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  • Jeunes filles paumées et princesses perdues

    Attention à l’endroit où l'on met les pieds. Avec ce troisième volume de La Dimension perdue, le cycle de bande dessinée underground de Nicolas Le Bault, le moins que l’on puisse dire c’est que l’artiste ne s’embarrasse pas de bienséance ni de vouloir plaire à tout le monde.

    Son univers de La Dimension perdue est un singulier projet sous un format magazine dans lequel l’histoire s’efface devant le graphisme brut, le surréalisme, la provocation, l’excès, sur fond de conte immoral autour de la violence domestique. L’histoire est finalement moins importante que les images choc et des saynètes comme sorties d’un cauchemar. L’auteur y parle de l’enfance martyrisée, des adultes – hommes – coupables et pervers et des traumatismes dont il est impossible de sortir. 

    Conte immoral

    Karine est la narratrice du récit contant la disparition de sa sœur Aurélia. Les jeunes filles sont soudées par la souffrance que leur inflige leur père, un homme affublé d’un groin en guise de nez. Voilà qui est éloquent ! Dans leur chambre commune, les adolescentes se noient dans un jeu vidéo (presque) aussi sordide que leur propre existence. Il y est question d’un chevalier, Boy, venu sauver des habitants, de jeunes filles transformées en poulpe, d’une princesse en danger et d’un œil maléfique.

    Voyage virtuel ? Enfermement dans une maison haïe et dangereuse ? Réflexions sur l'intime et les blessures de l'enfance et l'adolescence ? Il y a de tout cela à la fois dans cet épisode de La Dimension perdue. Une autre dimension faite de cauchemars, comme le dirait une célèbre série, mais aussi de traumatismes. Pour lecteurs avertis. 

    Nicolas Le Bault, La Dimension perdue #3, White Rabbit Prod, 2025, 40 p.
    https://whiterabbitprod.bigcartel.com/product/nicolas-le-bault-la-dimension-perdue-vol-3
    http://www.nicolaslebault.com

    Voir aussi : "Conte cruel"

    © Nicolas Le Bault

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  • Aventures mozartiennes, une suite

    Revoilà la pianiste française Elizabeth Sombart dans la suite de ses aventures au Pays de Mozart. Nous l’avions découverte sur Bla Bla Blog avec les Concertos 20, 21, 23 et 27. Elle revient ce printemps avec deux œuvres plus précoces du compositeur autrichien, à savoir le Concerto n°9 "Jeunehomme" – tout attaché – et le Concerto n°12 en la majeur.

    Nous sommes en 1777. Mozart a 25 ans lorsqu’il écrit ce fameux Concerto "Jeunehomme" en mi bémol majeur K 271. Seulement 25 ans et déjà 25 ans, dirions-nous, tant le musicien a fait preuve de précocité exceptionnelle. À six ans, il compose ses premières œuvres – et son premier opéra à 11 ans.

    Du nom "Jeunehomme", les experts ne sont pas entièrement d’accord sur ses origines. Il semblerait que son appellation vienne du nom d’une jeune pianiste strasbourgeoise - tout comme la pianiste, d'ailleurs - à qui était destiné ce concerto. Un hommage ou un crush ? C’est d’autant plus possible que Mozart fait de cette œuvre un opus pétillant, éclatant dès les premières attaques du piano (Allegro). Chez Mozart, la lumière est aussi présente que l’obscurité. La preuve avec le second mouvement Andantino, lent et d’une grande expressivité, comme si les ténèbres n’étaient jamais éloignés des couleurs chatoyantes exprimées par Mozart et son interprète Elizabeth Sombart. Le jeune mais déjà expérimenté Mozart fait preuve dans le troisième mouvement Allegretto d’une pétillance irrésistible. On se trouve propulsé dans une scène mêlant fête galante, humour et élégance. Champagne, Mozart ! La pianiste strasbourgeoise et le Royal Philharmonic Orchestra dirigé par Pierre Vallet ne boudent par leur plaisir à proposer ce "Jeunehomme" avec toute la luxuriance et la générosité qu’il mérite. 

    Un hommage ou un crush ?

    Le Concerto n°12 en la majeur K 414 a été écrit un peu plus tard, entre 1782 et 1783. Ce sont des années heureuses. Libéré de ses contraintes à Salzbourg, Mozart s’installe à Vienne avec sa jeune épouse, Constance Weber, qu’il a précisément rencontrée dans la capitale autrichienne.

    Les lignes mélodiques du concerto tourbillonnent dès le premier mouvement Allegro. La richesse harmonique, toute mozartienne, n’est pas dépourvue de ces moments presque intimes. Il semblerait que ce soit un Mozart amoureux et heureux qui s’exprime. Pour autant, Mozart ne cherche pas la difficulté ni la virtuosité. Il veut avant tout "plaire" à l’aristocratie viennoise, comme il le dit- lui-même et proposer un opus jouable facilement et partout. Enfin, "facilement", façon de parler !

    L’Andante capte les oreilles dès les premières notes. "C’est une des pages les plus belles et les plus nobles de son auteur", avouait Olivier Messiaen. Et on ne peut que lui donner raison. Il est vrai qu’il y a à la fois de la noblesse et une mélancolie bouleversante dans ce mouvement lent qu’Elizabeth Sompart interprète avec une grande pudeur.

    Le dernier mouvement Allegretto de ce douzième concerto pour piano de Mozart est le plus court de l’opus – un peu moins de 7 minutes – mais aussi de l’album. Vif et enlevé, cette partie se veut éclatante et joyeuse. Il faut toute la virtuosité d’Elizabeth Sombart pour proposer cette page jaillissante qui devait au départ être un rondo, publié à part après la mort du compositeur (K 386). On ne peut que remercier Mozart d’avoir fait le choix d’un Allegretto espiègle. Celui des années viennoises heureuses et amoureuses d'un génial jeune homme.       

    Wolfgang Amadeus Mozart, Concertos pour piano 9 & 12,
    Elizabeth Sombart au piano, Royal Philharmonic Orchestra dirigé par Pierre Vallet, Rubicon, 2023
    https://www.elizabethsombart.com
    https://www.facebook.com/elizabethsombart
    https://rubiconclassics.com/release/mozart-piano-concerto-9-12

    Voir aussi : "Rien que de plus classique"
    "Du côté de chez Mozart"

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  • Sans contrefaçon

    Tout renaîtra différente : voilà un très beau titre pour un album à la fois délicat et puissant, simple et aux sinuosités vagabondes, sobre et aux riches compositions. La Reine Garçon, c’est un projet autant qu’un duo – Floé Guidollet et Delphine Passant – en forme d’accomplissement personnel… et artistique. Le documentaire Puissance Deux suit cette aventure à la fois privée et artistique.

    Différente, qui ouvre l’album, parle justement de transformation, de transition – de Floé, justement – et d’acceptation de soi et des autres : "Et ne me compare pas à la fille de tes rêves / Car moi je serai différente". Pas si simple de faire cette révolution intérieure autant qu’extérieure. Floé ne le cache pas dans Je n’existe pas, en forme de prière : "Laisse-moi une chance car ici / je n’existe pas".

    Liberté d’être, de vivre et d’aimer, malgré les doutes (Monstre). La Reine Garçon le chante sans cri de révolte (Lâche) ni sans moralisation mais avec subtilité et un son folk à la Joni Mitchell.

    Sans cri de révolte ni sans moralisation mais avec subtilité et un son folk à la Joni Mitchell

    La voix délicate de Floé accompagne les guitares avec une poésie irrésistible dans l’un des plus beaux titres de l’album, J’ai vu les chevaux sous la mer. Un morceau en forme d’allégorie : l’eau symbole de renaissance et de source vitale et les chevaux fiers et libres.

    Tout renaîtra différente est aussi un joli album en forme de déclaration d’amour, celui d’un couple touchant ("Berce-moi / J’ai besoin de toi / Tout près là / Viens dans mes rêves", Donne-moi). Plie mon cœur est une autre invitation à l’amour et à vivre à deux : "Plie mon cœur / Au plus profond de toi / Pour voir quand viendra l’heure / S’il poussera".

    La pop-folk épurée de La Reine Garçon n’est pas sans rappeler le génial et regretté Nick Drake. La puissance évocatrice, les écorchures de la vie et l’hypersensibilité (Cœur de louve, avec un son plus pop-rock). On aime tout autant ce retour à l’une des figures les plus anciennes de la poésie occidentale : le pâtre. La nature, le silence, l’isolement, la compagnie des animaux et de la musique, simple et sans ornement : "Moi je m’en vais, je m’évade / Je me faufile dans la vague / Où souffle la flûte du pâtre / Une marguerite aux dents" (La flûte du pâtre).

    L’opus se termine dans le très beau dépouillement de Ni une ni une, et c’est ce dépouillement qui fait toute la beauté et la singularité d’un album pop-rock. Une vraie belle révélation.  

    La Reine Garçon, Tout renaîtra différente, Horizon Musique / La Grange aux Belles, 2025
    https://www.facebook.com/lareinegarcon
    https://www.instagram.com/la.reine.garcon

    Voir aussi : "Livralbum"

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  • Beethoven, un jeune compositeur très ambitieux

    Œuvres de jeunesse de Ludwig van Beethoven, les six premiers quartets du compositeur allemand sont catalogués comme son opus 18. Ils ont été composés entre 1799 et 1801. À l’époque, Beethoven, âgé d’une trentaine d’années, entreprend de revisiter un genre archi-classique que dominaient son maître Haydn et Mozart, mort quelques années plus tôt. L’ambition de Beethoven est patente et le natif de Bonn ne va pas manquer de confirmer son talent par la suite. L’histoire raconte que Beethoven répond à une commande du Prince Lobkowitz et que le compositeur allemand est en concurrence avec… Haydn lui-même qui n’a finalement pu honorer l’écriture de ces quartets. L’enregistrement en 3 CD de ces six quatuors est proposé par le Calidore String Quartet, avec Jeffrey Myers et Ryan Meehan (violons), Jeremy Berry (alto) et Estelle Choi (violoncelle).

    Beethoven surfe encore à l’époque sur le classicisme XVIIIe siècle. Il y a ces envolées et ces lignes mélodiques mozartiennes de l’allegro con Brio du Premier Quartet en fa majeur. Le Beethoven génial sort pourtant de son cocon dans un deuxième mouvement Adagio affettuoso e appasionato préromantique. Il y a de l’expressivité et de l’enthousiasme (Allegro) dans ce premier quatuor écrit en 1799.

    Beethoven se pare des costumes du XVIIIe siècle (Allegro du 2e Quartet en ré majeur) pour mieux s’approprier cette musique de chambre. Les notes virevoltent dans une construction beaucoup plus sophistiquée qu’il n’y paraît. Beethoven happe l’auditeur avec ses mouvements mêlant passion romantique et enthousiasme (le vibrant Adagio cantabile du 2e Quartet), sans oublier la légèreté (Scherzo et Allegro, 2e Quartet) et l’insouciance de l’Allegro molto, quasi presto de la même pièce.  

    Beethoven fait sortit la musique de chambre des salons bourgeois

    Le 2e CD contient les 3e et 4e Quartets, toujours opus 18. C’est un Beethoven enthousiaste et juvénile qui est à l’œuvre, toujours fidèle à une fibre classique (Allegro du 2e Quartet), mais non sans tensions ni moments pathétiques.

    Romantique, Beethoven l’est dans le 3e Quatuor, élégant, touchant et avec une évidence qui en fait l’un de ses chefs d’œuvre. L’ensemble Calidore String Quartet joue à l’unisson sans qu’aucun instrument ne prenne le dessus (Allegro). L’Andante con motto, méditatif, n’est sans légèreté. Beethoven avait à cœur, disent les musiciens de l’ensemble, de ne pas composer que pour une élite mais pour toute la population. Après un court mouvement Allegro plein de rondeurs, Beethoven nous embarque dans un Presto révolutionnaire dans son essence, tourmenté et d’une grande modernité.

    Le 4e Quartet en do mineur commence Allegro, telle une série de danses. Compositeur populaire, Beethoven fait sortir la musique de chambre des salons bourgeois et aristocrates. L’Andante scherzoso quasi Allegretto s’écoute comme une jolie digression amoureuse, avant un Menuetto revisitant une danse typique typique du XVIIIe siècle. Beethoven en fait un mouvement nerveux et aux assauts répétés. Pas de demi-mesure mais du sentiment, de la passion et une soif de vivre. L’Allegretto Prestissimo vient conclure cette pièce et le 2e CD dans la fougue et des rythmes de danses dont s’empare avec enthousiasme le Calidore String Quart.Le 3e CD complète l’enregistrement de l’opus 18.

    Avec ces pièces de musique de chambre, Beethoven a revigoré un genre. L’Allegro du 5e Quartet en la majeur virevolte. Il faut toute la virtuosité de l’ensemble new-yorkais pour venir à bout d’un mouvement aussi tonique. Beethoven a beau revenir à ses "classiques" – l’élégant et non moins majestueux Menuet –, il s’affirme dans ses élans romantiques irrésistibles avec un mouvement Andande cantabile se permettant même une cavalcade réjouissante et redoutable… pour les interprètes. Incroyable de modernisme pour l’époque. Le Quatuor en la majeur se termine avec un Allegro tout aussi vif, semblant faire le lien avec classicisme mozartien et romanisme.

    Le 6e Quartet en si bémol majeur vient clore le 3e CD et le coffret de cet opus 18. Beethoven y fait preuve du même tempérament enthousiaste (l’éclatant et alerte Allegro con brio). L’Adagio de ce quartet se distingue par son élégante ligne mélodique comme par son raffinement qui nous renvoie aux salons allemands de la fin du XVIIIe siècle. L’auditeur sera séduit par le court (3 minutes 12), coloré et nerveux Scherzo et Allegro. Le coffret et les six premiers quartets se terminent par le singulier et bouleversant mouvement Malinconia, suivi de son Allegro. La Malinconia s’écoute comme le dialogue entre deux personnages, l'un mélancolique et hésitant, l'autre jovial et entreprenant. Un troisième personnage (Allegro) vient s’immiscer entre les deux premiers, donnant à ce mouvement incroyable l’aspect d’une pièce de théâtre tragi-comique.

    Ces quatuors "de jeunesse" furent très probablement composés dans l'ordre suivant : 3, 1, 2, 5, 4, 6. En proposant un ordre à la fois logique (1, 2, 3, 4, 5, 6) et inverse des dates de composition, le Calidore String Quartet entend terminer par le mouvement le plus spectaculaire et le plus théâtrale. Pour appuyer ce choix, le livret repend à son compte une citation de TS Eliot dans son recueil Quatre Quatuors : "Ce que nous appelons le début est souvent la fin / Et faire une fin, c'est faire un commencement / La fin est l'endroit d'où nous commençons". Voilà qui est " tout à fait beethovénien" !

    Beethoven, The Early Quartets, Calidore String Quart, Signum Classics, 2025
    https://www.calidorestringquartet.com

    Voir aussi : "Haydnissimo !"
    "Le trio Sōra vous souhaite un joyeux anniversaire, M. Beethoven"
    "À Beethoven, l’humanité reconnaissante"

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  • Cécile Chaminade et ses amies

    Louis-Victor Bak nous avait fait découvrir Cécile Chaminade (1857-1944) dans un très bel album Debussy-Chaminade. La compositrice, une célébrité à son époque mais que l’on a oubliée par la suite – son sexe n’y était pas pour rien  ! – est remise à l’honneur avec plusieurs consœurs de son époque : Marguerite Canal (1890-1978), Pauline Viardot (1821-1910), Claude Arrieu (1903-1990), Clémence de Grandval (1828-1907), Louise Farrenc (1804-1875) et Joséphine Boulay (1869-1925).

    Yasuko Suzuki et Honoré Béjin proposent une sélection d’œuvres représentatives de leur musique de chambre. Il s’agit pour la plupart de transcriptions pour flûte et piano, à l’exception de la Sonatine de Claude Arrieu qui a été originellement écrite pour ces deux instruments.

    Ce répertoire rare et parfois inédit nous replonge dans une musique française pleine de nostalgie et que la flûte de Yasuko Suzuki vient transcender. La Sonate pour violon et piano – ici, pour flûte et piano – nous fait découvrir une Marguerite Canal largement nourrie des influences de Debussy : la transparence de l’Andantino, le parfum orientalisant du mouvement Sourd et haletant et le néoromantisme de l’Adagio expressivo riche d’une belle ligne mélodique et de l’Allegro con bravura.

    Autre adaptation d’un opus au départ pour violon et piano, la Sonatine de Pauline Viardot. La courte pièce transcrite par Yasuko Suzuki ravit par sa légèreté et son insouciance. Nous sommes en présence d’une très belle pièce dont le mouvement unique est découpé en trois parties vive-lente-vive. Pauline Viardot puise autant son inspiration dans les compositeurs romantiques du XIXe siècle que dans des mouvements folkloriques et les danses traditionnelles.   

    Une célébrité à son époque mais que l’on a oubliée par la suite – son sexe n’y était pas pour rien !

    La Sonatine de Claude Arrieu a été, comme nous le disions, composée pour flûte et piano au lendemain de la seconde guerre mondiale. Nous sommes dans une facture néo-classique typique des années 30. La compositrice a choisi une forme tout aussi classique, vive-lente-vive (Allegro, Andantino et Presto). Il semble que le morceau balance entre classicisme et modernité. Il y a une grande simplicité dans ces trois mouvements brefs, inférieurs à 3 minutes et dans lesquelles s’écoutent les influences, notamment, de Debussy et de Ravel.

    Autre musicienne à l’honneur, Clémence de Grandval. Cette femme a particulièrement lutté contre les préjugés. Cantatrice et compositrice, elle s’est faite remarquer dans l’opéra mais aussi dans la musique sacrée. La Valse mélancolique proposé dans cet enregistrement était au départ destiné à la flûte et à la harpe. D’où la légèreté et la transparence du jeu fluide d’Honoré Béjin. À noter que, de son vivant, Clémence de Grandval a reçu le Prix Chartier pour sa musique de chambre. Très musique française, cette jolie valse est l’un des rares et convaincants exemples de sa maîtrise qui a fait dire à Saint-Saëns que ses mélodies "seraient certainement célèbres si leur auteur n'avait le tort, irrémédiable auprès de bien des gens, d'être femme". Injustice, encore.

    Louise Farrenc, née sous Napoléon Ier est la compositrice la plus ancienne de ce programme. Connue pour ses talents de pédagogue et de professeure, elle a, tout comme sa consœur Clémence de Grandval, était récompensée par un Prix Chartier pour sa musique de chambre. On trouve dans l’opus de Yasuko Suzuki et Honoré Béjin ses Variations concertantes sur un air suisse op. 20 d’un beau classicisme, déjà préromantique. Une vraie découverte interprété par une Yasuko Suzuki tout en délicatesse et en espièglerie.

    Deux courtes pièces viennent conclure cet album. Le premier, une Romance sans paroles, titre cher aux Schumann, nous vient de Joséphine Boulay. Aveugle dès son plus jeune âge, la musicienne née à la fin du XIXe siècle trouve très rapidement sa voie dans la musique. Élève de César Franck grâce à qui elle devient une organiste réputée, elle devient professeure au Conservatoire de Paris. Compositrice, elle s’inscrit parfaitement dans ce mouvement de musique française porté par césar Franck, Jules Massenet ou Gabriel Fauré qui ont été ses maîtres. Yasuko Suzuki et Honoré Béjin proposent sa Romance sans paroles néoromantique, mélancolique et non sans modernité. On se laisse porter par cette pièce dans laquelle la passion est teintée de profonde tristesse.  

    Le dernier morceau nous vient de Cécile Chaminade. Il est vrai que l’album est placé sous son auspice. La pièce est relativement courte – un peu moins de cinq minutes. Les Sylvains op. 60A a été au départ composé pour violon et piano. Cela devient un opus pour flûte et piano. Compositrice prolifique (plus de 400 œuvres à son actif), elle se distingue par son style néo-romantique qui a fait son succès lors de ses tournées internationales, même si elle est morte oubliée. On découvre ou redécouvre une artiste attachante, mélodieuse et d’une grande finesse. La flûte y ajoute un magnifique accent onirique.  

    Cécile Chaminade et ses amies et consœurs trouvent dans cet album de quoi faire résonner plus d’une âme. Yasuko Suzuki et Honoré Béjin peuvent en être fiers.

    De Grandval, Canal et Chaminade, L’âme résonnante, Hommage aux compositrices françaises,
    Yasuko Suzuki (flûte) et Honoré Béjin (piano), Indésens Calliope Records, 2024

    https://indesenscalliope.com
    https://www.bs-artist.com/pages/communication

    https://www.yasukosuzuki.com/html/profile_fr.html

    Voir aussi : "Bak et la Belle Époque "
    "Pierre Boulez, le maître au marteau et à la baguette"

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  • Livralbum

    C’est avec un concept album et un livre que Nicolas Fraissinet revient. Son projet musical Joie sauvage se décline en 13 chansons et 13 chapitres de son livre éponyme (éd. Trytons). Chacun de ces chapitres porte le nom des pistes de l’opus et commence avec les paroles de la chanson qui lui correspond. Le musicien et auteur parle d’un "livre de promenade", parfait pour des déambulations poétiques et mentales avec sa bande-son.

    Une sacrée idée, audacieuse et intelligente qui permet de décliner sinon d’approfondir les thèmes de l’artiste franco-suisse. Dans Soleils, l’envie de partir et d’aventure chantée dans l’album devient une soif d’absolus (Chants anciens), de rencontres et d’amour (La demande, C’est comme si…), sans oublier la recherche du sacré (Calydra).

    Grâce un joli titre en forme de calembours poétique – Lierre encore Nicolas Fraissinet se fait combatif dans un pop-rock parlant d’un amour persistant… avec difficulté. Mais ne désespérons pas, ajoute l’auteur dans le recueil Joie sauvage car, en dépit des coups que l’on se donne (Carnivore), la résistance fait partie de notre ADN (Résistantes) tout comme l’espoir d’un autre ailleurs (Urbex) et de lendemains qui chantent... peut-être (La jeune pousse, Après toi).

    Avec le morceau L’Homme Vert, Nicolas Fraissinet se fait onirique. Les sentiments humains se matérialisent dans la nature et dans les forêts (Cantilènes, Les rois couronnés). Le Cerf-paon, superbe poème puissamment évocateur d’un homme aux bois de cerf, est repris sous la forme du visuel gothique du concept-album. Dans le livre, l’auteur explique les "raisons du choix de cette image" : "Est-ce un humain portant des bois de cerf ? / Est-ce un animal portant un manteau ?"  Dans l’autre texte Toujours près de toi, il fait de cet animal anthropomorphique "une figure emblématique de la mythologie européenne" et explique la raison pour laquelle il en a fait son animal totem.

    Dans le morceau Hiver, l’artiste ne fait pas du froid de cette saison quelque chose de triste mais au contraire un moment de repli et d’intimité avec l’être aimé. Sa poésie évoque la blancheur superbe (Opalines, Fleurs blanches), le silence apaisant, l’immobilité (En suspens) et le goût des agrumes de Noël (Mandarines givrées). Hiver encore avec Amours polaires. Si l’enfer est associé au feu et à la chaleur extrême, le paradis ne serait-il pas en hiver ? Nicolas Fraissinet admire les icebergs majestueux (Iceberg). Dans ce chapitre, c’est bien le bonheur, la beauté et l’amour qui sont au cœur de ses propos sur les frimas hivernaux (Il y aura, Je t’aime, Nuages).

    Le paradis ne serait-il pas en hiver ?

    Abattoirs et son chapitre associé se veulent plus sombres. C'est là que l'opus bascule vraiment vers la noirceur. L’auteur y parle de l’environnement, de l’élevage industriel (Abattoirs, Â-ni-M-al-E) ou de la chasse (Lettre au "chasseur-loisir"). Le Cerf-paon refait son apparition, comme le rappel du sens du sacré bafoué (Le trophée) et de la nature blessée (Animal), avec le rappel d’un certain Pythagore, philosophe et mathématicien du VIe s. av. JC ("Tant que les hommes continueront à détruire sans pitié les êtres vivants des règnes inférieurs, ils ne connaîtront ni la santé ni la paix. Tant qu'ils massacreront les animaux, ils s'entretueront. En effet, qui sème le meurtre et la douleur ne peut récolter la joie et l'amour").

    L’Aspic est au cœur d’un chapitre. Il représente le mystère, les combats mais aussi les aspirations profondes d’un animal souvent rejeté (Boire ton corps, Ma dérive). Des aspirations également de l’artiste.

    La poésie de Nicolas Fraissinet frappe par sa puissance d’évocation et sa qualité d’écriture, tant littéraire que musicale (La votive). Le chapitre éponyme est largement concentré au pouvoir des mots et des scansions (Carpe Diem, Rai Mantra). Sans oublier le singulier texte À l’envers, à découvrir grâce au livre.

    Phénix s’écoute comme une confession ("Combien de refuges ai-je traversés sans / Que personne ne vienne m'y trouver ?"). Le chanteur ne s’en montre pas moins combatif qu’il décline en texte écrit dans le poème Sagittaire, "un appel au départ" ou en parlant de son "feu sacré" qui couve en lui (Sol Invictus). Il s’identifie au Marginal et fait de la mythique Sorcière comme son double féminin.

    Dans Loups, Nicolas Fraissinet rêve de "vie sauvage" (les textes Sauvages et Adjectifs). Jean de la Fontaine est convié à cette éloge de la nature (Le loup et le chien) et finalement à celle du loup (À pas de loup), avec fierté car, comme il le chante, "Combien d’entre vous / Auraient pu vivre comme nous / Combien d’entre vous / Auraient survécu / À ces coups ?"

    L’espoir de liberté et de bonheur n’est pas pour autant absent, en dépit des menaces : "Dehors un jour pour moi / La porte s’ouvrira" (le superbe morceau Dehors). Nicolas Fraissinet pleure l’étau qui le serre (L’ombre étroite) comme sa Zoolitude ("Ô liberté douce amère / Répondras-tu à mon appel ?"). Mais, écrit-il, "Viendra le jour / Où tout se révélera" (Viendra le jour) et viendra finalement La délivrance, ce "sentiment qui nous vient tôt le matin".

    L’artiste et poète se fait menaçant mais surtout contemplatif dans le titre et chapitre La grande vague. Il attend de peupler son arche de belles âmes (Mon Arche), admire Les oiseaux ou le ciel orageux (L’orage). Dans un monde menaçant et menacé, Nicolas Fraissinet se voit en nouveau Noé en partance pour l’aventure afin de fuir le déluge dans son arche, son Refuge.

    Alliances vient conclure ce concept album-livre avec un appel désespéré. Contre la fin du monde qu’il voit venir (Minuit moins trois), l’auteur invite chacun à être proche de la nature (Abeille, Totem, Animalité). Après Pythagore, c’est un autre intellectuel antique qui est chanté, Plutarque, qui parlait de "l’intelligence des animaux" (Plutarque avait raison).

    On termine la lecture et l’écoute de ce projet musical avec la sensation d’avoir voyagé dans un univers plus que poétique, fantasmagorique. 

    Nicolas Fraissinet, Joie Sauvage, Trytons / Inouïe Distribution, 2025
    Nicolas Fraissinet, Joie sauvage, éd. Trytons, 2024, 174 p.
    https://www.fraissinet.net
    https://www.facebook.com/Nicolas.Fraissinet
    https://www.instagram.com/nicolas.fraissinet

    Voir aussi : "Pour une dame brune"

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  • Trois instruments pour le prix d’un

    Véritable œuvre phare dans l’histoire de la musique occidentale, Le Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach est souvent joué au piano. Le premier interprète qui vient en tête est sans doute Glenn Gould. Or, c’est d’abord pour le clavecin que les deux livres du Clavier bien tempéré a été composé entre les années 1720 et 1740.

    Écouter la version pour clavecin et clavicorde de Vincent Bernhardt est à la fois un retour aux sources et une matière à interrogation. Comment interpréter et écouter avec des oreilles neuves ces préludes et fugues ? Un troisième instrument, le pianoforte, complète la panoplie de l’interprète.

    5 ans après la sortie du Livre I, voici la deuxième et dernière partie du Clavier bien tempéré par Vincent Bernhardt, musicien et musicologue reconnu. Autant dire que sa vision de l’œuvre de Bach a été longuement réfléchie. Ici, pas d’orgue, un de ses instruments fétiches, encore moins de piano, mais le choix porté sur trois instruments de l’époque de Bach : un clavecin à 2 jeux (contre 16 pour le premier livre), un clavicorde de 1787 et un pianoforte de 1726 sur lequel Bach lui-même aurait pu jouer à son époque.

    Trois instruments donc. Voilà qui complique la tâche mais qui offre aussi une variété de sons pour ses 48 préludes et fugues dont certaines sont devenues de véritables tubes classiques (Prélude BWV 871, Fugue BWV 884). Vincent Bernhardt cherche à s’approcher au plus prêt de la vérité historique et musicologique d’une œuvre archi-jouée en dépit de ses nombreux pièges et difficultés.

    Trois instruments donc. Voilà qui complique la tâche

    Instrument rare, le clavicorde est d’autant plus intéressant dans ce répertoire exigeant. Vincent Bernhard montre ce qu’il a dans le ventre dans la Prélude BWV 871 ou dans celui nommé BWV 875.

    Varier les instruments – clavecin, pianoforte et clavicorde – c’est expérimenter de manière nouvelle une écoute, ne serait-ce que parce que les sonorités de ces instruments diffèrent. Ainsi doit-on presque tendre l’oreille lorsque retentissement les premières notes au clavicorde du Prélude BWV 873. Le pianoforte succède à la fugue de cet opus.

    Vincent Bernhardt, musicien et musicologue reconnu, redonne à ce Livre II du Clavier bien tempéré son statut d’œuvre à la fois technique et artistique. Cette fois, et Bach en aurait été lui même surpris, c’est l’instrument qui est interrogé. On connaissait la manière dont le piano a su transcender cet ensemble d’opus emblématiques. Voilà que Vincent Bernhardt se joue de l’auditeur avec une sorte de malice. Que l’on pense à la fugue bouleversante BWV 877 ou le délicat Prélude BWV 879 dans le premier CD. Il nous propose par là-même  un vrai et beau voyage dans le Siècle des Lumières. 

    Jean-Sébastien Bach, Le clavier bien tempéré, Livre II, Vincent Bernhardt (clavecin),
    Indésens Calliope Records, 2024

    https://vincentbernhardt.org
    https://indesenscalliope.com
    https://www.bs-artist.com/pages/communication

    Voir aussi : "Majeur !"
    "Torelli sorti de l’oubli"
    "Anaëlle Tourret : « Il me tient toujours à cœur de proposer des horizons nouveaux »"

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  • Voyage vers les Corées

    Ouvrez les oreilles sur d’autres horizons, en l’occurrence ici la Corée – ou plutôt les Corées – celle du Nord et celle du Sud. La collection Ocora de Radio France a la bonne idée de sortir en ce moment un enregistrement de chants traditionnelles de la célèbre péninsule.

    Traditionnel et hypermoderne dans la facture, les suites Geomungo Hoesang dévoilent un répertoire quasi inconnu chez nous, avec un  instrument tout aussi rare, la cithare geomungo. Cet impressionnant instrument à six cordes, dont l’origine remonte vraisemblablement au IVe siècle de notre ère, était considéré là-bas comme "le plus grand de tous les instruments" car il permettait "d’élever l’âme".

    Il est vrai que l’écoute de ces suites Geomungo Hoesan est une vraie aventure à la fois artistique, culturelle et spirituelle. Les notes se détachent et résonnent dans ces suites les plus emblématiques de la Péninsule coréenne. Composées au XVe siècle, au départ pour la voix, elles sont finalement devenues exclusivement instrumentales.

    Le rythme lent, la place laissée au silence, les infimes variations et les vibrations invitent au voyage intérieur mais aussi à un vrai dépaysement. 

    Musique s’apparentant aussi bien à un cérémonial qu’à une performance artistique

    Comme souvent pour ces répertoires anciens, on ne connaît pas le ou les auteurs de ces Geomungo Hoesang. Elles ont été compilées, jouées par différents musiciens et sans doute transformées au fur et à mesure des siècles.

    Se plonger dans cette œuvre incroyable c’est faire l’expérience d’une interprétation mais aussi d’une écriture bien différente des musiques occidentales : écriture minimaliste, rythmes nombreux (20 temps, sic), musique s’apparentant aussi bien à un cérémonial qu’à une performance artistique.

    Parlons maintenant de l’interprète, Lee Jae-hwa, l’un des meilleures interprètes de geomungo, ayant à cœur de perpétrer la tradition de cet intrument, devenu patrimoine immatériel national de Corée du Sud. La notoriété de Lee Jae-hwa a depuis dépassé les frontières. En 2013, elle a reçu en France le Prix Musique du Monde de l’Académie Charles Cros pour L’Art du Sanjo de Geomungo.

    La musicienne complète l’enregistrement avec la suite Geomungo Sanjo, avec Jung Hwa-young au janguu, un instrument de percussion lui aussi traditionnel. Cette pièce est d’inspiration nord-coréenne. L’écriture plus sophistiquée se veut moins méditative que dansante. En la proposant dans cet album, Lee Jae-hwa entend construire une passerelles entre deux pays frères et à la même culture mais ennemis depuis les années 50 et la Guerre de Corée.

    Cette découverte proposée par Ocora est une chance de découvrir un répertoire musical unique.

    Korea, Cithare geomungo, Lee Jae-hwa, Geomungo Zither,
    Traditions of the Peninsula, Ocora Radio France, 2025

    https://www.radiofrance.com/les-editions/disque/coree-lee-jae-hwa

    Voir aussi : "Éternelle et musicale Norvège"

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