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romantisme

  • Winter is coming

    C’est à un grand classique de la musique romantique que propose l’ensemble Miroirs Étendus. Le Voyage d’Hiver de Franz Schubert est proposé dans une version publique, enregistrée le 30 juillet 2023 à la Ferme de Villefavard dans le Limousin, avec Victoire Bunel (mezzo-soprano), Jean-Christophe Lanièce (baryton) et Romain Louveau au piano et à la direction. C’est en effet une interprétation à deux voix – masculine et féminine – qui est proposée ici, à rebours de versions solos et masculines plus classiques (celles de Dietrich Fischer-Dieskau en premier lieu), mais qui renoue ici avec une tradition plus ancienne comme le souligne Romain Louveau.

    Les amoureux des lieder se raviront à l’écoute de ce voyage hivernal, dans lequel la nature, les saisons, le temps ou les intempéries font écho aux sentiments, à la mélancolie, à l’amour disparu et à la mort omniprésente. C’est l’âme du premier lied, Gute Nacht", interprété brillamment par la mezzo-soprano Victoire Bunel.

    Ce Voyage d’Hiver, romantique et sombre, ne fait pas l’impasse sur les airs naturalistes, à l’image de cette girouette, dans le bref "Die Wetterfahne". C’est aussi ce village allemand (le délicieux "Im Dorfe"), un orage cinglant au petit matin (le bref lied "Der stürmische Morgen"), une corneille ("Die Krähe", cet "oiseau du malheur") ou bien ce tilleul aussi rassurant qu’un vieux sage ("Der Lindenbaum"). Un naturalisme qui ne laisse toutefois jamais longtemps de côté les affres de la douleur que Wilhem Müller, auteur des paroles, décrit avec une écriture concise qui n’en est pas moins poétique : "Des larmes gelées glissent de mes joues / Et je ne me rappelle pas avoir pleuré. / Ai-je pleuré ?" ("Gefror’ne Tranën", traduction d'Antoine Thiollier).  

    Voyage réel, voyage mélancolique, voyage de souvenirs ou voyage métaphysique ? Un peu de tout cela à la fois. Cette œuvre s’écoute surtout comme une allégorie sur la mort inéluctable. La "Fixité" de Schubert ("Erstarrung") est l’impossibilité d’avancer dans la vie, que ce soit à cause de la neige ou à une douleur indépassable. "Mon cœur est mort" chante Victoire Bunet, prenant à bras le corps la musique de Schubert, impétueuse et tranchante, tel un vent glacial ne laissant aucun répit. Les "Inondations" ("Wasserflut") expriment ce flot de larmes, un flot ininterrompu que le poète voit ruisseler par les rues de la ville. Quant à l’amoureuse, elle est un fleuve impétueux, "aussi calme que la nuit", mais aussi insaisissable. Un cours d’eau mais aussi un arbre sur lequel l’amant grave le nom de son amour, tout comme la date et l’heure du premier baiser – comme de la séparation. A-t-on pu écouter déclaration plus romantique, qui parlera à toutes les générations ? La musique de Schubert se développe avec lenteur, grâce mais aussi gravité.

    Voyage réel, voyage mélancolique, voyage de souvenirs ou voyage de souvenirs ? 

    L’espoir et la joie viennent toutefois éclairer ce somptueux Voyage d’Hiver, à l’image de cette lettre attendue avec impatience par l’amoureux transit : le charmant "Die Post", interprété par le baryton Jean-Christophe Lanièce ("J’entends dans la rue le facteur / Pourquoi bas-tu si fort mon cœur ?"). L’heure de revoir la maison de l’être aimé est-il encore possible, interroge Schubert dans un lied bref et tourmenté ? "Je repense à ces jours heureux / Je veux encore une fois revivre ça / A nouveau sentir ce trouble / De me tenir paisible devant sa maison" ("Rückblick").

    Le temps est-il notre ennemi ? Celui qui nous vole des instants de bonheur perdus à jamais ? La voix grave de Jean-Christophe Lanièce semble y répondre par le positif dans le sombre et poignant "Der greisse Kopf". Le givre, la neige et le froid parlent du temps qui passe, de la jeunesse trop tôt partie mais aussi de la vieillesse devenant une réalité soudaine "malgré la longueur du chemin".

    L’artiste est "pensif" devant le constat d’un temps inexorable. Tel est le constat de Schubert dans "Letzte Hoffnung", "Dernier espoir"), un lied frappant par sa modernité (il a pourtant été composé, comme le reste de l’œuvre, en 1827). Pourquoi ne pas préférer le mirage qu’une invitation vaine ? ("Un malheureux comme moi sait qu’il y a toujours un rêve préférable à la nuit, au gel, au temps épouvantable : celui d’une maison, d’un coin de feu illuminé où nous attend une âme prête à l’amour" (le bouleversant "Täuschung"). Schubert a composé une œuvre à la charge émotionnelle puissante qui dit la solitude et la fuite des autres hommes. Une fuite au bout de laquelle il n’y aura qu’une seule issue, chante Jean-Christophe Lanièce.

    Le voyage, en plein hiver donc, conduit le poète vers une auberge ("Das Witershaus"). Un bref repos est-il possible ? Même pas, car l’auberge est pleine et le voyageur malheureux doit passer son chemin, avec pour seul compagnon un bâton de marche. Du courage, il en faut pour ce périple au milieu de la neige et de la glace (le vaillant "Mut !) car le danger est là, comme le chante Victoire Bunel au sujet de feux follets capables de perdre l’arpenteur ("Irrlicht") et de le conduire vers le repos éternel (le sombre et épuré "Rast").    

    L’auditeur sera sans doute frappé par cet éclat lumineux proposé par le lied bien nommé "Die Nebensonnen" ("Soleils parallèles"). Jean-Christophe Lanièce l’interprète telle une prière déchirante ("J’avais trois soleils à moi / Les deux meilleurs se sont couchés déjà / Toi, le troisième, s’il te plaît, disparais !"). Une autre éclaircie vient de ce délicat "Rêve de printemps" (Frühlingstraum"), l’un des rares lieder proposant au voyageur et poète des visions idylliques ("Il y avait des fleurs partout en couleurs, c’était le mois de mai, les prairies étaient vertes, les oiseaux chantaient fort").

    Le Voyage d'hiver se termine avec le mystérieux et métaphysique joueur de vielle ("Der Leierman"), personnification d’une mort inéluctable, avec pour compagne la musique. Bien entendu.   

    Franz Schubert, Voyage d’hiver,  Miroirs Étendus,  b•records, 2024
    https://www.b-records.fr
    https://www.miroirsetendus.com/un-voyage-d-hiver-2021

    Voir aussi : "En image, en musique et en public"

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  • La jeunesse au pouvoir

    C’est un Voyage à Paris que je vous propose. Enfin, quand je vous dis "Je vous propose", disons plutôt que ce périple est musical, puisqu’il s’agit de la captation d’un enregistrement public à l’Académie Orsay-Royaumont en mai dernier, avec quatre jeunes artistes venant présenter un choix d’œuvres des XIXe et XXe siècle.

    Comme le titre de l’album l’indique, les compositeurs français sont à l’honneur, quoique pas intégralement. Francis Poulenc ouvre le bal avec cinq courtes chansons (mise à part "Sanglots", d’environ quatre minutes) de ses Banalités, avec la mezzo-soprano Brenda Poupard et la pianiste Anne-Louise Bourion. Nous sommes ici au cœur de la tradition classique française, avec un compositeur qui est un jalon essentiel entre le classique et le contemporain, et qui mérite d’être découvert ou redécouvert (on pense au délicieux et original "Fagnes de Wallonie"). Parmi les morceaux, figure le bref air "Voyage à Paris" qui donne son titre à l’opus. L’auditeur s’arrêtera sans doute avec intérêt sur le sombre "Sanglots". Francis Poulenc revient plus tard dans l’album avec un air de ses Chansons gaillardes, le délicieux "Sérénade", interprété cette fois par le baryton basse Adrien Fournaison et la pianiste Natallia Yeliseyeva. Le compositeur met en musique en 1925 les paroles d’un texte anonyme du XVIIe siècle : "Avec une si belle main, / Que servent tant de charmes, / Que vous tenez du dieu Malin, / Bien manier les armes. / Et quand cet Enfant est chagriné / Bien essuyer ses larmes".

    Brenda Poupard et Anne-Louise Bourion s’attaquent ensuite à un compositeur allemand, et pas le moindre. C’est Franz Liszt qui est mis à l’honneur, avec trois lieder au romantisme intact. S’enchaînent, avec élégance les airs "Lasst mich ruhen" (composé vers 1858), le lancinant "Über allen Gipfeln ist Ruh" (autour de 1849) et le plaintif "Gebet" (plus tardif, 1878 environ).

    Ce voyage parisien se poursuit avec Adrien Fournaison et Natallia Yeliseyeva s’attaquant – évidemment, serait-on tenté de préciser – au plus français et parisien sans doute des compositeurs français, Gabriel Fauré. La subtilité de l’auteur du Requiem est flagrante dans la chanson pleine de mélancolie "L’absente". Moins connu sans doute pour le grand public, Henri Duparc est mis à l’honneur dans le sombre et naturaliste "La vague et le clocher". Outre la "Sérénade" de Poulenc, le programme d’Adrien Fournaison et Natallia Yeliseyeva se poursuit avec un lieder du compositeur allemand du XIXe siècle Carl Loewe ("Elkönig"), assez typique du répertoire romantique, mais moins cependant que le "Harfenspieler I" de Franz Schubert. 

    Ambiance, ambiance

    C’est du reste ce dernier qui ouvre la section de la soprano Cyrielle Ndjiki Nya et la pianiste Kaoli Ono, avec deux autres lieder : "Der Zwerg" et "Totengräbers Heimwhle". L’auditeur gouttera la pureté de la voix de la soprano, naviguant dans les vagues pianistiques de Schubert avec un plaisir évident. Que l’on pense au lied "Der Zwerg", d’autant plus incontournable qu’il a été interprété par le passé notamment par Dietrich Fischer-Dieskau, Jessye Norman et, plus récemment, par Matthias Goerne. Déployant sa maîtrise, la soprano se montre puissante et sombre dans le "Totengräbers Heimwhle", le titre le plus long de l’album. On ne pourra qu’admirer la maîtrise et la technique du duo dans ce morceau plein de désespoir et d’appel à la paix définitive ("Ô destin / – Ô triste devoir – / Je n’en peux plus ! / Quand sonnerez-vous pour moi, / Ô heure de paix ?! / Ô mort ! Viens et ferme les yeux !"). Ambiance, ambiance.

    Au sombre romantisme vient succéder les Trois chansons de Bilitis de Debussy. Retour en France et à Paris, donc (L’homme est né à Saint-Germain-en-Laye et est mort dans le 16ᵉ arrondissement). L’auditeur gouttera avec délice ces airs impressionnistes portés par le piano plein de nuances de Kaoli Ono ("La flûte de pan") et l’étrange intimité ("La chevelure") qui sourd de ces chansons composées en 1897 d’après des textes originaux – et pseudo traductions du grec – de Pierre Louÿs : "Cette nuit, j’ai rêvé. J’avais ta chevelure autour de mon cou. J’avais tes cheveux comme un collier noir autour de ma nuque et sur ma poitrine". La modernité de Debussy est évidente dans "Le tombeau des naïades", mystérieux, inquiétant mais aussi sensuel : "Il me dit : « Les satyres sont morts. « Les satyres et les nymphes aussi. Depuis trente ans il n’a pas fait un hiver aussi terrible. La trace que tu vois est celle d’un bouc. Mais restons ici, où est leur tombeau »".  

    Le ténor Ted Black, accompagné du pianiste Dylan Perez viennent conclure ce programme de Voyage à Paris avec, de nouveau, Debussy. Ils choisissent deux chansons des Proses lyriques, écrites entre 1892 et 1893. C’est le lyrique et romantique "De rêve", déployant de longues et colorées vagues, et le non moins lyrique "De fleurs". Ces mélodies ont été spécialement transcrites pour ténor. La voix à la fois puissante et subtile de Ted Black fait merveille dans ces airs d’une grande complexité, autant que brillants d’une lumière évidente ("De fleurs").

    Le programme et l’album se terminent avec un compositeur de la première moitié du XXe siècle. Erich Wolfgang Korngold, né en Autriche, est parti aux États-Unis pendant la seconde guerre mondiale où il a vécu et travaillé. Surtout connu pour ses BO de films hollywoodiens (Les Aventures de Robin des Bois, Capitaine Blood, L'Aigle des mers). Les lieder proposés, "Mond, so gehst du wieder auf" et "Gefasster Abschied" témoignent d’un esprit romantique tardif, atypique – et daté – alors que l’Amérique et l’Europe sont en plein mouvement contemporain. Cela ne nous empêche pas de découvrir avec plaisir un compositeur oublié, grâce à de jeunes talents qui n’oublient pas d’où ils viennent. 

    Voyage à Paris, Orsay-Royaumont Live, b-records, 2023
    https://www.b-records.fr/voyage-a-paris
    https://www.instagram.com/_brenda_poupard_
    https://www.linkedin.com/in/mlle-bourion
    https://www.facebook.com/AdrienFournaisonBarytonBasse
    https://natallia-yeliseyeva.com
    https://www.cyriellendjikinya.com
    https://www.kaoliono.com
    https://www.tedblacktenor.com
    https://www.dylanjohnperez.com

    Voir aussi : "En image, en musique et en public"

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  • Les Schumann en majesté

    C’est un programme ambitieux et passionnant que propose le double album sobrement intitulé Collection Schumann, avec des œuvres pour violon de Robert Schumann et Clara Schumann. L’opus a été enregistrés en public à la salle Elie de Brignac-Arqana de Deauville entre avril et août 2022. La formation de chambre au cœur de cet opus est formée du violoniste Pierre Fouchenneret, du pianiste Théo Fouchenneret et de l’Orchestre Régional de Normandie placé sous la direction de Jean Deroyer pour la dernière œuvre, le Concerto pour violon et orchestre en ré mineur.

    Cette Schumann Collection est pour l’essentiel consacrée à de la musique de chambre. Commençons par parler de Robert Schumann et des ses trois Fantaisies pour violon et piano, classiques, élégantes et surtout des parfaits exemples de ce qu’il y a de mieux dans le romantisme. Légèreté n’est pas forcément mièvrerie, aurait-on envie d’écrire à l’écoute du "Lebhaf, leicht". Ces fantaisies ouvrent avec aplomb et enthousiasme le double album.

    L’auditeur retrouvera ensuite avec plaisir la Sonate pour violon et piano n°3 en la mineur. Quel tempérament pour cette œuvre aux multiples arabesques sonores (le premier mouvement, "Ziemlich langsam – Lebhaft"), et au romantisme irrésistible ! Pas de doute, nous sommes dans la grande période romantique de ce XIXe siècle (le délicieux "Scherzo""Intermezzo"), avec un compositeur usant de multiples couleurs pour rendre cette sonate d’une richesse et d’une expressivité incroyable.

    L’auditeur fondera sans doute sur les délicates et bouleversantes Romances pour violon et piano op. 94, servies par un ensemble au diapason servant à merveille ces pièces finement travaillées. Que l’on pense à la deuxième fantaisie, "Einfach, innig".

    La Sonate pour violon et piano n°1 en la mineur op. 105 présente la particularité d’avoir été peu aimée du compositeur allemand qui déclarait en 1853 : "La première sonate ne me plaisait pas, c'est pourquoi j'en ai fait une seconde, dont j'espère qu'elle sera meilleure". Une deuxième sonate qui figure bien entendu dans l’album. Mais revenons à cette première sonate. Sans doute moins lumineuse que ce qu’il aurait souhaité, le compositeur s’inscrit dans un  registre très automnal, avec une œuvre moins passionnée que tourmentée (le premier mouvement "Mit leidenschaftlichem ausdruck"). On goûtera avec plus de plaisir le deuxième mouvement allegretto, à la belle légèreté. On trouvera dans cette sonate mal-aimée du compositeur un étonnant et moderne "Lebhaft", singulier mouvement aussi harmonieux que luxuriant, presque festif.

    Toujours chez Robert Schumann, saluons la bonne idée d’avoir inclus dans cette collection la Rêverie, Träumerei, tirée des Scènes d’enfants op. 15, par un Robert Schumann proposant une pièce géniale, mettant à l’honneur l’enfance – ce qui est assez nouveau pour l’époque. Simplicité, délicatesse, fragilité : cette Rêverie va à l’essentiel, sans artifice ni sensiblerie. Vous l’avez deviné : cela en fait une œuvre majeure pour cet enregistrement.

    L’histoire du Concerto pour violon retiré du catalogue officiel de Schumann mériterait à elle seule une chronique entière

    Pour ouvrir la seconde partie de cette Collection Schumann, c’est Clara Schumann qui est mise à l’honneur avec ses Trois Romances pour violon op. 22 dans lequel l’auditeur découvrira ou redécouvrira le génie d’une femme – elle et Robert Schumann étaient amoureux et mariés – s’inscrivant à plein dans le mouvement romantique. La texture de ces Romances – évidemment, le terme n’est pas anodin – laisse deviner, en dépit de leur brièveté, l’univers d’une compositrice subtile, exceptionnelle et capable d’émouvoir, même un siècle plus tard. Que l’on pense au premier mouvement tout en champagne, "Andante molto" mais aussi au formidable "Allegretto".

    Nous en parlions : la Sonate pour violon et piano n°2 op. 121, vantée par un Robert Schumann très crique envers la sonate précédente, est incluse dans cette collection schumanienne. On remarquera que le compositeur se déploie avec bonheur, tout en prenant son temps, à l’instar du premier mouvement "Ziemlich langsam Lebhaft" – plus de 14 minutes quand même –, véritable univers dans l’univers. On peut tout aussi bien parler de paysage musical dans le deuxième mouvement, "Sehr lebhaft", enlevé et vivant. L’auditeur sera sans doute surpris par le mouvement suivant, "Leise, einfach", commençant par des pizzicati d’une belle expressivité – modernes, aurions-nous envie d’ajouter – avant de se déployer vers une jolie berceuse. Voilà qui donne une des plus beaux mouvements de ce double album. Le quatrième mouvement, "Bewegt", retrouve une vigueur nouvelle, grâce aux jeux enthousiastes des frères Fouchenneret.

    L’opus se termine avec un grand orchestre, celui de Normandie dirigé par Jean Deroyer, pour le Concerto pour violon et orchestre en ré mineur. Après la sobriété et l’intimité des sonates, fantaisies et autres romances, place à une œuvre majestueuse, dense et aux mille teintes, mais que le compositeur n’a jamais vu jouer de son vivant (il est mort en 1856, trois ans après l’écriture du concerto) et qui n’a été redécouverte qu’au milieu des années 30. L’histoire du Concerto pour violon, retiré du catalogue officiel de Schumann pendant des dizaines d'années, mériterait à elle seule une chronique entière, voire un film. L’œuvre se déploie avec majestuosité mais aussi noirceur (le premier mouvement, "In kräftigem, nicht zu schnellem Tempo"), avant un deuxième mouvement, le "Langsam", introspectif, méditatif, voire métaphysique. Le programme se termine avec le troisième mouvement du concerto ("Lebhaft, doch nicht schnell"), brillant et virevoltant.

    Les frères Fouchenneret prouvent par cette Collection Schumann leur  très grande complicité au service d’œuvres essentielles du répertoire romantique. 

    Schumann Collection : Œuvres pour violon /Violin Works, Pierre Fouchenneret (violon), Théo Fouchenneret (piano), Orchestre Régional de Normandie dirigé par Jean Deroyer, b.records, 2023
    https://www.b-records.fr
    https://pierrefouchenneret.com
    https://www.theofouchenneret.com
    https://www.orchestrenormandie.com

    Voir aussi : "Les paroles, la musique et le vieil homme"

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  • Amitié franco-allemande

    Un album classique a attiré mon attention : les deux sonates pour piano et violon de Richard Strauss et César Franck jouées par Brieuc Vourch au violon et Guillaume Vincent au piano, chez FARAO Classics.

    Il peut paraître étrange de rassembler dans un même album deux compositeurs du XIXe siècle a priori antagonistes : l’un allemand et l’autre français, dans une période marquée par des conflits meurtriers entre ces deux pays. Une objection qui peut facilement être retoquée par le pedigree des deux interprètes : Brieuc Vourch Guillaume Vincent, tous deux nés à Paris mais vivant et travaillant essentiellement de l’autre côté du Rhin, entendent mettre en musique cette amitié franco-allemande à travers ce très joli opus de musique de chambre.

    L’album de Brieuc Vourch et Guillaume Vincent commence par Strauss et une œuvre de jeunesse que le compositeur a écrite lorsqu’il n’avait pas 25 ans."Le seul révolutionnaire de son temps" disait de lui Arnold Schoenberg. Il est vrai qu’en dépit de la facture classique et romantique de la sonate opus 18 écrite à l’époque de son poème symphonique Don Juan, Richaud Strauss déploie toute sa technicité et son audace dans le travail sur les timbres comme sur le rythme.

    Au sombre romantisme du premier mouvement (Allegro ma non troppo) succède l’Andante cantabile "Improvisation" avançant à pas feutrés aux deux instrumentistes au diapason et luttant à armes égales dans cette sonate robuste mais équilibrée. L’œuvre de Strauss se termine par le troisième mouvement Andante et Allegro d’abord sec et sombre avant qu’il ne s’envole grâce au violon de Brieuc Vourch. Les solistes font du dernier mouvement un ultime salut aux volutes somptueuses et à l’architecture musicale exigeante. L’allégresse exprimée se mêle de tons mélancoliques dans ce Finale aux multiples reflets. 

    "J‘ai beaucoup osé, mais la prochaine fois, vous verrez, j‘oserai encore plus"

    La deuxième œuvre de l’album est la sonate pour violon et piano en la majeur de César Franck. Elle a été écrite en 1886 et dédiée au violoniste Eugène Ysaÿe. C’est l’une de ses pièces les plus jouée. Quatre mouvements composent cet opus, sans doute moins audacieux que l’œuvre de jeunesse de Strauss. Il faut dire que Franck a 40 ans de plus que son contemporain allemand. Le texte de présentation de l’album de Brieuc Vourch et Guillaume Vincent rapporte les mots éloquents  du musicien français à l’époque de la réception, disons fraîche, de sa Symphonie en ré mineur écrite à la même époque : "J‘ai beaucoup osé, mais la prochaine fois, vous verrez, j‘oserai encore plus." Franck n’est pas un novateur comme l’a pu l’être Strauss. Son mouvement Allegretto moderato a une facture plus légère, fraîche et éthérée comme un nuage, aux antipodes de la sonate d’airain de Strauss.

    Pour l’Allegro, Franck fait de sa musique un saisissant moment de symbolisme. On croit voir des ondines apparaître grâce au violon hanté de Brieuc Vourch, accompagné par un Guillaume Vincent tout en mesure et en discrétion. C’est l’infinie délicatesse encore qui préside au mouvement Recitativo-Fantasia (ben moderato) avant le dernier mouvement Allegretto poco mosso, une dernière partie presque joueuse et rondement menée par le duo franco-allemand.

    Ce n'est pas la moindre des qualités de Brieuc Vourch et Guillaume Vincent que de nous faire entrer dans ce répertoire du XIXe siècle avec talent, générosité et un grand sens du dévouement. "La sculpture du son est le seul métier du musicien, son travail est artisanat. Le narcissisme n‘y a pas de place. Seuls le dévouement, la patience et la discipline constituent la trame de la création" disent les deux musiciens en "artisans" de la musique, au service des deux compositeurs les plus créatifs de leur temps.  

    Brieuc Vourch et Guillaume Vincent, Richard Strauss / César Franck, FARAO Classics, 2021
    https://www.brieucvourch.com
    https://www.guillaumevincent.net
    https://www.farao-classics.de

    Voir aussi : "Au salon avec Chopin et Haley Myles"

    © Andrej Grilc

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  • Au salon avec Chopin et Haley Myles

    S’il est un répertoire classique archi-interprété, il est possible que les Nocturnes de Frédéric Chopin (1810-1849) tiennent le haut du pavé. La pianiste Haley Miles en propose une version intimiste et passionnante. Avec son projet musical "Chopin Nocturne Project", la pianiste installée à Lyon a choisi d’enregistrer un nocturne différente chaque vendredi de février à juin 2021. L’album – son deuxième – a suivi presque naturellement, après un enregistrement record en trois jours.

    Pour ce nouvel opus, la musicienne a pris chaque nocturne comme un univers à part entière sans se démonter. Cela donne un album intimiste comme si vous vous installiez au salon chez la pianiste – en compagnie bien entendu du compositeur polonais.

    L’écriture de ces "musiques pour la nuit" (c’est le sens du mot "nocturne") s'est étalée tout au long de la vie du compositeur romantique : de 1830-1831 pour les opus 9 (Nocturnes 1 à 3), de 1831 à 1833 pour les opus 15 (Nocturnes 4 à 6), 1835 pour les opus 27 (Nocturnes 7 à 9), de 1835 à 1837 pour les deux opus 32 (Nocturnes 9 et 10), 1840 pour les opus 37 (Nocturnes 11 et 12), 1847 pour l’opus 48 (Nocturne 13 et 14), 1844 pour l’opus 55  (Nocturnes 15 et 16) et 1846 pour les Nocturnes opus 62 (Nocturnes 17 et 18). À cela s’ajoutent trois nocturnes posthumes : les opus 72 (en réalité le premier que Chopin ait composé en 1827) et les n°20 et 21. Voilà pour le tableau général de ces pièces qui constituent une œuvre cohérente tout au long de la vie de Chopin.

    Donner à chaque note toute sa quintessence

    Il n’est pas exagéré de dire que le répertoire romantique est à plus d’un égard piégeux. Haley Myles évite la mièvrerie en choisissant de prendre son temps afin de donner à chaque note toute sa quintessence, à l’instar des Nocturnes n°9 ou n°11. Il faut aussi voir comment la pianiste avance à pas feutrés dans le Nocturne n° 2. On prend le même plaisir à redécouvrir le Nocturne n°3, aux accents romantiques et à l’ornementation complexe, pour ne pas dire singulièrement moderne. N’oublions pas non plus ce monument qu’est le douzième Nocturne. Là où le n°6 était d’une sombre mélancolie, le septième Nocturne est carrément funèbre, comme une marche de deuil que la pianiste interprète avec justesse, avant une singulière danse prenant à contre-pied l’auditeur.

    Grâce à son sens de la retenue, sans fioriture (Nocturne n°5 et 19), la pianiste joue avec une douceur proverbiale (Nocturne n° 15). Elle prend son temps dans le Nocturne n°8, délicate et à la construction tout en arabesque et en harmonie. Chaque note est détachée avec soin, ce qui permet de redécouvrir l’une de ses meilleures pièces.

    Haley Myles fait le choix de la douceur et de la lenteur donc, à l’instar de ce Nocturne n° 14, serein, romantique et même romanesque, comme après une nuit paisible après l’amour. La pianiste sait aussi se faire voyageuse et exotique dans le dix-septième (Op. 62 n° 1) qu’elle propose dans une version interprétée comme une promenade paisible. Pour le Nocturne n°18, l’instrumentiste s’attarde plus encore, avec une dose de mélancolie supplémentaire. Ce fut le tout dernier nocturne que Chopin composa de son vivant, bien que trois autres furent publiés à titre posthume.

    Outre cet autre tube qu’est le n° 20, Haley Myles propose le passionnant Nocturne n° 19, une œuvre de jeunesse écrite en 1827 qu’elle interprète avec délicatesse, mais non sans des vagues passionnées et puissantes.

    On est bien sûr impatient de découvrir à quel compositeur Haley Myles s’attaquera pour ses prochains projets musicaux. Nul doute que Chopin ne sera pas oublié par cette pianiste qui a choisi l’ambition et l’audace pour  cette intégrale mémorable des Nocturnes de Chopin.  

    Frédéric Chopin, The Complete Nocturnes, Haley Myles, 2021
    http://www.haleymyles.com
    https://www.facebook.com/haley.morgan.myles

    Voir aussi : "Histoires de tangos par Lucienne Renaudin Vary"

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  • Une Italienne parle aux Russes

    J’ai choisi de vous parler d’un album classique sorti il y a presque six ans. Au piano, l’Italienne Beatrice Rana proposait deux œuvres du répertoire russes, différents tant par la facture que par la notoriété. À ma droite le célébrissime concerto pour piano de Piotr Ilitch Tchaïkovski au romantisme échevelé. À ma gauche, un opus relativement peu joué de Serge Prokofiev, le concerto pour piano  n°2.

    C’est par cette dernière œuvre que s’ouvre l’album de Beatrice Rana, découverte trois ans plus tôt (lauréate de tous les prix spéciaux au Concours musical international de Montréal) et qui prend visiblement un certain plaisir à s’aventurer sur un terrain étonnant. Ce concerto de Prokofiev a évidemment cette fougue slave et russe, avec un modernisme exalté servi autant par la concertiste que par l’orchestre de l’Académie Nationale Sainte-Cécile conduit par Antonio Pappano. Le jeu assuré, tour à tour aérien et musclé de Beatrice Rana, se déploie avec assurance dans le premier mouvement andantino et allegro de près de douze minutes, ample, tourmenté et aux accents romantiques. En comparaison, le Scherzo (Vivace) est envoyé en un peu plus de deux minutes. Court mais exigeant. Et il est vrai qu’il faut toute la technicité et la virtuosité de la pianiste italienne pour venir à bout de cette partie aussi brève et dynamique qu’elle peut être inquiétante.

    Retour à l’âme russe, aux lointaines réminiscences des Tableaux d’une Exposition de Modest Moussorgski, avec l’Intermezzo (Allegro moderato) de, quand même, six minutes. Faux intermède musical et vraie pièce d’orfèvrerie, cette troisième partie du concerto de Prokofiev est une succession de morceaux de bravoure, de rappels de danses russes, de parenthèses romantiques et rêveuses, de constructions harmoniques osées et de revendications modernistes que Beatrice Rana met en musique avec une belle audace.

    Partition originale partie en fumée pour servir de combustible… pour la cuisson d’une omelette !

    L’opus 16 se termine avec un final de la même longueur que le premier mouvement, rééquilibrant ainsi un concerto faussement bringuebalant. Joué allegro tempesto, le Finale commence, comme son nom l’indique, avec une tempête inquiétante et tourmentée, avant un grand calme. Lorsque l’apaisement vient, c’est là que ce dernier mouvement devient passionnant car le compositeur russe devient expressionniste, romantique mais aussi contemporain. Le deuxième concerto pour piano de Prokofiev, servi par une Beatrice Rana décidément sans point faible dans cette œuvre rare compliquée et qui avait fait scandale à l’époque de sa création en 1913. L’anecdote incroyable rapportée par Jed Distler nous apprend qu’il a été en fait réécrit en 1923 après que la partition originale soit partie en fumée pour servir de combustible… pour la cuisson d’une omelette !

    Nous parlions de romantisme. Voilà qui nous mène à point nommé vers la deuxième œuvre de cet album de 2015 d’un autre géant de la musique russe, Tchaïkovski. Trop écouté sans doute selon quelques esprits chagrins, ce fameux premier concerto pour piano opus 23 (1874) fait partie des "tubes" de la musique classique.

    Autant la pianiste italienne pouvait se faire aventurière dans le second concerto de Prokofiev, autant ici elle sera forcément jugée à l’aune de ses aînés (les Martha Agerich, Charles Dutoit et autres Sviatoslav Richter). Beatrice Rana déploie tout son talent grâce à son jeu tour à tour ample, délicat et tourmenté dans l’impressionnant premier mouvement allegro de plus de vingt minutes. Il faut toute l’intelligence de la musicienne pour venir à bout d’un des sommets de la musique romantique, et sans pour autant tomber dans la mièvrerie ni dans les pièges de la virtuosité qui peuvent vite devenir écrasants.  

    L’auditeur sera porté par la délicatesse du jeu de Béatrice Rana dans un deuxième mouvement fluide et irrésistible (Andantino semplice – Prestissimo).

    L’album se termine en beauté avec un Allegro con fuoco à la facture classique assumée jusqu’au bout des doigts. Beatrice Rana s’en donne à cœur joie – tout comme d’ailleurs  l’orchestre et Antonio Pappano. La virtuosité est bien évidemment une qualité majeure, en particulier pour les dernières mesures d’un final. Sans fausse note, là encore.

    Beatrice Rana, Prokofiev, Concerto pour piano n°2 op.16 et Tchaikovsky, Concerto pour piano n°1 op.23,
    Orchestra Dell’accademia Nazionale di Santa Cecilia dirigé par Antonio Pappano, Warner, 2015

    https://www.beatriceranapiano.com
    https://www.warnerclassics.com/fr/artist/beatrice-rana

    Voir aussi : "Histoires de tangos par Lucienne Renaudin Vary"

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  • Le trio Sōra vous souhaite un joyeux anniversaire, M. Beethoven

    Beethoven est célébré cette année, certes assez discrètement : nous fêtons en  effet ses 250 ans, précisément aujourd’hui (même si la biographie officielle hésite entre les dates du 15 ou 16 novembre 1750 pour la naissance du compositeur à Bonn). Cet anniversaire méritait bien une chronique.

    Et ça tombe bien : pour marquer l’événement, le Trio Sōra propose chez Naïve un premier album rassemblant 6 grands trios avec piano (les opus 1, 70 et 97) du maître allemand.

    Le Trio Sōra, ce sont trois musiciennes : Pauline Chenais au piano, Clémence de Forceville au violon et Angèle Legasa au violoncelle, dont l’entente autant que la subtilité et l’audace font merveille. Elles sont régulièrement invitées sur les plus grandes scènes mondiales (le Wigmore Hall de Londres, la Beethoven-Haus de Bonn, le Festival de Verbier, la Philharmonie de Paris, l’Auditorium du Louvre, la Folle Journée de Nantes ou encore le Festival d’Aix-en-Provence) et sont aidées par des instruments exceptionnels : Clémence de Forceville joue un violon Giovanni Battista Guadagnini de 1777 et Angèle Legasa, un violoncelle Giulio Cesare Gigli  de 1767. Ils ont été prêtés par la Fondation Boubo-Music.

    Avec ces Trios n°1, 2, 3, 5, 6 et 7, nous sommes dans des œuvres essentielles et capitales du répertoire de Beethoven, le premier trio, opus 1 (écrit entre 1793 et 1795) ouvrant même le catalogue du compositeur.

    Grand maître du classicisme, le compositeur s’affranchit de certaines libertés en imaginant un premier trio (opus 1 n° 1), long dans la forme et la structure, avec 4 mouvements, vif-lent-vif-vif. Une structure s'éloignant des canons traditionnels et a priori déséquilibrée, mais qui se joue des variations grâce à la subtilité des interprètes et leur indéniable osmose. À l’enthousiasme du mouvement Allegro répond la délicatesse romantique (nous pourrions même dire le romanesque) de l’Adagio cantabile, puis l’énergie communicative du troisième mouvement (Scherzo. Allegro assai). Il faut souligner la virtuosité et les arabesques proprement diaboliques de la dernière partie (Finale. Presto), influencées par les rythmes de danses traditionnelles, dont un mémorable menuet.

    Le 2e Trio, composé dans les mêmes dates (et catalogué opus 1 n° 2) comprend lui aussi quatre mouvements. Commençant sur la pointe des pieds, l’Adagio allegro vivace finit par se déployer avec audace, avant un Largo tout en retenue mais aussi en romantisme échevelé. Dans ce trio, Beethoven propose un 3e mouvement (Scherzo. Allegro assai) singulièrement plus bref (un peu plus de 3 minutes), mais d’une luminosité et d’une vivacité audacieuses.

    Même période de composition pour le 3e Trio, opus 1 no 3 : entre 1793 et 1795. Les musiciennes se lancent dans une interprétation soyeuse, solide, rythmée, nerveuse (Finale. Prestissimo) et aussi solide que l’airain. Ce trio brille de mille feux. Dans le mouvement Andante cantabile con variazione, nous sommes dans un mouvement d’une infinie délicatesse, à la manière d’une danse amoureuse, joueuse et sensuelle. Le 3e mouvement (Menuetto. Quasi allegro), relativement bref (3:22), est remarquable par sa série de variations et d’arabesques d’une incroyable subtilité et qui en fait l’un des joyaux de l’album.

    Un trio de musiciennes au diapason

    C’est sans doute dans le 5e Trio que l’osmose des trois musiciennes éclate le plus. Pour la petite histoire, Beethoven l’a composé sur le tard, après la création de le 5e et de la 6e Symphonie (la fameuse Pastorale). Dédiée à la comtesse Maria von Erdödy qui lui avait offert l’hospitalité, l’œuvre, opus 70 n°1, est appelée Trio des Esprits. Il règne dans ces trois – et non quatre – mouvements une atmosphère à la fois tourmentée, mystérieuse et sombre, à l’instar du premier mouvement Allegro vivace e con brio, d’où sans doute le surnom de l’œuvre. Le mouvement suivant sonne par moment comme une marche funèbre peuplée de fantômes (Largo assai ed espressivo), avant une dernière partie qui marque un retour à la vie. Le Trio Sōra prend en main le rythme presto avec gourmandise et même le sens de la fête.

    Tout comme son prédécesseur, le Trio avec piano n°6 opus 70 n° 2 est dédié à la comtesse Maria von Erdödy, et a bien sûr été écrit à la même période. Lyrique et virtuose dans son premier mouvement Poco Sostenuto Allegro Ma Non Troppo, il devient somptueux dans la partie suivante (Allegro), telle une danse langoureuse et envoûtante, ponctuée de passages mélancoliques, sinon sombres. Le 3e mouvement  Allegretto Ma Non Troppo, magnifique parenthèse enchantée tout autant que mystique, s’offre comme un des plus émouvants passages de l’album, avant le Finale et Allegro rugueux, expansif et d’une folle inventivité.

    Le disque se termine par le Trio avec piano n°7 en si bémol majeur, l’un des plus célèbres trios de Beethoven. Il est surnommé Trio à l'Archiduc en raison de sa dédicace à l'Archiduc Rodolphe d'Autriche, élève, ami du compositeur et accessoirement dernier fils de l’empereur Léopold II d'Autriche. C’est le plus tardif des trios, comme l’indique sa recension dans le catalogue (opus 97). Écrit en 1811, il s’intercale entre la 7e et la 8e symphonie. Il s’agit aussi du dernier morceau que le compositeur interprète en public, en raison d’une surdité de plus en plus sévère. C’est dire si ce dernier trio ne pouvait pas ne pas être présent sur l’enregistrement du Trio Sōra. Les musiciennes font merveille avec cet opus alliant virtuosité et puissance dans un Allegro Moderato singulièrement moderne. Une modernité éclatante dans les parenthèses sombres du 2e mouvement Scherzo allegro. Le 3e mouvement, Andante Cantabile Ma Però Con Moto, s’impose comme un des plus sombres et bouleversants qui soit. Nous sommes dans un passage à l’expressivité géniale, servie par un trio de musiciennes au diapason. Comment ne pouvaient-elles finir sinon par ce et dernier mouvement, Allegro Moderato Presto ? Un dessert léger, diront certains ; on préférera parler d’une conclusion faisant se succéder passages virevoltants, danses amoureuses, conversations badines et fuites au clair de lune, dans un mouvement sucré et rafraîchissant. 

    Joyeux anniversaire donc, M. Beethoven, un 250e anniversaire célébré avec classe par un des trios les plus en vue de la scène classique. 

    Ludwig van Beethoven, Trios, Trio Sōra, Naïve, 2020
    https://www.triosora.com

    © Astrid di Crollalanza

    Voir aussi : "Toutes les mêmes, tous les mêmes"

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  • Confinement live stream de Lise de la Salle

    Les artistes de classique aussi se mettent au live sur leur compte Facebook ou Instagram. Lise de la Salle, dont le premier album sur Ravel et Rachmaninov avait marqué les esprits, avant un brillant enregistrement des concerts pour piano de Chostakovitch et Prokofiev, propose sur sa page Facebook une série de récitals au piano depuis son appartement.

    Le 24 mars dernier, pour son 2e live de confinement à Paris, la pianiste française a rappelé l’importance du confinement et s’est confiée sur sa manière de vivre cette période : "Ici, à Paris, les journées sont longues et n’ont pas vraiment de structure. On est un petit peu dans une faille spatio-temporelle. Et j’en profite pour jouer beaucoup, pour me faire plaisir, des œuvres qui me plaisent, qui me font du bien, sans la pression de les préparer pour le concert."

    Faille spatio-temporelle

    Pour ce concert sur Internet, Lise de la Salle propose le Prélude et fugue en la mineur pour orgue de Jean-Sébastien Bach, transcrite fidèlement au piano par Franz Liszt. Frisons garantis lors du passage à la fugue dont la noirceur est percée d’éclairs fulgurants.

    Après la lecture d’un extrait des Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke, Lise de la Salle propose un lied de Robert Schumann, Liebeslied, dans une transcription pour piano seul de Liszt, tout en contraste, en relief et en romantisme.

    Le Confinement live de ce 24 mars se termine avec Regret, une des Romances sans parole de Félix Mendelssohn.

    Un récital magnifique, en attendant "que la vie reprenne son cours", pour reprendre les mots de Lise de la Salle. C’est à suivre en ce moment sur sa page Faceebook chaque mardi et samedi à 19 heures.

    Lise de la Salle, Confinement live stream
    Sur Facebook, le mardi et le semaedi à 19 heures

    https://www.facebook.com/lisedelasalleofficiel
    http://lisedelasalle.com

    Voir aussi : "Keren Ann en live, voix et guitare, chez elle" 

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