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piano

  • Touchés !

    Sacrée gageure que Toccare, l'album imaginé par la pianiste sino-canadienne Claudia Chan. Il est vrai que la musicienne est reconnue comme une spécialiste mondiale dans la création contemporaine. Pour cet enregistrement public au Bad Godesberg de Bonn et proposé aujourd’hui en disque par les éditions b.records, elle s’attaque au répertoire italien.

    Au menu, Gian Francesco Malpiero (1882-1973), le doyen, Sylvano Bussotti (1931-2021), Salvatore Sciarrino (né en 1947), Giulia Lorruso (née en 1990), Simone Cardini et Francesco Fildei (né en 1973), ce dernier étant présent dans plusieurs créations.

    La musique contemporaine est un univers fascinant et aux multiples dimensions, ce que montre bien ce passionnant opus, intelligemment nommé Toccare – "Toccare", comme "toucher" en italien, celui précisément d’une interprète archi-douée, envoûtante, curieuse et à la virtuosité indispensable pour aborder ces pièces singulières et bien différentes les unes des autres.

    Dans le livret de présentation, à la conception originale, soignée et si caractéristique chez b.records, Claudia Chan souligne la singularité du premier compositeur de son programme, Gian Francesco Malpiero, influencé autant par la Renaissance que par la musique du début du XXe siècle : "Il est difficile à situer historiquement lorsqu’on l’entend", précise-t-elle dans son interview. L’auditeur ne sera pourtant pas totalement perdu dans les deux mouvements de Bianchi e neri (1964), alliant légèreté, gravité (Lento, non troppo) et sombres présages (en particulier le Non troppo lento).  

    Parlons ensuite de la deuxième Sonate pour piano de Salvatore Sciarrino datant de 1983, "une des pièces les plus difficiles que j’ai jamais jouées", confie la pianiste. Il est vrai que la technicité et la virtuosité sont indispensables pour venir à bout de cet opus de plus de neuf minutes (et un seul mouvement). Nous voilà sans au cœur d’une musique contemporaine défiant la tonalité et le rythme, près à décontenancer grâce à ses décrochages incessants et ses vagues s’étirant dans une confusion qui n’est qu’apparente. 

    Une audace sonore que Claudia Chan assume avec cran

    Après un passage par Sylvano Bussotti et sa pièce Musica per amici, très influencée par "les traditions sérielles austro-germaniques", Claudia Chan s’attaque au cœur de son programme, à savoir Francesco Fildei, présent dans trois œuvres, un Preludio (1999), une Suite en trois mouvements et une création de 2023 dédiée à la pianiste, naturellement intitulée For Claudia. Disons tout de suite que l’auditeur sera déconcerté par l’utilisation singulière des sons du piano, transformé pour l’occasion en instrument de percussion. Les sonorités inédites font du Preludio un vibrant hommage à cette musique contemporaine revigorée après 1945 grâce à des compositeurs comme John Cage. Pour Suite (1997), jamais sans doute personne n’a composé de Toccata ou de Notturno avec une telle liberté, en se démarquant complètement du jeu pianistique.

    Oubliez Bach, Chopin ou Fauré. Ce qui se joue ici est une certaine notion de la liberté et de la création pure que la pianiste juge unique dans le monde. Voilà qui donne la mesure de cette audace sonore que Claudia Chan assume avec cran. La Suite se termine avec le tout aussi étonnant Garibaldi’s little rock, dans lequel quelques notes de clavier résonnent, bousculés par les chuintements et percussions… de piano. Pour terminer sur Francesco Filidei, le For Claudia, composé pour la pianiste, obéit à la même grammaire, avec une liberté poussant l’interprète jusqu’à ses derniers retranchements, ce que Claudia Chan assume là encore non sans enthousiasme.

    L’auditeur ne sera sans doute pas insensible à la benjamine de cet enregistrement, à savoir la compositrice Giulia Lorusso. Avec la fascinante pièce Kemò-vad, créée en 2021, elle nous entraîne dans un voyage musical zen et orientalisant. Claudia Chan caresse littéralement les touches de son piano avec une économie de moyens, au point que le silence est roi dans cette méditation sonore.

    Simone Cardini vient compléter ce programme italien. Sa composition de 2020, Restare non ha luogo, un long mouvement fait de pauses, de saccades interrogatives et de touches pianistiques tour à tour inquiétantes et mystérieuses, prouve là encore la vitalité de jeunes compositeurs transalpins. Claudia Chan les chouchoute avec amour et en leur donnant une visibilité – et une audition – unique. Grazie mille, Claudia !  

    Claudia Chan, Toccare, b•records, 2024 
    https://www.claudiachan.ca
    https://www.b-records.fr

    Voir aussi : "Oui, je suis la sorcière"

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  • Élégies pour Fauré

    Pour les 100 ans de sa mort, Gabriel Fauré méritait au moins cette splendide intégrale des œuvres pour piano solo. Laurent Wagschal s’est collé à ce monument qui est proposé en coffret chez Indésens. La maison de disques vient ainsi marquer – et combien ! – l’événement classique de cette année, après un essentiel des œuvres pour piano par Laurent Wagshall et l’intégrale des œuvres de Fauré pour piano et violoncelle avec Pauline Bartissol et toujours Laurent Wagschal.

    Grâce à des captations lumineuses, le pianiste français met à l’honneur un compositeur trop souvent restreint à son Requiem, certes magnifique. Les œuvres pour piano solo sont présentées en 4 CD par ordre chronologique de composition, un choix intelligent.  

    L’auditeur découvre ou redécouvre la virtuosité et la fraîcheur d’un maître en musique de chambre, avec d’abord sa rare Sonate en fa majeur n°5 mêlant classicisme mozartien (Allegro ma non troppo et Menuet) et romantisme très XIXe siècle (Final). Dans le livret, Laurent Wagschal cite Beethoven et Haydn. À l’époque, Gabriel Fauré a tout juste 18 ans.

    Le premier CD offre un bel aperçu des œuvres de jeunesse du compositeur, très influencé par ses pairs, que ce soit Chopin (Mazurka N 8), Bach (Prélude et Fugue en mi mineur) ou Schubert (les Impromptus op. 25 et op. 31), avec cependant, déjà, un solide tempérament, à l’instar de l’imagée et virtuose Gavotte N 14. L’auditeur retrouvera tout l’esprit de la musique française de la fin du XIXe siècle, avec en particulier la délicate et irrésistible Romance n° 3 ou encore la Ballade op.19 exceptionnellement longue – près de 14 minutes, alors que la quasi-totalité de ses pièces ne dépasse pas 7 minutes.

    Une première Barcarolle, celle en mi bémol majeur op 25, certes pas la plus connue, vient ponctuer le premier CD de l’Intégrale, balayant les années d’apprentissage et de jeunesse de Fauré qui parvient vite à imposer son style : romantisme tout en retenue, fluidité des compositions et fausse légèreté que l’on retrouve aussi bien dans le 2e Impromptu op.31 que la pathétique 1ère Nocturne op. 33.

    Le style "faurien" s’épanouit dans le deuxième disque du coffret de cette intégrale mémorable. Nocturnes et Barcarolles se taillent la part du lion. Peu avare en virtuosité gratuite comme le souligne le livret de présentation, le compositeur français préfère la mesure, la subtilité, la finesse, sans sacrifier le sens de la mélodie ni la mélancolie affleurant à chaque note, à l’instar de la poignante 5e Nocturne op. 37. La deuxième Valse-Caprice en ré bémol majeur vient apporter de la fraîcheur toute romantique, mais non sans ombres tristes. 

    Qui dit Barcarolles dit Fauré. Le deuxième disque en propose trois, à savoir les 2e, 3e et 4e, respectivement op. 41, 42 et 44. Fauré excelle dans le sens de la mélodie comme dans ses compositions fluides, servies par les doigts gracieux de Laurent Wagschal mais aussi avec ce sens de la rondeur. L’auditeur ne pourra rester indifférent à sa poignante interprétation de la célèbre Pavane op. 50. Une vraie belle redécouverte.

    Le compositeur français préfère la mesure, la subtilité, la finesse

    Le troisième CD du coffret s’intéresse aux années fastes de Fauré. Dans ces années 1890, il est dans la plénitude de son art, reconnu comme musicien important et peut se consacrer à ses compositions plus librement, mais aussi à de prestigieuses responsabilités comme directeur du Conservatoire de Paris. Laurent Wagschal se penche sur sa 4e Valse-Caprice au piano en la bémol majeur op. 62. Derrière le romantisme, on sent aussi poindre la modernité dans cette pièce ambitieuse. Ce disque propose également des Nocturnes – dont l’ample n°6 et la sombre n°7 –, les magnétiques Barcarolles op. 66 et op. 70, mais aussi les Pièces brèves op. 84 et des Thèmes et Variations op. 73. Les 11 variations et son thème solennel frappent par leur concision (de 40 secondes à moins de 2 minutes) et par leur précision – pour ne pas dire efficacité. L’auditeur s’arrêtera sans doute avec émotion sur les VIIIe et IXe Variations toutes en délicatesse. Dans ce 3e CD, impossible de ne pas passer à côté de la transcription pour piano de deux moments de son opéra Pelléas et Mélisandre (Prélude, la fameuse Sicilienne et la lugubre Mort de Mélisandre). C’est un compositeur nourri par le Symbolisme qui s’exprime à travers ces trois mouvements où l’onirisme le dispute à la mélancolie. Amour, mort, nature et immortalité se fondent dans une œuvre incroyable. Le troisième album du coffret se termine par ses Huit Pièces brèves op. 84. Guère plus de deux minutes pour ces charmantes compositions au classicisme très musique française. Le sens de la mélodie est là. La délicatesse (Capriccio) et le romantisme aussi (Adagietto, Allégresse). On voit entend même le vénérable compositeur faire œuvre de jeunesse et de fantaisie (l’Improvisation à la fraîcheur intacte ou la bien nommée Fantaisie, justement). Il propose également un hommage à Bach dans deux fugues ressemblant autant à des exercices pour piano qu’à des… pastiches.

    Le quatrième et dernier CD s’intéresse aux dernières compositions de Fauré alors que ce dernier, à l’instar de Beethoven, perd progressivement l’audition. Barcarolles et Nocturnes dominent cette dernière partie. Fauré s’y épanouit en majesté (7e Barcarolle op. 90), mais la modernité surgit aussi, ce qui vient contredire l’image d’un compositeur réduit à une musique française néo-classique – et pour certains vaguement ennuyeuse. Que l’on pense à cette Impromptu n°4 en ré bémol majeur op. 91, aux volutes rêveuses et mélancoliques ou à la 8e Barcarolle op. 96 à la fois virtuose et gaillarde dans sa jeunesse et que Laurent Wagschal vienne servir avec la même fraîcheur. Modernité aussi dans cette étonnante et joueuse 5e Impromptu op. 102 ou cette sinueuse 10e Barcarolle. C’est dans les Nocturnes que la mélancolie du vieux Maître transparaît le plus (9e 10e et 11e Nocturne) mais aussi dans la somptueuse 9e Barcarolle op. 101.  

    On a souligné la brièveté des pièces brèves de Gabriel Fauré. En voici un nouvel exemple avec ces Neuf Préludes op. 103, dont la plus longue dépasse tout juste les trois minutes. Laurent Wagschal propose un jeu tout en contrastes : raffinement et clarté debussyenne dans le Prélude n°1, fantaisie dans le n°2, élégance retenue dans le n°3 en sol mineur ou délicatesse mélodieuse dans la n°4. Dans ces Préludes, l’ombre de Bach ne pouvait pas être absente. On la retrouve dans la n°6 en mi bémol mineur. 
    Fauré nous devient familier et proches grâce à ces Préludes aux mille accents, surprenant l’auditeur par leur variété et parfois leur fausse nonchalance (la 8e en ut mineur) ou au contraire leur touchante pudeur (la 9e en mi mineur qui vient clore ces Neuf Préludes).

    Le coffret se termine sur des œuvres crépusculaires, singulièrement plus longues (12e et 13e Nocturnes). Ces Nocturnes et Barcarolles tardives sont celles d’un compositeur toujours inventif, ne tournant jamais le dos au modernisme.

    Avec ce magnifique coffret, à offrir pour les fêtes, Laurent Wagschal offre un des plus beaux hommages à Gabriel Fauré dont nous fêtons cette année les 100 ans de la mort. 

    Laurent Wagschal, Fauré – Complete Works, Laurent Wagschal (piano), Indésens Calliope, 2024
    https://laurentwagschal.com
    https://www.facebook.com/laurentwagschal
    https://indesenscalliope.com

    Voir aussi : "Fauré, cent ans après toujours jeune"
    "Fauré 2024"

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  • Rita Strohl en robe de chambre

    Depuis quelques années, la musique classique revoit de fond en comble son catalogue avec un objectif remarquable : découvrir, redécouvrir et mettre en lumière des compositrices que l’histoire a oubliées. Parmi celles-ci, il y a Rita Strohl (1865-1941). La Boîte à Pépites s’est penchée sur cette musicienne française en proposant de nouveaux enregistrements via une série de coffrets.

    Sa musique de chambre fait l’objet d’un deuxième volume (il en comportera trois), avec des interprètes passionnés qui se sont penchés sur une œuvre rare mais d’un très grand intérêt. Il convient de citer les - jeunes - musiciennes et musiciens (car quelques hommes sont aussi de la partie) qui se sont attelés à la tâche de ressusciter une compositrice oubliée. Citons ces interprètes qui se sont lancés dans cette belle aventure : les violonistes Raphaëlle Moreau, Shuichi Okada, Alexandre Pascal, les altistes Léa Hennino, Claudine Legras, les violoncellistes Héloïse Luzzati, Edgar Moreau, Aurélien Pascal, la contrebassiste Lorraine Campet, le clarinettiste Nicolas Baldeyrou, les pianistes Célia Oneto Bensaïd (dont nous avons déjà parlé sur Bla Bla Blog) et Tanguy de Williancourt, avec également le Quatuor Dutilleux pour être complet.

    À la lisière du XIXe et du XXe siècle, la carrière de Rita Strohl épouse à la fois le classicisme français, le romantisme finissant (La Grande Fantaisie sur le premier CD) et le modernisme révolutionnaire qui est certes peu présent dans ce deuxième coffret. Une vraie belle découverte que celle de Rita Strahl qui nous fait dire que décidément parler de "sexe d’une œuvre" n’a pas grand sens. Le Moderato de La Grande Fantaisie nous entraîne, sous forme d'une valse, dans les salons français, encore tout imprégnés de classicisme mais aussi d’influences folkloriques qui en font une singulière composition. Rita Strohl n’oublie pas Bach, comme pour remettre l’église au milieu du village.  

    L’intimité le dispute à la légèreté dans le Septuor en ut mineur de 1890, avant une Romance surfant sur le mystère, l’onirique et la langueur. Cela fait de ce mouvement un joyau à ne surtout pas manquer et digne de figurer comme un des futurs grands tubes de la musique classique – on se plaît à rêver de l’utilisation qu’en ferait un réalisateur pour une BO. 

    Rita Strohl n’oublie pas Bach, comme pour remettre l’église au milieu du village

    Il y a de la légèreté, de la grâce et de l’enfance dans cet autre opus nommé Arlequin et Colombine. Les instruments se répondent avec une harmonie au service d’un discours amoureux (Allegretto quasi andantino) teinté de mélancolie (Andante).

    Rita Strohl soigne un univers musical bien à elle passant, dans le Quatuor pour violon, alto, violoncelle et piano (2e CD du coffret), du pathétique au romantique, avec des envolées jeunes et joyeuses (Scherzo), de la virtuosité enthousiasmante et où la patte de Bach ressurgit (Thème et variations – Andante).

    L’auditeur sera capté par la texture soyeuse du Deuxième Trio en ré mineur admirablement servi par Raphaëlle Moreau, Edgar Moreau et Tanguy de Williencourt (Andante sostenuto – Allegro). L’auditeur découvrira tout autant le prenant Andante, "très mystérieux" comme l’indique ce deuxième mouvement. Plus romantique que cela, il n’y a pas. C’est un final coloré qui vient conclure ce formidable Trio, une vraie belle et géniale découverte de Rita Strohl.

    La violoniste Héloïse Luzzati et la pianiste Célia Oneto Bensaïd apportent un supplément d’âme supplémentaire à ce deuxième CD avec Solitude, une Rêverie pour piano et violoncelle datant de 1897. L’ombre de Gabriel Fauré plane sur cette courte pièce à la puissante mélancolie. On est là au cœur de la musique française de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. La belle prise de son saisit au mieux la rondeur du violoncelle et le jeu tout en contrastes et en densité de Célia Oneto Bensaïd.  

    C’est singulièrement sur le CD 3 que l’on retrouve le Premier Trio pour piano, violon et violoncelle date de 1894. La compositrice a choisi de nommer les deux premiers mouvements, en plus des indications habituelles. Le premier mouvement, "Les adieux et le départ", est joué allegro. Voilà une scène d’adieu inhabituellement joyeuse. Invitation à se revoir ou bien plaisir de se retrouver seul ? On  laissera l’auditeur choisira ce que Rita Strohl souhaitait mettre en musique. Le deuxième mouvement, Adagio cantabile, est intitulé "Prière". Il est vrai que le contraste avec la partie précédente est saisissant. Les notes glissent et montent avec grâce, servies par une mélodie au majestueux classicisme.

    Le Quatuor Dutilleux est à la manœuvre pour nous faire découvrir le délicat Quatuor à cordes daté de 1885. Après le très court et grave Allegro ma non troppo, nous voilà partis dans un thème et des variations (Moderato) qui nous séduisent par le choix d’un mouvement passant de la séduisante mélopée aux accents baroques à la joyeuse danse devant des esprits capricieux. Voilà qui fait de ce passage un écart de la compositrice française vers la modernité.

    Celia Oneto Bensaïd vient conclure ce très beau coffret consacré à la musique de chambre de Rita Strohl avec la Musiques sur l’eau datant de 1903. L’ombre de Debussy plane sur cet opus en trois mouvements (Jeux de naïades, Barcarolle et Orage). Le jeu de la pianiste française séduit par sa simplicité, sa grâce et ses ondulations pleines de finesses, de naturel… et de naturalisme. Voilà qui permet de clore en beauté une rétrospective passionnante sur une compositrice trop vite oubliée et qui renaît aux oreilles de l'auditeur de 2024, 80 ans après sa mort. 

    Rita Strohl, Une compositrice de la démesure, Volume 2,
    Musique de chambre, La Boîte à Pepites, 2024, 3 CD

    https://elleswomencomposers.com
    https://www.presencecompositrices.com/compositrice/strohl-rita

    Voir aussi : "Album univers"
    "Résurrection"

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  • Magic Jazz

    Des reprises de jazz par Magic Malik à la flûte dans un album public passionnant enregistré au Baiser Salé parisien fin janvier 2024.

    C’est d’abord l’"Oriental Song" de Wayne Shorter dans une lecture bien entendu orientale, avec, soulignons-le, un Maxime Sanchez impérial au piano et la trompette éclatante d’Olivier Lasney. Damien Varaillon à la basse et Stefano Lucchini aux percussions viennent compléter le quintette de Magic Malik.

    Après cette entrée en matière planante et dépaysante, place à un jazz plus classique, toujours de Wayne Shorter. Cette fois, il s’agit du luxuriant "The Big Push". La recherche rythmique est au cœur de cette nouvelle version de Magic Malik. On sent la joie dans cette manière de se réapproprier ces standards du jazz. Parlons de l’osmose de ce quintette comme venu de nulle part.

    Ajoutons que Magic Malik signe "Joyeux printemps", une de ses créations en forme d’hommage et de preuve que le jazz est décidément vivante et bien vivant.

    Il y a du plaisir dans cet autre morceau, "Bu Delight" de Curtis Fuller. La virtuosité, le rythme endiablé et la densité sonore caractérisent un morceau que la flûte de Magic Malik vient transfigurer, comme si nous ne parlions pas de jazz, pas même de sons traditionnels mais de musique universelle, tout simplement. 

    Jazz transfiguré et dépaysant

    "Goodbye" de Gordon Jenkins entraîne l’auditeur vers un le plus beau des ailleurs, entre Occident et Orient, avec le jazz en compagnon de voyage. Mais c’est un jazz transfiguré et dépaysant grâce à Magic Malik et ses amis dont les recherches sonores font merveille.  

    Place ensuite à John Coltrane et à deux de ses standards, avec pour commencer un "Moment’s Notice" culotté et franchement ébouriffant. On reconnaîtra au bout d’une demie trente la trame mélodique de Coltrane. C’est également l’autre classique "Giant Steps" dans une version moins surprenante mais tout aussi magnétique.  

    Pour conclure cette programmation, le quintette de Magic Malik a inclus une reprise de "Gazzeloni" du jazzman Eric Dolphy. Voilà un jazz dont la modernité frappe aux oreilles, tout comme les sensations que proposent les cinq musiciens, partis ce soir de janvier 2024 au Baiser Salé dans un concert mémorable.

    Magic Malik, Jazz Association, b•records, 2024
    https://magicmalik.fr
    https://www.facebook.com/magicmalikmagic

    Voir aussi : "Marie Ythier, sans l’ombre d’un doute"

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  • Fauré, cent ans après toujours jeune

    Peu d’instruments sont aussi à la fois élégants et humains que le violoncelle. Et si vous ajoutez à cela un répertoire aussi de la classe de Gabriel Fauré, voilà qui devrait définitivement vous convaincre de découvrir l’album que Pauline Bartissol – au violoncelle, donc – et le pianiste Laurent Wagschal consacrent à l’auteur du fameux Requiem.

    En cette année Fauré (le compositeur est mort en 1924), Laurent Wagschal consacre une intégrale de ses œuvres pour piano. Pauline Bartissol le rejoint dans ses enregistrements consacrés au violoncelle et au piano. Au programme, les deux Sonates op. 109 et 117 pour violoncelle et piano et des pièces de musiques de chambre devenues universelles, à savoir la Sérénade op. 98, la célèbre Élégie op. 24, la Romance op. 69, la naturaliste pièce intitulée Papillon op. 77 et la délicieuse Sicilienne op. 78.

    Honneur donc à sa Première Sonate, dont l’"Allegro" vient démontrer que Gabriel Fauré, tout classique qu’il soit, vient prendre au vol la modernité qui est en train de révolutionner la musique. Nous sommes en 1917. L’auguste compositeur français, déjà atteint d’une surdité partielle (et oui, comme Beethoven !), propose un opus dont la vigueur et la jeunesse frappent d’emblée dans le premier mouvement "Allegretto". Rythmes, densité musicale, recherches sonores, mais sans jamais sacrifier ses talents mélodiques, prouvent que Fauré est toujours en pleine possession de ses qualités de compositeur. Le violoncelle de Pauline Bartissol prend toute sa mesure et son ampleur, avec au piano un Laurent Wagschal au jeu capable de toutes les gymnastiques et de toutes les nuances, et sans jamais se laisser dépasser. L’auditeur sera charmé par le languissant "Andante". Les cordes du violoncelle vibrent comme jamais, aidées par une prise de son impeccable. Le piano se fait plus discret, presque en retrait dans cette lente marche contemplative et non sans mélancolie.

    Plus encore que dans les deux premières parties, le troisième mouvement "Allegro commodo" est à écouter comme un dialogue entre violoncelle et piano. Pauline Bartissol et Laurent Wagschal s’engagent avec passion dans ce qui ressemble à une série d’arabesques musicales. Fauré se dévoile ici comme un compositeur à la fois retors et passionnant dans son expressivité et son travail sur les matières sonores. 

     "Ah, tu as de la veine de rester jeune comme ça !"

    L’auditeur sera sans nul doute happé par les courtes pièces proposées (courtes si l’on excepte l’Élégie, longue de plus de 6 minutes mais qui en paraissent beaucoup moins). Voilà une Sérénade (l'opus 98) d’une vigueur et d’un mystère sans égal. Composée en 1908, elle est jouée avec légèreté par les deux interprètes, décidément au diapason.

    Nous évoquions l’Élégie. Magnifique et grandiose pièce, devenue un must au fil des années. Il y a cette ligne mélodique incroyable, ce rythme lancinant et le son déchirant du violoncelle, rendant cette Élégie en ut mineur d’une beauté poignante. La pièce a au départ été composée en 1880 pour une future sonate, avant de devenir un morceau autonome au succès critique et public jamais démenti.  

    Deux autres morceaux viennent compléter ces brèves pièces. Il y a Papillon op. 77, composé en 1898. L’auditeur se laissera charmé par le lyrisme et la volupté de cette œuvre à la fois romantique et naturaliste, aussi légère et insaisissable qu’un vol de papillon. Parlons ensuite de la Sicilienne op. 78, de la même année que Papillon, bien qu’elle ait fait l’objet d’un premier traitement cinq ans plus tôt sous la forme d’une pièce orchestrale destinée au théâtre. Ici, Pauline Bartissol et Laurent Wagschal s’harmonisent avec délicatesse dans une rêverie onirique. Le talent mélodique de Fauré est à l’œuvre dans cette pièce envoûtante qu’il inclura quelques années plus tard dans sa suite orchestrale Pelléas et Mélisande, certes moins connue que l’opéra de Debussy.

    Pour compléter le programme de cet album de Fauré, Pauline Bartissol et Laurent Wagschal s’attaquent à la Deuxième Sonate pour violoncelle et piano en sol mineur op. 117. Le mouvement "Allegro" a ce je ne sais quoi d’émotions retenues mais aussi d’une sombre menace. Laurent Wagschal est impérial dans sa manière de structurer au piano cette œuvre à la fois complexe et séduisante. Quant à Pauline Bartissol, elle fait de son violoncelle un authentique être vivant aux mille aspirations et émotions.

    Voilà qui nous entraîne vers le sombre "Andante" qui s’écoute comme une marche funèbre. Il a été composé en 1921 à l'occasion des célébrations aux Invalides du centenaire de la mort de Napoléon 1er. Encore une histoire de commémoration et de centenaire. Le violoncelle est en vedette dans cette lamentation à la fois noble et pathétique, avec un piano tout aussi sombre. Les deux interprètes complètent cette sonate joyeusement avec un  "Allegro vivo" endiablé, pour ne pas dire joueur. Pauline Bartissol et Laurent Wagschal semblent s’amuser dans ce dernier mouvement. Qui aurait dit que Gabriel Fauré était capable d’une telle légèreté ? Vincent d’Indy lui-même s’en étonna à l’époque dans une lettre à la fois enthousiaste et admirative : "Ah, tu as de la veine de rester jeune comme ça !"

    Pauline Bartissol & Laurent Wagschal, Fauré, Complete Works for Cello and Piano, Indésens Calliope Records, 2024
    https://laurentwagschal.com
    https://www.facebook.com/laurentwagschal
    https://indesenscalliope.com 
    https://pauline-bartissol.com
    https://www.facebook.com/pauline.bartissol

    Voir aussi : "Fauré 2024"
    "Des papillons dans l’estomac"

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  • Peter Jablonski, très classique, très jazz

    Bla Bla Blog avait parlé il y a quelques semaines de l’album Air de Christian Schittenhelm. Cette grande bouffée d’air frais dans la musique d’aujourd’hui prend un nouveau relief avec son autre opus du moment, Back Home with the Moon.

    Pas d’orchestre symphonique cette fois mais un piano et un interprète d’exception, le Suédois Peter Jablonski. Ce grand interprète de Chopin, courant les scènes du monde entier, se penche cette fois sur un répertoire contemporain, à la facture néo-classique mais aussi des influences jazz.

    La simplicité, la nudité et la fluidité de Peter Jablonski se mettent au service de pièces intimes immédiatement attachantes. C’est la caressante "Berceuse mauve", tout en pastel, c’est la délicate "Valse naïve" dont on lira l’influence d’Erik Satie mais c’est aussi cet autre morceau, "Simply Yes", dont la retenue laisse place à un élan passionné. 
    La "Valse de rien" semble nous ramener quelques dizaines d’années plus tôt dans une salle de bal parisien après le départ des derniers invités, lorsqu’un couple se retrouve seul pour une dernière danse. Décidément, la valse est un style qu’affectionne Christian Schittenhelm ("The Algot Walz").

    Le titre qui donne son nom à l’opus semble faire le pont entre classicisme, contemporain et jazz. Il y a aussi un esprit pop dans ce "Back Home With The Moon" dont Peter Jablonski prend possession avec un plaisir évident.

    Simplicité, nudité, fluidité

    L’album de  Christian Schittenhelm et de son instrumentiste prestigieux est enrichi de pièces courtes à la belle densité et que le piano vient colorer. C’est le mélodique "Duo", le spectral "Stellar", l’étrange "Poème de l’inutile" ou la composition très contemporaine "Impression de lièvre" jouant sur le rythme et sur des notes semblant s’envoler en toute liberté.

    L’auditeur prendra plaisir à se faire prendre au piège dans cette choix de pièces se jouant de toutes les étiquettes. Comment en effet caractériser en effet "Roof Ans Sky", lente et mélancolique déambulation au piano, la ballade "Alone" à la tristesse éloquente ou encore ces titres à la facture jazz cool que sont "After Me The Storm" ou encore "A Bad E Could Be The Best", avec ses sonorités graves ?

    Le pianiste classique Peter Jablonski vient servir à merveille de sublimes morceaux, à telle enseigne que "Zebra Piano" paraît lui être destiné directement ? Le contemporain est aussi bien présent, particulièrement à la deuxième moitié du disque. C’est "Quadratures" mais aussi "Lévitation" dans lesquelles le piano se fait grave et par moment suspendu. 

    Christian Schittenhelm, Back Home With The Moon,
    Peter Jablonski (piano), Sfumato Records, 2024

    https://christianschittenhelm.fr
    https://sfumatorecords.com/records
    https://www.peterjablonski.com

    Voir aussi : "De l’air"

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  • Fauré 2024

    2024 marque les 100 ans de la mort de Gabriel Fauré. Les hommages au créateur du célèbre compositeur. Et puisque l’œuvre de Fauré ne se résume pas au seul Requiem, le pianiste Laurent Wagschal propose une sélection de morceaux pour son instrument fétiche. Précisons que dans le cadre d'une intégrale pour piano de Fauré, cet album est un florilège de morceaux les plus représentatifs (Ballade, 6e et 7e Nocturnes, 5e Barcarolle et ses Thèmes et Variations) mais aussi de pièces plus rares. 

    Le programme débute par la Ballade op.19, une des pièces devenues emblématiques de Gabriel Fauré est le parfait reflet de cette musique française de la fin du XIXe siècle. Un mélange de légèreté, de grâce, d’exigence et de virtuosité caractérisent cette longue ballade qui peut se lire comme du romantisme à la sauce française – Wagner et Liszt ne sont pas loin dans cette pièce écrite entre 1877 et 1879 et dédiée à l’influent Camille Saint-Saëns.

    L’auditeur fondra sans nul doute à l’écoute de la Pièce brève op. 84 n°5. Ce sont une minute et vingt-six secondes au service d’une mélodie envoûtante qui convaincra même les peu familiers du classique.

    On connaît la Pavane pour une infante défunte de Maurice Ravel. Voici une autre Pavane, op.50, composée en 1887. Outre le fait qu’une publicité l’ait rendue célèbre, cette Pavane a eu droit à de multiples versions et adaptations, y compris au cinéma. Laurent Wagschal l’interprète dans toute sa nudité, faisant honneur au talent de composition de Gabriel Fauré.

    On a beaucoup parlé de romance sur Bla Bla Blog, grâce aux Schumann. Voici dans ce album envoûtant la Romance sans parole en la bémol majeur op.17 n°3 datant de 1878. On se laissera happer par cette formidable et courte pièce à la grande délicatesse et à la mélodie inoubliable.

    Désireux de proposer un programme varié, c’est un impromptu qui est ensuite proposé, en l’occurrence celui en fa mineur op. 63. Celui-ci s’avère redoutable de technicité. Le moins que l’on puisse dire est que le pianiste s’en sort haut-la-main, alliant virtuosité, simplicité (dans la deuxième partie) mais aussi une forme de légèreté particulièrement bienvenue en ce moment. 

    La modernité n’y est du reste pas absente 

    Deux Nocturnes sont proposées, le n°6 op. 63 en ré bémol majeur d’une part et le n°7 op.74 en ut dièse mineur d’autre part. Bien entendu, qui dit "nocturne" dit Chopin. Cependant, Fauré ne fait pas le choix de la noirceur ou de la nuit, si l’on excepte le plus mélancolique Nocturne n°7, spécialement dans sa première partie. Il se montre au contraire lumineux et léger. Mais aussi romantique. Le lecteur pourra se sentir porté par ces pièces écrites dans les toutes dernières années du XIXe siècle.  

    Après le lent Prélude en sol mineur op. 103 n°3, une berceuse en forme de barcarolle, c’est justement la Barcarolle n°5 op.66 que nous propose Laurent Wagschal. On saluera le pianiste pour son interprétation se jouant des pièges techniques dans cette œuvre pleine d’élégance et de lyrisme. La modernité n’y est du reste pas absente dans ce morceau d’un classicisme très français.

    L’album se termine avec la plus grosse partie du programme, à savoir les Thèmes et Variations op.73. Le thème quasi adagio en ut dièse mineur, une singulière marche funèbre, est suivi de onze variations constituées de syncopes ("Variation III"), de tempo accélérés ("Variation II"), de moments paisibles ("Variation VIII") ou de temps expressifs ("Variation XI"). Classique dans l’âme, figure exemplaire de ce qui s’est fait de mieux dans le classicisme français, Fauré mérite d’être redécouvert, y compris dans son œuvre pianistique, tant son aura demeure cent ans après son décès. 

    Gabriel Fauré, The Essential Piano Works, Laurent Wagschal (piano), Indésens Calliope, 2024
    https://laurentwagschal.com
    https://www.facebook.com/laurentwagschal
    https://indesenscalliope.com

    Voir aussi : "Des papillons dans l’estomac"
    "Nuit et lumières chez les Schumann"

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  • Nuit et lumières chez les Schumann

    C’est par une œuvre collective que commence cet enregistrement d’œuvres de Robert Schumann pour violon et piano. La Sonate F.A.E. nous vient de deux figures majeures du romantisme – Brahms (pour le troisième mouvement "Allegro (Scherzo)" et Schumann pour les deuxième et quatrième mouvements, "Intermezzo" et "Finale". Le troisième est Albert Dietricht, compositeur du premier mouvement "Allegro". Les trois amis écrivent en 1853 cette sonate au nom étrange mais plein de sens : "F.A.E." pour "Frei Aber Einsam" ("libre mais solitaire"). Elle a été offerte cette année-là au violoniste Joseph Joachim. Ce dernier l’a d’ailleurs joué, tout comme Clara Schumann.

    Nous avions parlé il y a quelques semaines du "Scherzo" enregistré par Rachel Kolly et Christian Chamorel. Dans l’album Robert Schumann et son univers, proposé par Indésens, Yann Passabet-Labiste au violon et Bertrand Giraud au piano proposent les quatre mouvements de cette sonate, écrite avant que la maladie ne fasse taire Robert Schumann. Le compositeur vit une période tragique avec la mort de son jeune fils Emil en 1847, celle de son ami Felix Mendelssohn la même année et avant la détection d’une maladie mentale chez Ludwig, un autre de leur fils. Schumann vit particulièrement douloureusement cette période. La dépression succède à des crises d’angoisse et des hallucinations. Voilà pour le tableau de cette période sombre à nulle autre pareil. Autant dire que cette Sonate F.A.E. fait figure de petit miracle musical. 

    Saluons le premier mouvement "Allegro" d’Albert Dietricht, d’une belle richesse ornementale, servi qui plus est par des interprètes jamais en baisse de régime. Il s’agit du mouvement le plus long de la sonate (plus de douze minutes et demi). Avouons cependant qu’après cette romantique entrée en matière, on s’arrêtera particulièrement sur le court "Intermezzo" que Robert Schumann a annoté en allemand : "Bewegt, doch nicht zu schnell". La douleur déchire cette partie. Le piano de Bertrand Giraud se met légèrement en retrait pour laisser s’exprimer le violon de Yann Passabet-Labiste, sans jamais que le violoniste ne fasse preuve de pathos. Vient répondre la fougue et la verve de Johannes Brahms, le disciple et admirateur, qui en est au début de sa carrière. Les Schumann sont sa famille de cœur et Clara Schumann restera son amie et amour jusqu’à ses derniers jours.

    Cette fois, piano et violon viennent se répondre avec bonheur. La vigueur est là, mais aussi la passion et la tendresse. On est presque heureux de retrouver Robert Schumann dans un "Finale" au tempo vif, comme si le compositeur meurtri par trois années sombres revenait à la vie. Magnifique coup d’éclat que cette dernière partie qui prend par moment l’allure de marche décidée grâce au violon diabolique de Yann Passabet-Labiste.   

    La vigueur est là, mais aussi la passion et la tendresse

    Schumann, ses amis et sa famille pourrait s'intituler l'opus. C’est Clara Schumann qui poursuit le programme, avec ses trois Romances op. 22. Ecrites elles aussi en 1853, elles ont été, tout comme la Sonate F.A.E., dédiées au violoniste Joseph Joachim. L’esprit romantique souffle sur ce que l’on pourrait appeler une sonate pour piano et violon en trois mouvements, "Andante molto", "Allegretto ; Milt zartem Vort" et "Leidenschaftlich schnell". L’auditeur y lira de douloureuses plaintes, alors que le mari de Clara est pourchassé par ses démons intérieures ("Andante molto"), sentiments que vient nuancer la deuxième romance "Allegretto", mais non sans ce sens du spleen que parviennent à rendre le duo de musiciens et en particulier le violon de Yann Passabet-Labiste. Le "Leidenschaftlich schnell" prouve, s’il en était besoin de le démontrer, que Clara Schumann est au sommet d’un art musical, à l’égal au moins de Robert Schumann auquel elle a survécu quarante ans.     

    Autre Romances, celles de Robert Schumann, justement. Son opus 94 a été composé pour son épouse en 1849. Destinée pour le piano et le hautbois, elle est régulièrement jouée, comme ici, pour le violon et le piano. Une immense tristesse, que le violon de Yann Passabet-Labiste rend particulièrement bien, se dégage dans le "Nicht Schnell". "Simple, affectueux", indique la deuxième romance. Il est vrai qu’une relative légèreté est évidente, bien que la mélancolie ne soit pas absente. Un sentiment de vide se dégage encore plus de la dernière romance "Nicht Schnell", au mouvement pourtant "Moderato". Il y a ces légères mais réelles ruptures, rendant cette partie bien plus tragique qu’elle n’en a l’air.

    L’enregistrement se clôt avec la Sonate n°3 en la mineur. Composée par Robert Schumann en 1836. Il a 26 ans. Elle a l’impétuosité de la jeunesse (le premier mouvement allegretto "Ziemlich langsam") et cet évident souffle épique, porté par les deux interprètes décidément bien inspirés. Suit un "Intermezzo" plus court (deux minutes et demi), lent, gracieux et romantique, avant le "Scherzo" ("Lebhaft") enlevé et aux nombres pièges dont se tirent brillamment Yann Passabet-Labiste et Bertrand Giraud. Dans le "Finale", Robert Schumann termine par un ensemble de morceaux de bravoure, porté par des mélodies ardentes, pour ne pas dire enflammées. Nous sommes dans une période marqué par une union des plus compliquées entre Clara et Robert Schumann, avec toujours le romantisme en bande-son.   

    Robert Schumann et son univers, Yann Passabet-Labiste (violon) & Bertrand Giraud (piano), Indésens Calliope Records, 2024
    https://indesenscalliope.com/boutique/robert-schumann-son-univers
    https://www.bertrandgiraud.net
    https://www.facebook.com/yann.passabetlabiste

    Voir aussi : "Brahms doublement suisse (et même triplement)"

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