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  • David Linx, trouble-fait 

    Virtuose et incandescent : voilà les premiers mots qui viennent à l’écoute du dernier album de David Linx, Skin In The Game. 40 ans de carrière et toujours la flamme chez le jazzman, l’inventeur du "chanteur de jazz européen", qui a brûlé les planches à 14 ans seulement.

    L’artiste bruxellois, et parisien d’adoption, a le sens du lyrique ("Azadi"), aidé en cela par la formation qui l’accompagne, et en premier lieu Grégory Privat au piano.

    Avec "Here I Can See", nous sommes dans un jazz à la Michel Legrand, coloré et vivifiant – mais en anglais. Une vraie composition digne d’une comédie musicale de Jacques Demy. Classique et imparable. Les vagues pianistiques virtuoses et rythmées de Grégory Privat font là encore merveille.

    Pour "Changed In Every Day", Languissant et sensuel à force d’être mélancolique, David Linx propose un chant et un voyage astral et amoureux, bien loin de la photo âpre et sombre du jazzman sur la pochette de son album. De même, "Prophet Birds" peut s’écouter comme une incantation mystique, une prosopopée chantée avec justesse et une grande douceur, grâce à sa voix riche et étendue.

    Une des plus belles voix de la scène jazz

    Dans un tout autre univers, pour "Skin In The Game", qui donne le titre à l’opus, le jazz se pare de couleurs urbaines. David Linx chante en featuring avec Marlon Moore pour ce, morceau plus sombre et comme déconstruit. "Night Wind" a cette même facture urbaine, comme si le jazz américain entrait de plein pied dans un futur mystérieux et fantasmagorique. Fantasmagorique, pour ne pas dire métaphysique, à l’exemple des titres lents et planants "On The Other Side Of Time" ou "To The End Of An Idea".

    Tout aussi américain, avec "Walkaway Dreams", nous sommes dans un jazz mêlant esprit new-yorkais et influences contemporaines européennes, avec un David Linx semblant énormément s’amuser.

    Dans un album à l’univers étendu, le chanteur belge sait jouer le "trouble-fait", à l’instar du bien-nommé "Troublemakers" : il s’agit d’un morceau inventif, caractéristique d’un chanteur ayant pour boussole sa voix, et que l’auditeur, même non-expert, identifiera vite. Et avec toujours ce piano virevoltant de Grégory Privat. 

    L’album se termine avec "A Fool’s Paradise", une ballade jazzy sucrée et lancinante, comme une jolie promenade avec un musicien à la fois lumineux et attachant, et qui est aussi une des plus belles voix de la scène jazz.

    David Linx, Skin in The Game, Cristal Records, 2020
    http://www.davidlinx-official.com
    https://www.facebook.com/DavidLinxOfficiel

    Voir aussi : "Un tour du jazz à la voile"

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  • Un problème avec le frigo

    Le Mr Wolf dont il est question dans cette chronique de L’‎Œil du frigo est un étrange personnage : autiste, comptable, génie en mathématiques et criminel. un expert-comptable dans le civil qui est en réalité à la solde de la mafia. Mr Wolf est tombé dans l'oubli. Notre chroniqueur frigoristique propose de le découvrir à  travers un certain frigo.

    Alors voilà un film compliqué, avec l'excellent Ben Affleck. L'intérêt du frigo est forcément d'y voir plus clair. Et c'est d'ailleurs ce qui se produit. Un homme ouvre la porte et la lumière éclaire la pièce. Nous avons vu à quel point le frigo est bien achalandé.   Il est correctement rangé et le protagoniste y range tranquillement sa bouteille de lait. 

    Le lait blanc, pure, est le fil rouge de sa vie. Il range la bouteille et la lumière éclaire son destin : un homme et son verre de lait qui adore la tarte au citron meringuée ( je dois vous avouer aujourd'hui que je dois tout à la tarte au citron meringuée : grâce à elle, j'ai pu réviser mon bac en regardant les bateaux passer... Bon, on s'égare, mais chacun sa madeleine) va passer un deal avec lui. Un truc horrible, vous vous imaginez bien. Le frigo tient ce rôle de révélateur. Finalement, peu importe que votre vie soit bien remplie, bien achalandée, bien rangée : ce qui compte c'est où vous rangez votre lait... Bref, quel choix allez vous faire pour rester en vie ? Comment allez vous résoudre votre équation ? Et je pose cette question : la vie ne se résout-elle que par choix mathématique ? Ou finalement n'y a t il pas qu'une seule façon de résoudre une équation ? 

    J'aime beaucoup cette trouvaille qui apporte un léger éclaircissement, dans un film où les mathématiques sont toujours présentes dans le scénario. Car le héros est un mathématicien de génie et qui a le syndrome d'Asperger de surcroît.  Je mettrais bien une petite phrase sur les mathématiques et le côté autistique de leur mécanisme, mais le film s'en charge pour moi, présentant tous les grands mathématiciens autistes dont le héros se sert comme prête-nom. Une façon de rester entre collègues. Le scénario est fait comme une équation avec x inconnues et donc x rebondissements, car quand on est bon mathématicien ce ne sont pas quelques paramètres inconnus qui nous arrêtent. En matière de film, cela donne des rebondissements, et en matière de spectateur cela donne : "Ouvrez le frigo, que j'y vois plus clair !"

    Mais j'ai compris une chose en voyant ce film : si on a des problèmes insolubles  si si ça existe) rien ne sert de prendre des cours de maths. Levez-vous la nuit, n'allumez pas, ouvrez votre frigo, laissez la porte ouverte, servez-vous un verre de lait avec une tarte au citron meringuée. Vous sentirez la liberté vous transpercer, les équations se résoudre... "L'essence des mathématiques, c'est la liberté" disait Edouard Herriot.

    A voir évidemment.

    ODF

    Mr Wolf, thriller de Gavin O'Connor
    avec Ben Affleck, Anna Kendrick et J. K. Simmons,
    2016, 128 mn

    Voir aussi : "L’‎Œil du Frigo débarque sur Bla Bla Blog"
    "Mr Wolf Frigo"
     

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  • Complètement baba de bulles

    On entre dans l’anthologie de Thomas Mourier consacrée à la bande dessinée (Anthologie du 9ème art, éd. Bubble) avec un mélange d’excitation et de curiosité.

    Pensez : 150 auteur.e.s et œuvres (50 Européennes, 50 américaines et 50 japonaises) présentés de manière synthétique, avec des planches, des couvertures – du moins lorsque les ayant-droits l’ont autorisé – et un lexique en fin d’ouvrage. Pour faire très vite, quatre pays trustent la quasi totalité des œuvres et sagas présentées : la France, la Belgique, les États-Unis et le Japon.

    Pour les 3 grosses parties – BD européenne, comics américains et mangas nippons – l’auteur adopte grosso modo le même découpage non chronologique : les classiques, les grands maîtres, "les pépites méconnues" et enfin les auteurs à suivre. Dans la section consacrée aux comics, une place prépondérante est donnée aux figures de super-héros.

    Disons-le tout de suite : la BD semble un terrain connu et archi rabattu et on se dit dès les premières pages que nous sommes en terres connues : Tintin, Astérix, Gaston Lagaffe, Lucky Lucke et leurs auteurs Hergé, Franquin ou Morris. Que du grand classique et un art de synthétiser des sagas exceptionnelles en deux pages dont une consacrée aux planches ou aux couvertures.

    Mais la surprise vient à partir de la 30e page, lorsque Thomas Mourier prend des chemins moins banalisés, mais passionnants. Grâce à un gros travail de documentation, l’anthologie se fait moins encyclopédique que défricheuse de livres et d’auteurs français ou étrangers, depuis la naissance de la BD (Little Nemo, Krazy Kat ou Tintin) jusqu’à des publications récentes (Pucelle de Florence Dupré la Tour, sortie cette année).

    Véritable "compagnon de route" pour tout lecteur passionné de bande dessinées ou désireux de parfaire sa culture générale, Thomas Mourier fait plus que synthétiser les personnages et sagas présentées : il propose des œuvres incontournables, en suggérant, par exemple, pour les aventures du journaliste à la houppette, de lire ces deux ouvrages majeurs que sont Le Lotus bleu et Tintin au Tibet.

    À côté d’Astérix, la saga française la plus vendue, Spirou, Lucky Lucke ("Morris sera l’un des auteurs les plus innovants dans un contexte encore très standardisé"), le chroniqueur consacre des chapitres à l’absurde Achille Talon ("une œuvre qui ne ressemble à aucune autre"), Thorgal ou Corto Maltese ("le dessinateur joue sur ce subtil mélange d’invention et de documentation dans un cadre très réaliste"). Avec toujours les conseils de l'auteur pour entrer dans telle ou telle oeuvre. 

    La BD européenne frappe par son éclectisme

    La BD européenne frappe par son éclectisme, avec des livres s’ouvrant à des genres bien différents : l’humour bien entendu (Spirou, Gaston Lagaffe ou  Les Dingodossiers), mais aussi la fantasy (Thorgal), l’aventure (Hugo Pratt), le western (Blueberry), la SF (L’Incal d’Alejandro Jodorowsky et Moebius ou Barbarella), le conte (Les Cités Obscures de François Schuiten et Benoît Peeters ou Peter Pan de Régis Loisel), le polar (XIII ou l’étonnant Blacksad de Juan Díaz Canales et Juanjo Guarnido), sans oublier le manga "à la française" (Lastman créé par Bastien Vivès, Balak et Michaël Sanlaville). Plus qu’une encyclopédie historique, l’anthologie de  Thomas Mourier puise aussi du côté des nouvelles pépites de la BD, à l’exemple de L'Ascension du Haut Mal de David B. (1996) : "On ne peut que vous conseiller la plupart de ses albums, qui ne ressemblent à aucun autre en bande dessinée, mais qui fraternisent avec les livres de Marcel Schwob, J.L. Borges et Antoine Galland".

    La section américaine, consacrée aux comics, propose une large place aux super-héros : Superman, Batman, Captain America ("Le premier héros de l’écurie Marvel"), The Flash, Wonder Woman, Les Quatre Fantastiques, Spider-Man ("aussi paumé que n’importe quel ado"), Hulk ou Thor. L’histoire des comics est bien entendu marquée par la lutte des géants du divertissement DC Comics et Marvel. L’auteur se veut un guide lisible pour faire découvrir les super-héros américains, et leurs auteurs, véritables stakhanovistes du genre : Stan Lee, Jack Kirby, Steve Ditko, Don Heck ou Bill Everett.

    Hormis les figures plus contemporaines de superhéros que sont Daredevil, Captain Marvel, Thanos ("Ce méchant cosmique est l’un des plus crédibles et réussis de l’univers Marvel") ou Watchmen ("C’est l’œuvre qui a le plus marqué l’univers et l’industrie des super-héros"), ressortent quelques personnages emblématiques : Sandman ("la série la plus littéraire de la bande dessinée"), Alias ("En seulement 28 épisodes Brian Michael Bendis et Michael Gaydos ont créé une super-héroïne tellement badass qu’elle se retrouve au premier rang des héroïnes les plus iconiques du moment") ou Walking Dead.

    Un chapitre est fort heureusement consacré aux romans graphiques indépendants, à commencer par la saga balzacienne sur 40 ans de Love and Rockets de Jaime, Gilbert et Mario Hernandez (une "série-monde" où "tous les genres sont convoqués par les auteurs, du soap à la science-fiction, du polar à l’horreur en passant par la comédie à l’eau de rose…"). A noter aussi, plus surprenant dans une telle section, La Jeunesse de Picsou de Don Rosa. Il faut également citer le brillantissime Tamara Drew de Posy Simmonds ou encore Mon Ami Dahmer de Derf Backderf, "l’album le plus dérangeant de ce guide, l’autobiographie romancée d’un ami d’enfance du « cannibale de Milwaukee », le tueur en série qui a terrorisé l’Amérique".

    Le comic-strip n’est pas oublié, avec le légendaire cycle Little Nemo de Winsor McCay, Peanuts de Charles M. Schulz ou encore, moins connu mais considéré comme "assurément l’un des auteurs les plus inventifs et drôles du moment", Tom Gauld et sa compilation Vous êtes tous jaloux de mon jetpack".

    Seinens et joseis

    La dernière section consacrée aux mangas japonais réussit la difficile mission de synthétiser un art à la fois pluriel et abondant (Sabu & Ichi de Shōtarō Ishinomori : "Shōtarō Ishinomori figure dans le Guinness Book avec ses 128 000 pages de manga"). Il y a bien sûr les emblématiques super-héros nippons, les Super Sentai (Dragon Ball, One Piece d’Eiichirō Oda, "la série de tous les records" avec ses 90 tomes). Seulement, à la différence du comics américain, les mangakas renouvellent sans cesse leurs sagas au long cours (30 volumes par exemple pour Yona : Princesse de l'Aube de Mizuho Kusanagi). 

    L’anthologie distingue seinens ("le manga pour jeune homme") et joseis ("le manga pour jeune femme"), des genres bien catégorisés qui cachent des influences et des thématiques très larges. Les auteurs puisent largement du côté de la mythologie (NonNonBâ de Shigeru Mizuki, "Figure incontournable du fantastique, de l’horreur et de la mythologie nippone"), de la critique sociale (GTO de Tōru Fujisawa), du polar (City Hunter de Tsukasa Hōjō),  de l’espionnage (Golgo 13), de la fantasy (L’attaque des Titans de Hajime Isayama), ou du conte (The Ancient Magus Bride de Koré Yamazaki, "une version moderne de La Belle et la Bête, selon les termes de l’autrice"). 

    Outre des récits intimistes, des réflexions sur le féminisme et sur le genre (Bonne Nuit Punpun d’Inio Asano), voire de l’érotisme (Le Monstre au Teint de Rose de Suehiro Maruo, "un petit voyage fascinant dans ces imaginaires macabres, portés par la beauté intemporelle des images."), le manga parvient à aller sur des chemins encore plus étonnants : l’uchronie (Le Pavillon des Hommes de Fumi Yoshinaga), la fiction historique et documentaires (le bouleversant Gen d’Hiroshima de Keiji Nakazawa) ou la dark fantasy (Berserk de Kentaro Miura, "le titre le plus noir & le plus violent de ce guide. Depuis presque 30 ans, Berserk traumatise et fascine des générations de lecteurs").

    Des auteurs ressortent du lot, à commencer par  Osamu Tezuka, le "dieu du manga", dont, selon l'auteur, "il faut TOUT lire, lui qui a installé le manga moderne et en a exploré tous les genres." Le lecteur français sera plus sensible à Riyoko Ikeda et à La Rose de Versailles, connu dans nos contrées pour son adaptation Lady Oscar. Il faut aussi citer Sailor Moon de Naoko Takeuchi, un grand classique, même s’il a un peu vieilli, Nana d’Ai Yazawa, l’une des séries les plus vendues de l’histoire, ou à Jirō Taniguchi (Quartier Lointain), le plus européen des mangakas.

    Une preuve supplémentaire que le manga n’est pas ce divertissement populaire aux personnages et aux situations stéréotypées ? Il n’y a qu’à citer Une Vie dans les marges de Yoshihiro Tatsumi, "un des fondateurs du manga d’auteur et un instigateur du « gekiga », une forme nouvelle de fiction ancrée dans le quotidien" ou encore L’Homme sans Talent de Yoshiharu Tsuge, le maître du  "watakushi manga" ("le manga du moi"). Évoquons aussi le classique L’École emportée de Kazuo Umezu, "matrice du manga d’horreur moderne et du récit survivaliste".

    Comme pour la BD européenne, Thomas Mourier propose des auteurs et des œuvres à suivre, et parmi ceux-ci Blue de Kiriko Nananan (Une frontière floue entre fiction et non-fiction"), le splendide Bride Stories de Kaoru Mori ("À travers les yeux d’Amir, on découvre la vie des peuples nomades des grandes steppes, encore coupés du monde à l’heure de la révolution industrielle") ou encore Chiisakobe de Minetarō Mochizuki : "Désormais plus proche de la ligne claire européenne que du manga de ses débuts, le trait de Mochizuki vibre sous cette apparente froideur. Très stylisé et aérien, le dessin s’attache à montrer les émotions par des moyens détournés."

    Fans de BD et curieux désireux de parfaire votre culture générale, cette anthologie mérite largement de figurer parmi vos futurs cadeaux de Noël, si jamais vous êtes encore en panne d’idées.   

    Thomas Mourier, Anthologie du 9ème art, Bubble éditions, 2020 
    https://www.appbubble.com
    https://www.facebook.com/AppBubbleBD
    https://www.facebook.com/thomasm.bd

    Voir aussi : "Aimez-vous Tamara Drewe ?"
    "Gen d'Hiroshima, gens d'Hiroshima"

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  • Consolation

    De sa voix à la Enzo Enzo, Carole Masseport propose, avec son dernier single On se remet de tout, la plus belle des consolations. Le clip a été réalisé par Michaël Terraz.

    La musicienne chante les petites et les grandes blessures de la vie : "On dit qu’on se remet de tout / Jusqu’à ce que l’on ne s’en remet plus / On dit qu’il faut se mettre  à genoux pour aimer tout ce qu’on a perdu".

    Passer à côté de tout, échouer, essayer de comprendre, n’attendre rien de personne, pardonner au risque de ne pas se respecter : de ces faux-pas et échecs, Carole Masseport en fait des incidents de parcours que chacun peut dépasser, avec optimisme : "On dit que la vie n’est qu’un jeu / Que nul part ce sera mieux / Qu’on verra quand on sera vieux / A quoi bon être malheureux."

    On se remet de tout est le premier extrait de son nouvel album qui sort en mars, et sur lequel on croise JP Nataf, Albin de la Simone ou Jean-Jacques Nyssen.

    Carole Masseport, On se remet de tout, 2020
    https://www.carolemasseport.fr
    https://www.facebook.com/carolemasseportmusic

    Voir aussi : "Je ne suis pas un héros"

    Photo : Carole Masseport

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  • Un tour du jazz à la voile

    A Love Secret, que Mazeto Square ressort en DVD, peut se se regarder comme le film testament du jazzman Siegfried Kessler. Lorsqu’en 2002 Christine Baudillon a choisi de le suivre et de le filmer sur son bateau, elle ne s’attendait certainement pas à ce que le musicien décède 5 ans plus tard en mer, au large de La Grande-Motte.

    Grâce à des moyens réduits – la réalisatrice a filmé « Siggy » grâce à une petite caméra DV – on entre dans l’univers d’un artiste hors-norme, finalement autant marin que musicien. De son accent inimitable, avec un bagout et un humour confondants, Siegfried Kessler se confie sur son art, sur le jazz, sur son mode de vie, sur sa santé inébranlable malgré le tabac et sur sa consommation immodérée d’alcool, mais aussi sur la passion pour la mer et son Maïca.

    "La musique est un  langage", dit-il lors d’un de ses échanges, et cette musique ne se limite pas au jazz dont il a été une figure importante. Le film commence d’ailleurs par la Chacone de Bach, avant que ne résonnent tour à tour un morceau contemporain, des rythmes africains et, bien entendu, des titres jazz de lui-même ("Phenobarbital", "A Love Secret") ou de ses confrères, Ned Washington, Victor Young ou Thelonious Monk. Respecté par ses pairs, le pianiste né à Sarrebruck parle aussi de ses pianistes fétiches :  Thelonious Monk, Cedar Walton ou Walter Bishop.

    "La musique, il faut que ça voyage"

    C’est Archie Shepp qui est le plus longuement évoqué, précisément à la fin du film, avec des souvenirs et l’extrait d’un concert en duo au JAM de Montpellier ("Le matin des noirs"). Le marin Siegfried Kessler devient pianiste, au style alternant âpreté, délicatesse et poésie.

    "La musique, il faut que ça voyage", dit encore le jazzman, de son phrasé qui n’est pas sans rappeler celui de Karl Lagerfeld. Tout en évoquant Beethoven, Poulenc, Wilhelm Kempff ou le groupe Art Blakey and The Jazz Messengers, c’est bien d’une métaphore sur la mer dont il est question.

    Car, grand voyageur autant que musicien, Siegfried « Siggy » Kessler confie qu’il se sent d’abord comme un "loup de mer" faisant "parfois" de "bons concerts". La réalisatrice l’a suivi pendant un an, de La Grande-Motte au Frioul, en passant par l’Île de Planier.

    Le titre du documentaire de Christine Baudillon parle d’un secret amoureux. Il ne s’agit pas de jazz ni de musique mais de bateau et de voyages, précisément du port d’attache de Kessler dans le Frioul. "Je suis très heureux d’être en contact avec mon amour secret" confie-t-il à la réalisatrice. Et l’on voit l’homme à la proue de son Maïca, jouant au clavier, onirique et mystérieux, devant une crique rocheuse et désertique qui est son seule public. Le titre de ce morceau ? "A Love Secret", bien entendu.

    Siegfried Kessler, A Love Secret, documentaire de Christine Baudillon,
    Mazeto Square, DVD, 2004, 2020, 56 mn

    https://www.mazeto-square.com/product-page/siegried-kessler-a-love-secret-dvd
    https://www.facebook.com/MazetoSquare

    Voir aussi : "Éric Legnini et ses amis"

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  • Du talent à mort !

    Le monde du cinéma est familier à Sylvain Gillet, comme il le montrait dans son précédent roman Ludivine comme Édith. Le comédien, réalisateur, scénariste et maintenant écrivain, le prouve une fois de plus avec son dernier opus Commedia Nostra (éd. Ramsay).

    Après l’histoire d’une jeune comédienne pleine d’espoir mais massacrée et détruite en plein vol, voilà celle d’un comédien raté, sûr de son talent mais sur une voie de garage depuis des décennies jusqu'au jour où on lui propose un rôle des plus dangereux.

    Il s’appelle Antoine Aria, véritable portrait craché du fameux comédien d’Aznavour aux "succès faciles", aux "filles à soldats" , aux "petits meublés" et aux "maigres repas". Au moment où commence le récit de  Sylvain Gillet, Antoine a même réussi à foirer une publicité pour des légumes en conserve, si bien que son agent Max Malakian décide de mettre fin à leur collaboration infructueuse : "Vingt ans d’une relation que l’honnête intermédiaire ne voit plus que comme une longue galère faite d’engueulades et de déceptions…"

    Le calice déborde, et le monsieur "75 %" entend bien se concentrer sur un autre artiste, Clarence Charvel, un prénom qui fleure bon le théâtreux british période fifties. Pas un jeune premier, ça non, mais un concurrent qui fait de l’ombre à Aria depuis trop longtemps : "Antoine et lui se connaissent depuis des lustres [et] depuis le début ces deux Cro-Magnon du théâtre français se détestent".

    Or, le soir où Max Malakian se décide à congédier Aria, un homme d’affaires, François de Marziol, propose à l’agent un marché qu’il ne peut pas refuser : demander à l’un de ses comédiens de jouer le rôle de son père, un ancien mafioso décédé quelques années plus tôt.

    Max pense aussitôt à Antoine pour se grimer en Pepe di Marzio, mais ce n'est ni pour la gloriole, ni pour un public à conquérir, et encore moins pour un hypothétique Molière. Notre homme devra reprendre l’identité de ce minable malfrat italien obligé de quitter son village de Megalla cinquante ans plus tôt, la queue entre les jambes, à cause d’un braquage foiré dans toutes les largesses, mais aussi des beaux yeux de la fiancée de son propre frère Maurizio. Les Caïn et Abel italiens sont restés fâchés à mort mais l’heure de la réconciliation doit avoir lieu, sous la bénédiction de moines près de la frontière franco-italienne. 

    Sylvain Gillet fait de l’écriture et du langage à la Michel Audiard une vraie arme à double-détente

    Le "vrai" Pepe mort, c'est notre Louis Jouvet de pacotille qui doit jouer l'aîné des di Marzio et rencontrer après 50 ans le petit dernier, en faisant illusion. Un acte de contrition sincère et désintéressé ? Pas du tout : un coffret hors de prix - qui a été la cause de la débandade - est en jeu. Antoine Aria se lance dans ce qu’il considère comme son plus grand rôle, mais aussi le plus dangereux. En endossant le rôle d’un vieux maffioso, il lui faudra tous les talents du monde pour déjouer les pièges de cette pièce plus vraie que nature, et qui ne va évidemment pas se passer comme prévu. 

    Avec Commedia Nostra, l’enquête policière de  Ludivine comme Édith a laissé place à un polar à la fois sombre, sanglant, cynique et bourré d’humour noir. Sylvain Gillet fonce à toute berzingue sur la trace de comédiens minables mais sûrs de leur talent, de surcroît largement ratiboisés par un agent, pas plus au fait qu'eux des us et coutumes de la corporation mafieuse. En croisant des criminels en col blanc, Max et Antoine sont au cœur d'un vrai choc des cultures, avec gros calibres en option.

    Voilà donc la smala reconstituée : le vieux Maurizio parti se mettre au vert aux States, le faux Pepe,  François, propre sur lui et fils du mafioso qui a mangé les pissenlits par la racine, la sémillante cousine Jenny Mc Marthiaw, Max devenu l’obscur conseiller personnel, sans oublier les hommes de main, à commencer par Miguel "Dernière Image" Ibanez, une sorte de Joe Pesci ibère.

    Dans cette intrigue ayant plus à voir avec du Tarantino qu’avec Le Parrain, Sylvain Gillet fait de l’écriture et du langage à la Michel Audiard une vraie arme à double-détente où l’humour noir est le seul gagnant.

    L’auteur a indéniablement le sens de la formule, y compris lorsqu’il pastiche Flaubert à bon escient ("C’était à Megalla, faux bourg en partage, dans les bassins d’Icare"). Sylvain Gillet donne tout son sel au polar, à l’instar de cette présentation des retrouvailles entre les deux vieux frères :"Avant tout rapprochement, il y a des coutumes à respecter. Certes, l’on pourra objecter que dans l’enfilade aussi, il y a des traditions : lubrification, présentation à la famille et limage des ongles ne sont que quelques exemples d’une bonne pratique sodomite à la fois courtoise et altruiste."  

    Voilà qui a le mérite d'être dit et bien dit. Car Sylvain Gillet a du talent, lui.

    Sylvain Gillet, Commedia Nostra, éd. Ramsay, 2020, 308 p.
    https://sylvain-gillet.fr
    https://www.facebook.com/sylvain.gillet.372
    https://ramsay.fr/dd-product/commedia-nostra

    Voir aussi : "Les actrices rêvent et se couchent tard la nuit"

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  • Je ne suis pas un héros 

    Fanelly débarque avec son dernier morceau,  It's Gonna Make A Little Difference. La musicienne, née en Italie dans les Pouilles et parisienne d’adoption, propose un titre sombre dans le propos et lumineux dans la forme.

    It's Gonna Make A Little Difference a été écrit peu de temps après les attentats de Paris de novembre 2015. Fanelly parle de cet événement comme un de ces moments qui nous transforme ("It’s gonna make a little difference / Happiness has another taste / I understand that life has to go on").

    Avec une voix délicate et intense, et servie par une orchestration acoustique ramassée (guitares, contrebasse et batterie), Fanelli chante la douleur, la désillusion ("It happens that we’ve not the same heroes") et la fadeur des pensées ordinaires et quotidiennes face à ces grands drames ("Daily thoughts then seem so far").

    La musique pop-folk et jazzy s’appuie sur un texte fait de ruptures et de suspensions, à la conclusion définitive : "You’re not my hero… you’re not my hero…"

    À noter que la chanteuse a enregistré également une très convaincante adaptation de Smooth Operator de Sade.

    La contrebassiste Sélène Saint Aimé, le guitariste Matthieu Barjolin et Davide Chiarelli à la batterie et aux percussions collaborent à la réalisation de son premier album Metro Stories prévu pour début 2021. 

    Fanelly, It's Gonna Make A Little Difference, 2020
    www.fanellymusic.com

    Voir aussi : "Vortexvortex, du côté de chez Harley Quinn"

    Photo : Fanelly

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  • Le trio Sōra vous souhaite un joyeux anniversaire, M. Beethoven

    Beethoven est célébré cette année, certes assez discrètement : nous fêtons en  effet ses 250 ans, précisément aujourd’hui (même si la biographie officielle hésite entre les dates du 15 ou 16 novembre 1750 pour la naissance du compositeur à Bonn). Cet anniversaire méritait bien une chronique.

    Et ça tombe bien : pour marquer l’événement, le Trio Sōra propose chez Naïve un premier album rassemblant 6 grands trios avec piano (les opus 1, 70 et 97) du maître allemand.

    Le Trio Sōra, ce sont trois musiciennes : Pauline Chenais au piano, Clémence de Forceville au violon et Angèle Legasa au violoncelle, dont l’entente autant que la subtilité et l’audace font merveille. Elles sont régulièrement invitées sur les plus grandes scènes mondiales (le Wigmore Hall de Londres, la Beethoven-Haus de Bonn, le Festival de Verbier, la Philharmonie de Paris, l’Auditorium du Louvre, la Folle Journée de Nantes ou encore le Festival d’Aix-en-Provence) et sont aidées par des instruments exceptionnels : Clémence de Forceville joue un violon Giovanni Battista Guadagnini de 1777 et Angèle Legasa, un violoncelle Giulio Cesare Gigli  de 1767. Ils ont été prêtés par la Fondation Boubo-Music.

    Avec ces Trios n°1, 2, 3, 5, 6 et 7, nous sommes dans des œuvres essentielles et capitales du répertoire de Beethoven, le premier trio, opus 1 (écrit entre 1793 et 1795) ouvrant même le catalogue du compositeur.

    Grand maître du classicisme, le compositeur s’affranchit de certaines libertés en imaginant un premier trio (opus 1 n° 1), long dans la forme et la structure, avec 4 mouvements, vif-lent-vif-vif. Une structure s'éloignant des canons traditionnels et a priori déséquilibrée, mais qui se joue des variations grâce à la subtilité des interprètes et leur indéniable osmose. À l’enthousiasme du mouvement Allegro répond la délicatesse romantique (nous pourrions même dire le romanesque) de l’Adagio cantabile, puis l’énergie communicative du troisième mouvement (Scherzo. Allegro assai). Il faut souligner la virtuosité et les arabesques proprement diaboliques de la dernière partie (Finale. Presto), influencées par les rythmes de danses traditionnelles, dont un mémorable menuet.

    Le 2e Trio, composé dans les mêmes dates (et catalogué opus 1 n° 2) comprend lui aussi quatre mouvements. Commençant sur la pointe des pieds, l’Adagio allegro vivace finit par se déployer avec audace, avant un Largo tout en retenue mais aussi en romantisme échevelé. Dans ce trio, Beethoven propose un 3e mouvement (Scherzo. Allegro assai) singulièrement plus bref (un peu plus de 3 minutes), mais d’une luminosité et d’une vivacité audacieuses.

    Même période de composition pour le 3e Trio, opus 1 no 3 : entre 1793 et 1795. Les musiciennes se lancent dans une interprétation soyeuse, solide, rythmée, nerveuse (Finale. Prestissimo) et aussi solide que l’airain. Ce trio brille de mille feux. Dans le mouvement Andante cantabile con variazione, nous sommes dans un mouvement d’une infinie délicatesse, à la manière d’une danse amoureuse, joueuse et sensuelle. Le 3e mouvement (Menuetto. Quasi allegro), relativement bref (3:22), est remarquable par sa série de variations et d’arabesques d’une incroyable subtilité et qui en fait l’un des joyaux de l’album.

    Un trio de musiciennes au diapason

    C’est sans doute dans le 5e Trio que l’osmose des trois musiciennes éclate le plus. Pour la petite histoire, Beethoven l’a composé sur le tard, après la création de le 5e et de la 6e Symphonie (la fameuse Pastorale). Dédiée à la comtesse Maria von Erdödy qui lui avait offert l’hospitalité, l’œuvre, opus 70 n°1, est appelée Trio des Esprits. Il règne dans ces trois – et non quatre – mouvements une atmosphère à la fois tourmentée, mystérieuse et sombre, à l’instar du premier mouvement Allegro vivace e con brio, d’où sans doute le surnom de l’œuvre. Le mouvement suivant sonne par moment comme une marche funèbre peuplée de fantômes (Largo assai ed espressivo), avant une dernière partie qui marque un retour à la vie. Le Trio Sōra prend en main le rythme presto avec gourmandise et même le sens de la fête.

    Tout comme son prédécesseur, le Trio avec piano n°6 opus 70 n° 2 est dédié à la comtesse Maria von Erdödy, et a bien sûr été écrit à la même période. Lyrique et virtuose dans son premier mouvement Poco Sostenuto Allegro Ma Non Troppo, il devient somptueux dans la partie suivante (Allegro), telle une danse langoureuse et envoûtante, ponctuée de passages mélancoliques, sinon sombres. Le 3e mouvement  Allegretto Ma Non Troppo, magnifique parenthèse enchantée tout autant que mystique, s’offre comme un des plus émouvants passages de l’album, avant le Finale et Allegro rugueux, expansif et d’une folle inventivité.

    Le disque se termine par le Trio avec piano n°7 en si bémol majeur, l’un des plus célèbres trios de Beethoven. Il est surnommé Trio à l'Archiduc en raison de sa dédicace à l'Archiduc Rodolphe d'Autriche, élève, ami du compositeur et accessoirement dernier fils de l’empereur Léopold II d'Autriche. C’est le plus tardif des trios, comme l’indique sa recension dans le catalogue (opus 97). Écrit en 1811, il s’intercale entre la 7e et la 8e symphonie. Il s’agit aussi du dernier morceau que le compositeur interprète en public, en raison d’une surdité de plus en plus sévère. C’est dire si ce dernier trio ne pouvait pas ne pas être présent sur l’enregistrement du Trio Sōra. Les musiciennes font merveille avec cet opus alliant virtuosité et puissance dans un Allegro Moderato singulièrement moderne. Une modernité éclatante dans les parenthèses sombres du 2e mouvement Scherzo allegro. Le 3e mouvement, Andante Cantabile Ma Però Con Moto, s’impose comme un des plus sombres et bouleversants qui soit. Nous sommes dans un passage à l’expressivité géniale, servie par un trio de musiciennes au diapason. Comment ne pouvaient-elles finir sinon par ce et dernier mouvement, Allegro Moderato Presto ? Un dessert léger, diront certains ; on préférera parler d’une conclusion faisant se succéder passages virevoltants, danses amoureuses, conversations badines et fuites au clair de lune, dans un mouvement sucré et rafraîchissant. 

    Joyeux anniversaire donc, M. Beethoven, un 250e anniversaire célébré avec classe par un des trios les plus en vue de la scène classique. 

    Ludwig van Beethoven, Trios, Trio Sōra, Naïve, 2020
    https://www.triosora.com

    © Astrid di Crollalanza

    Voir aussi : "Toutes les mêmes, tous les mêmes"

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