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bach

  • Et de 3, et de 2

    Le nom de Confluence illustre la rencontre entre deux instruments, au service des six sonates en trio de Bach, des œuvres pour orgue transcrites ici pour la flûte et le clavecin. Et là, vous me demanderez : Pourquoi le terme de "trio" pour des pièces pour orgue "seul" ? Tout simplement parce que les voix désignent le jeu de la main droite, le jeu de la main gauche et celui du pédalier. Bach avait fait de ces compositions des créations à vocation autant artistique que pédagogique – pour orgue, donc. On imagine le défi mais aussi l’intérêt de proposer une version pour deux instruments, en l’occurrence la flûte de l’exceptionnelle Sooyun Kim et le clavier du non moins formidable claveciniste Kenneth Weiss.

    Dans la première Sonate BWV 525 en mi bémol majeur, l’Allegro vif, mené tambour battant et où la virtuosité ne prend jamais le pas sur une forme d’insouciance ni sur le clavecin plein d’allant de Kenneth Weiss. Voilà un beau duo que celui-là. Le lumineux, gracieux et long Adagio (plus de 7 minutes) fait figure de prière. Nous parlions de virtuosité. Il en est question dans le scintillant troisième et dernière mouvement Allegro de cette première sonate mené tambour battant, avec le lustre qui sied bien au Kantor de Leipzig.  

    La flûtiste d’origine coréenne, internationalement reconnue, s’affirme plus que jamais dans un instrument moins souvent à l’honneur que le piano, le violon ou le violoncelle. Elle fait des étincelles dans des répertoires aussi exigeants que ceux de Bach – que l’on pense au Vivace de la 2e Sonate BWV 526 ou à l’Allegro, mené avec des nerfs d’acier. On aime cette force de tranquille de Sooyun Kim

    La flûtiste d’origine coréenne s’affirme plus que jamais dans un instrument moins souvent à l’honneur que le piano, le violon ou le violoncelle

    C’est par un Andante que commence la 3e Sonate en ré mineur BWV 527, mouvement d’ouverture lent, ce qui n'est pas si fréquent que cela. Sooyun Kim l'aborde avec concentration et mesure. Une 2e partie, lente elle aussi (Adagio e dolce), lui succède. Quel était l’esprit de Bach au moment de l’écriture de cet opus ? En tout cas, Sooyun Kim et Kenneth Weiss proposent une version comme en lévitation, avant un brillant Vivace, rond et chaleureux.

    La patte du compositeur allemand est reconnaissable dès la première note : la virtuosité, les couleurs, les densités font merveille et brillent de mille feux, à l’instar de l’Adagio-vivace de la Sonate n°4 BWV 528 en mi mineur. Une sonate qui séduit tout autant par son Andante d’une profonde mélancolie. On est dans une facture classique, à laquelle vient répondre une courte danse Un poco allegro – quoique, pas si "poco" que cela…

    Le feu d’artifice survient avec le majestueux Allegro de la Sonate n°5 en do majeur BWV 529. Bach propose un premier mouvement d’une haute technicité. Défi relevé bruyamment par la flûte de Sooyun Kim et le clavier de Kenneth Weiss. On est presque surpris par la nudité du Largo. Il y a du lyrisme dans cette partie, paradoxalement d’une profonde mélancolie. La flûtiste s’attaque à l’Allegro avec une belle hardiesse pour un mouvement technique, mélodique et très rythmé.

    L’enregistrement se termine avec la sixième Sonate en trio en sol majeur, BWV 530. Le 6 est le chiffre fétiche de Bach, comme le rappelle le livret de l’album, si l’on pense à ses 6 Concertos brandebourgeois, ses 6 Partitas pour violon et ses 6 Suites françaises, anglaises et italiennes. Comme pour autres sonates, la virtuosité, la couleur et le rythme sont mis à l’honneur (Vivace). Ce qui n’empêche pas le Kantor baroque de Leipzig de s’affirmer comme le premier et sans doute le plus grand des classiques (Lento). Sooyun Kim domine son sujet avec élégance et une facilité déconcertante, prouvant qu’elle reste une déesse de la flûte. Le duo qu’elle forme avec Kenneth Weiss termine avec brillance sur un Allegro enjoué.

    Saluons enfin la très belle prise de son, équilibrant parfaitement les sons de la flûte et celle du clavecin, dans un programme de transcriptions qui risque de faire date pour ces Sonates en trio, conçues au départ - rappelons-le - pour orgue seul.   

    Jean-Sébastien Bach, Confuence, Six Trio Sonatas,
    Sooyun Kim (flûte) et Kenneth Weiss (clavecin), Musica Solis, 2025

    https://www.musicasolis.com/confluence
    https://www.sooyunkim.com
    https://www.instagram.com/sooyunkimflute
    https://www.kennethweiss.info/fr

    Voir aussi : "Une route de la soie"
    "Bach total"

    "Majeur !"

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  • Bach total

    Enregistré à Dijon, cette Passion selon s. Jean de Jean-Sébastien Bach, mis en scène par la chorégraphe Sasha Waltz, entrera sans aucun doute dans les annales. Arte propose en replay cette incroyable vision jusqu’en juin prochain. Choc visuel et sonore garanti, pour public averti cependant.

    L’oratorio de Bach, conçu comme un ballet contemporain osé, intelligent et faisant la part belle au symbolisme, commence par cette incroyable scène de 11 danseurs et danseuses nues cousant leur propre vêtement – leur linceul, avons-nous envie de préciser – dans un silence monacal, si l’on excepte celui des machines à coudre.

    Et ce n’est que le début d’un spectacle total où la danse, les jeux exigeants des artistes et la mise en scène inventive et audacieuse de Sasha Waltz ne font que servir une œuvre à la fois profane et sacrée – elle s’appuie sur les Évangiles mais n’était pas destinée au culte. À la direction musicale, Leonardo García Alarcón et son orchestre sont parties prenantes, dans tous les sens du terme, de cette version vitaminée de la Passion de Jean. Que l’on  pense au "Von den Stricken meiner Sünden", interprété par un formidable Benno Schachtner ou à la lumineuse interprétation du "Ich folge dir gleichfalls" par Sophie Junker. 

    Des idées de mise en scène qui feront date

    Œuvre baroque, il fallait bien un spectacle baroque pour donner à ce chef d’œuvre créé en 1724 une nouvelle lecture. Sasha Waltz avait déjà proposé sa mise en scène à Liepzig, à l’occasion des 300 ans de cet opus intemporel.

    Il est évident que beaucoup hurleront au choix artistique d’un décor dénudé et d’acteurs et actrices qui ne le sont souvent pas moins. Que l’on adhère ou non, on ne pourra qu’applaudir aux idées de mise en scène qui feront date : la fameuse scène des machines à coudre (Ouverture), les bâtons symbolisant des instruments de supplice ("Christus, der uns selig macht"), les cadres figurant les croix ("Betrachte, meine Seel, mit ängstlichem Vergnügen")  et en général les performances des danseurs et danseuses lorsque les corps s’unissent, s’affrontent, se rejettent et emplissent l’espace. Le but de la chorégraphe ? Proposer une lecture moins sacrée qu’humaine. Le personnage de Jésus prend une figure symbolique et interchangeable. Tantôt homme, tantôt femme – voire couple enlacé (le "Mein teurer Heiland, laß dich fragen" dans l’Acte IV) – Sasha Waltz a volontairement choisi de faire de cette Passion une œuvre de notre époque, n’éludant pas un discours féministe, tout en parlant de souffrance, de sacrifice, de liberté et d’écrasement du faible par la force brutale – ici, politico-religieuse.

    Véritable coup de maître, ce spectacle mérite d’être vu et revu pour saisir tous les détails de la mise en scène, comme pour apprécier la maîtrise des danseurs et danseuses. Rien n’est laissé au hasard dans ce chef d’œuvre de création contemporaine pour servir la musique indémodable de Jean-Sébastien Bach. Du grand art total, assurément.  

    Jean-Sébastien Bach, La Passion selon saint Jean, par Sasha Waltz,
    Arte, 132 mn, Arte, 2024, Arte, jusqu’en juin 2026

    avec Sasha Waltz (Mise en scène et chorégraphie), Cappella Mediterranea dirigé par Leonardo García Alarcón, chœur de la Chambre de Namur, Opéra de Dijon
    https://www.arte.tv/fr/videos/119415-000-A/la-passion-selon-saint-jean-de-bach-par-sasha-waltz
    https://www.sashawaltz.de

    Voir aussi : "Pierre Boulez, le maître au marteau et à la baguette"

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  • Lucia Micarelli a plus d’une corde à son arc

    Ce qui frappe d’emblée dans l’envoûtant album Anthropology c'est la voix de Lucia Micarelli. Be My Husband, qui ouvre son nouvel opus, est une reprise d’un standard jazz de Nina Simone, adaptation lui-même d’un chant traditionnel afro-américain, Rosie. Pour cette fois, l’artiste étasunienne abandonne son instrument fétiche, le violon, pour préférer une interprétation dépouillée voix-percussions. Audacieux et bouleversant.

    Elle se saisit plus loin de l’archer pour un air traditionnel roumain, Rustem, dans lequel la violoniste part dans une danse endiablée, offrant du même coup un aperçu de sa virtuosité. On sera captivé d’une autre manière par son interprétation incroyable d’une mélodie du compositeur élisabéthain Thomas Tallis (1505-1585). Sacrée découverte que ce Third Mode Melody ! On pourrait dire la même chose du traditionnel Very Day I’m Gone, chant de départ, chant de deuil et chant de l’exil bouleversant, interprété par une Lucia Micarelli, comme habitée : "Oh, the very day I′m gone / You will know what train I'm on / You will hear the whistle blow 100 miles / Hear the whistle blow 100 miles". Sans doute l’un de mes meilleurs titres de l’album.

    Après un passage par le jazz, tout en rythme et en sonorités du sud américain (1B d’Edgar Meyer) puis par la folk avec une reprise pudique de Both Sides Now de Joni Mitchell, c’est du côté du classique que l’on retrouve la musicienne et chanteuse. Place, en l’occurrence, à un monument de Jean-Sébastien Bach, l’Adagio de sa première Sonate pour violon en sol mineur BWV 1001. Vous me direz qu’il s’agit là d’un morceau incontournable, certes difficile et demandant une grande dextérité. Voilà qui illustre en tout cas à la fois la virtuosité et l’ouverture d’une musicienne s’attaquant à tous les registres de ses cordes – vocales… et celles de son violon, bien entendu.

    Un incroyable album pluriel qui rend Lucia Minarelli si attachante et si unique

    Lucas Micarelli ne pouvait pas ne pas explorer le répertoire contemporain. C’est chose faite avec le Duo pour violon et violoncelle (partie III) de Zoltán Kodály (1882-1967). N’oublions pas non plus sa version des Red Violin Caprices de John Corigliano, thème et variations composés pour le film Le violon rouge, film oscarisé en 1999 et tombé hélas dans un relatif oubli – si l’on excepte toutefois justement sa BO, devenue un classique.

    Parlons aussi de ces deux autres airs traditionnels que sont Black is the Color of My True Love’s Hair, une ballade écossaise bien qu’elle ait été aussi utilisée de l’autre côté de l’Atlantique dans les Chansons folkloriques anglaises des Appalaches du Sud de Cecil Sharp. L’album se termine avec le délicat Careless Love qui avait été immortalisé le siècle dernier par Madeleine Peyroux. L’artiste américaine s’empare de cette "ballade du XIXe siècle et de standard du Dixieland". Voilà qui achève de faire d’Anthropology un incroyable album pluriel, fascinant et qui rend Lucia Minarelli si attachante et si unique. On adore !

    Lucia Micarelli, Anthropology, Vital Records, 2025
    https://www.luciamicarelli.com
    https://www.facebook.com/luciamicarelli
    https://www.instagram.com/theloosh
    https://www.youtube.com/@LuciaMicarelliOfficial

    Voir aussi : "Altiera : ‘L’amour existe peut-être ailleurs, dans un autre univers, une autre dimension’"
    "Pas de pépin pour Julien Desprez"

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  • Bach made in Rana

    Pour des œuvres aussi enregistrées que les Concertos pour clavier de Bach – ici, pour piano – le spécialiste sera en droit de préférer telle ou telle version. Trop lent, trop nerveux, trop ceci, trop cela. Mais laissons ces querelles de chapelle aux gardiens du temple et intéressons-nous à l’une des plus brillantes pianistes actuelles.

    Beatrice Rana s’est beaucoup aventurée sur des terres romantiques, que ce soit Chopin (un album sur ses Études et ses Scherzi que nous avions présenté sur ce site), Beethoven, Clara et Robert Schumann (avec Yannick Nézet-Séguin), sans oublier ce magnifique programme russe avec Prokofiev et Tchaïkovski que Bla Bla Blog avait également chroniqué (son premier opus qui a consacré son immense talent).

    Et maintenant, Bach !

    Naturellement, Bach. Beatrice Rana avait enregistré il y a quelques années les Variations Goldberg. La voilà de retour chez Bach avec sa vision des Concertos pour clavier n°1, 2, 3 et 5. Œuvres majeures du répertoire classique, ces concertos, que chaque interprétation semble ressortir de l’ombre, sont comme la potion d’Obélix : une fois tombés dedans, on n’a qu’une envie, y replonger.  

    Beatrice Rana mérite au moins une médaille pour sa version, avec l’Amsterdam Sinfonietta et Candida Thompson comme premier violon. Elle propose ici les Concertos BWV 1052, BWV 1053, BWV 1054 et BWV 1056. Gageons que la suite de ces œuvres pour clavier devrait bientôt suivre. Bach avait en avait composé 12. Il ne nous reste finalement que 8, le dernier restant en plus inachevé. quant aux 4 derniers, ils ont hélas disparu. 

    Archi-douée, techniquement irréprochable, intelligente et magnétique

    Mais ne boudons pas notre plaisir avec ce Bach made in Rana. La pianiste italienne donne à voir le compositeur allemand sous un jour moderne, impétueux mais où l’urgence laisse place à ces moments de lumières bouleversants, à l’instar du dernier tiers du premier mouvement du premier mouvement du Concerto n°1. Bach est souvent considéré, à tort, comme un compositeur intello. Beatrice Rana prouve qu’il reste surtout un mélodiste sans doute inégalé (l’irrésistible 1er mouvement du 3e Concerto ou encore le 1er du Concerto n°5). Né dans une période baroque, qu’il assume (La première et la troisième partie du Concerto n°2), il semble annoncer le classicisme et même, avec cinquante ans d’avance, la période romantique (2e mouvement du Concerto n°2 et du n°5).

    Les dons virtuoses de Beatrice Rana font merveille, que ce soit dans les Concertos n°1 ou n°3, grâce à l’orchestre de l’Amsterdam Sinfonietta dont la symbiose devient évidente si l’on regarde la vidéo Youtube proposée par Warner.

    Les chafouins et chafouines regretteront peut-être le tempo rapide du dernier mouvement du Concerto n°5. Admettons. Mais ce choix artistique n’enlève absolument rien – loin de là ! – à l’importance musicale de ces premiers Concertos de Bach par Beatrice Rana. Archi-douée, techniquement irréprochable, intelligente et magnétique. Bref, une merveille à découvrir absolument !        

    Jean-Sébastien Bach : Concertos pour piano, Beatrice Rana (piano), Amsterdam Sinfonietta, 2025
    https://www.beatriceranapiano.com
    https://www.facebook.com/BeatriceRanaPiano
    https://www.warnerclassics.com/fr/release/bach-keyboard-concertos-1

    Voir aussi : "Une Italienne parle aux Russes"
    "Quel tempérament !"

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  • Trois instruments pour le prix d’un

    Véritable œuvre phare dans l’histoire de la musique occidentale, Le Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach est souvent joué au piano. Le premier interprète qui vient en tête est sans doute Glenn Gould. Or, c’est d’abord pour le clavecin que les deux livres du Clavier bien tempéré a été composé entre les années 1720 et 1740.

    Écouter la version pour clavecin et clavicorde de Vincent Bernhardt est à la fois un retour aux sources et une matière à interrogation. Comment interpréter et écouter avec des oreilles neuves ces préludes et fugues ? Un troisième instrument, le pianoforte, complète la panoplie de l’interprète.

    5 ans après la sortie du Livre I, voici la deuxième et dernière partie du Clavier bien tempéré par Vincent Bernhardt, musicien et musicologue reconnu. Autant dire que sa vision de l’œuvre de Bach a été longuement réfléchie. Ici, pas d’orgue, un de ses instruments fétiches, encore moins de piano, mais le choix porté sur trois instruments de l’époque de Bach : un clavecin à 2 jeux (contre 16 pour le premier livre), un clavicorde de 1787 et un pianoforte de 1726 sur lequel Bach lui-même aurait pu jouer à son époque.

    Trois instruments donc. Voilà qui complique la tâche mais qui offre aussi une variété de sons pour ses 48 préludes et fugues dont certaines sont devenues de véritables tubes classiques (Prélude BWV 871, Fugue BWV 884). Vincent Bernhardt cherche à s’approcher au plus prêt de la vérité historique et musicologique d’une œuvre archi-jouée en dépit de ses nombreux pièges et difficultés.

    Trois instruments donc. Voilà qui complique la tâche

    Instrument rare, le clavicorde est d’autant plus intéressant dans ce répertoire exigeant. Vincent Bernhard montre ce qu’il a dans le ventre dans la Prélude BWV 871 ou dans celui nommé BWV 875.

    Varier les instruments – clavecin, pianoforte et clavicorde – c’est expérimenter de manière nouvelle une écoute, ne serait-ce que parce que les sonorités de ces instruments diffèrent. Ainsi doit-on presque tendre l’oreille lorsque retentissement les premières notes au clavicorde du Prélude BWV 873. Le pianoforte succède à la fugue de cet opus.

    Vincent Bernhardt, musicien et musicologue reconnu, redonne à ce Livre II du Clavier bien tempéré son statut d’œuvre à la fois technique et artistique. Cette fois, et Bach en aurait été lui même surpris, c’est l’instrument qui est interrogé. On connaissait la manière dont le piano a su transcender cet ensemble d’opus emblématiques. Voilà que Vincent Bernhardt se joue de l’auditeur avec une sorte de malice. Que l’on pense à la fugue bouleversante BWV 877 ou le délicat Prélude BWV 879 dans le premier CD. Il nous propose par là-même  un vrai et beau voyage dans le Siècle des Lumières. 

    Jean-Sébastien Bach, Le clavier bien tempéré, Livre II, Vincent Bernhardt (clavecin),
    Indésens Calliope Records, 2024

    https://vincentbernhardt.org
    https://indesenscalliope.com
    https://www.bs-artist.com/pages/communication

    Voir aussi : "Majeur !"
    "Torelli sorti de l’oubli"
    "Anaëlle Tourret : « Il me tient toujours à cœur de proposer des horizons nouveaux »"

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  • Bach, suites

    Les Suites anglaises de Bach font partie des chefs d’œuvre archi-enregistrés mais, comme on le dit, on revient toujours à Bach, tant chaque écoute apporte son lot de surprises supplémentaires. Pour cet album d'Accentus consacré aux Suites anglaises, c’est la discrète, anti-star et formidable pianiste chinoise Zhu Xiao-Mei qui se colle à l’exercice.

    Mais au fait, en quoi ces Suites sont-elles anglaises ? L’explication est floue et matière à interprétation. Elles ne sont certes pas plus anglaises que ces deux autres suites pour clavier sont françaises ou italiennes… Disons juste que, vraisemblablement, le compositeur allemand s’est inspiré de suites composées vers 1701 par le musicien français installé à Londres, Charles Dieupart (source : Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Suites_anglaises). Zhu Xiao-Mei elle-même s’interroge sur la date de conception de ces suites, écrites sans doute assez tôt dans la carrière du Cantor de Leipzig.

    La virtuosité et la technicité frappent dès les premières notes, celles précisément de la Suite n°3. Oui, la troisième Suite, car la pianiste n’a pas choisi l’ordre le numérotation pour son coffret. Le premier disque commence par la n°3, avant d’enchaîner sur la première puis la deuxième. Le deuxième CD opte, lui, pour les Suites n°5, 4 puis 6.

    Au clavier, se trouve l’exceptionnelle pianiste Zhu Xiao-Mei qui, après des années de souffrance en Chine, s’est installée depuis les années 80 en France où sa notoriété d’est allée qu'en grandissant. Elle est familière de l’œuvre de Bach dont elle a jouée l’essentiel – même si le concept d’intégral lui est "étrangère", comme elle le dit dans le livret de ce coffret proposé par Acentus. Après plusieurs déconvenues, dont l’une due à la pandémie du Covid, l’enregistrement a été fait en juin 2022 à la Chapelle de Saint-Antoine de Névache dans les Hautes-Alpes.

    Et si Jean-Sébastien Bach était plus mélodiste qu’on ne veuille bien le dire ?

    Les Suites anglaises de Bach (BWV  806 à 811) suivent grosso modo la même disposition : Prélude, Allemande, Courante, Sarabande, Gigue, avec parfois d'autres mouvements de danses traditionnelles – Menuet, Passepied, Gavotte et Bourrée. De là vient sans doute l’irrésistible attraction de ces suites.

    Et si Jean-Sébastien Bach était plus mélodiste qu’on ne veuille bien le dire, à l’image du Prélude de la Suite n°3 ? L’image d’un Bach "cérébral" – bien présent par exemple dans le long et passionnant Prélude de la Suite n°2 ou encore le Prélude de la Suite n°4 – est à relativiser à l’écoute de cet hypnotisant coffret, y compris lorsqu’il s’agit de mouvements aussi populaires pour l’époque que la gavotte (Gavotte I de la Suite n°3, Courante, Gigue de la Suite n°2 ou la Gigue de la n°4). L’auditeur sera frappé par la délicatesse que met Zhu Xiao-Mei dans l’interprétation de l’Allemande ou de l’envoûtante Sarabande dans la Suite n°1.

    L’auditeur retrouvera avec plaisir ce "tube" qu’est la Sarabande de la deuxième Suite, à la construction harmonique incroyable et qui vient attester les propos de Zhu Xiao-Mei sur le génie mélodique qu’était Bach. On pense aussi au Prélude de la Suite n°5 dont Zhu Xiao-Mei s’empare avec autorité. La retenue de l’interprète dans la Sarabande de la même Suite est bouleversante. Les notes se détachent avec délicatesse et une pudeur infinie. Bach surprend, y compris là où on ne l’attend pas. Pour s’en convaincre, il faut écouter les Gavottes I et II de la sixième Suite. On devine le plaisir de la pianiste dans ces deux mouvements faussement légers et réellement piégeux. Terminons par cette dernière Suite et sa Gigue endiablée et incroyablement moderne.

    Voilà qui finit de nous convaincre que, comme le dit Zhu Xiao-Mei, ces Suites anglaises ne sont pas des œuvres "comme les autres".

    J.S. Bach, The English Suites, Zhu Xiao-Mei, piano, Accentus Music, 2024
    https://accentus.com/discs/428
    https://www.zhuxiaomei.com

    Voir aussi : "La Bohême, la Bohême"

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  • Un bon rafraîchissement pour les Suites de Bach 

    Les célébrissimes Suites pour violoncelle de Bach trouvent avec Henri Demarquette un nouveau souffle qui ne dépaysera pas les amateurs de classique. Dans le livret de l’album proposé par les éditions Evidence, Erik Orsenna rappelle que ces Suites sont un des quelques miracles qui font l’histoire de l’art. Œuvres copiées par la soprano et seconde épouse de Bach, Anna Magdalena Bach, les Suites furent "perdues" pendant plusieurs siècles avant d’être découvertes au XXe siècle par Pablo Casals. Depuis, elles sont devenues incontournables.  

    Certes, on reconnaîtra instantanément les premières notes du "Prélude" de la Suite n°1 BWV 1007. Par contre, le violoncelliste français choisit de la mener tambour battant (moins de deux minutes), avant de s’engager avec entrain dans la "Courante". Oui, assurément, mine de rien il souffle un vent de fraîcheur dans ces suites pour violoncelle qui font partie de ce qui s’est fait de meilleur en matière musicale. Pas moins.

    L’envoûtement indéniable dans l’incroyable "Sarabande". L’archer d’Henri Demarquette caresse les cordes avec amour, avant les deux "Minuets" et une "Gigue" enjouée. Il faut avouer que des Suites pour violoncelle, on ne connaît que la première. Pire, le premier mouvement. Voilà l’autre intérêt de s’arrêter à cette intégrale, avec par exemple une étonnante Suite n°2 BWV 1008 plus en tension, à l’instar de la "Prélude" que l’on dirait douloureuse, contrebalancée par une "Allemande", vivante et consolatrice. Henri Demarquette s’en empare avec une indéniable virtuosité. Virtuosité encore avec cette "Courante" à la belle densité. On est captivés par la "Sarabande" de cette deuxième Suite. Elle se déploie avec élégance mais aussi ce je ne sais quoi de mélancolie, comme si l’on était au bord d’un gouffre métaphysique. À qui parlait Bach lorsqu’il composait ce mouvement ? Qu’importe.

    L’auditeur se laissera vite embarqué par cet enregistrement à la fraîcheur indéniable. Arrêtons-nous deux secondes sur la suite "Minuets I & II". Ces menuets rappellent que Bach clôt avec génie la période baroque et une élégance hors-pair. Le rythme est au cœur de cette partie irrésistible et d’une belle fraîcheur. La "Gigue" qui vient conclure la deuxième suite a un souffle plus singulier encore. Bach y voit une manière de revenir aux traditions musicales de son pays, avec cet enthousiasme que retranscrit Henri Demarquette. 

    Mine de rien il souffle un vent de fraîcheur dans ces suites pour violoncelle

    La Suite n°3 BWV 1009 commence par un "Prélude" rutilant et impressionnant dans sa célérité, demandant au violoncelliste une virtuosité impeccable qui rend la modernité à cette entrée en matière. Suit une "Allemande" plus complexe mais aussi plus alerte. Autant certainement que la "Courante" de cette troisième Suite, avant la somptueuse et mélancolique "Sarabande".

    L’auditeur sera surpris d’entendre ces "Bourrées I & II" d’une singulière modernité. Captivantes, elles sont sans nulle doute, avec la "Sarabande", l’une des pièces maîtresses de cette Suite n°3. Elles viennent appuyer la conclusion donnée par une délicieuse "Gigue". Henri Demarquette s’en empare avec un plaisir intact et une solide maîtrise, indispensable pour qui veut s’emparer de ces œuvres de Bach.  

    Dans son double album, le deuxième disque est consacré aux Suites N° 4, 5 et 6. Véritable marathon musical donc pour s’approprier ce qui est un des joyaux du répertoire classique occidental. Le magique dans l’histoire est que le compositeur allemand parvient à surprendre son auditeur en dépit de la structure identique : prélude, allemande, courante et sarabande. Après s’être joué du rythme dans le "Prélude" de la Suite n°4, Bach choisit de construire son "Allemande" comme une onde nonchalante mais néanmoins enjouée. Moins vive cependant que sa Courante" à la fois joyeuse et espiègle. On remarquera dans cette quatrième Suite pour violoncelle sa durée sensiblement plus longue que pour les précédentes. Ce que confirment les deux Suites suivantes. La "Sarabande" de la quatrième ne déroge pas à cette remarque. Elle se déploie tel un adagio poignant. Les "Bourrées I & II" viennent apporter de la fraîcheur et de la vitalité, avant une "Gigue" dans le plus pur style du Kantor de Leipzig.

    L’ouverture ("Prélude") de la cinquième Suite BWV 1011 cueille à froid l’auditeur : lente, sombre pour ne pas dire funèbre, avant de se déployer dans toutes ses couleurs. Pour l’"Allemande", Henri Demarquette utilise toute la palette de son instrument, avec un mélange de virtuosité et de fraîcheur. Après une "Courante" menée efficacement, l’auditeur trouvera la "Sarabande" de la cinquième Suite poignante dans sa singulière pureté. Bach surprend avec le choix de la gavotte pour l’avant-dernière partie. Il s’agit de danses traditionnelles. Le compositeur allemande s’approprie ces rythmes populaires pour en faire des œuvres d’art passionnantes et touchantes. Comme pour les autres Suites, une "Gigue" vient conclure la cinquième avec une grâce indéniable.

    Terminons avec la Sixième et dernière Suite BWV 1012. L’auditeur y trouvera une légèreté que n’avait certes pas la précédente œuvre. La virtuosité est indispensable pour qui veut bien s’emparer de passages à la fois dangereux et fascinants ("Prélude"). L’"Allemande" qui la suit est le plus long morceau de l’album. Lent, nostalgique, mélancolique, cette partie séduit par sa simplicité. Après une "Courante" à la jolie prestance, place à une "Sarabande". Là encore, Bach prouve qu’il est à jamais indissociable de cette danse. Cette sarabande se déplie avec onctuosité. Le violoncelle lui donne des allures de chant humain amoureux.

    On a souvent vanté, à juste titre, les vertus pédagogiques de ces Suites. Il faut ici les écouter – et c’est toute la qualité de l’enregistrement d’Henri Demarquette – comme de vraies créations musicales où l’âme de Jean-Sébastien Bach se livre, à l’instar de cette superbe sarabande. Une nouvelle fois, c’est la gavotte ("Gavottes I & II") qui est au cœur de l’avant-dernière partie des Suites pour violoncelle de Bach. Bach magnifie la gavotte comme jamais. Henri Demarquette est impeccable ici dans l’interprétation majuscule, avant la "Gigue" toute en nuances de la sixième Suite, rafraîchissante comme tout le reste du double album.  

    Jean-Sébastien Bach, Suites pour violoncelle, Henri Demarquette, Evidence, 2024
    https://henridemarquette.fr
    https://evidenceclassics.bandcamp.com/album/bach-the-complete-cello-suites
    https://www.facebook.com/evidenceclassics/?locale=fr_FR
    https://www.facebook.com/HenriDemarquetteOfficiel/?locale=fr_FR

    Voir aussi : "Brahms doublement suisse (et même triplement)"

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  • Majeur !

    Derrière le singulier titre Bach’s Book Of Zen se cache l’une des œuvres musicales les plus exceptionnelles de l’histoire de la musique. La pianiste Edna Stern s’attaque en vérité à une véritable montagne : Le Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach, et plus précisément le livre I.

    Il a été beaucoup écrit au sujet de cette œuvre à la fois magnétique, conceptuelle et pédagogique, dans laquelle Bach a composé 24 préludes et fugues dans toutes les tonalités (do majeur et do mineur, ré majeur et ré mineur, etc.).

    La fascination pour Le Clavier bien tempéré doit sans doute beaucoup à Glenn Gould qui en a fait, au XXe siècle, de passionnantes relectures.  Edna Stern s’y attaque elle aussi dans ce passionnant enregistrement, moins rythmé que Glenn Gould, mais d’un très beau classicisme, presque romantique (le Prélude n°7 en mi bémol majeur, le Prélude n°10 en mi mineur ou encore le Prélude n°18 en sol dièse mineur), et non sans puissance (la magnétique Fugue n°4 en do dièse mineur).

    L’auditeur y trouvera les véritables "tubes" que sont le premier Prélude en do majeur BWV 846 et le deuxième Prélude BWV 848 en do dièse majeur qui semble avancer masqué, comme si la pianiste se montrait tout en retenue. On prend tout autant plaisir à redécouvrir le célèbre Prélude n°6 en ré mineur.

    Il y a du modernisme dans ce Bach’s Book Of Zen, à l’instar de la sixième Fugue en ré mineur, tout comme ce je ne sais quoi de récréatif (la septième Fugue en mi bémol majeur). Il semble qu’à tout moment le "cantor de Leipzig" prenne son monde par surprise. Que l’on pense aux sophistiqués Prélude et Fugue n°19 en la majeur ou encore au plus ludique Prélude n°20 en la mineur.

    Une véritable montagne

    Dans cette œuvre pédagogique, le génie Bach insuffle ces moments de grâce, bouleversants (le Prélude n°8 en mi bémol et ré dièse mineur ou la Fugue n°11 en fa majeur BWV 856).  

    Tout l’esprit Bach est dans cette superbe interprétation du Clavier Bien Tempéré, que ce soit dans ce mélange et de justesse (les Prélude et Fugue n°13 en fa dièse majeur BWV 858), l’harmonie élevée au rang de création géniale (Prélude n°17 en la bémol majeur). L’auditeur devra écouter à ce sujet le bouleversant Prélude n°14, cette fois en fa dièse mineur, à la concision – on aimerait même dire efficacité – remarquable. Bach a déployé tout son talent dans cette œuvre, y compris dans des morceaux brefs, de moins d’une minute (le Prélude n°15 en sol majeur BWV 860 en sol majeur) ou au contraire plus longs et se déployant sans esbroufe (La Fugue n°20 en la mineur d’un peu plus de quatre minutes).

    Edna Stern se révèle aussi impeccable lorsqu’elle se laisse aller à une certaine langueur (Prélude n°16 BWV 861 en sol mineur) ou au contraire lorsqu’elle s’approprie l’étonnante et moderne Fugue en sol mineur. La pianiste parvient à étonner l’auditeur lorsqu’elle fait le choix d’un jeu "gouldien" dans la Fugue n°18 en sol dièse mineur. Edna Stern sait jouer de la nuance, comme le montre le délicat Prélude n°22 en si bémol mineur ou encore la magnétique Fugue n°23 en si majeur.

    On sort de Bach’s Book Of Zen de la plus belle manière, avec les Préludes et Fugues n° 24 les plus longs du premier volume du Clavier bien tempéré. Comme si le cantor de Leipzig et son interprète proposait une dernière promenade musicale. Avant bien sûr de se pencher sur le Livre II

    Bach, Bach’s Book Of Zen, Edna Stern, piano, 2 CD, Audio Note Music, 2023
    https://www.edna-stern.com
    https://www.facebook.com/profile.php?id=100015246303750
    https://www.youtube.com/channel/UC8xTdVDa1sRrvtGdlz7Xp3g/featured

    Voir aussi : "Amour, musique et nostalgie"

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