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essai

  • Et si la France avait continué la Guerre…

    essai,uchronie,seconde guerre mondiale,jacques sapir,franck stora,loïc mahé,confrérieL’uchronie (l’exercice du « et si ?... ») peut paraître vaine. Ce genre littéraire est peu goûté en France, tant il est vrai que réécrire une période historique paraît n’être qu’une construction de l’esprit pour ne pas dire de l’imagination. Tout l’intérêt de cet essai est au contraire de refuser toute réflexion fantaisiste et de montrer que, loin du déterminisme historique, une alternative aux journées de mai-juin 1940 était possible : le gouvernement de la IIIème République pouvait refuser la défaite et poursuivre le combat dans les colonies d’Afrique du Nord. Le choix de l’armistice était une décision politique et les partisans du général de Gaulle pouvaient imposer leurs idées.

    Finalement, il s’en est fallu de peu. Si le choix de refuser la capitulation avait été décidé, les conséquences auraient été considérables : une défaite militaire française en territoire métropolitain au terme de combats qui se poursuivent jusqu’en juillet ; pas d’appel du 18 Juin mais le choix d’un "Grand Déménagement"; l’installation du gouvernement républicain à Alger avec un Général de Gaulle en ministre de la Guerre ; des combats acharnés contre l’Italie mussolinienne (le ventre mou de l’Axe) en Afrique et en Méditerranée ; une Bataille d’Angleterre réduite en intensité ; une alliance politique et militaire étroite entre la France républicaine et la Grande-Bretagne ; un Maréchal Pétain mis hors course dès le début juin (les auteurs l’imaginent même ne pas passer l’été) ; une autorité française collaborant avec l’Allemagne dirigée par Pierre Laval, mais tiraillée par des dissensions politiques au sein de l’extrême droite…

    Ce scénario alternatif, qui se termine en décembre 1940, est vraiment intéressant et particulièrement documenté (sic). Si vous êtes en plus férus de descriptions de batailles et de stratégies militaires, vous serez gâtés !

    Jacques Sapir, Franck Stora & Loïc Mahé, Et si la France avait continué la Guerre…,
    éd. Tallandier, 575 p., Le Dîner, éd. Belfond, 2011, 330 p.

    http://confrerie2010.canalblog.com/archives/2012/08/31/25006036.html
    https://www.tallandier.com/livre/1940-et-si-la-france-avait-continue-la-guerre

    Voir aussi : "Le dîner"

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  • La guerre totale

    Qu’on ne s’effraie surtout pas du pavé de cet essai. Plus de mille pages sur un sujet historique et qui a été tellement étudié, pour ne pas dire sillonné, qu’il semble être devenu un genre à part entière. Qu’est-ce qu’historien français Olivier Wieviorka peut-il apporter de neuf dans cette Histoire totale de la Seconde Guerre mondiale parue il y a quelques mois aux éditions Perrin ?

    Certes, le lecteur ne trouvera pas de révélations fracassantes sur cette terrible période de six années. L’auteur balaie les différentes phases de ce conflit mondial avec le regard d’un scientifique méthodique ayant à cœur de ne pas s’arrêter longuement sur tel ou tel pays, telle ou telle bataille, tel ou tel personnage, tel ou tel aspect sombre du conflit, à l’instar de l’idéologie nazie, de la Shoah ou encore de la Collaboration en France.

    Reprenant les milliers de travaux sur la Seconde Guerre Mondiale, Olivier Wieviorka propose une synthèse qui rend cet essai aussi passionnant qu’un roman. La grande valeur de cette histoire de la Seconde Guerre Mondiale est de montrer en quoi ce conflit est marquant justement par son aspect universel. Loin de se cantonner au Reich nazi et à ses conquêtes proches, tous les fronts sont abordés, de l’Europe occidentale conquise presque entièrement – à l’exception notoire de la Grande Bretagne – au Pacifique, en passant par les batailles en Océanie, l’épouvantable sort de la Chine, sans oublier l’Afrique du Nord, la guerre sous-marine ou l’Opération Barbarossa contre la Russie communiste où l’on vit deux dictateurs, Staline et Hitler, s’affronter comme aucun autre pays auparavant, jusqu’à faire basculer la guerre du côté des Alliés.

    Dans les premières pages, sur les origines du conflit, l’historien remet l’église au milieu du village en mettant en garde contre une vision erronée qui considérait que cette "guerre inutile", comme le disait Churchill, avait été provoquée par l’après Première Guerre Mondiale, des "bourdes diplomatiques" et un Traité de Versailles si humiliant qu’il rendait un futur conflit avec l’Allemagne  inévitable. Olivier Wieviorka ne se leurre pas : "Le rôle joué par Adolf Hitler d’abord, par les dirigeants japonais ensuite, suffit à les désigner comme les principaux fauteurs d’un conflit" dont personne ne voulait et que les démocraties occidentales ont tenté d’empêcher. 

    "Le rôle joué par Adolf Hitler d’abord, par les dirigeants japonais ensuite, suffit à les désigner comme les principaux fauteurs d’un conflit

    Les presque trente chapitres qui suivent reprennent le cours d’un conflit qui, depuis l’Europe, s’est propagé en moins de deux ans, en guerre total, à la différence de la Grande Guerre. Total comme le totalitarisme de deux des protagonistes – Hitler et Staline. Total aussi comme le parti-pris d’Olivier Wieviorka d’aborder tous les aspects de cette période terrible : stratégiques, militaires, diplomatiques, idéologiques, sociales ou économiques.

    Un large focus est fait sur une bataille devenue légendaire : celle du Débarquement et de la Bataille de Normandie. Mais l’auteur n’oublie pas ces autres événements peu connus, et pourtant sans doute aussi importants que l’opération Overlord : la Bataille de Koursk en 1943, avec son armada de chars et "les effectifs les plus considérables" du conflit. Sans oublier non plus Bagration, le pendant du Débarquement en Europe Orientale qui va être déterminant dans la victoire alliée.

    La Shoah est traitée, bien évidemment, mais ni plus ni moins que les sujets militaires. Le lecteur découvrira par contre le sort fait à Varsovie lors et après son insurrection civile, alors que l’Armée Rouge est aux portes de la capitale polonaise. Olivier Wieviorka explique pourquoi Staline n’a pas épaulé la Résistance polonaise – pour des raisons bassement politiques – et a laissé envoyer à la mort près de 150 000 civils.  

    Le lecteur français découvrira sans doute les grands faits d’armes des batailles dans le Pacifique entre les États-Unis et le Japon, avec comme aboutissement les deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki puis l’armistice mettant fin au conflit total. Sur les deux explosions nucléaires, l’historien s’interroge sur la portée stratégique de ces deux explosions. Et si ce n’était pas elles qui avaient précipité la chute de l’Empire japonais ?  

    Après un bilan du conflit le plus meurtrier de l’Histoire – 60 à 70 millions de morts, des peuples et des pays dévastés, des civils durement frappés et des économies exsangues – Olivier Wieviorka parle des conséquences incalculables de cette guerre sur le long-terme. Ce qui ne veut pas dire que toutes les leçons ont été tirés des atrocités commises : "La fumée des crématoires d’Auschwitz n’a rien prémuni le monde contre les crimes à venir".

    Olivier Wieviorka, Histoire totale de la Seconde Guerre mondiale,
    éd. Perrin, Ministère des Armées, 2023, 1072 p.

    https://www.lisez.com/livre-grand-format/histoire-totale-de-la-seconde-guerre-mondiale

    Voir aussi : "La guerre en couleurs"
    "Un Churchill costaud et massif"

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  • Haro sur Onfray

    Une chose est sûre.  Mattieu Lavagna et Michel Onfray ne passerons pas leurs vacances ensemble, comme aurait dit un journaliste sportif. Depuis le temps que le philosophe Michel Onfray truste les plateaux télé et propose sa "bonne parole", il fallait bien que quelques voix discordantes vienne susciter la polémique. C’est le cas avec cette Libre réponse à Michel Onfray proposé par les éditions Artège.

    Ce n’est pas un mais plusieurs ouvrages qui intéressent le philosophe et théologien Matthieu Lavagna : Traité d’Athéologie (2005), Décadence, Vie et Mort du Christianisme (2017) et Anima (2023). Le tort de Michel Onfray ? Affirmer que Jésus n’a jamais existé, ni plus ni moins, et que sa vie n’est jamais qu’un mythe. C’est la "thèse mythiste", très ancienne, pour ne pas dire datée. Dès la préface, Matthieu Lavagna cogne, et dur : "Ce qui frappe dans la théorie d’Onfray, condensé de clichés éculés et de raccourcis simplificateurs, s’appuyant sur une bibliographie périmée, vieille d’au moins un siècle, c’est la méconnaissance profonde de l’exégèse moderne". Voilà qui est dit. La conclusion n’est pas moins virulente : Michel Onfray, tout engagé qu’il est pour la laïcité et l’athéisme, "ne maîtrise absolument pas les sujets qu'il aborde". 

    Les pieds dans le tapis

    L’essai est composée en deux parties, la première, de loin la plus convaincante, tire à boulet rouge sur un philosophe qui semble avoir pris certaines libertés avec l’historiographie. Reprenant point par point les sources et surtout les affirmations du philosophe hypermédiatisé, Matthieu Lavagna remet l’église au milieu du village ! Oui, Jésus a bien vécu en Palestine, il y près de deux mille ans, et l’on sait même assez précisément ses dates de décès et de mort, ce qui est plutôt rare pour un personnage de cette période. Mieux, il est l’un des rares personnages antiques aussi bien documenté, et pas seulement par les sources chrétiennes, plus orientées, il est vrai. Flavius Josèphe, Tacite, Suétone ou Pline le Jeune, qu’on ne peut pas taxer de franchement disciples de Jésus, le mentionnent.

    De longs passages sont consacrés aux écrits du Nouveau Testament dont l’orientation n’empêchent pas le sérieux, avec plusieurs auteurs différents ayant écrit peu de temps après la mort de Jésus. Matthieu Lavagna s’appuie sur des auteurs spécialisés, parfois non-croyants, et sur des recherches scientifiques, à l’instar de fouilles archéologiques.

    La deuxième partie du livre, tout aussi intéressante, quoique plus polémique, s’intéresse à l’Église catholique, en tant qu’institution. Michel Onfray l’avait couvert de toutes les opprobres (Inquisition, manipulation des opinions, génocide indien après la découverte des Amériques, antisémitisme, silence pendant la Shoah). Matthieu Lavagna répond point pour point à ces accusations.

    Non, le christianisme n’est pas misogyne, non la sexualité chrétienne n’est pas "névrosée" ou non les millions d’Indiens morts après le XVe siècle n’ont pas été dû à une évangélisation violente de l’Église de l’époque. Une section est consacrée aux conciles et aux canons, un sujet où Michel Onfray, moins théologien que philosophe, semble s’être largement pris les pieds dans le tapis. On retiendra aussi et surtout de longues pages sur l’Église pendant la seconde guerre mondiale et la Shoah, un sujet toujours brûlant mais au sujet duquel Matthieu Lavagna semble avoir une opinion bien arrêtée.

    Essai enlevé, passionnant et remettant les pendules à l’heure, cette Libre réponse à Michel Onfray risque bien, justement, ne pas rester sans réponse par l’intéressé lui-même. La parole est à l’accusé.

    Matthieu Lavagna, Libre réponse à Michel Onfray, éd. Artège, 2024, 264 p.
    https://www.editionsartege.fr/product/130943/libre-reponse-a-michel-onfray
    https://www.facebook.com/matthieu.lavagna.14

    Voir aussi : "Jésus, l'inconnu le plus célèbre du monde"
    "Comics Nietzsche"

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  • Toi + moi

    Le couple : cette "grande aventure de notre temps". Comment penser la vie à deux ? Comment y faire face ? Le couple est-il un concept daté dans notre société hyperconnectée et parfois perdue en raison de sollicitations et d’injonctions à l’épanouissement de soi sans les autres et sans l’autre.

    Les Clés de l'Intelligence amoureuse de Florentine d'Aulnois Wang est devenu un best-seller depuis sa sortie en 2018. Les éditions Larousse proposent, en ce début d’année, une édition augmentée pour celles et ceux qui seraient sortis à côté de cet essai prenant parfois à contre-pied les idées toutes faites sur le couple, qu’il soit hétéro ou non. 

    Trois parties constitue cet essai qui propose aussi, dans sa dernières section, des "principes" et des "rituels". L’auteure invite le lecteur à se munir d’un crayon pendant la lecture de son ouvrage pour faire quelques exercices afin d’y voir plus clair dans sa situation de couple.

    Le livre de Florentine d'Aulnois Wang est salutaire, dans la mesure où il pointe le profond désarroi que l’on peut ressentir dans un monde libre et hyperconnecté, avec des injonctions venus de toute part, des écrans omniprésents, "un monde qui prône l’épanouissement personnel", des couples qui ne sont plus créés selon des contingences extérieures mais par amour, et en même temps l’absence de transmissions, de règles ou d’écoles. "Bravement, tous et chacun, nous avançons, composons, inventons, improvisons. C’est joyeux, délicieux, libre et créatif… mais cela manque parfois de repères, de fil rouge, de recul". Or, comme en témoigne la thérapeute, lorsque les couples viennent la consulter, beaucoup de temps ont été perdus et parfois il est même trop tard. 

    Psycatrices

    Florentine d'Aulnois Wang se réjouit de voir que notre liberté de vivre à deux, avec qui nous voulons, est une chance. Une chance qui ne doit cependant pas faire oublier qu’il existe des obstacles : "Nous avons été bernés par les légendes populaires ! Le conte ou le film s’arrête lorsque le héros et l’héroïne se retrouvent enfin (…), nous laissant entendre que les épreuves sont terminées une fois le couple créé. Intox magistrale : elles ne font que continuer, mais à deux, et parfois l’un contre l’autre…"

    ne première vérité, centrale, fondamentale et bienvenue, met à mal un préconçu : Il faudrait "« travailler sur soi-même » avant de tomber amoureux". Faux ! s’insurge la spécialiste : "C’est la double peine". Le couple apparaît au contraire comme une belle et formidable aventure, souvent compliquée, dans lequel le mal-être souvent venu de l’enfance (le néologisme "psycatrices" revient plusieurs fois dans le livre) peut trouver grâce au regard de l’autre de l’apaisement, voire un début de guérison.

    En parlant du couple, c’est aussi à l’individu, à ses souffrances et à ses "psycatrices" que l’autrice s’intéresse. Grâce aux apports de la science mais aussi à son expérience, Florentine d'Aulnois Wang identifie les obstacles à une vie sereine : l’incompréhension, le poids de l’enfance, les non-dits, qu’ils soient conscients ou non, la vie quotidienne usante, le doute et le déficit en intention. Et si nous attendions tout de l’autre sans chercher à apporter ?

    La jalousie, le ou la partenaire toxique ou le polyamour forment des parenthèses à une partie fondamentale : celle des saisons du couple, de la période romantique des débuts à celle des crises, inévitable et qui constitue une vraie "aventure"… à deux. "Ils se marièrent et eurent… beaucoup de crises !" Comment y faire face ? Sans doute grâce à ce concept qu’est "l’intelligence amoureuse". "Le pacte de l’Intelligence Amoureuse est de savoir que les  vagues arriveront et de décider de ne se lâcher sous aucun prétexte (ou de se rattraper aussi vite que possible)".

    Un essai salutaire !

    Florentine d'Aulnois Wang, Les clés de l'Intelligence amoureuse, éd. Larousse, 2023
    https://www.lespaceducouple.com
    https://www.facebook.com/florentinedaulnoiswang
    https://www.instagram.com/lespaceducouple

    Voir aussi : "Un seul être vous manque"

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  • Anatomie d’un instant

    essai,confrérie,javier cercas,espagne,espagnol,franco,franquiste,putsch,1981,histoire,juan carlos,roi,royauté,démocratieLe 23 février 1981, dans la toute jeune démocratie espagnole à peine sortie de 40 ans de dictature franquiste, un groupe de militaires nostalgiques du Caudillo, prend en otage les députés du parlement espagnol. C'est le début du premier coup d'Etat médiatisé de l'Histoire qui va tenir en haleine des heures durant le monde entier.

    L'intervention ferme du jeune roi d'Espagne à la radio et à la télévision sonne la fin de cet événement fondateur de la démocratie espagnole. Javier Cercas conte avec minutie le putsh du lieutenant-colonel Tejero et de ses complices. Pourtant, le véritable intérêt de cette chronique est de suivre les principaux protagonistes et le chef du gouvernement Suarez en tout premier lieu. Très contesté, le premier chef de gouvernement de la démocratie espagnole - celui-là même qui l'a l'imposée quelques années plus tôt - s'apprête, le jour du coup d'Etat, a être démis de ses fonctions.

    Le putsh va être l'occasion pour lui d'un dernier coup d'éclat : malgré la menace des armes des conjurés, il est l'une des trois personnes à refuser de se coucher, les deux autres étant le général Mellado, vice-président du gouvernement et Santiago Carrillo, secrétaire du parti communiste espagnol : trois personnages contestés dans leur propre camp et figures héroïques ce soir du 23 février 1981. Un essai dense et passionnant qui se termine par un appel émouvant à la réconciliation et par l'hommage d'un fils à son père.   

    Javier Cercas, Anatomie d’un instant, éd. Actes Sud, 2013, 405 p. 
    http://confrerie2010.canalblog.com/archives/2011/03/08/20579813.html
    https://www.actes-sud.fr

    Voir aussi : "La Scandaleuse histoire de Penny Parker-Jones"

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  • Franquin, ce génie méconnu

    Bob Garcia, auteur l’an dernier d’un passionnant essai sur les derniers secrets d’Hergé, propose en ce début d’année une étude sur un autre grand de la bande dessinée : André Franquin (1924-1997).

    L’ouvrage Franquin, les Secrets d’une Oeuvre (éd. du Rocher) interroge d’emblée sur la portée d’une œuvre sans doute sous-estimée. Bob Garcia rapporte d’abord ces propos élogieux du grand Hergé interrogé par Numa Sadoul : "Quand je vois un Franquin, par exemple, je me dis : « Mais comment peut-on nous comparer ? Lui, c’est un grand artiste, à côté duquel je ne suis qu’un piètre dessinateur »".

    Franquin, c’est Spirou, le Marsupilami, Modeste et Pompon et surtout Gaston Lagaffe, ce héros maladroit, poète, rêveur et humaniste, une sorte de double du dessinateur belge.

    Spirou est le personnage qui a fait connaître Franquin. Bob Garcia rappelle que le garçon est au départ une création de Jijé pour le magazine Spirou – justement. Bob Garcia revient sur les 30 albums que Franquin a patiemment dessiné et en grande partie scénarisé. Contextes de création, influences et clins d’œil permettent d’éclairer la genèse, l’histoire et l’importance des albums aussi différents que Les Voleurs du Marsupilami, Le Dictateur du Champignon, Le Nid des Marsupilamis ou encore Z comme Zorglub. L’étude des albums de Spirou constitue une grosse moitié de l’essai, une importance toutefois inversement proportionnelle à l’influence artistique de Gaston Lagaffe et surtout des Idées noires

    Une importance inversement proportionnelle à l’influence artistique de Gaston Lagaffe et surtout des Idées noires

    Comme le note Bob Garcia en fin de son ouvrage, l’œuvre de Franquin apparaît comme un chaînon manquant entre la bande dessinée pour enfants (Spirou) et la BD adultes (Les Idées noires).

    Après une biographie d’une dizaine de pages, l’auteur plonge avec passion, érudition dans les albums que Franquin a écrits et dessinés jusqu’à épuisement, au point d’abandonner Spirou à la fin des années 60.

    Même si les aventures du jeune groom, de son ami journaliste Fantasio et du Marsupilami apparaissent comme des BD de pures aventures destinées aux enfants et adolescents, Franquin les enrichit de clins d’œil à Tintin, au cinéma, à l’actualité des Trente Glorieuses mais aussi à la société de consommation.

    Le lecteur passera rapidement la courte partie consacrée au jeune couple Modeste et Pompon, une création toutefois importante en ce qu’elle traduit une rupture artistique avec le magazine Spirou, avant qu’il ne retourne dans son giron pour Gaston Lagaffe. Jusqu’en 1991, Franquin fait de ce garçon lunaire, inventeur à la fois génial et raté, collègue insupportable et amoureux transi de la jolie femme à lunettes "M’oiselle Jeanne", un anti-héros plus révolutionnaire qu’il n’y paraît. Rappelons qu’il est vraiment né comme personnage autonome quelques années avant 1968. Gaston se fait même engagé dans plusieurs histoires où sont abordés des sujets aussi graves que la peine de mort, l’écologie, la société de consommation ou l’antimilitarisme.

    Voilà qui nous mène presque naturellement vers l’une des œuvres les moins connues du grand public, ces fameuses Idées noires. Franquin fait une infidélité à Gaston en proposant, en 1977, des planches destinées pour le Trombone illustré, "journal « pirate » de 8 pages insérés dans le magazine Spirou". Puis, il continue l’aventure dans Fluide Glacial. Franquin parle à l’époque de "rigolade". Voire. Ces Idées noires sont une manière de desserrer le "carcan" de Spirou pour proposer des sujets plus sérieux, voire plus provocateurs. Un besoin pour Franquin qui veut ainsi s’exprimer comme artiste engagé. La pollution, la guerre, les religions, la malbouffe, l’enfance martyrisée font partie des sujets traités. Mais aussi, plus frappant, la pandémie. En 1982, soit près de cinquante ans avant le Covid-19, Franquin imagine un virus s’abattant sur le monde et contraignant ses habitants à vivre masqués. Franquin apparaît là non plus comme un dessinateur perfectionniste mais aussi comme un intellectuel doué d’une "lucidité extraordinaire". Bref, un génie que Bob Garcia nous propose de connaître un peu mieux.

    Bob Garcia, Franquin, les Secrets d’une œuvre, éd. du Rocher, 2024, 352 p.
    https://www.editionsdurocher.fr/product/130734/franquin---les-secrets-d-une-uvre/
    https://www.facebook.com/bobgarciaauteur/?locale=fr_FR
    http://www.franquin.com

    Voir aussi : "Aux sources d’Hergé"

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  • La Longue Marche

    shun shuyun,chine,longue marche,essai,confrérie1934-1936 : harcelés par les troupes nationalistes de Tchang Kaichek, les quelque 200 000 communistes chinois quittent leur implantation au sud de la Chine pour rejoindre à pied le nord, soit environ 15 000 kilomètres harassants. Seuls quelques milliers parviendront au bout, au terme d’une épopée que le parti communiste chinois, après coup, traduira en épopée légendaire et en élément de propagande à sa gloire.

    La journaliste anglaise d’origine chinoise Sun Shuyun a choisi il y a peu de refaire le même chemin que la jeune Armée Rouge chinoise et surtout d’interroger les derniers témoins de cette Longue Marche. Elle est partie à la rencontre de ces anonymes pour connaître la réalité de cet événement fondateur de la République Populaire de Chine.

    Ce qu’elle découvre bouleverse ses connaissances et nos connaissances de cette Longue Marche. Finalement, dit-elle, ce périple est d’abord l’échec cuisant de l’installation des communistes dans la région du Jiangxi, échec tel que Mao, responsable de cette politique désastreuse, est mis au ban du parti communiste. Sun Shuyun découvre aussi des réalités que la Chine actuelle a du mal à admettre : les difficultés inimaginables durant ce voyage (la traversée du Tibet reste pour tous l'un des pires souvenirs), les désertions massives, les purges à grande échelle, les viols de masse, les événements grossis voire inventés, d’autres oubliés car trop gênants pour les futurs responsables de la République Populaire.

    La fin de cette Longue Marche se termine par un coup de théâtre qu’aucun auteur n’aurait été capable d’inventer. Mao ne sort pas indemne de ce brillant essai, écrit comme un récit d’aventures : il apparaît comme un homme politique inspiré ne doutant (presque) jamais, un idéologue aveugle mais aussi un piètre stratège militaire et un despote violent – ce qui n’étonnera personne ! Un livre passionnant qui donne quelques sérieux coups de canifs à la propagande communiste chinoise mais qui est aussi un très intéressant voyage dans la Chine d’aujourd’hui.

    Sun Shuyun, La Longue Marche, éd. JC Lattès, 360 p.
    http://confrerie2010.canalblog.com/archives/2011/04/29/21013050.html
    https://www.editions-jclattes.fr/livre/la-longue-marche-9782709627474

    Voir aussi : "Beautés volées"

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  • Exégèse tintinesque

    Le Temple du Soleil d’Hergé, la suite des Sept Boules de Cristal, fait l’objet d’un essai exégétique de Pierre Fresnault-Deruelle que les tintinophiles devraient découvrir avec le plus grand intérêt (Hergé et les Incas ou la malédiction déjouée, paru aux éditions 1000 Sabords).

    Disons pour commencer qu’il faut, sinon avoir cet album de 1948 sous la main, du moins l’avoir (bien) lu pour apprécier la science de Pierre Fresnault-Deruelle, décortiquant cette aventure incroyable du jeune journaliste belge.

    Rappelons que nous sommes au lendemain de la seconde guerre mondiale, au sujet de laquelle il a été beaucoup reproché à Hergé son lourd silence. Le dessinateur avait d’ailleurs choisi pour cette nouvelle aventure d’entraîner Tintin, Milou et Haddock dans une pérégrination déconnectée de l’actualité guerrière des années 40, en mêlant mystique, archéologie, dépaysement, investigation (car le Professeur Tournesol a été enlevé dans l’album précédent) et réflexion sur le choc des civilisations, à travers un inattendu et immortel génie du mal, Rascar Capac.

    Pierre Fresnault-Deruelle entend montrer toute la science de la composition et du rythme d’Hergé

    L’essai Hergé et les Incas propose une étude case par case et planche par planche, décrivant en détail les choix scénaristiques et visuels du génie belge, depuis un commissariat de police péruvien jusqu’à l’hôpital où sont soignés les sept savants atteints d’un mal mystérieux – la malédiction de Rascar Capac.

    Allant au-delà de la simple description, Pierre Fresnault-Deruelle entend montrer toute la science de la composition et du rythme d’Hergé. Une simple case montrant Tintin s’agripper à une chaîne donne l’occasion à l’auteur de s’arrêter sur la mise en scène pleine de sens, mais aussi de parler des références d’Hergé, en l’occurrence, pour cet exemple, l’illustrateur Jules Férat pour une édition ancienne de L’Île mystérieuse de Jules Verne.

    L’essai tintinesque est d’ailleurs riche de sources pouvant expliquer le travail d’Hergé : gravures du XIXe siècle, affiches publicitaires de l’entre-deux-guerres, coupures de presse du début du XXe siècle, peintures (l’étonnant portrait de l’empereur inca Tupac Yupanqui ou celle, plus célèbre, de William Blake, Caïn fuyant la colère de Dieu) ou d’autres bandes dessinées, à commencer par le Zig et Puce d’Alain Saint-Ogan.

    Pour illustrer cette exégèse, pas de reprises de planches ou de vignettes en raison des droits d'auteur de l'œuvre d'Hergé, mais des visuels antérieurs à l'œuvre d'Hergé ou au contraire contemporaines, ce qui donne paradoxalement à cet ouvrage un charme particulier.

    Pierre Fresnault-Deruelle, Hergé et les Incas ou la malédiction déjouée,
    éd. 1000 Sabords, 2023, 170 p.

    https://www.editions-1000-sabords.fr
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Fresnault-Deruelle

    Voir aussi : "Dictionnaire amoureux de Tournesol"

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