à l’interprète – ici, Ingmar Lazar – une virtuosité implacable.

    Puissant, subtil et ambitieux 

    L’album proposé par Hänssler et Ingmar Lazar propose un premier "Prélude, aria et fugue" en trois parties, avec toujours cette facture romantique au classicisme très "musique française". On se croirait dans les salons bourgeois du début de la IIIe République, car l’œuvre a été écrite entre 1886 et 1887. César Franck se déploie avec tact et brillance les trois mouvements.

    L’auditeur s’arrêtera sans doute avec plaisir sur le lent, tourmenté et aux accents nostalgiques et douloureux "Aria" ("lento"), avant un "Final" enlevé, pour ne pas dire agité ("allegro molto ed agitato").    

    L’album d’Ingmar Lazar se termine par un dernier "Prélude, choral et fugue". Écrite en 1884, l’œuvre se place d’emblée, à travers son titre, sur les pas de Jean-Sébastien Bach, avec un "Prélude" moderato au romantisme bouillonnant. Le "Choral, "poco più lento" se déploie avec une grâce indéniable, servi par un pianiste magnétique.

    Avec le dernier mouvement, "Fugue", nous voilà chez Bach. Mais un Bach catapulté en pleine deuxième mouvement du XIXe siècle, avec cette touche française propre à César Franck.    

    Et si l’on concluait en disant que l’album propose là l’une des plus séduisantes découvertes du compositeur français ? 

    César Franck, Piano Works, Ingmar Lazar, Hänssler, 2023
    https://www.facebook.com/ingmarlazarpiano
    https://www.ingmar-lazar.com
    https://haensslerprofil.de/shop/soloinstr-ohne-orchester/cesar-franck-piano-works

    Voir aussi : "Histoires de roux et de rousses"

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  • Francis Ford Coppola, le Parrain du Nouvel Hollywood

    Jetez un coup d’œil sur la page Wikipedia de Francis Ford Coppola : vous serez sans doute surpris par sa filmographie, finalement pas si riche que cela – si on oublie les années 80. Et pourtant, quel personnage, quel précurseur et quel génie ! Avec deux Palmes d’Or à Cannes (Conversation secrète, Apocalypse Now) et plusieurs Oscars (Le Parrain I et II – pour une fois, la suite d’un film à succès dépasse en qualité le premier opus). Les années 70 sont fastes sur le réalisateur américain qui a vu trois de ses films, Le Parrain, Le Parrain 2e partie et Apocalypse Now, accéder au panthéon du cinéma mondial.

    Le roman graphique d’Amazing Ameziane, Don Coppola (éd. du Rocher) retrace la carrière du cinéaste, depuis ses premières années où il a été alité plusieurs mois à cause de la polio, jusqu’à son futur dernier grand projet, Megalopolis, dont nous n’avons pas fini d’entendre parler.

    Francis Ford Coppola, singulièrement discret depuis deux décennies, montre à quel point son cinéma a fait de lui le maître et l’inspirateur du Nouvel Hollywood, avec un comparse et disciple nommé George Lucas. 

    Famille

    Don Coppola s’attache principalement aux deux œuvres phares du cinéaste américain : le cycle du Parrain (sans oublier le troisième opus, moins aimé car trop comparé aux deux géniaux premiers volets). La famille Corleone – et, partant, la propre famille de Coppola – est au cœur du roman graphique. Amazing Ameziane raconte en texte et en image les origines d’un chef d’œuvre, au départ best-seller de Mario Puzzo : comment Coppola s’est emparé de cette adaptation, comment s’est passé le travail avec l’auteur et avec les acteurs, dont les stars Marlon Brando et les jeunes Al Pacino  et Robert de Niro et comment il a su conquérir le public et les critiques. Il a beaucoup été raconté comment la mafia américaine s’est incrustée dans la réalisation du film, se plaisant même à voir certains de ses membres y jouer.

    Francis Ford Coppola apparaît régulièrement dans ces pages pour commenter ses choix, expliquer son travail et réfléchir sur ses influences, insistant sur la place de sa propre famille.    

    L’autre film phare, le troisième chef d’œuvre (si l’on oublie Conversation secrète) en cinq ans du réalisateur américain est Apocalypse Now. La démesure du film (à l’époque où le numérique n’existait pas), la tension sur le plateau, les incidents et accidents de tournage : tout cela a fini de faire entrer ce grand film de guerre dans l’histoire du cinéma. Avec de nouveau un Marlon Brando exceptionnel.

    La BD d’Amazing Ameziane est un brillant exercice de style et un chant d’amour qui convaincra autant les amateurs de bande dessinée que les amoureux du cinéma.

    Amazing Ameziane, Don Coppola, éd. du Rocher, 2023, 228 p. 
    https://www.editionsdurocher.fr/product/126823/don-coppola
    http://amazing-ameziane.blogspot.com

    Voir aussi : "Les films que vous ne verrez jamais"

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  • À l’ombre de Pontaniou

    Nous sommes d’accord. Le roman épistolaire a connu son heure de gloire, mais n’est plus vraiment au beau fixe aujourd’hui. C’est pourtant ce genre choisi par Élisabeth Le Saux dans son dernier opus, Courir sur ton ombre (éd. Michalon).

    Nous sommes à la fin des années 70. Anna Guibert, folle amoureuse d’Antoine, musicien de jazz, tue par passion la maîtresse de ce dernier. Condamnée, elle est emprisonnée dans la sinistre prison de Pontaniou. Là, elle écrit à Antoine, lui parle de leur histoire d’amour, de son manque, du vide de sa vie, de son désespoir, de la prison, mais aussi de création, d’art et de musique.

    Bientôt, la raison l’abandonne. Antoine lui répond, avant que la correspondance prenne un tour nouveau, à travers une troisième personne surgissant dans la vie du jazzman. 

    Partitions

    Courir sur ton ombre se compose de quatre parties – quatre "nocturnes", en référence aux terribles cellules mais aussi aux célèbres œuvres musicales. Les "partitions" I et II ont pour protagoniste principale Anna, correspondant avec un homme qu’elle a toujours aimé et pour qui elle a commis l’irréparable.

    Entre les deux, le lien ne s’est jamais tout à fait rompu, si bien que l’échange épistolaire apparaît comme une suite d’éclats lumineux. Élisabeth Le Saux parvient à dessiner le caractère d’Anna et ses démons ("Je suis la Madone en extase dans les bras du sauveur"), avec comme interlocuteur un homme toujours amoureux et aussi paumé qu’elle.

    À partir de la "Partition III", une autre correspondance s’ouvre, cette fois entre Anna et Antoine. C'est une autre relation, avec toujours la Bretagne et le jazz en filigrane.

    Le livre se termine sur un "Finale" non sous forme de lettre mais de nouvelle. Avec la musique omniprésnete car, comme l’écrivait Anna, "je cours désormais sur ton ombre, Antoine, et la musique est là, toujours là, plus vaste que la vie".

    Élisabeth Le Saux, Courir sur ton ombre ou Nocturne à Pontaniou, éd. Michalon, 2023, 124 p.
    https://www.michalon.fr
    https://www.facebook.com/elisabeth.lesaux.5

    Voir aussi : "Guerres et paix"

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  • Retour aux sources

    Disons le tout de suite. Le projet Gueules Noires propose une œuvre brute et sans concession, à l’instar du premier titre "I Don’t Believe" ou du nerveux "Diep Graaf". Dierick et son, groupe font de cet album une plongée dans un rock à la fois sans concession, acoustique et aux influences assez anciennes, à l’instar de l’étonnant "Tout nous sépare" ou "Vrijdag", aux accents rockabilly.

    Cet autre titre anglais qu’est "I Won’t Let You Down" lorgne du côté des seventies : une ballade pop-rock acoustique. Et si Gueules Noires n’allaient pas chercher leurs racines également du côté du blues ? La réponse à cette question est dans le morceau "Qu’elle me revienne", plus rugueux que jamais, cri d’amour autant que désespoir, à la recherche d’un amour disparu. Blues étonnant encore, le morceau "Boregne" est une reprise d’une chanson traditionnelle chti par un groupe décidément fier de ses origines : "On est borégne ou on n'l'est nié, / Ca viét d'famie, on n'y peuwt rié, / On éme el patois de s'village ; / Pour nous, c'est l'pu biau des langâges." Un des plus beaux morceaux de l’opus, sans aucun doute.

    Il y a sans aucun doute de l’amour du pays du nord, de sa culture et de sa langue dans un album où le chti a toute sa place. Que l’on pense aussi au poème en musique "Agace", avec voix et guitare.

    Un rock social et sans concession que Trust n’aurait pas renié

    L’auditeur sera sans doute frappé et happé par le long morceau qu’est "Cendrier", dans lequel rock, percussions et slam se fondent pour proposer un morceau personnel et engagé : la vie, la société, le travail. Nous voilà dans un rock social et sans concession que Trust n’aurait pas renié.

    "What Do You Think" propose de son côté du pop-rock plus moderne. Voix profonde, guitares électriques, boîte à rythme endiablée et sons électros. Électros encore, avec "Cheval de fond", un morceau qui ne transige pas avec l’écriture musicale ni le rythme lancinant. Dierick et Gueule Noire parlent de ce qui est le cœur de l’identité du nord : les mines, les wagons, les gueules noires, le travail harassant et sale et les chevaux fourbus et rachitiques utilisés pour l’extraction du charbon. Ce coup de projecteur dirigé vers cette forte histoire sociale propose également une lecture cruelle sur la nature et les animaux esclavagisés.

    Que l’on pense aussi à "Diep Graaf" : "Je suis un mineur / Creuse !" Dierick insiste sur le fait que l'album Gueules Noires évoque la vie des travailleurs dans les mines de charbon, qu'ils soient belges ou congolais. Plus qu’une évocation historique, Dierick rend ici hommage à tous les mineurs et au courage des femmes. Cet épisode de l’industrialisation fait écho à la régression sociale d’aujourd’hui, ajoute l’artiste.    

    Pour terminer l’opus, le groupe reprend un classique de la pop américaine, que beaucoup reconnaîtront. Retour aux sources, une fois de plus. 

    Gueules Noires, L'Autre Distribution, 2023
    https://www.facebook.com/Gueulesnoiresmusic
    https://www.instagram.com/gueulesnoiresmusic

    Voir aussi : "Objectif Captain Sparks"

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  • Mon si fragile X

    X Fragile : voici une étrange expression, mal connue, sinon inconnue, et qui recouvre pourtant une réalité médicale cruelle : une maladie génétique qui est aussi la première cause de déficience intellectuelle héréditaire. L’une des auteures, Émilie Weight, a un fils, Mike, qui est atteint du terrible X Fragile. Elle le raconte dans le roman graphique Pourquoi tu te moques ? (éd. Le Duc), mis en dessin par Korrig’ Anne.

    La naissance d'un enfant. L’histoire aurait pu être idyllique, et elle l’a été en tout cas jusqu’aux deux ans de Mike, un enfant joueur, attentionné, souriant et actif. Mais les balancements réguliers des bras du jeune garçon commencent à inquiéter un de ses oncles qui suggère aux parents de consulter un spécialiste. Autisme ? Problème de motricité ? Lorsque finalement le diagnostic tombe, c’est le choc : l’enfant a le syndrome de l’X fragile, un handicap que les parents doivent comprendre, digérer et surtout apprendre à vivre avec. 

    "Sentinelles émotionnelles de notre société normative et pourtant si fragile"

    La bande dessinée suit la rude bataille des parents pour donner à Mike une vie et une scolarité la plus normale possible. Dès le diagnostic posé, ils savent que la déficience intellectuelle de leur fils, peu visible à l’âge de deux ans, deviendra par la suite plus compliquée : gestion des émotions, problèmes d’élocutions, risques de problèmes cardiaques à l’adolescence mais aussi d’épilepsie. Faute de traitements curatifs, les rendez-vous pour des rééducations et de stimulations ponctueront la vie de Mike et de ses parents.

    Dans leur roman graphique, les auteures ont choisi d’alterner le récit quotidien de parents ordinaires et le point de vue de Mike, avec ces instants de bonheur, de désespoir, de doutes, d’interrogations mais aussi de colères. Les scènes de rejets – souvent à l’école – font partie des moments les plus rudes, ce dont le titre témoigne : "Pourquoi tu te moques ?" Mais il y a aussi ces interrogations d’un enfant : "Pourquoi mes copains ne veulent plus jouer avec moi ?"

    L’ouvrage d’Émilie Weight et Korrig’ Anne a la vertu des livres de témoignages qui ont pour objectif de faire découvrir un handicap terrible mais méconnu. Comme le dit le Dr Vincent des Portes en postface, "J’espère que l’histoire de Mike et de sa famille contribuera à changer notre regard sur les personnes porteuses d’un handicap intellectuel, sentinelles émotionnelles de notre société normative et pourtant si fragile." On ne saurait mieux dire. 

    Émilie Weight et Korrig’ Anne, Pourquoi tu te moques ? Grandir avec l’X fragile,
    éd. Leduc Graphic, 2023, 160 p.

    https://www.editionsleduc.com/produit/3279/9791028529390/pourquoi-tu-te-moques
    https://www.facebook.com/korriganneillustration
    https://www.facebook.com/emilie.weight

    Voir aussi : "Ce n'est pas toi que j'attendais"

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