Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

classique

  • Philippe Guilhon Herbert : "Ravel est au plus près de mon parcours de musicien"

    Philippe Guilhon Herbert sort cette année un album Ravel. La commémoration du compositeur français, dont nous fêtons les 150 ans, est l’occasion pour le pianiste de proposer un enregistrement des plus singuliers. Nous avons voulu en savoir plus. 

    Bla Bla Blog – Bonjour, Philippe. Dans votre actualité musicale, il y a un album Ravel, un compositeur dont nous fêtons les 150 ans de la naissance. Que représente Maurice Ravel pour vous et, surtout, quelle place tient-il dans votre panthéon musical ?
    Philippe Guilhon Herbert  –  Bonjour et merci de notre entretien. 
    Durant ma prime jeunesse, Maurice Ravel m'a été moins familier que Claude Debussy, dont j'avais très tôt étudié de nombreuses pièces, comme ses Préludes et Images. A l'âge de 15 ans, j’ai travaillé Une barque sur l’océan, découvrant ainsi  l’extraordinaire raffinement et la fluide virtuosité de Ravel, dont les œuvres ne m’ont depuis plus quitté ; Gaspard de la Nuit, Valses nobles et sentimentales, mais aussi son sublime Trio, qui allient à son génie harmonique et mélodique un sens du rythme unique. Aux côtés de Beethoven, Schubert et Chopin, Ravel est au plus près de mon parcours de musicien.

    BBB – Ravel a été et est toujours archi-joué. Dans votre dernier album (Piano Works, Indésens Calliope), vous avez fait un choix singulier : celui de proposer des pièces jouées non pas sur un mais sur trois pianos. Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?
    PGH –  L’enregistrement s'est déroulé en trois lieux distincts : le temple luthérien Saint Marcel à Paris (Sonatine)  le studio de Meudon (Ondine)  ainsi qu’une salle de concert à Bangkok (Valses nobles et sentimentales, Pavane…), avec trois dispositifs de micros, harmonisés grâce au mastering de S. Bouvet, ingénieur du son. Ce Steinway D et ces deux Fazioli proposent une large gamme de timbres et de résonnances, offrant une grande variété de nuances et un vaste éventail de sonorités.

    Bla Bla Blog – Beaucoup d’auditeurs et d’auditrices ne connaissent pas ces Valses nobles et sentimentales de Ravel. Pourquoi avoir choisi de les proposer ? 
    PGH – Il est vrai que La Valse est plus connue que ses Valses nobles et sentimentales ; toutefois  ce recueil est sublime de subtilité, de grâce, mais aussi d’énergie rythmique et de contrastes. Il offre une large variété de registres, de couleurs et climats, de dynamiques, jusqu’à sa dernière valse qui, extatique, voit le temps musical se gondoler, se suspendre puis s’assoupir.

    Ravel. Stravinsky et Debussy sont des "phares"

    Bla Bla Blog – Pourquoi n’avoir proposé que deux parties pour Ma mère L’Oye ?
    PGH – Il s'agit de la version originale, pour piano à 4 mains, dont seules ces deux pièces peuvent être jouées par un seul interprète.

    Bla Bla Blog – Vous vous intéressez aux créations contemporaines. Finalement, Maurice Ravel était-il plus moderne qu’on ne veut bien le dire ? 
    PGH – Ravel. Stravinsky et Debussy sont des "phares" qui ont éclairé tout le 20ème siècle musical. Leur génie visionnaire inspire toujours la création contemporaine, sans aucun doute.

    Bla Bla Blog – Pouvez-vous nous parler de vos projets pour la fin de cette année et pour 2026 ? De nouveaux enregistrements ? Des tournées ? 
    PGH – J’ai enregistré début Juillet un double programme Beethoven & Schubert ; j’espère que le label Indésens Calliope, selon son calendrier, le publiera en 2026. Je souhaite enregistrer un second volume Beethoven prochaInement ; quant aux concerts, attendu que je réside en Asie depuis quelques années mais souhaiterais à présent revenir vivre à Paris une grande partie de l’année, il s’agit pour moi d’organiser ici un 3come back".  

    Bla Bla Blog – Nous aimons bien interroger nos invités sur leurs coups de cœur ? Quels sont les vôtres en matière de musique, au sens large, comme en matière de cinéma, de télévision, d’expositions ou de lectures ? 
    PGH – Je suis passionné par le talent et la beauté artistique sous de nombreuses formes (les grands acteurs-trices, réalisateurs-trices, différents genres musicaux, les arts plasiques…) mais si je dois retenir une figure majeure de mon intérêt et de mon étude constante, il s’agit de l’œuvre de Schopenhauer. 

    Bla Bla Blog – Merci, Philippe.
    PGH – merci à vous.

    Maurice Ravel, Piano Works, Philippe Guilhon Herbert, Indésens Calliope Records, 2025
    https://indesenscalliope.co
    https://www.facebook.com/pghpianist

    Voir aussi : "Ravel nu"

    Photo : Avec l'aimable autorisation de l'artiste

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partagez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !

  • Ravel nu

    Les enregistrements de la musique de Ravel sont particulièrement importants en cette année qui marque les 150 ans de sa naissance. De tous les compositeurs français du XXe siècle, il est sans doute celui qui a marqué le plus profondément la mémoire collective et l’admiration des amoureux et amoureuses de la musique classique.

    Voilà une preuve supplémentaire avec ce programme pour pianos – au pluriel car Philippe Guilhon Herbert a enregistré cet album sur pas moins de trois instruments distincts, aux sonorités et touchés sensiblement différents. Piano Works (Indésens Calliope) propose un choix d’œuvres, alternant des "tubes" (Pavane pour une infante défunte, Ma mère L’Oye) et des moins connues (ses Valses nobles et sentimentales et le court Prélude en la mineur, M.65).

    Mais commençons par le commencement, avec la magnétique Pavane pour une infante défunte. Chant de deuil, ce morceau prend, sous les doigts de Philippe Guilhon Herbert l’aspect d’une consolation et d’un au revoir à peine triste. Au pire, mélancolique, dans toute sa nudité.

    Gaspard de la nuit est d’abord une œuvre pour piano de 1908, avant d’avoir été transcrite pour orchestre plus de 80 ans plus tard. On est, avec Philippe Guilhon Herbert, dans l’essence de cette pièce à la fois rêveuse et fantasmagorique. On peut parler de néoromantisme mais aussi d’impressionnisme dans la partie Ondine, illustrant le conte d'Aloysius Bertrand mettant en scène une nymphe des eaux tentant de séduire un homme. Ravel en fait une pièce onirique. Le pianiste s’approprie l'œuvre avec la même délicatesse que la Sonatine, chaque note sonnant avec une grande précision. Le mouvement Modéré est joué avec lenteur, ce que la pianiste Marguerite Long préconisait d’ailleurs. Bien vu. Le Mouvement de Menuet entend moderniser une danse archaïque, non sans nostalgie, donnant à cette partie une atmosphère souriante et presque naïve. Le mouvement Animé qui vient clore la Sonatine a cet aspect pétillant et rythmé, sans esbroufe pourtant, ce qui rend cette œuvre composée entre 1903 et 1905 si attachante. 

    Ce Tombereau de Couperin recycle la douleur en de somptueuses nappes harmoniques et mélancoliques

    Le tombeau de Couperin est plus connu. Il a été composé en pleine première guerre mondiale, après la participation de Ravel à la terrible Bataille de Verdun qui le laissera blessé. Démobilisé en 1917, le compositeur écrit cette suite en six pièces (il y en a la moitié dans l’enregistrement de Philippe Guilhon Herbert) après l’avoir mûrie depuis 1914. La mort de sa mère en 1917, qui le laisse inconsolable, fait de ce Tombeau de Couperin, une œuvre très personnelle. Si Ravel s’inscrit dans la tradition française de François Couperin, le Tombeau a été écrit en hommage à des artistes et anciens camarades de tranchées de Ravel : le musicien Jacques Charlot pour le Prélude, le peintre Gabriel Deluc pour le Forlane et Jean Dreyfus pour le Menuet (ce dernier est de la famille du compositeur et musicologue Roland-Manuel). Faussement léger (Prélude), ce Tombereau de Couperin recycle la douleur en de somptueuses nappes harmoniques et mélancoliques. Le mouvement Forlane, une ancienne danse italienne, est ici singulièrement proposée dans un rythme plus que lent, funèbre. Cette partie s’étire avec douleur mais aussi pudeur. Philippe Guilhon Herbert n’en rajoute pas dans ce mouvement moderne, en dépit de son ancrage dans la tradition du XVIIe siècle. Tradition également avec le Menuet que Ravel épure et transforme en chant d’adieu.  

    Dans l’opus, Philippe Guilhon Herbert a choisi de proposer les Valses nobles et sentimentales, écrites en 1911. le compositeur comme le pianiste proposent là une palette de ces huit valses si différentes. Il y a la brillance de la première ("Modéré – très franc"), la moderne et expressive deuxième ("Assez lent"), la coquette "Modéré", la fantasmagorique "Assez animé", l’intimiste "Presque lent", le très court mouvement "Vif" (pas tant que cela, cependant), le mélancolique "Moins vif" (un petit joyau) et l’Épilogue "Lent". Cette dernière partie est la plus longue de la suite de valses. Des Valses nobles et sentimentales qui ont été décriées à leur sortie en 1911, en raison de leur modernité.

    Ma mère L’Oye ne pouvait pas ne pas apparaître dans ce programme. Philippe Guilhon Herbert a sélectionné seulement deux pièces, la Pavane de la Belle au bois dormant et Le jardin féérique. Le mystère et la grâce de Ravel sont là, dans leur beauté et leur finesse, avec en plus l’onirique et merveilleux Jardin féerique. Les doigts de Philippe Guilhon Herbert ne jouent pas. Ils effleurent les touches, comme pour ne cas casser l’harmonie de ce joyau, jusqu’au rideau final.

    Bientôt, sur Bla Bla Blog, le musicien répondra en exclusivité aux questions de Bla Bla Blog.

    Maurice Ravel, Piano Works, Philippe Guilhon Herbert, Indésens Calliope Records, 2025
    https://indesenscalliope.com
    https://www.facebook.com/pghpianist

    Voir aussi : "Qui n’aime pas Ravel ?"
    "Le retour de Claire Désert chez Maurice Ravel"

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partagez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !

  • Et de 3, et de 2

    Le nom de Confluence illustre la rencontre entre deux instruments, au service des six sonates en trio de Bach, des œuvres pour orgue transcrites ici pour la flûte et le clavecin. Et là, vous me demanderez : Pourquoi le terme de "trio" pour des pièces pour orgue "seul" ? Tout simplement parce que les voix désignent le jeu de la main droite, le jeu de la main gauche et celui du pédalier. Bach avait fait de ces compositions des créations à vocation autant artistique que pédagogique – pour orgue, donc. On imagine le défi mais aussi l’intérêt de proposer une version pour deux instruments, en l’occurrence la flûte de l’exceptionnelle Sooyun Kim et le clavier du non moins formidable claveciniste Kenneth Weiss.

    Dans la première Sonate BWV 525 en mi bémol majeur, l’Allegro vif, mené tambour battant et où la virtuosité ne prend jamais le pas sur une forme d’insouciance ni sur le clavecin plein d’allant de Kenneth Weiss. Voilà un beau duo que celui-là. Le lumineux, gracieux et long Adagio (plus de 7 minutes) fait figure de prière. Nous parlions de virtuosité. Il en est question dans le scintillant troisième et dernière mouvement Allegro de cette première sonate mené tambour battant, avec le lustre qui sied bien au Kantor de Leipzig.  

    La flûtiste d’origine coréenne, internationalement reconnue, s’affirme plus que jamais dans un instrument moins souvent à l’honneur que le piano, le violon ou le violoncelle. Elle fait des étincelles dans des répertoires aussi exigeants que ceux de Bach – que l’on pense au Vivace de la 2e Sonate BWV 526 ou à l’Allegro, mené avec des nerfs d’acier. On aime cette force de tranquille de Sooyun Kim

    La flûtiste d’origine coréenne s’affirme plus que jamais dans un instrument moins souvent à l’honneur que le piano, le violon ou le violoncelle

    C’est par un Andante que commence la 3e Sonate en ré mineur BWV 527, mouvement d’ouverture lent, ce qui n'est pas si fréquent que cela. Sooyun Kim l'aborde avec concentration et mesure. Une 2e partie, lente elle aussi (Adagio e dolce), lui succède. Quel était l’esprit de Bach au moment de l’écriture de cet opus ? En tout cas, Sooyun Kim et Kenneth Weiss proposent une version comme en lévitation, avant un brillant Vivace, rond et chaleureux.

    La patte du compositeur allemand est reconnaissable dès la première note : la virtuosité, les couleurs, les densités font merveille et brillent de mille feux, à l’instar de l’Adagio-vivace de la Sonate n°4 BWV 528 en mi mineur. Une sonate qui séduit tout autant par son Andante d’une profonde mélancolie. On est dans une facture classique, à laquelle vient répondre une courte danse Un poco allegro – quoique, pas si "poco" que cela…

    Le feu d’artifice survient avec le majestueux Allegro de la Sonate n°5 en do majeur BWV 529. Bach propose un premier mouvement d’une haute technicité. Défi relevé bruyamment par la flûte de Sooyun Kim et le clavier de Kenneth Weiss. On est presque surpris par la nudité du Largo. Il y a du lyrisme dans cette partie, paradoxalement d’une profonde mélancolie. La flûtiste s’attaque à l’Allegro avec une belle hardiesse pour un mouvement technique, mélodique et très rythmé.

    L’enregistrement se termine avec la sixième Sonate en trio en sol majeur, BWV 530. Le 6 est le chiffre fétiche de Bach, comme le rappelle le livret de l’album, si l’on pense à ses 6 Concertos brandebourgeois, ses 6 Partitas pour violon et ses 6 Suites françaises, anglaises et italiennes. Comme pour autres sonates, la virtuosité, la couleur et le rythme sont mis à l’honneur (Vivace). Ce qui n’empêche pas le Kantor baroque de Leipzig de s’affirmer comme le premier et sans doute le plus grand des classiques (Lento). Sooyun Kim domine son sujet avec élégance et une facilité déconcertante, prouvant qu’elle reste une déesse de la flûte. Le duo qu’elle forme avec Kenneth Weiss termine avec brillance sur un Allegro enjoué.

    Saluons enfin la très belle prise de son, équilibrant parfaitement les sons de la flûte et celle du clavecin, dans un programme de transcriptions qui risque de faire date pour ces Sonates en trio, conçues au départ - rappelons-le - pour orgue seul.   

    Jean-Sébastien Bach, Confuence, Six Trio Sonatas,
    Sooyun Kim (flûte) et Kenneth Weiss (clavecin), Musica Solis, 2025

    https://www.musicasolis.com/confluence
    https://www.sooyunkim.com
    https://www.instagram.com/sooyunkimflute
    https://www.kennethweiss.info/fr

    Voir aussi : "Une route de la soie"
    "Bach total"

    "Majeur !"

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partagez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !

  • Bach total

    Enregistré à Dijon, cette Passion selon s. Jean de Jean-Sébastien Bach, mis en scène par la chorégraphe Sasha Waltz, entrera sans aucun doute dans les annales. Arte propose en replay cette incroyable vision jusqu’en juin prochain. Choc visuel et sonore garanti, pour public averti cependant.

    L’oratorio de Bach, conçu comme un ballet contemporain osé, intelligent et faisant la part belle au symbolisme, commence par cette incroyable scène de 11 danseurs et danseuses nues cousant leur propre vêtement – leur linceul, avons-nous envie de préciser – dans un silence monacal, si l’on excepte celui des machines à coudre.

    Et ce n’est que le début d’un spectacle total où la danse, les jeux exigeants des artistes et la mise en scène inventive et audacieuse de Sasha Waltz ne font que servir une œuvre à la fois profane et sacrée – elle s’appuie sur les Évangiles mais n’était pas destinée au culte. À la direction musicale, Leonardo García Alarcón et son orchestre sont parties prenantes, dans tous les sens du terme, de cette version vitaminée de la Passion de Jean. Que l’on  pense au "Von den Stricken meiner Sünden", interprété par un formidable Benno Schachtner ou à la lumineuse interprétation du "Ich folge dir gleichfalls" par Sophie Junker. 

    Des idées de mise en scène qui feront date

    Œuvre baroque, il fallait bien un spectacle baroque pour donner à ce chef d’œuvre créé en 1724 une nouvelle lecture. Sasha Waltz avait déjà proposé sa mise en scène à Liepzig, à l’occasion des 300 ans de cet opus intemporel.

    Il est évident que beaucoup hurleront au choix artistique d’un décor dénudé et d’acteurs et actrices qui ne le sont souvent pas moins. Que l’on adhère ou non, on ne pourra qu’applaudir aux idées de mise en scène qui feront date : la fameuse scène des machines à coudre (Ouverture), les bâtons symbolisant des instruments de supplice ("Christus, der uns selig macht"), les cadres figurant les croix ("Betrachte, meine Seel, mit ängstlichem Vergnügen")  et en général les performances des danseurs et danseuses lorsque les corps s’unissent, s’affrontent, se rejettent et emplissent l’espace. Le but de la chorégraphe ? Proposer une lecture moins sacrée qu’humaine. Le personnage de Jésus prend une figure symbolique et interchangeable. Tantôt homme, tantôt femme – voire couple enlacé (le "Mein teurer Heiland, laß dich fragen" dans l’Acte IV) – Sasha Waltz a volontairement choisi de faire de cette Passion une œuvre de notre époque, n’éludant pas un discours féministe, tout en parlant de souffrance, de sacrifice, de liberté et d’écrasement du faible par la force brutale – ici, politico-religieuse.

    Véritable coup de maître, ce spectacle mérite d’être vu et revu pour saisir tous les détails de la mise en scène, comme pour apprécier la maîtrise des danseurs et danseuses. Rien n’est laissé au hasard dans ce chef d’œuvre de création contemporaine pour servir la musique indémodable de Jean-Sébastien Bach. Du grand art total, assurément.  

    Jean-Sébastien Bach, La Passion selon saint Jean, par Sasha Waltz,
    Arte, 132 mn, Arte, 2024, Arte, jusqu’en juin 2026

    avec Sasha Waltz (Mise en scène et chorégraphie), Cappella Mediterranea dirigé par Leonardo García Alarcón, chœur de la Chambre de Namur, Opéra de Dijon
    https://www.arte.tv/fr/videos/119415-000-A/la-passion-selon-saint-jean-de-bach-par-sasha-waltz
    https://www.sashawaltz.de

    Voir aussi : "Pierre Boulez, le maître au marteau et à la baguette"

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partagez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !

  • Si la musique m’était contée

    Il faut d’abord saluer la bonne idée de cet album entièrement consacré à des contes mis en musique par Dana Ciocarlie au piano et Vincent Figuri en récitant. Ajoutons pour être complet la participation du violoniste Christophe Giovaninetti et du clarinettiste Philippe Cupper.  

    Avant de nous intéresser à Ma Mère L’Oye, le chef d’œuvre de Ravel, parlons du premier conte de l’opus, aussi peu connu que son compositeur. Nikolaï Tcherepnine (1873-1945) a terminé Le Conte du pêcheur et du poisson en 1917, juste avant son exil de la Russie communiste. Il a mis en musique un texte de Pouchkine, souvent mal traduit par Le Petit poisson d’or. Cette histoire de poisson magique, d’un pêcheur bon et sage et de sa femme acariâtre a été mise en musique dans un style romantique typique de la la musique russe de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Le talent de conteur de Vincent Figuri hypnotise dans ce joli conte moral, à découvrir absolument dans cet enregistrement de Salamandre.

    C’est Vincent Figuri qui a écrit le texte pour Ma Mère L’Oye. Il est vrai que cette petite merveille de Maurice Ravel (1875-1937) ne pouvait pas être absente du programme de l’album. Pour cette composition délicate et instrumentale datant des années 1908-1912, Vincent Figuri a imaginé quatre textes autour des figures légendaires de La Belle au bois dormant, du Petit Poucet (également présent plus tard dans l’opus), de Laideronnette et de la Belle et la Bête. Le talent de narrateur de Vincent Figuri est porté par des musiciens respectant la composition hyper sensible de Ravel, en particulier dans cette merveille qu’est Le jardin féerique – sans texte.

    "Ah! pauvre petite innocente, que de transes, que d'angoisses pour ce premier aveu d'amour"

    Reynaldo Hahn (1874-1947) a 18 ans lorsqu’il compose son délicat Clair de lune, vraiment typique de cette musique française des années 1890-1900. Sur des mélodies simples, Louis Montégut a imaginé un texte à la fois naïf et romantique – et non sans humour – sur deux jeunes gens s’éloignant pour batifoler en paix. Mais, même au milieu d’une nature plus bruyante qu’on ne le croie, s’aimer est-il encore possible ? "Ah! pauvre petite innocente, que de transes, que d'angoisses pour ce premier aveu d'amour."

    La mère et l’enfant d’Edouard Lalo (1823-1892), de la même période, doit sa présence à son titre. Ces deux pièces instrumentales ont été transcrites par Florent Schmitt (dont on regrette qu’il soit toujours si méconnu) pour le violon et le piano. Elles ont la particularité de ne pas être accompagnées de textes. L’auditeur ou l’auditrice gouttera le travail de mélodie et la facture néo-romantique de ces deux morceaux rares.  

    De Marcel Landowski (1915-1999), on connaît surtout son conte La Sorcière du placard aux balais. Or, c’est une œuvre moins connue qui est proposée ici, à savoir une déclinaison du Petit Poucet : Le Petit Poucet joue du piano. Dans le livret de l’album, Vincent Liguri précise que Landowski propose ici une composition à vocation ludique autant que pédagogique. "Chaque pièce développe un travail sur les gammes, le jeun détaché, le legato, les notes répétées…" Cela donne une version du Petit Poucet étonnante et très moderne, par un compositeur contemporain qui a toujours revendiqué son attachement à la musique classique, tonale et à sa liberté. Voilà qui est parfait pour clore cet enregistrement attachant et qui restera longtemps dans les têtes.

    Tcherepnine, Ravel, Hahn, Lalo et Landowski, Contes
    (Conte Du Pêcheur Et Du Poisson - Ma Mère L’Oye,
    Au clair de lune, La mère et l’enfant, Le Petit Poucet joue du piano)
    ,
    Dana Ciocarlie (piano) et Vincent Figuri (narrateur), Salamandre, 2025

    http://www.salamandre-productions.com
    http://www.vincentfiguri.eu
    https://www.danaciocarlie.com

    Voir aussi : "Satie Cool"
    "Loïe Fuller sur les pas de Salomé"

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partagez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !

  • Satie Cool

    Alors que nous fêtons tout juste les 100 ans de la mort d’Erik Satie (1866-1925), voilà que nous arrive, en guise d’hommage, un album d’adaptations jazz par Hervé Sellin de quelques uns des chefs d’œuvre du compositeur français le plus extravaguant et le plus incroyable de l’histoire.

    Nous avions parlé il y a un an de cela de son album Fauré-Ravel, déjà des revisites jazz et déjà aussi des Jazz Impressions, tendant à prouver que les barrières entre genre ne demandaient qu’à tomber. Voilà qui est d’autant plus pertinent et excitant pour Erik Satie, génial et foutraque compositeur aux œuvres lentes et contemplatives. Mais comment le jazz et ses rythmes peuvent-ils s’emparer d’un compositeur moderne, admiré et toujours très actuel ?

    Hervé Sellin y répond sur le terrain de son instrument fétiche, le piano. La magnifique valse Je te veux devient un titre jazz moins sensuel et romanesque que mélancolique. Hervé Sellin assume son parti pris de faire de ce classique une pièce contemporaine sortant quelque peu de la valse originelle – que l’on est certes en droit de préférer.

    L’humour de Satie est restée dans la version de Sellin des Trois morceaux en forme de poire. Le jazzman se sert de la pièce originale pour en faire une "suite pour trois jazzmen improvisateurs". Erik Satie sourirait de voir sa création de 1903 prendre un tel lustre cool. Humour toujours avec ces Airs à faire fuir. Je parle bien du titre, espiègle, parce que ce morceau est d’une belle facture jazz pour une promenade des plus rafraîchissantes.  

    Le jazzman assume de bousculer l’œuvre originale pour en faire une création à part entière

    Après la visite de la 2e Gnossienne, moins épurée et réellement séduisante pour son nouveau rythme, parlons de ces fameuses Gymnopédies qui ont indéniablement fait la notoriété d’Erik Satie. La première, en particulier, archi-jouée et archi-enregistrée, se devait de sortir des sentiers battus. Hervé Sellin a fait le choix de complètement la réinventer. Cette première Gymnopédie garde sa profonde mélancolie et sa lenteur chevillée au corps. Hervé Sellin l’adapte non sans smooth, grâce à la flûte inspirée de Christelle Raquillet. Même réinvention pour la 2e Gymnopédie. Le jazzman assume de bousculer l’œuvre originale pour en faire une création à part entière, rythmée et avec ce je ne sais quoi de ce modernisme "satien". Imparable. La Gymnopedia proposé dans l’album est dédiée à Aldo Ciccolini qui fut le premier à enregistrer l’intégrale de la musique pour piano d’Erik Satie dans les années 60. Cette Gymnopedia se présente comme une vraie création originale. Hervé Sellin en fait une pièce délicate, marquant son respect pour un interprète capital dans l’histoire de Satie, tout comme dans la carrière d’Hervé Sellin.

    Les Trois mélodies, une pièce souvent présente dans les anthologies sur Satie, portent ces mystérieux titres, Les Anges, Élégie et Sylvie. Trois chansons que l’on croirait post-impressionnistes, même si elles se teintent de sons et de rythmes jazz. Hervé Sellin parle de son désir au sujet de ces pièces d’avoir voulu "déshabiller et reconstruire les chanson", sans ostentation mais avec sincérité et une forme de romantisme.  

    Parlons des Avant-dernières pensées. Hervé Sellinn prennent le risque de faire de ces adaptations jazz des moments uniques entre classique, jazz et contemporain. L’accent mélodique, pour ne pas dire désespéré, de Satie prend tout son sens, y compris lorsqu’il se fait néo-romantique (Idylle). Humour rime avec amour dans son Aubade audacieuse et entêtante. Quant, à la Méditation qui vient compléter ces Avant-dernières pensées, elle devient un titre contemporain, méditatif et déconcertant.    

    Quoi de mieux qu’une Belle excentrique pour terminer un album rendant hommage d’une belle manière à Erik Satie, toujours aussi moderne, un siècle après sa mort. Cette "fantaisie sérieuse" (c’est le sous-titre trouvé par le compositeur) est une suite de danses parodiant les musiques du music-hall. C’est une œuvre tardive datant de 1921, commandée pour un ballet de la sulfureuse chorégraphe Caryathis. Pour cette artiste scandaleuse, il fallait une musique ne se prenant pas au sérieux, vivante et vivifiante. Satie s’est à l’époque influencée par le jazz. Il revient ici grâce au piano d’Hervé Sellin, pour la première suite Grande ritournelle. Une petite merveille et, pour beaucoup, une découverte. Satie aurait remercié Sellin pour ces revisites séduisantes.  

    Hervé Sellin, Erik Satie, Jazz impressions, IndéSens Calliope, 2025
    https://hervesellin.com
    https://indesenscalliope.com

    Voir aussi : "Du classique, et que ça jazze !"

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partagez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !

  • Pas si frivole que ça

    Reynaldo Hahn est partiellement tombé dans l’oubli. Voilà pourquoi l’enregistrement du Dieu bleu par Les Frivolités Parisiennes (b.records) prend tout son intérêt. Pour ce ballet en un acte crée en mars 1912, le compositeur français né au Venezuela en 1874 (et décédé à Paris en 1947) a composé une musique typique de sa réputation de mélodiste raffiné, attaché aux harmonies et à contre-courant du modernisme qui a vu naître la musique contemporaine au début du XXe siècle.

    Dès les premières notes du Prélude, nous sommes bien dans un esprit typique de la musique française de la Belle Époque : harmonique, onirique et fortement influencée par Debussy (que l’on pense au passage éloquemment intitulé Clair de lune). Reynaldo Hahn s’y meut avec grâce, pour ne pas dire magnificence.

    Le Dieu bleu était au départ une commande de Serge Diaghilev pour les Ballets Russes sur un argument de Cocteau. L’histoire s’apparente à un conte oriental et pittoresque, que ne manque pas de refléter la musique de Hahn (Première danse, Danse des porteuses d’offrandes et des musiciennes). Sur un argument assez classique – une histoire d’amour impossible entre une jeune femme et un prêtre voué à la religion et que le Dieu bleu va autoriser et accepter de bénir – le compositeur imagine une musique à la facture classique et aux inspirations orientales, l’histoire étant sensée se passer dans une Inde fantasmée. 
    Les spectateurs et spectatrices de 1912 ont été à l’époque convaincus par la qualité de la composition somme toute assez académique et n’étant pas sans rappeler le Shéhérazade de Nikolaï Rimski-Korsakov (Danse des Bayadères du Lotus). Reynaldo Hahn peut bien faire des concessions au modernisme dans un but expressionniste (Danse des Yoghis), il n’en reste pas moins vrai que son opus a bel et bien été éclipsé par ces autres ballets révolutionnaires que furent Petrouchka, L'Oiseau de feu ou le Sacre du Printemps dans les mêmes années.

    Son œuvre a été éclipsée par ces autres ballets révolutionnaires que furent Petrouchka, L'Oiseau de feu ou le Sacre du Printemps

    L’orchestre de 70 musiciens et musiciennes des Frivolités Parisiennes, que dirige Dylan Corlay, se pose en découvreur d’une œuvre qui n’en reste pas moins dense, intelligente et sensible. Romanesque et romantique aussi (Scène de la jeune fille), mais non sans moments tragiques, à l’instar de celui de La Colère des prêtres qui fait basculer l’histoire du couple. Pensons aussi aux apparitions fantasmagoriques de Monstres et démons.

    On ne sera paradoxalement pas dépaysé par ce ballet à la facture classique – les mauvaises langues utiliseront le terme "académique" – dont l’enregistrement public (à la Cité de le Musique et de la Danse de Soissons, en septembre 2023) présente l’avantage de sortir le Maestro Reynaldo Hahn d’un injuste oubli. Le musicologue Christophe Mirambeau parle dans le livret d’accompagnement de l’album de "l’incroyable modernité" du compositeur. Soulignons aussi qu’il s’agit d’une œuvre attachante dans sa simplicité (Le miracle, La déesse paraît).

    Le moment phare du ballet reste la danse éponyme du Dieu bleu. Le morceau séduit par sa richesse harmonique et par ses riches teintes orientales, poétiques à souhait. La musique de Reynaldo Hahn ne dépareillerait pas dans une bande originale de film actuel. Alors, parler d’auteur dépassé ? Oublions cela. L’ensemble des Frivolités parisiennes mettent à l’honneur une partition solide, raffinée et non sans originalité (L’enchantement divin), certes avec cet exotisme oriental typique de l’époque. Pour ne rien gâcher, ce conte dépaysant se termine avec un happy end, où l’amour des deux jeunes gens peut se vivre au grand jour (Les amants se réunissent) sous le regard des dieux (L’escalier d’or et la montée du Dieu). Une vraie belle curiosité. 

    Reynaldo Hahn, Le Dieu bleu, Les Frivolités Parisiennes,
    dirigé par Dylan Corlay, b•records, 2025

    https://www.b-records.fr/le-dieu-bleu
    https://reynaldo-hahn.net/Html/balletsDieuBleu.htm
    https://lesfrivolitesparisiennes.com

    Voir aussi : "4 voix désirables"
    "Loïe Fuller sur les pas de Salomé"

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partagez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !

  • Philipp Scharwenka, nocturne et en pleine lumière

    Philipp Scharwenka (1847-1917)  n’est certes pas le plus connu des compositeurs allemands romantiques du XIXe siècle. Manque de bol pour Philipp Scharwenka à l’époque, sa notoriété avait déjà été quelque peu éclipsée par son frère Xaver, plus célèbre que lui – à l’exception toutefois des États-Unis où Philipp a remporté un certain succès. Oublié depuis, on doit son retour en grâce à un très joli album de la pianiste turque Cansu Sanlidag. Elle propose, sous le titre The Nocturnal Poet, des œuvres représentatives du compositeur, à savoir sa Ballade op. 94, la Rhapsodie op. 85 n° 1, le Scherzo op. 97 n°3 et les six premiers Abendstimmungen op. 107.

    Cansu Sanlidag caresse les touches de son clavier pour la langoureuse et mélancolique Ballade composée en 1894, ponctuée de moments lumineux et presque joyeux. L’influence de Chopin est évidente dans cette pièce. Rien d’étonnant que le compositeur polonais soit cité ici. Philipp Scharwenka et son frère Xaver sont natifs de Samter, actuelle Szamotuly, en Pologne. Ils ont par la suite rejoint en famille Berlin où le musicien a passé la majeure partie de sa vie. Il faut préciser que faire sa place musicale dans la bouillonnante capitale allemande n’a pas été simple. Après les décès des postromantiques allemandes que furent Liszt et Wagner, les Scharwenka ont été éclipsés par ces autres "monstres" qu’ont été Mahler, Wolf ou Richard Strauss. Aussi on ne peut que saluer l’entreprise de Cansu Sanlidag de faire sortir de l’ombre ce "poète nocturne".

    Faire sa place musicale dans la bouillonnante capitale allemande n’a pas été simple

    Les six Abendstimmungen op. 107 (littéralement "ambiances du soir") ont été composées en 1915. Philipp Scharwenka suit ses propres inspirations, bien loin du tapage de ses contemporains. Le néoromantisme est à l’œuvre chez lui, alors que la musique prend à l’époque bruyamment la voie de la modernité (Schoenberg, Berg et Webern, pour ne citer qu’eux). Pédagogue réputé, Philipp Scharwenka fait le choix du classicisme, de la pudeur et de la retenue. Cansu Sanlidag, dont la virtuosité est reconnue dans le monde, rend hommage à un compositeur aussi discret en ville que classique dans ses pièces (n°1). Le deuxième Abendstimmung renvoie à Chopin, lorsque le n°3 se fait plus onirique, plus inquiétant aussi. La Rhapsodie op. 85 datant de 1891, robuste et sombre, prouve que le romantisme est loin d’être mort lorsque Philipp Scharwenka compose cette pièce tourmentée et ambitieuse.

    Le quatrième Abendstimmung séduit par sa mélancolie au rythme entêtant, on pourrait même dire par sa dramaturgie exprimée par une Cansu Sanlidag décidément bien inspirée. Le n°5 laisse exploser les sentiments du compositeur allemand, avec toujours cette simplicité dans l’écriture et une interprétation hypersensible de la pianiste.

    Le sixième Abendstimmung s’écoute comme une saynète intime, touchante et simple. Philipp Scharwenka s’y montre tel qu’en lui-même, posé et à l’abri des tourments du monde, un monde à l’époque plongé dans le fracas de la première guerre mondiale – le musicien décède en 1917 sans avoir revu la paix.

    L’enregistrement se termine avec le Scherzo n°3, écrit en 1896. Le morceau a eu un joli succès à l’époque. Pétillant au départ, il monte peu à peu en gravité et en expressivité. Cansu Sanlidag s’y meut avec un naturel évident mais aussi un rare plaisir. Celui aussi d’avoir pu nous faire découvrir un compositeur injustement tombé dans l’oubli.     

    Philipp Scharwenka, The Nocturnal Poet, Cansu Sanlidag (piano), Pavane, 2025
    https://www.cansusanlidag.com
    https://www.instagram.com/p/DJznLjOtmmF

    Voir aussi : "Bach made in Rana"

    Tenez-vous informés de nos derniers blablas
    en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

    Likez, partagez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !