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  • À l’écoute de tes pièces, Clara...

    Mieux que jouer, Sophia Vaillant nous fait découvrir Clara Schumann dans une intégrale de son œuvre pour clavier (moins deux Scherzi que la musicienne avait déjà enregistrés en 2017) : polonaises, caprices, romances, variations, préludes et fugues. N’en jetez plus.

    Clara Schumann a été, pendant des années, indissociable de son mari Robert Schumann. Interprète, égérie, admiratrice, célébrité influente, la compositrice Clara Schumann, comme beaucoup de femmes artistes est pourtant tombée aux oubliettes en tant que compositrice. Depuis quelques années – et Bla Bla Blog s’en est fait régulièrement l’écho – les musicologues, spécialistes et interprètes permettent de découvrir et redécouvrir des femmes artistes ignorées, oubliées et souvent méprisées. Les choses changent et c'est heureux ! Clara Schumann a laissé une cinquantaine d’œuvres au total. On la considère maintenant à l’égal de ses contemporains – hommes –, à commencer par Franz Schubert, Robert Schumann ou Frédéric Chopin. 

    C’est du reste ce dernier nom qui vient tout de suite en tête à l’écoute des quatre Polonaises op. 1 qui ouvrent le triple album. À l’époque de leur écriture, Clara Schumann – ou plutôt Clara Wieck – n’a que… 10 ans ! Moins révolutionnaire que son homologue polonais, ces pièces séduisent par leur légèreté, leur gaieté et leur insouciance, servies par une Sophie Vaillant impeccable dans le rythme comme dans les couleurs données à ces éclatants morceaux, avec en particulier une dernière Polonaise en do majeure particulièrement espiègle. Le nom de Chopin revient encore dans les Valses romantiques op. 4 en do majeur. Après une introduction sombre, elles virevoltent et s’épanouissent. Il faut ici encore saluer Sophia Vaillant dans une interprétation tendue, sérieuse et nous entraînant dans un paysage musical aux nombreux recoins. Il semble que la pianiste et la compositrice nous prennent par la main.  

    Les Neuf Caprices en forme de valse op. 2 ont été composés plus tard, au début de l'adolescence de la musicienne. Nous sommes entre 1831 et 1832. Elle n’a que 12 ans mais quelle maîtrise, déjà ! Ces Caprices enlevés, élégants et aux lignes mélodiques élaborées ont été composées, nous dit le livret, pour les salons de la bonne bourgeoisie allemande. "La compositrice a voulu s’imposer avec brio dans cette société masculine". Mais aussi pour impressionner un certain Robert Schumann, de neuf ans son aîné, qui lui donne des cours de piano. On pense au dernier et court Caprice en ré bémol majeur, ressemblant à l’expression d’un émoi dissimulé.

    C’est à son futur mari qu’elle dédicace la Romance variée op. 5 en do majeur. Parfaite illustration du romantisme, Clara Wieck, future Schumann, semble assumer complètement ses sentiments pour celui qui va devenir son mari, au prix cependant d’un procès, plus tard, avec son propre père. En attendant, l’innocence, l’espièglerie et la joie d’être amoureuse rejaillissent dans cette romance incontournable. Sophie Vaillant affronte avec vaillance les nombreux pièges techniques de cette pièce alliant raffinement, simplicité et virtuosité.

    La déclaration amoureuse pour Robert Schumann est plus évidente encore dans la Romance des Quatre Pièces Caractéristiques. Cette dernière œuvre, op. 5, d’une incontestable modernité (L’Impromptu Le Sabot, très naturaliste ou l’étonnante Scène fantastique du Ballet des revenants, gothique avant l’heure), viennent conclure un premier CD revenant sur les premières années décidément prometteuses d’une future très grande de la musique classique. 

    On la considère maintenant à l’égal de ses contemporains – hommes –, Schubert, Chopin ou Robert Schumann

    C’est une Clara Schumann endiablée qui surgit du 2e CD grâce à la brillantissime Toccatina en la majeur de ses Soirées musicales op. 6. Elle se révèle en compositrice audacieuse et ambitieuse, tout en restant bien ancrée dans le Romantisme de son époque (Notturno en fa majeur). Pourtant, Clara future Schumann n’a que 16 ans. Ses sentiments pour Robert sont intacts et exprimés ici avec un mélange de passion, de langueur et de mélancolie (Mazurka en sol mineur). Restons dans ces Soirées musicales semblant organisées dans un de ces salons aristocratiques et bourgeois de 1836. Clara Schumann propose sa mélancolique Ballade en ré mineur avant une courte Mazurka en sol majeur et une Polonaise gracieuse aux belles lignes mélodiques, grâce à une Sophia Vaillant cavalant avec plaisir sur ces partitions exigeantes.  

    L’auditeur sera captivé par l’irrésistible Variation de concert op. 8 Sur la cavatine du Pirate de Bellini. La passion de la compositrice pour l’opéra italien est évident. Mieux, cette variation vaut à la jeune femme une reconnaissance officielle et publique. Le morceau est servi par une Sophia Vaillant incroyable de fraîcheur et de virtuosité pour cette pièce aussi complexe que lumineuse.

    Le 2e CD est complété par Trois Romances sans parole op. 11. On pourra retrouver dans la 2e Romance le thème initiale de la Sonate n°2 de Robert Schumann qui y verra un message, partagé à sa future compagne : "À l’écoute de ta Romance, j’ai entendu une nouvelle fois que nous devions devenir mari et femme." Message bien reçu.

    On avance dans le temps avec le 3e CD et ces Trois Pièces Fugitives op. 15 composées entre 1840 et 1844. Clara Schumann a un peu plus de vingt ans et voit sa vie sentimentale et maritale s’éclaircir après le procès gagné contre son père. Elle se montre ici d’une grande mélancolie (le Larghetto et l’Andante expressivo). Sophia Vaillant semble s’effacer derrière des partitions dans lesquelles pointe une grande tristesse, ne prenant toutefois jamais le dessus (Scherzo).

    Les Préludes et fugues op. 6 renvoient inévitablement à Bach et à son Clavier bien tempéré (Fugue en si bémol majeur). Les notes se déploient avec la même technicité (Fugue en ré mineur), densité (toutes durent moins de 2 minutes 50) et tonicité (Fugue en sol mineur). Il y a pourtant je ne sais quoi de moderne dans cette exploration de préludes et fugues écrites en plein XIXe siècle romantique (que l’on pense au Prélude en si bémol majeur ou celui en ré mineur).  

    La pièce la plus longue de ce 3e disque, mais aussi du coffret, sont ces somptueuses Variations sur un Thème de Robert Schumann op. 20. Écrites en 1843, elles sont une déclaration d’amour à Robert Schumann. L'idylle entre eux est toujours là, ancrée et solide comme un roc. Toutefois, le musicien voit sa santé décliner. La compositrice a-t-elle l’intuition à l’époque qu’il mourra trois ans plus tard ? Elle propose en tout cas autant une œuvre pleine de tristesse et de nostalgie qu'un tombeau funèbre et un hommage au grand artiste et complice qu’est son mari. Sophia Vaillant propose un enregistrement de ces Variations faisant répondre mélancolie et réconfort, force et désespoir. Il s’agit sans doute là d’une des pièces phares de cette importante compilation Clara Schumann.  

    Trois Romances op. 21 viennent clôturer ce coffret. Certes moins joueuses, elles restent élégantes, virtuoses et d’une folle modernité.

    Mieux que de nous faire découvrir – ou peut-être redécouvrir – Clara Schumann, Sophia Vaillant nous fait entrer dans son intimité et dans son cœur. Elle nous fait d’elle une amie. À l’écoute de ses pièces, nous sommes moins seuls.

    Clara Schumann, Un destin romantique, Sophia Vaillant (piano), 3 CD,
    Indésens Calliope Records, 2024

    https://indesenscalliope.com
    https://www.bs-artist.com/pages/communication

    http://www.sophiavaillant.com/bio.html
    https://www.facebook.com/sophiavaillant

    Voir aussi : "Nuit et lumières chez les Schumann"
    "1842, année romantique"

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  • Un autre regard sur Philip Glass

    Dès les premières notes de cet album de b•records, nous sommes indéniablement chez Philip Glass, compositeur américain du courant répétitif américain. Il s’agit d’un enregistrement public d’un concert à la Cité de la Voix de Vézelay, le 11 janvier 2024.

    Another Look at Harmony date de 50 ans déjà mais l'œuvre reste d’une très grande modernité. L’ensemble  Les Métaboles en propose ici la quatrième partie, complétée par une œuvre du XVIIIe siècle, le Canone a 16 all’ unisona d’Andrea Basily. Il faut remercier Léo Warynski d’avoir su dénicher un opus méconnu et peu joué du compositeur américain. Il précède de quelques années son opéra Einstein on the Beach dont Another Look at Harmony serait une "sorte d’esquisse".  

    Chez Glass, les boucles mélodiques, écrites pour chœur et orgue, s’étirent patiemment – pour ne pas dire religieusement. On croirait entendre une œuvre chamanique que l’orgue incroyable de Yoan Héreau vient éclairer de manière métaphysique (Section 2). Rien d’étonnant finalement pour une œuvre enregistrée à Vézelay, l’un des plus grands centres religieux d’Europe.

    Il y a de l’épique et de l’aventure dans cette manière de travailler les sons, les voix, leurs textures. On aurait tort de s’arrêter sur le terme de "minimalisme" souvent utilisé lorsque l’on parle de Philip Glass. Au contraire, la richesse est là, dans ces intonations et ces variations parfois intimes de répétition d’un même motif (Section 3). 

    Une œuvre méconnue d’un compositeur qui l’est tout autant

    L’ensemble des Métaboles et l’orgue de Yoan Héreau se complètent harmonieusement (Section 5) dans cet opus du milieu des années 70 que Léo Warynski apparente moins à la culture new age de cette période qu’à l’école de Notre-Dame des XIIe et XIIIe siècles. N’oublions tout de même pas la grande modernité de cette pièce, éclatante et sombre dans la longue Section 6. Elle précède cette capricieuse et très classique "pastille" de 16 secondes par Yoan Héreau, avant  la huitième et dernière section où l’orgue vient accompagner l’ensemble des Métaboles. Philip Glass fait de ce mouvement un hommage au répertoire liturgique occidental : orgue éclatant, envolées des voix et enthousiasme joyeux. Glass, parfois dédaigné en France, prouve qu’il est un compositeur contemporain mais aimant et connaissant ses classiques.

    L’album se termine assez singulièrement par une œuvre méconnue d’un compositeur qui l’est tout autant. Léo Warynski a choisi un canon du compositeur italien Andrea Basili (1705-1777). Son magnifique Canone a 16 all’ unisona est une œuvre classique jamais éditée ou enregistrée jusqu’alors. Cela en fait sa rareté. En incluant un compositeur du XVIIIe siècle dans un programme contemporain,  Léo Warynski et Les Métaboles entendent renouer deux époques et deux styles a priori diamétralement opposés mais qui viennent se rejoindre naturellement. 

    Philip Glass, Another Look, Les Métaboles,
    dirigé par Léo Warynski, Yoan Héreau (orgue), b•records, coll. Trio Xenakis, 2025

    https://www.lacitedelavoix.net/actualite/another-look-le-nouveau-disque-des-metaboles
    https://lesmetaboles.fr/fr/boutique/disque/another-look
    https://www.b-records.fr

    Voir aussi : "Trio percutant"

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  • 1842, année romantique

    "1842" aurait pu être le titre du dernier coffret de b.records, Collection Schumann. Cet enregistrement consacré à la musique de chambre de Robert Schumann s’intéresse à quatre œuvres de jeunesse du compositeur allemand. Nous sommes en 1842 et Schumann ne s’est pas encore essayé aux quatuors, se limitant surtout à des opus pour piano et voix. Cette année 1842 entre dans l’histoire de la musique romantique.

    L’enregistrement proposé est la captation d’un concert donné par le Quatuor Strada à l’Auditorium de la Cité de la Musique et de  la Danse à Soissons, les 3 et 19 avril 2024. Le Quatuor réunit Pierre Fouchenneret et Ayako Tanaka au violon, Lise Berthaud (alto) et François Salque (violoncelle).

    Ce coffret Robert Schumann débute avec le 1er Quatuor à cordes op. 41 dont l’introduction soyeuse et vibrante annonce un mouvement harmonique et harmonieux, mais non sans l’expressivité romantique de Robert Schumann (Andante expressivo) ni une allégresse certaine (Allegro). Écrit en 1842 (Robert Schumann a 32 ans), ce Quatuor op.41 illustre l’état d’esprit de son auteur. Il vit une période heureuse, ce qu’illustre encore le deuxième mouvement Scherzo – Presto – Intermezzo vivifiant auquel s’attaque le Quatuor Strada avec enthousiasme. Même l’Adagio n’est ni triste ni funèbre. Mélancolique et beethovénien, il ressemble à une douce déclaration d’amour. Le Presto, vif comme un torrent sauvage, vient conclure un premier Quatuor typique de cette année 1842 placée sous le signe de la musique de chambre schumanienne.

    Toujours en 1842, le compositeur allemand écrit son deuxième Quatuor à cordes op. 41. L’Allegro vivace a la légèreté de ces œuvres insouciantes. Le Quatuor Strada s’y promène avec une bonheur. Le charme de l’Andante quasi variazioni réside dans sa manière d’avancer pas à pas, avec un sorte de nonchalance joueuse. Le mouvement suivant, Scherzo – Presto, le plus court de ce coffret, garde cette insouciance et cette joie de vivre, si caractéristique de la musique de chambre schumanienne de cette période. Tour aussi alerte, l’Allegro molto vivace vient clore le Quatuor à cordes n°2 ainsi que le premier CD du coffret.

    "Ils me ravissent jusque dans le moindre détail"

    Le 3e Quatuor à cordes commence par une somptueuse déclaration d’amour tout en romantisme. N’est-ce pas à Robert Schumann amoureux – de Clara Wieck, future Madame Schumann – dont nous avons à faire dans le premier mouvement Andante ? Les frères Fouchenneret précisent d’ailleurs dans le livret que le trio de quatuors ont été offerts à la musicienne et compositrice pour ses 23 ans qui a su apprécier la valeur de cette création : "Ils me ravissent jusque dans le moindre détail", lui dit-elle. Pour l’Assai agitato, Robert Schumann semble se démultiplier dans une partie virtuose, enlevée et à la construction savante. On se pose sur l’Adagio, plus sobre avant un Finale Allegro molto vivace, enlevé, capricieux et joueur, mais non sans élan amoureux et romantique, avec une ligne mélodique irrésistible.

    Le Quintette pour piano et cordes op. 44 vient compléter ce programme. Théo Fouchenneret au piano rejoint son frère Pierre, toujours avec le Quatuor Strada. Composé lui aussi en 1842, le Quintette en mi bémol majeur est devenu un des exemples les plus éclatants de la musique romantique, suscitant d’ailleurs l’admiration, entre autres, de Wagner himself. L’Allegro est "brillante", mené tambour battant grâce notamment au piano de Théo Fouchenneret. Arrêtons-nous un instant sur le second mouvement In modo d’una marcia, un poco largamente. C’est tout le génie de Schumann qui s’exprime dans cette partie plus sombre – sinon funèbre – et dans lequel le compositeur sort des sentiers battus. Le romantisme se pare de modernité dans ce séduisant et frappant mouvement nimbé de mystères, comme annonciateur de sombres dangers. Avec le Scherzo Molto vivace, c’est un Schumann jeune et alerte qui s’exprime dans un mouvement relativement court, et en tout cas efficace. Le Quintette et le coffret se termine avec un Finale allegro ma non troppo au solide tempérament. Il vient clore une œuvre essentielle chez Schumann et, par là, une année 1842 à marquer d’une pierre blanche.  

    Robert Schumann, Quatuors et quintette pour piano et cordes,
    Quatuor Strada et Théo Fouchenneret, b•records, 2025

    https://www.b-records.fr
    https://www.theofouchenneret.com
    https://pierrefouchenneret.com/quatuor-strada

    Voir aussi : "Romantique et métaphysique Schumann"

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  • Que devient Andrea Ponti ?

    On ne peut pas rester insensible à Andrea Ponti – à son univers, à sa voix et à ses confessions. Elle nous revient avec son dernier single, Va vis et deviens.

    C’est à elle-même qu’elle s’adresse, ou plutôt à la jeune fille qu’elle était quelques années plus tôt : "Je relis mon journal intime / Et j’intime à celle qui se dessine / D’être celle qu’elle a rêvé. / Il n’y a que toi qui sais / Quel est ton avenir".

    Crois en tes rêves, crois en toi, impose-toi et va de l’avant, chante-t-elle à l’Andrea de ses jeunes années. "Ces mots sont pour toi, / Toi, l’Andrea, / Toi dont les ailes n’étaient pas déployées". Ou pas encore, en tout cas. 

    Andrea Ponti se confie sans fard, avec tendresse. La simplicité au service d’un joli message d’encouragement pour l'enfant qu'elle était et qui était pleine de rêves. 

    Andrea Ponti, Va vis deviens, 2025
    https://www.instagram.com/andreaponti_off
    https://www.facebook.com/andreaponti.off
    https://www.youtube.com/c/AndreaPonti_off

    Voir aussi : "Andrea Ponti : 'Aujourd’hui, nos retrouvailles sont une évidence'"
    "Regarde Andrea Ponti"

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  • Perspectives de la harpe

    Instrument rare et attachant, la harpe est mise à l’honneur par Anaëlle Tourret dans son deuxième album, Perspectives concertantes. Après un premier opus de pièces pour instrument seul, c’est donc le concerto qui a les faveurs de la harpiste.

    Pour trouver des œuvres pour cet instrument, il faut se tourner vers des compositeurs relativement peu connus du grand public – ici, Reinhold Glière et Ernst von Dohnányi – ou à des pièces peu célèbres de compositeurs renommés, à l’instar des Deux danses pour harpes de Debussy.

    Reinhold Glière (1874-1956) est un compositeur russe du XXe siècle catalogué de post-romantique. Il fait partie de ces artistes adoubés par le pouvoir soviétique – une gageure dans cette dictature redoutable. Professeur de Prokofiev, Glière a su puiser ses influences dans la musique folklorique des peuples soviétiques. Anaëlle Tourret s’attaque au Concerto pour harpe et orchestre op. 74, accompagnée de l’orchestre symphonique NDR Elbphilharmonie Orchester dirigé par Vasily Petrenko. L’Allegro moderato se déploie avec une belle majesté, renvoyant aux vagues denses et romantiques d’un Rachmaninov dans ses concertos pour piano. La harpe ne se laisse pas étouffer par l’orchestre. Elle l’accompagne avec un mélange de douceur et de fermeté. Succède à ce mouvement un Terna con variazioni tout en délicatesse, tel un dialogue amoureux, dense, riche et passionnant. Le troisième mouvement Allegro giocoso de ce concerto de Glière s’apparente à une suite de danses folkloriques menées par un orchestre enthousiaste et une harpiste qui n’a pas froid aux yeux. 

    Une harpiste qui n’a pas froid aux yeux

    Le deuxième compositeur à l’honneur est Ernst von Dohnányi (1877-1960). Comme pour Glière, sa carrière est indissociable des tourments du XXe siècle. Né en plein cœur de l’Empire austro-hongrois, figure de la culture hongroise, opposé au nazisme – deux de ses fils, antinazis comme lui, perdent la vie durant le conflit. Réfugié aux États-Unis, la Hongrie communiste lui tourne le dos après la seconde guerre mondiale. L’écriture d’Ernst von Dohnányi ne prêche pour aucune école. Elle puise ses sources dans le romantisme, notamment son compatriote Brahms mais aussi dans le folklore magyar et la modernité. D’où la composition subtile de son tardif et méconnu Concertino pour harpe et orchestre de chambre op. 45 qu’Anaëlle Tourret rend avec toute sa complexité et son hyper sensibilité. On est happés par l’onirisme romantique de l’Andante. La harpiste s’empare du technique deuxième mouvement Allegro vivace avec une solide audace, rendant au compositeur hongrois toute sa modernité, avant une dernière partie Adagio non troppo, paisible et teintée de nostalgie et de mélancolie, celle d’un vieux compositeur au crépuscule de sa vie, loin de son pays natal.

    L’enregistrement se termine avec Claude Debussy (1862-1918) et ses deux Danses pour harpe avec accompagnement d’orchestre. Qui d’autre que Debussy pouvait magnifier la harpe, ses harmonies, ses teintes et sa fluidité ? Les Danses sacrée et profane font partie des œuvres incontournables, délicates, mystérieuses et impressionnistes. Anaëlle Tourret s’y fond avec un plaisir évident.

    Et si la harpe avait trouvé l’une de ses ambassadrices les plus douées ?

    Anaëlle Tourret, Perspectives concertantes
    NDR Elbphilharmonie Orchester Stuttgarter Kammerorchester dirigé par Vasily Petrenko,
    Es-Dur, C2, 2024
    https://www.anaelletourret.com
    https://www.instagram.com/anaelle_tourret/reel/DFXKDlgCWbK
    https://www.c2hamburg.de/shop/de/ALL/Perspectives-Concertantes.html

    Voir aussi : "Liszt amoureux"
    "Compositrices entre classicisme et romantisme"

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  • Du côté de chez Mozart

    Allez, un petit crochet du côté de Mozart avec ce cinquième et dernier volume d’une intégrale de ses sonates pour piano par Jean Muller. On retient son souffle et on se laisse porter par les sonates n° 14, 5 et 18 du compositeur autrichien. 

    Le pianiste luxembourgeois a choisi de commencer son enregistrement par la Fantaisie K475 Sonate n°14, assez tardive (elle date de 1785) et fortement influencée par Bach et Haendel. Sans ostentation, Jean Muller déploie les lignes mélodiques de Mozart. Il s’en empare avec douceur et élégance jouant des silences, tant il est vrai, comme le dit une célèbre expression, que "le silence qui succède à Mozart est encore du Mozart". 

    La véritable entrée en matière de l'opus commence avec la Sonate pour piano en ut mineur K. 457. De la même période que la Fantaisie (1784), elle a une facture mozartienne bien reconnaissable. Jean Muller s’empare du Molto allegro avec ce qu’il faut de (fausse) légèreté et d’élégance. On se laissera porter par un Adagio comme suspendu. Ici encore, les silences et les pauses font loi.  

    On parlait de fausse légèreté. Le troisième et dernier mouvement de la Sonate K 457 ne fait pas exception à la règle. Derrière une certaine joie de vivre, pour ne pas dire de l’allégresse, la mélancolie n’est pas absente de l’Allegro assai dont les mouvements virevoltants sont comme laissés en suspens, contrariés.  

    Les silences et les pauses font loi

    La Sonate K283 en sol majeur fait partie des œuvres de jeunesse de Mozart. Il s’agit d’une des six sonates, dites "de Munich", composées lors d’un de ses voyages en Allemagne. Il a à l’époque 18 ans mais déjà une solide expérience et une renommée européenne. Le prodige et prodigieux jeune compositeur étincelle dès les premières mesures d’un Allegro virevoltant. Jean Muller s’en empare avec une gourmandise certaine, y compris dans le charmant mouvement lent Andante, plus subtil que la première écoute ne le laisse a priori penser. La ligne mélodique pure et la simplicité en font un moment intime, au point sans nul doute d'impressionner les contemporains de Mozart dans les salons aristocrates de l’époque. Respectant la forme classique de la sonate, Mozart termine par un mouvement rapide, Presto. Il faut de la technique et de la virtuosité pour mener à bien cette partie à la fois compliquée et passionnante.  

    Ce dernier volume de l’intégrale des sonates de Mozart par Jean Muller se termine par la La Sonate pour piano n° 18 en ré majeur K. 576. Composée en 1789 Il s’agit de la dernière sonate de Mozart. Il s’agissait à l’origine d’une commande de six sonates pour la princesse Frédérique-Charlotte de Prusse. C’est la seule qui ait été écrite par le compositeur autrichien. Cette sonate dite "de la chasse" apparaissait à un Mozart, sans doute un peu blasé, comme une œuvre "facile". En réalité, dès la première écoute elle apparaît comme d’une complexité redoutable et demandant une grande virtuosité. Jean Muller cavalcade dans le mouvement Allegro, tendu, rapide et semblant nous entraîner dans une partie de chasse endiablée. Pour l’Adagio, Mozart fait le choix de l’émotion - avec un grand "é". De la retenue, de longues respirations mais aussi une profonde mélancolie dans ce mouvement, à une époque où la situation de Mozart s’aggrave. Il est endetté, produit moins et doit déménager pour raisons financières. Le compositeur n’a plus que trois ans à vivre. Dans cet Adagio, Mozart noie sa profonde mélancolie dans une écriture harmonique toujours étincelante. L’enregistrement se termine par un Allegretto d’une belle densité, menée par un Jean Muller impérial. 

    Mozart, Piano Sonatas vol. 5, Jean Muller (piano), Hänssler Classic, 2025
    https://www.facebook.com/pianistjm
    https://www.pianistjm.com
    https://haensslerprofil.de

    Voir aussi : "Haydnissimo !"
    "Franck par Lazar"

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  • La vie made in Galiana

    C’est sur une facture rock que début le dernier album de Paul Galiana, le bien nommé De la vie donnant son titre à l’opus, véritable cri contre les religions et hymne pour le vrai, "sans encens".

    La fraîcheur est évidente dans cet album pop-rock sur instruments acoustiques mais il y a aussi de la nostalgie (Ledru-Rollin, Le Signal, souvenir d’un lieu de son enfance, ou encore la ballade Entre le fleuve et la rivière), voire du spleen (le country-folk En ligne), rendant l'album De la vie immédiatement attachant. Pour autant, pas question de apitoyer sur son sort. En forme de bilan, ce nouvel opus de Paul Galina se veut celui d’une bande d’amis partis se frotter au monde, à l’instar de son duo avec Clément Verzi, Nous défendrons l’automne.

    L’un des meilleurs morceaux de l’album, Ta place, un des plus personnels titres, que le musicien consacre à son père, non sans amertume : "Tu n'es pas entré dans ce couplet / Tu n'as pas trouvé ta place / Et sans merci, sans s'il vous plaît / Tu as regagné cette ride dans ma glace". Pour autant, Paul Galiana n’a pas choisi d’en faire un morceau triste, comme il le dit lui-même : "Il était important pour moi que la fin du morceau soit presque festive, avec une belle bande de collègues et ami(e)s venu(e)s poser de joyeux “La la la”".

    Fin observateur

    La chanson française se marie avec le blues dans Genghini blues. L’étrange titre fait référence, les fans du ballon rond le savent sans doute, à Bernard Genghini, joueur et entraîneur de football, "fier et discret" et qui évoque des souvenirs d’enfance, de sport, de pelouses, de compétitions le dimanche et finalement de petits bonheurs ineffaçables. Un joli hommage pour l’ancien jour de Sochaux et le quatrième joueur de l’emblématique "carré magique".

    C’est un autre hommage que propose Paul Galina avec La fille du train pour Tallinn. Cette fois c’est l’Europe de l’Est qui est au cœur de cette chanson parlant d’exil, d’amitié et de guerre. L’auditeur aura évidemment en tête la guerre en Ukraine ("Tu t'es enfuie d’une ville à vif / De plaies de cratères de bombes de mines / - Va plutôt voir et raconter ce qui se vit à Kyiv").

    Dans Punchline, le chanteur laisse parler son agacement et à la vanité de la communication à sens unique : "C'est ta punchline, c'est un mic-drop / Tu ne parles pas pour qu'on te réponde / C'est ta punchline pour me dire stop / Pourquoi m'écouter ? Autant rester dans ce monde / Des punchline". Il est comme ça, Paul Galiana. Il suit sa route, tranquillement, avec bienveillance. Il le chante très bien dans le délicat et irrésistible Le goût de l'horchata ("Je suis celui qui naît, qui vit, qui tangue / Entre les hauts, les bas / Je suis celui qui garde au coin de la langue / Le goût de l'horchata").

    Paul Galiana est un fin observateur de ses contemporains, à l’image de l’incroyable Jeanne Pardon, portrait touchant et cruel d’une femme "innocente et de bon fond". Dans La main qui tremble, le musicien laisse parler sa sagesse et revendique son droit au doute et à ses interrogations ("Comment faites vous, sans faiblir / Sans bleus à l'âme et sans blessure / Sans boule au ventre, sans faillir / Et le geste sûr").

    Autre lieu, autre titre. Dans Sans Paris, c’est Bruxelles que chante Paul Galiana, sur les traces de Brel. Ce dernier titre folk se veut une jolie déclaration d’amour : "Mais je suis bien ici / Sans Paris / Infidèle / Elle me pardonnera / Quelques jours avec toi / Bruxelles". 
    Attachant Paul Galiana.   

    Paul Galiana, De la vie, 2024
    https://www.paulgaliana.com
    https://www.facebook.com/paulgalianamusique
    https://www.instagram.com/paulgalianamusique

    Voir aussi : "Électroband"

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  • Liszt amoureux

    Si Beethoven a été le père fondateur du Romantisme et Schubert le jeune disciple surdoué, Liszt en a été le maître virtuose tout autant que le gardien du temple. 

    Titien Collard s’est lancé pour son premier album solo dans un programme exigeant, ambitieux mais aussi passionnant autour du compositeur hongrois. C'est le troisième mouvement des Harmonies poétiques et religieuses qui ouvre l’opus. Le romantisme européen n’a jamais aussi bien porté son nom que pour ces pièces composées en Ukraine au milieu du XIXe siècle et inspirées de poèmes de Lamartine. À l’époque, Franz Liszt file le parfait amour avec  la princesse Carolyne de Sayn-Wittgenstein qui fut sa compagne de 1847 à 1861.

    Titien Collard a choisi de jouer la deuxième pièce, Bénédiction de Dieu dans la solitude. Il s’en empare avec maîtrise et ce souffle romantique oscillant entre retenue, exaltation et religiosité. Liszt s’est inspiré de ces vers de Lamartine : "D’où me vient, ô mon Dieu, cette paix qui m’inonde ? / D’où me vient cette foi dont mon cœur surabonde ? / À moi qui tout à l’heure, incertain, agité, / Et sur les flots du doute à tout vent ballotté, / Cherchais le bien, le vrai, dans les rêves des sages, / Et la paix dans des cœurs retentissant d’orages ?", Solitude). On peut saluer l’audace de Titien Collard d’avoir choisi un programme romantique des plus exigeant et de s’en proposer une interprétation fluide, lumineuse et non sans puissance (Allegro energico).

    Pianiste expressivo, virtuoso e colorato

    L’enregistrement inclut la Sonate pour piano en si mineur S. 178. D’une très grande complexité – nous pourrions même employer le terme de "modernité" – cette sonate bouleverse les règles. Si Titien Collard la présente sous la forme classique de trois mouvements (Lento assai - Allegro energico, Andante sostenuto et Allegro energico), en réalité Liszt l’a imaginée d'un seul tenant. Cette pièce fait figure d’œuvre majeure dans la carrière du musicien hongrois comme dans le répertoire romantique. Tour à tour austère, exacerbée, sombre et méditative, la Sonate en si mineur s’écoute comme une construction architectonique et musicale ambitieuse à laquelle Titien Collard se frotte avec aplomb et justesse. "Œuvre gigantesque d’une seule cellule", selon les mots de Richard Strauss, cette pièce importante illustrant une période heureuse dans la vie amoureuse de Liszt invite à la méditation et au voyage intérieur (la partie Andante sostenuto).  

    Pour terminer cet album Liszt, Titien Collard a fait le choix de proposer les Consolations S. 172, également appelées Six pensées poétiques. Le court, gracieux et "tube" qu’est l’Andante con moto introduit les six pièces tout aussi romantiques (Un poco più mosso). L’auditeur retrouvera avec plaisir cet autre grand classique qu’est le mélodique et méditatif Lento, quasi recitativo que Titien Collard interprète avec une retenue bienvenue. La noirceur n’est pas absente dans ces Consolations que certains disent inspirés, de nouveau, d’un poème éponyme de Lamartine (Quasi Adagio). L’auditeur se laissera autant séduire par le délicat et subtile Andantino que par la simplicité de l’Allegretto sempre cantabile qui vient clore l’album d’un compositeur majeur du répertoire romantique. le tout interprété par un jeune pianiste expressivo, virtuoso e colorato

    Titien Collard (piano), Franz Liszt, Indésens Calliope, 2024
    https://indesenscalliope.com
    https://www.bs-artist.com/pages/communication

    https://www.facebook.com/people/Titien-Collard-Pianiste/100083719893138/

    Voir aussi : "Bowie, Paganini, Scarlatti et compagnie"

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