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poésie

  • Un classique des classiques

    Avant d’être Président de la République, Georges Pompidou a été un brillant agrégé en lettres et un non moins doué professeur en littérature. En laissant une anthologie de la littérature, ce n’est donc pas le successeur du Général de Gaulle à L’Élysée qui s’affirme mais un spécialiste et passionné qui entend offrir "l’essentiel de notre poésie" depuis l’invention de la langue française.  Or, Georges Pompidou a fait mieux que cela. Son Anthologie (éd. Livre de Poche), toujours éditée et disponible, est devenue un must, pour ne pas dire un classique pour les amoureux et amoureuse de la littérature française.

    Il y aura certes toujours matière à redire sur la sélection des textes et des auteurs. Résumer près d’un millénaire de poésie française en 500 pages était un pari impossible, d’autant plus que des auteurs comme Baudelaire ou Victor Hugo ont laissé des centaines de pages absolument uniques. On les trouvera d'ailleurs largement présents. Ajoutons qu’en fin de pages, Georges Pompidou a eu l’idée géniale de proposer un "post-scriptum", en l’occurrence un ensemble de vers souvent isolés se suffisant à eux-mêmes. Le lecteur pourra par là-même trouver l’origine d’expressions connues comme "bonjour, tristesse", "Il fait noir, enfant, voleur d’étincelles" ou "le bel aujourd’hui". Par contre, très peu – trop peu – de femmes figurent dans cette anthologie.

    Du peu connu Eustache Deschamps (1346-1406) ou Charles d’Orléans à Paul Eluard, en passant par Ronsard, Lamartine ou Verlaine, Georges Pompidou fait donc un vaste tour d’horizon des plus beaux textes de la poésie française, ou du moins des textes qui lui semblent les plus représentatifs. 

    Sans surprise, le XIXe siècle se taille la part du lion      

    Parmi ces grandes figures classiques, on trouve en très bonne place François Villon, le premier très grand poète cité (Le Testament, Ballade des Dames du Temps jadis), avant de passer quelques pages plus loin aux auteurs de La Pléiade (Ronsard et Du Bellay notamment. Le lecteur pourra également découvrir quelques auteurs moins connus et des petits maîtres (François de Malherbe, Jean de Sponde ou Théophile de Viau).

    Jean de la Fontaine prend une place d’importance dans cette Anthologie, avec ses célèbres Fables, dont plusieurs sont apprises dès le plus jeune âge. L’auteur sera doublement surpris, et par la présence d’auteurs de théâtre comme Racine ou Corneille – il est vrai que leurs tragédies proposent des pages poétiques incroyables –, et par la discrétion d’écrivains pourtant incontournables en littérature, à l’instar de Molière ou Boileau.

    Sans surprise, le XIXe siècle se taille la part du lion. C’est d’abord le romantisme commencé par André Chénier, mort trop jeune, révolutionnaire guillotiné avant d’avoir sans doute produit l’œuvre majestueuse qu’il promettait. À sa suite viennent des figures géniales, les Lamartine, Vigny, Hugo (près de 50 pages tout de même), Musset, l’incroyable Nerval et ce phare du modernisme que fut Baudelaire, indépassable sans doute et qui a laissé une pléthore de successeurs, jusqu’à aujourd’hui.

    Baudelaire figure d'ailleurs parmi les préférés de Pompidou qui choisit néanmoins de ne s’intéresser qu'aux Fleurs du Mal – avec cependant des poèmes dont on peut regretter l’absence ("A une mendiante rousse" ou "Bien loin d'ici" pour ne citer qu’eux). Avec Mallarmé, le génial Verlaine et Rimbaud, nous entrons vite dans le XXe siècle. Le lecteur pourra rester imperméable à la poésie de Paul Claudel mais il pourra être subjugué par les textes d’Apollinaire. Le recueil s’arrête avec Paul Eluard, l’un des derniers grands classiques – l'Anthologie a été terminée au début des années 60. Pompidou explique ce choix par un désir de ne pas parler des contemporains et des vivants.

    Choisir c’est renoncer, comme le dit l’adage. Cette anthologie a fait des choix clairs et assumés, permettant d’avoir tout de même un tableau pertinent du meilleur de la poésie classique française. Chose remarquable, il a fait de son Anthologie de la poésie française un classique de la littérature. 

    Georges Pompidou, Anthologie de la poésie française, éd. Hachette, coll. le Livre de Poche, 1967, 533 p.
    https://www.hachette.fr/livre/anthologie-de-la-poesie-francaise-9782253005438

    Voir aussi : "Poésie feel good"
    "La Pléiade avec Outre Mesure"

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  • Poésie feel good

    C’est sans doute l’un des succès actuels les plus étonnants de la littérature. Un livre qui, assurément, fait bouger les lignes et donnent de l’espoir. Non, la poésie n’est pas un genre ringard, et elle n’est pas plus morte en 2024. La preuve avec le recueil Poesif, sorti il y a quelques semaines en autoédition et devenu un succès littéraire y compris chez les plus jeunes.

    Les auteurs se nomment FEF et DFY. Ce sont deux tiktokeurs dont le compte, Poétique, peut se targuer d’avoir près de 150 000 abonnés, et gageons que ce n’est pas fini, grâce notamment à ce livre.

    Curieux titre, mais pas tant que ça. "Poesif" comme "poésie" et "positif". Voilà qui donne une des clés de ce court recueil constitué de trois chapitres, "Citations", "Poèmes" et "Créations originales". À cela s’ajoute une quatrième partie qui est en réalité une section vierge ("Écriture") où le lecteur est invité à y mettre ses propres textes. Bonne idée. 

    Comme "poésie" et "positif"

    C’est prioritairement aux abonnés et aux fans de FEF & DFY que s’adresse ce livre. De jeunes lecteurs aurions-nous envie d’ajouter, et là est sans doute le petit miracle de Poesif : donner à des adolescents et adolescentes (même si l’ouvrage vise un public beaucoup plus large) l’envie d’ouvrir un recueil de poèmes à découvrir sans complexe ni pression de l’école, des textes de Victor Hugo, Verlaine ou Baudelaire.

    L’amour et le désir sont au cœur de ces textes, à commencer par des citations renvoyant aussi bien à l’auteur des Misérables qu’à Yamsina Khadra, Katherine Pancol, David Foenkinos, Simone Veil, Shakespeare ou même Nietzsche.

    Les poèmes sont constitués de sélections de textes poétiques classiques. On y retrouvera Hugo – bien sûr – mais aussi Rimbaud, Mallarmé, Musset, sans oublier des auteur.e.s moins connus, voire très confidentielles. Il y a un extrait des Sonnets intimes et Poèmes inédits de François Copée (1911), des Poésies de François de Malherbe (1608) ou un sonnet de Louise Labbé de 1555.

    Le cœur de ce livre est sans doute l’avant-dernière partie et l’une des plus brèves du recueil. Le lecteur y trouvera des créations contemporaines autour de du désir, de l’amour et de l’attirance physique : "J’irai récupérer chaque fragment de courage / En me battant aux côtés des lanciers rouges. / Pour que mon cœur t’oublie et qu’il soigne ceux des autres".

    FEF & DFY, Poesif, 2024, 78 p.
    Illustration La Fadade
    https://www.amazon.fr/Poesif
    https://www.tiktok.com/@poesif

    Voir aussi : "Ça caille les belettes"

    @poesif Merci à tous ! Lien dispo en bio

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  • Sonnets pour ce siècle

    Lisez ceci : "Ce soir ma bien-aimée, nous dormirons sous l’eau / Où l’on rêve plus haut près des algues avides / Leur lit céleste et doux ne remuera pas trop / Et tu seras bercée par leurs mains impavides". Baudelaire ? Verlaine ? Musset ? Vous n’y êtes pas du tout. Ce texte est tiré du recueil de Luc Loiseaux, Dans l'Ivresse des Brumes (éd. Unicité).

    60 poèmes en vers, dont la majorité en alexandrin, composent ce livre singulier et magnifique. Il est préfacé par Jean Hautepierre dont le combat artistique porte sur la mise en valeur de la versification classique dans la littérature contemporaine. Luc Loiseaux s’inscrit parfaitement dans ce courant qui refuse de tourner le dos au passé et aux grands auteurs classiques.

    Bla Bla Blog avait déjà salué le travail de Luc Loiseaux, MoonCCat – hommage sans nul doute à Moondog, musicien maudit mais néanmoins capital dans l’histoire de la musique. Musicien, auteur, conférencier et véritable dandy fin de siècle, Luc Loiseaux reste fidèle à ses valeurs et entend les sublimer dans son recueil Dans l'Ivresse des Brumes où son amour pour ses brillants aînés, que ce soit Verlaine, Baudelaire ou Rimbaud, éclate. 

    Luc Loiseaux montre que versification classique, alexandrins et sonnets peuvent retrouver toute leur place dans la littérature du XXIe siècle

    Le livre se pare d’un noir gothique rehaussé d’éclats lumineux d’opales et d’émeraude, la couleur de l’absinthe ("J’entends encor’ ce soir la triste mélodie / De l’idole invaincue au large front d’airain / Dans son baiser d’amour respire encore l’envie / De presser mon vieux cœur sur l’hiver de son sein"). Plusieurs poèmes sont consacrés à cette boisson mythique et maudite à laquelle il a consacré une partie de sa vie professionnelle ("La fée verte", "Gouttes brûlantes", "Célestes amers").

    Nous parlions de Rimbaud. L’auteur en fait le fil rouge du recueil à travers des photos inédites de sa composition. La patte de l’auteur du Bateau ivre est perceptible dans plusieurs textes, à l’instar du Miroir des noyés" ou du "Soir" ("Quand la nuit vient ici, on entend une absence / Neiger en fine pluie / Dans la forêt obscure… Un peu comme l’enfance / Depuis longtemps enfuie"). Dans "La Paresse", derrière lequel on reconnaîtra le magnifique et fulgurant classique de Baudelaire "Bien loin d’ici". Luc Loiseaux s’abandonne dans la contemplation : "L’indolente somnole en ses voiles de tulle / Dans un geste indolent / Elle trace dans l’air le contour d’une bulle… / Comme un enchantement".

    Lyrisme, romantisme et mysticisme baignent ce recueil où Luc Loiseaux montre que versification classique, alexandrins et sonnets peuvent retrouver toute leur place dans la littérature du XXIe siècle, une période qui a droit aux jugements acerbes de l’auteur : "Ce monde-ci n’est pas ma foi / Que gueuserie et que misère".  Sa réponse ? La beauté, mise en vers. Il fallait bien cela.

    Luc Loiseaux, Dans l'Ivresse des Brumes, éd. Unicité, 2024, 104 p.
    Préfacé par Jean Hautepierre
    https://www.facebook.com/luc.santiago
    https://www.editions-unicite.fr

    Voir aussi : "À fleur de Poe"
    "Rimbaud, sors de ce corps"
    "C’est le plus dandy des albums"

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  • La vie des plantes

    S’arrêter au bord d’un torrent, grimper une colline, déambuler entre les allées d’un jardin familial, se perdre dans des forêts, ramasser des branches mortes ou gambader sous des chênes : Sophie Loizeau fait de la nature le fil conducteur de son recueil Les Épines rouges (éd. Le Castor astral). Cette nature est vécue à hauteur d’homme – et de femme.

    Le parti pris de l’auteure est de faire de ces textes un hommage à des plantes mal-aimées, "maltraités") et parfois menaçantes, dans un livre où la sensualité affleure à tout moment : "À Célesteville Virginia et moi sommes sur la plage / je la regarde délasser ses bottines / remonter sa robe s’avancer vers l’océan". Sophie Loizeau insuffle une singulière modernité dans ces textes où elle parle de déambulation en pleine nature : "Je cherche le silence mystique dans les forêts sans Freddy Krueger".

    L’auteure tire de ses souvenirs, dans la maison familiale d’Arnouville dans les Yvelines, une poésie essentielle, lorsqu’elle parle par exemple d’elle "toute rayonnante encore d’orgasmes" après avoir fait l’amour. Le jardin et la nature sont indissociables de la vie intime et familiale, avec l'évocation du père mourant, de la mère en mules ou de la grand-mère Eugénie. Il y a aussi cette sœur évoquée à plusieurs reprises : "En fait je ne me pardonne pas / sœur nantie d’avoir / vécu au contraire dans une bien / heureuse innocence / l’innocence crasse des animaux comme moi : c’est que j’ai pu être totalement dénuée de culpabilité".

    Sophie Loizeau part des ronces, les plantes les plus méprisés sans doute, pour construire une série de chants plongeant tout entiers dans une nature à la fois simple, proche et exigeante. "Qu’est-ce de dire je suis / l’égale de l’arbre (saule pin noyer) à cette seconde / féconde que je suis/ solidaire / et pas supérieure / à part lire & écrire". 

    Va-et-vient entre la nature et l’amour

    La poétesse fait des va-et-vient incessants entre observations de plantes ("Je suis Rubus fruti / cosus épineux des Rosacées je produis le / mûron") et textes où l’auteure se met en scène : "Au dictaphone ai-je fait j’étais sans stylo au bord de la rivière à voix basse de peur qu’on me lève".

    Le cœur des Épines rouges bat à chaque page, entre souvenirs d’enfance ("Ma sœur m’accuse de l’avoir jetée petite aux orties – aux ronces"), propos sur la mort ("Seule voilà ce qu’à moi sa mort m’a fait / il n’y a pas d’autre rupture que celle-là"), le sexe et l’amour ("On donne à entendre que la « petite graine » du mâle chez l’humain est l’étincelle / un échange de cellules sexuelles de part et d’autre").

    Un passage illustre ce va-et-vient entre la nature et l’amour : "Je me fais belle car je sais que JF sera là (peut-être) et qu’il aime que je sois en jupe / il y a trente ans le cerisier tout de suite à droite du jardin quand on arrive n’offrait rien avant août / ses cerises blanches étaient des olives en attente de chaleur jaunes d’or – pâles elles sont un peu amères / à la mi-juin on les croque". Le regret et l’amertume affleurent à chaque page comme l’écrit l’auteure : "Est-ce que je mourrai plus douloureusement / d’être poète à la vue des cercueils / j’aurais dû me consacrer à lire à ma mère / tout le temps de sa mort".

    Outre un singulier calligramme, il y a des descriptions poétique rarement écrites sur nos amies les plantes, des plantes incarnant la puissance des femmes : "La Gynescrie mi-femme mi ronce / ses dents vibrionnent dans sa bouche / – ce qui altère son langage / et ses baisers plusieurs autres forment / en petit des chaînes / de pics ou Femme de la lune (woman in the moon)". L’art est omniprésent dans un recueil qui s’interroge sur la représentation de la femme : "Redon la beauté de vos sarments fleuris d’un rouge mimosas qui pourrait bien être des flocons de viande crue".

    L’auteure complète ce recueil par un bestiaire "par ordre d’apparition", qu’elle a vu, raconté ou simplement rêvé mais aussi une palette chromatique, établie comme pour faire une nomenclature technique – et poétique. La deuxième partie, Feue, la nature fait place à l’élément du feu, avec toujours ces souvenirs d’enfance, la campagne, la nature et des émois remontant à la surface.  

    Mes cahiers de Malte forme la troisième partie du livre, avec ces textes écrits en 2020, tel un journal en friche : "Mon jardin périclite / il meurt d’une mort qui excède mon amour / qui l’impatiente". Sophie Loizeau ne manque pas de faire référence à l’incendie de Notre-Dame et à sa restauration : "Abattage des mille chênes suite à l’élection des huit pour refaire la forêt de Notre-Dame et partie de la flèche selon le plan de Viollet à l’identique ces cons – je vote pour une qui soit comme à Reims en béton".

    Sophie Loizeau, Les Épines rouges, Biographie d’une âme, éd. Le Castor astral, 2022, 136 p.
    https://sophieloizeau.wordpress.com
    https://www.castorastral.com/livre/les-epines-rouges

    Voir aussi : "Ça caille les belettes"

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  • Voyages poétiques

    Une anthologie de poésies est sortie en fin d’année 2021 aux éditions Caractères. Encore une, direz-vous. Nombreuses sont les maisons d’éditions qui ont réservé leur catalogue à un genre capital dans la littérature. Sauf que, cette fois, le mot "mondiale" vient souligner la démarche du magazine créé en 1950 par l’auteur, poète et éditeur d’origine polonaise Bronisław Kamiński, avec Jean Tardieu, Jean Follain et André Frénaud.

    Cette  Anthologie de la Poésie mondiale mérite que l’on s’y intéresse : "372 poètes de 96 pays en deux volumes (842 pages). Un bouquet de visions, d’images, de graphies, d’alphabets, de poèmes du monde entier présentés par ordre alphabétique d’auteurs, accompagnés de biographies, dessins, gravures, collages", annonce l’éditeur. L’anthologie pourra également surprendre par son choix de mettre à côté d’odes, de versets ou de chants poétiques, des slogans ("Soleils", en mai 68), mais aussi des textes en prose, à l’instar d’Achani de l’Allemand Peter Altenberg.  

    À côté d’auteurs et auteures que les Français connaissent – Francis Picabia, Georges Perec, le Portugais Fernando Pessoa (Bureau de tabac et autres poèmes) ou l’Irlandais James Joyce (Musique de Chambre) – le lecteur du coffret découvrira des noms, des œuvres mais aussi des cultures dont il est généralement peu familier : l’Inde (Sri Aurobindo), le Pérou (Alejandro Calderón), la Roumanie (Mircea Cărtărescu), Haïti (Georges Castera), le Népal (Laksmīprasād Devkotā), le Groenland (Nakasuk), l’Afghanistan (Abdolbâri Djahâni), la Bulgarie (Plamen Doynov), sans oublier la Chine (Xingjian Gao) ou le Japon (Gôzo Yoshimasu).

    L’Anthologie des éditions Caractères a fait le choix de donner toute sa place à des auteur·e·s vivant·e·s et même jeunes

    La poésie aztèque a elle aussi sa place, tel ce "Chant à la louange des chefs". Il faut aussi souligner la présence de figures quasi inconnues de ce côté-ci de l’Europe, comme les Ouïgour Chimengul Awut ou Ghojamuhammet Muhammet, des présences qui ont toute leur importance alors que ce peuple est persécuté par le régime communiste chinois. Le recueil présente aussi un texte rare issu des traditions indiennes en Amérique du Nord ("Nez-Percé").

    Outre le Français d’origine chinois François Cheng mis à l’honneur dans le double recueil, il faut noter la place singulière laissée à Ben, le graphiste et peintre moderne prenant les atours du poète maniant l’autodérision telle une arme : "Ben tu es un con. / C’est des blagues / Je suis le type le plus fantastique dont vous avez jamais entendu parler". Un autre Français, beaucoup moins connu, a sa section : Bruno Durocher (À l’image de l’homme).

    L’Anthologie des éditions Caractères a fait le choix de donner toute sa place à des auteur·e·s vivant·e·s et même jeunes, à l’instar de la néerlandaise Radna Fabias (Habitus), l’Éthiopien Alemou Tebeje, la Néo-Zélandaise Selina Tusitala Marsh ou l’excellente Cubaine Zoé Valdès.

    En proposant cette Anthologie passionnante, c’est autant un voyage littéraire qui est proposé qu’un voyage tout court. 

    Nicole Gdalia, Sylvestre Clancier et Jean Portante, Anthologie de la Poésie mondiale,
    éd. Caractères, 2 vol., 2021, 842 p.

    https://www.editions-caracteres.fr

    Voir aussi : "Complètement baba de bulles"

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  • Le top 10 de Bla Bla Blog pour 2021

    Une année 2021 très riche se termine : cinéma, musiques, livres, expositions, séries ou publicité. Bla Bla Blog ne s’est jamais rien refusé dans son désir de chroniquer ces artistes, ces créations et ces œuvres qui contribuent à enrichir notre vie culturelle. 317 articles ont été publiés cette année.
    Quels sont ceux qui ont le plus buzzé ? Comme les années précédentes, voici le top 10 de cette année.

    10 Au salon avec Chopin et Haley Myles

    C’est avec bonheur que l’on retrouve à la 10e place la pianiste classique Haley Myles pour un enregistrement des Nocturnes de Chopin qu’elle avait d’abord joué pendant le Grand Confinement

    Haley Myles.png"S’il est un répertoire classique archi-interprété, il est possible que les Nocturnes de Frédéric Chopin (1810-1849) tiennent le haut du pavé. La pianiste Haley Miles en propose une version intimiste et passionnante. Avec son projet musical "Chopin Nocturne Project", la pianiste installée à Lyon a choisi d’enregistrer un nocturne différente chaque vendredi de février à juin 2021. L’album – son deuxième – a suivi presque naturellement, après un enregistrement record en trois jours…"

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    9 Vous revoilà, Gens de France

    Une réédition de l’ouvrage culte Gens de France fait une entrée surprise dans le classement de notre Top 10.  Voici un rappel pour cette réédition à marquer d'une pierre blanche.

    Vous revoilà gens de France.png"En ce mois de juin, ressort en librairie le mythique Gens de France et d'ailleurs de Jean Teulé. Il avait été publié une première fois à la fin des années 80, avant de connaître une réédition il y a un peu plus de 15 ans (éd. Ego Comme X).
    C’est aujourd’hui les éditions Fakir qui proposent de découvrir ou redécouvrir cet album, l’ultime album graphique de Jean Teulé, avant que celui-ci ne se lance avec succès dans le roman…"

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    8 Adrineh Simonian comme à la maison

    Attention les yeux ! Lorsque nous avons appris que la chanteuse lyrique Adrineh Simonian faisait une reconversion pour le moins osée dans le porno, avec un sérieux sens de l’engagement, il paraissait nécessaire de lui consacrer un article. Cela méritait assurément une étonnante chronique, particulièrement remarquée cette année.

    Arthouse Vienna.jpg"Cette information est sortie de manière relativement confidentielle il y a une dizaine de jours.
    Nous apprenions que la mezzo-soprano autrichienne Adrineh Simonian a choisi une reconversion inattendue, passant de l’univers feutré et bienséant de l’opéra pour celui, plus sulfureux du porno... féministe..."

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    7 Henintsoa, un jour ce sera elle

    En septième position, nous trouvons la chanteuse d’origine malgache Henintsoa, qui se faisait remarquer fin 2020 et en tout début d’année 2021 pour plusieurs titres. 

    Henintsoa.png"Coup de projecteur en ce début d'année sur Henintsoa, une des nombreuses espoirs de la jeune scène francophone.
    Celle-ci nous vient de Madagascar, même si si c’est à Paris qu’elle a fait ses premières armes, après être arrivée en France à 18 ans pour poursuivre des études supérieures. La chanson et sa voix l’ont fait sortir du lot, comme le prouvent  quelques concours de chants remportés (La truffe d'argent, Plus de talents ou la Moog Academy)…" 

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    6 Arbres-danseuses à Toulon

    Une exposition à Toulon a fait parler d’elle : elle a eu lieu cette année à la galerie Simona de Simoni et présentait des œuvres de Patricia Tozzi-Schmitzer. Il s'agit de la seule chronique sur une exposition classée dans le Top 10 de Bla Bla Blog. 

    Arbres danseuses.jpg"C’est à Toulon que l’on trouve la galerie Simona de Simoni, située en face de la Porte d’Italie. Celle qui en est l’initiative est Aliénor de Cellès, dont nous avions déjà parlé sur Bla Bla Blog. Cette artiste passée par le stylisme, la mode et les costumes de scène a choisi la peinture comme terrain d’expérience et de création. Le dernier exemple en date est celui de la galerie qu’elle a fondée au cœur de la Préfecture du Var…"

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    5 Cabaret batave

    En fin d’année, Bla Bla Blog vous faisait découvrir le nouveau show-woman de Martineke Kooistra. Un anniversaire, ça se fête. L’artiste d’origine néerlandaise le faisait en spectacle, avec un sérieux sens d’humour, tout en faisant découvrir le cabaret batave. 

    Cabaret batave.png"Martineke Kooistra célèbre son demi-siècle, et elle ne le fait pas à moitié !
    Cela se passe au Théâtre Essaïon les dimanches à 17 heures 30 jusqu’au 16 janvier 2022.
    Venu des Pays-Bas, l’artiste propose un show mariant le one-woman-show, le stand-up et le tour de chant, dans son univers très à elle…" 

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    4 "J’incarne en quelque sorte « la maîtresse d’école »"

    On aime Flore Cherry pour ses engagements, les événements qu’elle organise et son actualité artistique. Elle arrive au pied du podium de cette année, grâce à une interview menée à l’occasion de la dernière édition du salon de la littérature érotique.

    Flore Cherry.png"Flore Cherry a accepté de répondre aux questions de Bla Bla Blog à propos de son actualité. Il y a, pour commencer, sa pièce de théâtre Le plus beau jour (de votre vie). Mais il y a aussi le salon de la littérature érotique, de retour le 28 novembre, salon qu'elle organise avec la foi du charbonnier. Ou de la charbonnière. 
    Bla Bla Blog – Bonjour, Flore. Journaliste, rédactrice, entrepreneuse, animatrice, auteure… On ne t’arrête plus… A ce sujet, préfères-tu écrivain, écrivaine ou auteure ?  

    Flore Cherry – Je préfère que mon interlocuteur choisisse son propre vocabulaire, surtout. Si pour lui, un écrivain est une femme, c’est OK. Mais j’ai une petite corde sensible pour auteure. Avec un joli -e…"

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    3 La vie commence à 40 ans

    En troisième position du classement de cette année, la chanteuse Andrea Ponti prouve qu’il est toujours temps de faire le buzz. Elle se place remarquablement sur le podium de cette année. Cette médaille de bronze permet de refaire parler d'elle. 

    Andrea Ponti.png"Repérée sur les réseaux sociaux l’an dernier durant le Grand Confinement, Andrea Ponti sort cet été son single "Il était temps", composé et écrit par François Welgryn et William Rousseau.
    Ce marque la naissance d’une interprète qui, à quarante ans, se lance dans la chanson. "Enfin j’ose et je réalise mon rêve en me sentant tellement épanouie dans cette nouvelle aventure que je souhaite la plus aboutie possible. Enfin, comme jamais auparavant je me sens alignée, centrée, complète… à ma place", explique-t-elle…"

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    2 Thomas Pourchayre : "Je digère beaucoup de choses, et j'en oublie beaucoup"

    Une interview arrive en seconde position. Elle concerne Thomas Pourchayre, un auteur que nous avions chroniqué pour son dernier ouvrage, Ève et l’Ange. Pour l’interview qu’il nous a accordés, il fait partie des grandes vedettes de 2021. Mérité, bien sûr !

    Thomas Pourchayre.png"Après avoir parlé du singulier conte Ève et l’Ange de Thomas Pourchayre, nous avons voulu en savoir plus sur l’auteur. Il a accepté de répondre à nos questions.
    Bla Bla Blog – Bonjour, Thomas Pourchayre. Vous sortez aux éditions Abstractions un nouveau livre, Ève et l’Ange. Peut-on dire qu’il s’agit d’un ouvrage hybride ? 
    Thomas Pourchayre – Ah... ! "Récit / nouvelle" ou "poème" ? Je crois qu'il a une unité, ce texte. Il est très homogène dans sa forme, même si elle est effectivement spéciale. Mon roman en cours, par différence, est fait de fragments de différentes natures : on peut dire qu'il est hybride. Mais Ève et l’Ange, à mes yeux, devrait être vu comme relevant d'un genre à part, rare mais pas inédit. Il est peut-être plus proche du conte, même si son style est singulier pour un conte. Bref, renonçons aux classifications !…"

    LA SUITE ICI...

    1 "Différenciation de la vitesse d’évolution intellectuelle"

    Et la grande gagnante des chroniques de Bla Bla Blog est une chronique inattendue sur - et c'est une nouveauté depuis que notre Top 10 existe ! - une publicité... Elle a été voulue par EDF et conçue par l’agence BETC/Havas. La vénérable entreprise publique a choisi de suivre Eva, croustillante et irrésistible looseuse magnifique. Un énorme coup de cœur, assurément !

    Differenciation de la vitesse.png"Parlons pub avec cet excellent spot proposé par EDF et l’agence BETC/Havas Paris, Eva et Violette. Le film a été réalisé par Réalité, de l’agence Big.
    La vénérable entreprise nationale d’électricité choisit l’humour et le contre-pied pour parler de son énergie vertueuse ("97 % sans CO2, grâce au nucléaire et aux énergies renouvelables")…"

    LA SUITE ICI...

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    Voir aussi : "Top 10 Bla Bla Blog 2020"

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  • Thomas Pourchayre : "Je digère beaucoup de choses, et j'en oublie beaucoup"

    Après avoir parlé du singulier conte Ève  et l’Ange de Thomas Pourchayre, nous avons voulu en savoir plus sur l’auteur. Il a accepté de répondre à nos questions.

    Bla Bla Blog – Bonjour, Thomas Pourchayre. Vous sortez aux éditions Abstractions un nouveau livre, Ève et l’Ange. Peut-on dire qu’il s’agit d’un ouvrage hybride ? 

    Thomas Pourchayre – Ah... ! "Récit / nouvelle" ou "poème" ? Je crois qu'il a une unité, ce texte. Il est très homogène dans sa forme, même si elle est effectivement spéciale. Mon roman en cours, par différence, est fait de fragments de différentes natures : on peut dire qu'il est hybride. Mais Ève et l’Ange, à mes yeux, devrait être vu comme relevant d'un genre à part, rare mais pas inédit. Il est peut-être plus proche du conte, même si son style est singulier pour un conte. Bref, renonçons aux classifications !

    BBB – Pourquoi ne pas avoir choisi la voix du roman et vous être mis en danger dans ce conte moderne ? 

    TP – Parce que chaque œuvre prend sa forme, et celle-ci a vraiment pris joyeusement celle-là. Cela faisait quelques temps que je faisais des haïkus d'humour noir avec un ange pour personnage. Cette histoire est un haïku qui a eu envie de respirer un peu plus longtemps que les autres (rires)... sans aller tout de même jusqu'au roman. Eve et l'Ange est un peu une nouvelle ; ce qui caractérise la nouvelle, c'est la chute, et la chute de l'Ange, cela fait sens. Tout cela est si cohérent (rires).

    BBB – Ève et l’Ange commence de manière prosaïque avec le départ d’une jeune femme – Eve – du domicile de son père – que l’on ne nomme pas mais que l’on identifie bien. C’est une lecture finalement très patriarcale de la Genèse. Est-ce ainsi que vous l’avez toujours considérée – patriarcale ?

    TP – J'ai une distance certaine avec la religion et j'espère aussi avec le patriarcat... par contre je suis plutôt joueur. Je prends des éléments, je les "échappe" de leur cadre comme je les éloigne des références du lecteur. La dose d'ironie n'en est que plus grande. Tout cela est à prendre hors du champ religieux, vraiment, et en même temps je reconnais avec jubilation le caractère ambivalent de mes choix : cela renforce le pied de nez ! La scène initiale installe les choses. Tout cela est très actualisable hors des tableaux classiques de la religion ou du patriarcat, il me semble : un parent veut le meilleur pour sa progéniture, espère un petit ange qui volette au-dessus de son chemin, espère lui apprendre tout le nécessaire en espérant ainsi influencer positivement sa vie, ou au moins son début... Mais en réalité on ne maîtrise pas grand-chose de ce qui arrive et toute tentative de contrôle amène tôt ou tard à une échappée. Là, la jeune femme s'échappe dès le démarrage, et finalement très en douceur.  

    BBB – Il y a cette Eve, une figure féminine incroyable d’aplomb, très libre aussi. Bien différente finalement de l’Eve de la Genèse. Comment l’avez-vous imaginée ? 

    TP – Les deux personnages se sont façonnés ensemble dans le dialogue. Par jeu, envie, tentation, mais par rejet aussi, car chacun a une certaine idée préconçue de ce qu'il lui faut...  C'est effectivement très différent de l'Eve de la Genèse, née de la côte d'Adam ! Ici ils sont l'un pour l'autre comme la poule et l’œuf !

    BBB – Vous prenez au mot l’expression "sexe des anges". D’où vous est venue l’idée de faire intervenir un ange dans votre récit ? Que représente-t-il ? 

    TP – Il y a un double point de départ. D'une part le sujet de la gravité, on y reviendra plus loin... Mais on conçoit assez simplement que l'ange est un personnage idéal pour la défier, cette gravité, quoiqu'elle représente ! L'autre point de départ ce sont mes jeux d'écriture, mes haïkus d'humour noir qui me venaient depuis un certain temps. 

    "Cette histoire est un haïku qui a eu envie de respirer un peu plus longtemps que les autres"

    BBB – Vous pratiquez l’art du télescopage dans votre manière de conter votre historie : textes sacrés, scènes réalistes, surréalisme également. On vous imagine nourri à beaucoup d’influences. Lesquelles ? 

    TP – Je digère beaucoup de choses, et j'en oublie beaucoup... Mais je suis persuadé qu'il en reste toujours une trace au fond de moi, sans que je puisse la décrire ! Je suis très loin des textes sacrés à titre personnel, je n'ai qu'un lien avec la religion. Il n'est pas anodin, même s'il est très distancié. C'est l'architecture. J'ai toujours été fasciné par les constructions religieuses, notamment de la période romane. Dans une église romane je me sens spirituellement libre (c'est beaucoup moins vrai dans les périodes ultérieures). Et puis si vous commencez à regarder les détails architecturaux, les motifs... vous découvrez surtout de l'humain. Telle ou telle figure, chimère ici ou là, mettent en scène un réel très prosaïque à côté de représentations qui relèvent parfois du surréalisme avant l'heure.  Au-delà, je vais dire que je me nourris beaucoup, avec autant de tendresse que d'énervement, du quotidien. Et évidemment, je révère Boris Vian et Beckett. Je ne sais pas ce qui rejaillit le plus ici.

    BBB – Le sous titre de votre livre est "La gravité négociable". Quelle est cette négociation dont vous parlez ? 

    TP – Ah ! Je suis très heureux que vous me questionniez là-dessus. Je resterai un peu elliptique pour pas être rasoir et moraliste. Montesquieu disait que "la gravité est le bonheur des imbéciles". La gravité est une des composantes les plus agaçantes du grand théâtre de l'époque, et de toutes les époques. Sans oublier notre petit théâtre intérieur. On est si grave avec soi-même, parfois... La gravité est quelque chose de factice, c'est une posture pour mimer l'émotion, le respect, la hauteur, l'importance, le pouvoir. Une façon de négocier avec les mirages... pardon pour le jeu de mots, mais je ne le crois pas illégitime ici. Là, je suis passé de sujet de la gravité tout court au sujet de la gravité terrestre, puis de la gravité terrestre à l'attraction des corps... On paraît s'éloigner du sujet initial mais la métaphore en garde quelque chose, il me semble. L'ange est la figure idéale pour démontrer à quel point la gravité est un artifice, voyez : même un ange prend plaisir à tomber, mais aussi à remonter. C'est sa façon de négocier. Sans mirage. Cherchons l'élévation autant que la chute. Ce sujet de la gravité, je m'en aperçois, est assez présent, chez moi. Mon premier recueil*, sur un tout autre sujet, partait d'une posture assez grave en regard du monde saturé dans lequel nous vivons... pour tout désosser.

    BBB – Pouvez-vous nous dire comment vous travaillez avec votre éditeur mais aussi avec l’illustrateur, Jean-Christophe Stauder, qui a conçu la couverture de l’ouvrage ? 

    TP – J'ai connu Quentin (mon éditeur) dans le cadre d'un projet qui lui tient à cœur, de longue date maintenant : un recueil collectif pour commémorer les événements de Stonewall aux US, emblématiques des luttes de la communauté LGBT. J'y ai participé. Finalement il a décidé de se lancer aussi dans l'aventure de la création d'une maison d'édition, d'y publier cette anthologie, et en parallèle il a fait l'erreur de me demander des manuscrits (je l'entends rire d'ici en lisant ces lignes).  Jean-Christophe c'est tout différent. Il m'a contacté dans le cadre d'un projet que je mène avec des amis... la création d'une  maison d'éditions un peu particulière**. Il avait été séduit par le projet, se proposait comme illustrateur si toutefois nous avions l'intention d'y avoir recours. Quand Quentin m'a dit « banco » pour Eve et l'Ange, il m'a demandé de réfléchir à la couverture... et je n'ai pas réfléchi longtemps : j'avais vu le travail à l'encre de Jean-Christophe, et c'était une évidence absolue. Je l'ai contacté, lui ai fait lire mon texte... Il a dit « banco » aussi. Jean-Christophe m'a fait beaucoup de propositions très séduisantes mais celle qui a atterri finalement en couverture présentait un parfait équilibre et un écho très précis au moment de la rencontre d'Eve et de l'Ange, au début de l'histoire.

    BBB – Quels sont prochains projets après ce livre ? 

    TP – Je suis très chanceux et occupé. Il y aura dans quelques semaines, toujours aux éditions Abstractions, un recueil de poésie assez consistant. Il s'appelle Du Chaos et de la bonne Digestion des Choses. Il traite, pour faire court, de l’ego et du passage à l'acte. Je finis un roman, aussi, en prenant mon temps... Et j'ai par ailleurs quelques pistes d'écriture, dont une avec l'artiste Juliette Choné. Sinon, comme je l'indiquais j'amorce une vie d'éditeur associatif et furtif. Les éditions du Facteur Galop publieront leurs trois premiers livres à semer en cette fin d'année, et l'intention est de relancer la machine assez vite ensuite pour publier une seconde série de publications. Pour finir, je me suis lancé avec une amie, Julie Renauld, dans un podcast littéraire*** ; j'ai été un peu le cobaye, on a enregistré les premiers épisodes autour de textes à moi. Ça a permis de se caler, de trouver le ton. On commence maintenant à s'ouvrir à d'autres auteurs (Florentine Rey et bientôt Estelle Dumortier). Mais ça va, j'ai encore un peu de temps pour dormir...

    BBB – Merci. 

    TP – Merci !

    * Le Dernier Livre du Monde, éditions Gros Textes
    ** Les éditions du Facteur Galop, www.editionsfacteurgalop.org
    *** Rue Poivre, www.ruepoivre.com 

    Thomas Pourchayre, Ève et l’Ange ou la Gravité négociable,
    éd. Abstractions, 2021, 63 p.

    www.editions-abstractions.com

    Voir aussi : "Un ange passe"
    "Ça caille les belettes"

    Illustration : Jean-Christophe Stauder, La Beauté sort du chaos, créée pour Ève et l’Ange ou la gravité négociable,
    encre du Japon et lavis. 15 cm x 20 cm. 2021

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  • Un ange passe

    Les deux personnages de ce conte moderne sont ceux du titre : Ève et l’Ange. Le court récit de Thomas Pourchayre publié aux éditions Abstractions met en scène les deux êtres les plus improbables qui soient, embarqués dans une histoire d’amour qui les surprend eux-même.

    Ève et l’Ange commence par l’évocation de la chute du paradis terrestre – en l’occurrence un foyer familial – ou plutôt patriarcat :  un père "attend sa fille son joyau majeure", telle une princesse de conte de fée. Mais elle tarde et ne reviendra pas : le père "attend longtemps… sa fille première fois ce soir-là s’est envolée".

    À partir de là commence l’histoire : celle d’une rencontre surréaliste entre cette Eve, irrésistible et assoiffée de vie ("La poitrine aboie / soudaine et gonflée") et un ange, "un ange... mais pas selon l’idée que les gens s’en font", précise l’auteur plus loin dans son livre. Cet être, comme sorti de l’enfance, découvre sa sexualité, qui est aussi la fin d’une forme d’innocence : "Mais où est passé la vierge à l’enfant / de mon enfance !" L’auteur avance aussi cet argument : cet ange est "descendu sur Terre pour éprouver [son] caractère et fortifier [ses] ailes." Mais aussi autre chose, serions-nous tentés de préciser.

    Il sera, par la suite, question  d’un jardin, de pomme aussi - mais pas de serpent, son rôle de tentateur étant endossé par l’ange, "le chaînon manquant", aussi crédule que fasciné par cette rencontre improbable mais qui promet de faire des étincelles : "Que viennent faire des anges qui passent / dans les moments d’intimité, hein ? / à qui s’en plaindre de toute façon ?" Une autre question se montre beaucoup plus directe : "Quelle femme voudrait d’ailes dans un lit ? / De clochettes contre ses cuisses ?"

    Thomas Pourchayre pratique l’art du télescopage dans ce conte surréaliste

    Thomas Pourchayre pratique l’art du télescopage dans ce conte surréaliste mêlant textes sacrés, souvenirs d’enfance, humour et saynètes prosaïques, telle la séquence de la terrasse de café, la découverte comique de l’appartement d’Ève ou des scènes d’intérieur que l’on croirait sorti de n’importe quelle émission de télé-réalité : Ève "s’installe dans le fauteuil velours velours / tambour d’attente / et feuillette un magazine féminin."

    Thomas Pourchayre se fait poète tout autant que disciple de Boris Vian dans sa manière de convoquer dans son récit des personnages singuliers, telle celle-ci : "Une femme pleure au clair de lune / car son lanceur de couteaux de mari, raconte-t-elle / trouve qu’elle n’a plus un physique aussi affûté qu’avant…"

    L’auteur a fait le choix de vers pour son récit mêlant poésie, religieux et érotisme, non sans de brillants aphorismes : "Les angélismes peuplent le monde / de diables forcenés, / de diables consternés tous moralistes". 

    Thomas Pourchayre, Ève et l’Ange ou la gravité négociable , éd. Abstractions, 2021, 63 p.
    www.editions-abstractions.com 

    Voir aussi : "Les loups sont entrés dans Paris"
    "Ça caille les belettes"

    Illustration :Jean-Christophe Stauder, La Beauté sort du chaos, créée pour Ève et l’Ange ou la gravité négociable,
    encre du Japon et lavis. 15 cm x 20 cm. 2021

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