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fantasy - Page 2

  • Les cygnes du crime

    Pour Encens (éd. SNAG), Johanna Marines transporte le lecteur à la Nouvelle Orléans, en 1919. Mais il s’agit d’une Louisiane imaginaire, dans un style steampunk. Ce sous-genre de la fantasy utilise la culture et l’esthétique des révolutions industrielles. Dans ces mondes imaginaires, se côtoient machines à vapeur, costumes victoriens ou second empire, bâtiments haussmanniens et omniprésence de l’acier.

    Dans Encens, l’Amérique de Johanna Marines est celle d’une Louisiane encore marquée par l’esclavagisme, la ségrégation et la Guerre de Sécession. Mais les progrès scientifiques ont conduit à la création d’illusionnautes, des ouvriers mécanisés qui ont remplacé les esclaves noirs ("[Les] automates [ont] remplacé nos pères dans les champs de coton") et ont pu par là même générer de nouveaux problème pour la société – imaginaire – de l’époque. Aux revendications de liberté pour ces machines répond une défiance de la part des êtres de chair et de sang. Cette coexistence difficile a conduit à des drames : "Les conflits entre automates et humains n’étaient qu’un éternel recommencement. Il y avait eu trop de morts dans les deux camps. Les souvenirs des fusillades et des exterminations de masse des illusionnautes, les automates de première génération, étaient dans toutes les têtes". Voilà pour le tableau général de ce roman. 

    Grace Parkins travaille au Mechanic Hall comme voyante dans le plus célèbre aérocabaret de la ville, au milieu d’artistes aussi bien humains que mécaniques. La jeune femme - noire - vit, comme ses contemporains, les pensées absorbées par une sombre menace : un tueur à la hache sévit à La Nouvelle Orléans. Il se trouve d’ailleurs que son propre père, policier, est chargé de l’enquête. Et si, en fait, il y avait deux tueurs au lieu d’un ? 

    Maligne, Johanna Marines fait de l’imaginaire un médium pour parler finalement de nous et de nos sociétés

    Le premier intérêt de cet étonnant roman de Johanna Marines est bien entendu l’univers de fantasy steampunk : une Amérique fantasmée, des robots mécaniques, un XIXe siècle imaginé. Nous voilà dans un monde fascinant, avec une héroïne attachante et non sans blessures ni secrets. Ajoutez à cela des inventions incroyables, avec notamment ce fameux cabaret aérien.

    Encens est aussi une histoire policière sur fond de tueur en série (au masculin ou au pluriel – je ne vous en dit pas plus). L’intrigue criminelle va vite mettre Grace Perkins, bien malgré elle, en situation de protagoniste mais aussi de témoin. Car le passé peut  revenir comme un boomerang : "Les objets et les gens de notre enfance nous semblent toujours en vie dans notre esprit. On pense qu’ils ne vieillissent pas quand ils sont loin de nous, pas vrai ? Pourtant le temps passe pour eux aussi. On croit qu’ils plongent dans un profond sommeil".

    Les meurtres particulièrement pervers deviennent une histoire personnelle et familiale, avec la présence de William Perkins et de son confrère Anton en enquêteurs perdus dans cette course au coupable. Et si les illusionnautes pouvaient être la clé de ce mystère ?

    Dans cette Amérique décalée et étrange, les ferrailleurs, machines humanoïdes et autres robots mécaniques font figure de victimes renvoyant à la ségrégation noire. Car, ici, le racisme change de couleur, si j’ose dire. Roman de fantasy autant que thriller, Encens envoie une série de messages engagés. Maligne, Johanna Marines fait de l’imaginaire un médium pour parler finalement de nous et de nos sociétés. 

    Johanna Marines, Encens, éd. SNAG, 2021, 500 p. 
    https://www.facebook.com/JohannaMarinesAuteur
    https://www.instagram.com/johannamarinesauteur
    http://www.gesteditions.com/snag/encens

    Voir aussi : "Les veilleurs immobiles"

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  • Une pièce de plus dans la saga One Piece

    Peut-on regarder le dernier One Piece (Red) sans avoir jamais vu aucun des films précédents ni non plus les quelques cent tomes des mangas éponymes. La réponse est : oui. Pour les non-familiers, One Piece est l'une des plus fameuses saga japonaise shōnen (dans le jargon, un manga destiné aux adolescents, donc bien genré…) qui a été créée en 1997 par Eiichirō Oda.

    Petit rappel pour les non-initiés : le "One Piece" désigne le trésor qu’un pirate légendaire a caché dans le royaume imaginaire de Grand Line. Le héros à chapeau de paille, Luffy, qui a acquis des pouvoirs de super-héros en devenant un adolescent élastique, se lance lui aussi dans la piraterie et suit de picaresques individus – souvent aux pouvoirs extraordinaires – sur les mers. Parmi ses compagnons de voyage, il faut citer le fameux capitaine Shanks le Roux.

    Les mangas sont connus pour leur longueur et pour des séries de plusieurs dizaines de volumes. One Piece ne déroge pas à la règle : après 25 ans d’existence, la série livres compte cette année 101 tomes, la série animé pour la télé pas moins de 1 000 épisodes au bout de 20 ans et 15 films ont été réalisés pour le cinéma. Le dernier en date, One Piece Film: Red vient de sortir, et c’est celui-ci qui va nous intéresser.

    Au moment où commence l’animé, l’île imaginaire d'Élégia voit une star de la pop music, la sémillante Uta, se produire au cours d’un concert retransmis dans le monde entier. La jeune chanteuse, qui est la fille du pirate Shanks, a connu une ascension spectaculaire et est devenue une idole pour un large public, y compris chez nombre de pirates qui sont présents sur Élégia. Luffy, qui a connu Uta lorsqu’elle était enfant, est également là. La chanteuse a cependant un but qui dépasse largement la sphère artistique et musicale. Grâce à ses pouvoirs vocaux, elle entend bien instaurer une nouvelle ère : mettre fin à la piraterie pour commencer, puis envoûter les populations, les endormir et instaurer une paix mondiale, quitte à asservir les corps de ses auditeurs et les rendent dépendants. Ce projet utopique cache une menace plus terrible encore : la libération d’un esprit malfaisant, Tot Musica.

    Un film qui donne la part belle au fantastique, à la fantasy mais aussi à la musique

    Disons-le tout de suite : cette énième création de One Piece est avant tout destinée aux fans, dont certains et certaines se sont particulièrement révélés lors de projections publiques cet été. Mais passons. Les non-initiés parviendront cependant à raccrocher les wagons dans un film qui donne la part belle au fantastique, à la fantasy mais aussi à la musique. Les détracteurs verront dans le nouvel opus de la saga un – très – long clip musical, avec Hoshi en doublure vocale d’Uta, un choix logique au regard de l’univers de l’auteure de "La Marinière", et qui se sort honorablement bien dans cet emploi pour la bande-son de l'animé.

    Les connaisseurs de la saga seront sans doute déconcertés par le scénario. Pas d’explorations en bateaux dans le film ni de recherches de trésor, mais un épisode centré avant tout sur Uta, au destin forcément atypique. L’artiste adulée fait l’objet au cours du film d’un joli conte, une sorte de dessin animé dans le dessin animé, et de loin la séquence la plus réussie du film.

    Pour le reste, dans une facture manga assez classique, non sans quelques piques d’humour, le public assiste à des scènes menées tambour battant : une chanteuse illuminée, un jeune pirate volant au secours de ses amis, le secret d’une jeune enfant douée pour la musique, une force maléfique et surtout beaucoup, beaucoup, beaucoup d’actions.

    Les combats se succèdent aux combats, que ce soit dans le monde réel ou celui des rêves, au point de rendre le film parfois confus. La séquence finale de bataille contre le mal fait le choix du spectaculaire, au risque de devenir abstrait.  

    Il ne reste plus qu’à connaître la suite des aventures de Luffy et consorts, dans la quête du fameux "One Piece", le créateur Eiichirō Oda parlant déjà d’une fin programmée de ses héros pour les prochaines années. Les fans auront donc encore quelques beaux moments de plaisir devant eux. Et, si ce n’est déjà fait, ils se précipiteront sans aucun doute sur ce épisode du jeune pirate super-héros.

    One Piece Film: Red, animé japonais de Gorō Taniguchi, studio Toei Animation, 2022, 115 mn
    https://www.kana.fr/univers/one-piece
    https://onepiece.fandom.com/fr/wiki/Toei_Animation

    Voir aussi : "Complètement baba de bulles"
    "Ce que l’on fait et ce que l’on est"

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  • Faites un vœu

    Salvatore Callerami au texte et au dessin et Antonio Fassio à la couleur signent le premier volume de la bande dessinée Dandelion (éd. Shockdom).

    Ce n’est pas une mais trois histoires qui sont proposées, en plus d’un prologue. La magie est le dénominateur commun de ces contes, destinés autant aux adultes qu’aux enfants.  

    Wéma est la charmante petite héroïne du volume. Il s’agit d’une dandelion, un esprit invisible née à partir d’un pissenlit sur lequel on souffle – le dandelion étant en botanique l’autre nom de cette fleur commune.

    Wéma ("Bienveillance") est une créature protégée par son guide, le lion Jua. La mission du dandelion ? Contribuer à rendre le monde et les hommes meilleurs en réalisant des vœux ("Le mal est partout. Il peut surgir au coin de la rue… la plupart du temps il se manifeste… comme une vocation naturelle de l’être humain"). Une petite fille lui donne l’occasion d’exercer son pouvoir le jour où elle souffle sur un pissenlit : Wéma doit répondre au vœu de rendre le chat de cet enfant éternel. Sur les conseils d’Yvonne, une déesse de retour d’exil, le dandelion part à la recherche de Kadish, une magicienne et protectrice des chats. Wéma s’embarque dans une aventure délicate et dangereuse. 

    Un chant d’amour pour les chats

    Le premier volume de Dandelion se lit comme un ensemble de contes à la fois fantastiques et philosophiques. Dans ce récit initiatique, Il y est question de l’enfance, de la cruauté de la vie et de la consolation que peuvent-être les souvenirs et la mémoire : "Apprendre à connaître le souvenir est important. Mais aussi savoir maintenir l’équilibre entre les plus tristes et les plus heureux".

    Le récit de Wéma ("Les lunes des chats") est suivi par deux autres histoires. L’une est consacrée à la genèse de Kadish, l’esprit des chats ("Kadish, la Dame des Chats") tandis que l’autre, plus moderne, raconte l’histoire de "Liubov, la petite fille à la robe de soie", dans une mise en page pastel, aux traits esquissés et au graphisme s’approchant de celui de certains mangas.

    La bande dessinée de Callerami et Fansion est aussi un chant d’amour pour les chats : "Égocentriques et toujours à la recherche d’attentions. [Les chats] ont l’habitude d’enchanter ceux qui les aiment par des miaulements langoureux, pour que l’homme préserve leur mémoire, seul moyen que leur esprit ne se dissipe pas complètement… Des souvenirs qui peuvent apporter du plaisir, mais aussi nous faire regretter ce que nous avons perdu."

    Salvatore Callerami et Antonio Fassio, Dandelion, vol. 1, Faites un vœu,
    éd. Shockdom, 2021, 96 p.

    https://shockdom.com
    https://www.facebook.com/salvo.callerami
    https://www.facebook.com/fassioantonio

    Voir aussi : "Frohe Weihnachten, Giulia"

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  • À Karim Berrouka, la fantasy reconnaissante

    Les fans et spécialistes auront immédiatement identifié Karim Berrouka comme l’ex-chanteur du groupe punk-rock emblématique Ludwig von 88. Pour autant, c’est de l’auteur de fantasy dont il sera question dans cette chronique.

    Il sort en effet en ce début d’année son dernier roman au titre provocateur et annonçant tout de suite la couleur : Le Jour où l’Humanité a niqué la Fantasy (éd. ActuSF). Comme on ne se refait pas, Karim Berrouka ne manque pas de consacrer plusieurs chapitres à une bande de punks en 1989, en bien fâcheuse posture au cours d’un festival autant déjanté que capital pour le récit. 

    Il faut dire que le roman part sur ce sacrées bases. Dans une obscure médiathèque, une prise d’otage a lieu. L’auteur est un étrange personnage habillé en lutin et au nom imprononçable (Puckamspinnrade) et dont les revendications et les menaces sont pour le moins étonnantes : "Vous avez niqué la fantasy !" Au même moment,  l'une des héroïnes du récit, Olga, a jeté son dévolu sur un coup d’un soir, un étrange personnage qui finit par ruiner son appartement en mitraillant son intérieur… à l’aide de son sexe ! La jeune femme s’en sort en se défendant à coup de batte et tuant du même coup celui qu’elle a eu tort de faire entrer chez elle. Sauf que son cadavre disparaît quelques heures plus tard. Aurait-elle rêvé ? 

    Des auteurs réels pris en otage pour les besoins du livre

    Voilà pour l’entrée en matière de Le Jour où l’Humanité a niqué la Fantasy. Si je vous dit qu’il est aussi question d’un enfant "schizophrène" conversant avec un démon, d’un étrange couple de spécialistes ès surnaturel, d’auteurs de fantasy séquestrés, de fées mal intentionnées, de vagues apocalyptiques, de boutons de manchette magiques ou de sacrifices humaines, vous comprendrez que Karim Berrouka entend bien donner un bon coup de pied dans la fourmilière dans un milieu littéraire toujours en plein renouvellement du genre.

    Le moins que l’on puisse dire c’est que l’écrivain ne s’embarrasse pas de précautions d’usage dans son roman mixant avec bonheur récit azimuté, personnages court-circuités, références littéraires assumées, clins d’œil appuyés et dialogues mêlant drôlerie et férocité.

    Karim Berrouka va jusqu’à mettre en scène des auteurs réels pris en otage pour les besoins du livre : en l’occurrence, Li-Cam, Elisabeth Ebory et Stefan Platteau. Les fans de fantasy seront aux anges. Karim Berrouka  s’offre même le luxe de faire intervenir son propre éditeur, Jérôme Vincent, auteur du dernier chapitre ("Scène finale post-narrative") qui est plus une présentation de la politique d’ActuSF qu’une réelle conclusion d'un récit complètement dingue.

    Tout cela donne un livre sous amphétamine qui se dévore d’une traite et qui fait de la fantasy le sujet principal de ce roman… de fantasy. Karim Berrouka entend ainsi montrer que ce genre sait non seulement se renouveler mais est également capable de ne pas se prendre au sérieux. Rien que pour ça, merci monsieur Berrouka.

    Karim Berrouka, Le Jour où l’Humanité a niqué la Fantasy, éd. ActuSF, 2021, 430 p.
    https://www.editions-actusf.fr/a/anonyme/le-jour-ou-l-humanite-a-nique-la-fantasy
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Karim_Berrouka

    Voir aussi : "Lorsque la réalité dépasse la science-fiction"

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  • Des animaux fantastiques 

    C’est un très beau livre que je vais vous présenter aujourd’hui : Le Livre extraordinaire des Créatures fantastiques (éd. Little Urban). Tom Jackson est au texte pour cette encyclopédie (quoique le terme n’est sans doute pas adapté pour un ouvrage de 80 pages), mais c’est sans doute son co-auteur, Val Walerczuk, qui devrait frapper les esprits pour ses dessins.

    L’ouvrage, dans un grand et élégant format, est une plongée dans des mondes imaginaires, avec des animaux parfois connus, parfois plus obscurs.

    Évidemment, les licornes, ogres, fées, géants et autres vampires nous parlerons. Mais le lecteur sera frappé par d’autres animaux fantastiques, inconnus dans ce coin du monde : le Kekpie, un esprit aquatique venu d’Écosse (et dont le monstre du Loch Ness serait apparenté), le Bunyip australien qui a fait l’objet de tentatives d’observations, l’effrayant Mannegishi canadien au corps d’alien, la fascinante Banshee irlandaise ("femme de la butte aux fées") dont le cri aigu est sensé prévenir la mort, l’Oiseau-Tonnerre amérindien ou la Goule, aux faux airs de Gollum.

    Pour cet aperçu de créatures fantastiques, les auteurs ont été jusqu’au Japon, avec ce démon-araignée qu’est le Jorogumo. Val Walerczuk s’est particulièrement surpassé avec cet animal effrayant. Avec une facture réaliste, le dessinateur fait des minotaures, yétis et autres dragons des êtres plus vrais que nature, à l’exemple du centaure prenant vie dans une pose expressionniste et bluffante, comme si cet être pouvait être croisé au coin de la rue.

    Du très grand art.  

    Tom Jackson et Val Walerczuk, Le Livre extraordinaire des Créatures fantastiques,
    éd. Little Urban, 2018, 80 p.

    https://www.little-urban.fr/le-livre-extraordinaire-des-creatures-fantastiques

    Voir aussi : "Buffy, vingt ans, tueuse de vampires"

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  • Les veilleurs immobiles

    Catherine Dufour propose avec Entends la Nuit (éd. L’Atalante) un singulier roman de fantasy urbaine dont le premier intérêt réside sans doute dans l’univers choisi par l’auteure : une entreprise de veille média au cœur de Paris. Myriame y est embauchée en CDD après un parcours personnel et professionnel des plus chaotiques. Parce qu’elle de retour des Pays-Bas et désargentée, c’est sa mère qui l’héberge les premiers temps. La modeste chargée de veille découvre son bureau, ses nouveaux collègues, une manageuse perverse et le petit monde d’une multinationale, la Zuidertoren. L’entreprise est dirigée par Coleraine, Normanby et Clare, des actionnaires anglais richissimes, inquiétants et mystérieux.

    L’entreprise dispose d’un logicien d’espionnage interne, Pretty Face : cette sorte de Facebook filme en interne ses employés, dont le visage est affiché en continu sur les écrans de la société. C’est dans cette ambiance paranoïaque à la Big Brother que, via ce réseau social,  Myriame est contactée par un certain Duncan Vane. L’individu, qui s’avère être un cadre haut place, s’intéresse à la jeune femme et se montre d’une extrême courtoisie, voire d’une civilité très "old school".

    Après lui avoir sauvé la vie après un mystérieux orage, il lui trouve un logement qui a la double particularité d’être contigu à la Zuidertoren et d'avoir été aménagé en luxueux studio meublé de style victorien. Duncan Vane dévoile sa véritable identifié : Lord Angus. Intriguée et séduite, Myriame, qui n’a communiqué avec lui jusqu’alors que virtuellement, est bien décidée à rencontrer son protecteur, soupirant et ange-gardien en chair et en os. Quoique l’expression "en chair et en os" n’est sans doute pas des plus appropriée.

    Avec ce roman de fantasy, Catherine Dufour s’empare du mythe du vampire, sans pour autant que ce terme soit vraiment approprié, comme l’indique un dialogue : "Vous êtes… un vampire ? Ou une goule ou… un zombie ?... — Non je ne le suis pas. Je suis un mur." Cette réponse énigmatique va s'éclairer par la suite.

    L’intrigue se précise à partir du premier tiers du livre, à la faveur d’une visite de l’Institut par une héroïne dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’a pas froid aux yeux. En enquêtant, elle découvrira l'existence de légendes urbaines, de lémures, de mânes et de défunts pas tout à fait morts. Et parmi ces êtres surnaturels, qui ont pris possession de lieux habités par les vivants, il y a ce Duncan Vane ("Je suis un spectre. Je hante. Je suis un dieu. Je crée et je détruis. Je suis un démon. Je possède et je dévore"). Il entraîne sa "fiancée" – si l’on peut employer ce terme – dans des univers à fois funèbres, dangereux mais aussi plus vivants qu’on ne le penserait a priori. Myriame suit Lord Angus au cœur de Paris, un Paris étrange, sombre et même gothique.

    Vrai roman de fin de siècle

    Vrai roman de fin de siècle, à l’image du titre qui reprend un vers de Baudelaire ("Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille. / Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici : / Une atmosphère obscure enveloppe la ville… / Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche"), Catherine Dufour fait déambuler le lecteur dans une ville peuplée d’êtres surnaturels, la plupart des mort-vivants. Son livre est une œuvre étrange mêlant polar, fantastique et romance surnaturelle. L’auteure y insuffle aussi une voix contemporaine à travers le personnage de Myriame, jeune femme obstinée, impertinente, plus romantique qu’il n’y paraît et cachant des failles que la rencontre de Lord Angus mettra au grand jour.

    S’y ajoute un message sous-jacent à cette histoire de puissants se cachant entre les murs, d’"hommes à bonnes fortunes", de "démolisseurs" et d'êtres inquiétants luttant pour le pouvoir - ou tout simplement pour exister. En entrant dans une multinationale au fonctionnement à la fois mystérieux et familier (la hiérarchie, le travail de bureau ennuyeux, le discours corporate ou les fêtes d’entreprise clinquantes), Myriame devient l’élément déclencheur d’une guerre souterraine entre puissants, guerre contre laquelle elle finit par s’insurger pour sauver sa peau : "Qu’est-ce que vous attendez de moi ?", dit-elle à son supérieur Coleraine, "Mais moi, je suis une travailleuse précaire ! Et mortelle, en plus ! Une smicarde doublée d’un éphémère. Traitez -moi de pute, si ça vous soulage. Mais c’est un métier exigent et utile, pute ! Alors que moi… un moucheron, voilà !"

    Entends la Nuit, roman de fantasy urbaine à cheval entre le XXIe siècle et le XIXe siècle (l’auteure de l’essai sur Ada Lovelace fait par exemple intervenir brièvement le père de la mathématicienne, Arthur Byron), prouve que le mythe du vampire (pardon : du lémure) reste une source inépuisable d’inspiration.

    Entends la Nuit a été récompensé par le prix Masterton 2019.

    Catherine Dufour, Entends la Nuit, éd. L’Atalante, 2018, 348 p.
    https://kat.mecreant.org
    https://www.l-atalante.com

    Voir aussi : "Merveilleuses artilleuses"
    "Catherine Dufour, Entends La Nuit", Fantasy à la Carte, décembre 2019

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  • Ma sorcière bien aimée

    Plus maligne qu’elle n’y paraît, The Witcher coche toutes les cases de la série de fantasy : un royaume imaginaire durant un Moyen Âge fantasmé, des héros sans peur mais pas sans reproche, de la magie à tous les étages et des êtres fantastiques – elfes, loups-garous et bien entendu dragons. Adaptation télé de la saga à succès d’Andrzej Sapkowski, The Witcher vaut largement le détour dans sa manière de raconter les quêtes de ses trois personnages principaux : il y a le sorceleur Geralt de Riv, la sorcière Yennefer de Vengerberg et la princesse Ciri, sur la trace du premier.

    L’arrière-fond de cette histoire est une guerre secouant tout sur son passage, à grands renforts de combats à l’arme blanche, de sièges implacables… et de tours de magie pouvant s’avérer d’une incroyable efficacité (épisode 8, Bien plus). Le fantastique est omniprésent dans The Witcher. Le Sorceleur est un chasseur de monstres à la fois redouté et méprisé. Il trace sa route dans des contrées malveillantes, sans cacher sa morgue à qui croiserait son chemin (ah, les fameux "Merde !" de Geralt de Riv, interprété par Henry Cavill – le "Superman" made in DC Comics –, complètement transformé pour ce rôle !). Yennifer, la sorcière au destin improbable, va finir par fendre l’armure du ténébreux chasseur de mutants, même si l’histoire amoureuse s’avérera – sans rien spoiler – assez "compliquée".

    "Petit porcelet"

    Qui dit quête, dit transformation identitaire des personnages, à commencer par Ciri, enfant royale choyée avant d’être plongée du jour au lendemain dans un monde de sang, de fer et de feu. La fin de la première saison promet d’ailleurs de futurs développements intéressants sur cette "enfant-lumière" – pour reprendre le terme du Shining de Stephen King.

    Contre toute attente, The Witcher brouille les cartes : Yennifer, paysanne laide et rejetée au début du récit (le "petit porcelet", souffre-douleur) devient grâce à la magie une magnifique et magnétique sorcière (épisode 3, Lune de trahison), au grand dam de sa perceptrice Tissaia, que le dernier épisode va montrer sous un nouveau jour.

    Mais si The Witcher fascine, c’est aussi et surtout parce que la showrunneuse Lauren Schmidt Hissrich a pris le parti d’un scénario non-chronologique, faisant alterner les époques, les quêtes, les voyages, les rencontres et les chasses aux monstres – qui ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

    La série ne fait pas l’impasse sur les combats rudes à la Game of Thrones, sur les guerres politiques ou sur les intrigues fantastiques (épisode 5, Espèces rares), mais avec une économie singulière de scènes érotiques – #Metoo est sans doute passé par là.

    The Witcher, vrai trip de fantasy, offre en plus un étonnant couple constitué de l'impressionnant Geralt de Riv et de la magnifique Yennefer de Vengerberg.

    The Witcher, série de fantasy de Lauren Schmidt Hissrich avec Henry Cavill, Freya Allan
    Anya Chalotra, Jodhi May et Björn Hlynur, USA, saison 1, 8 épisodes, Netflix, 2019
    https://www.netflix.com
    https://sapkowskipl.wordpress.com

    Voir aussi : "Ton univers impitoyable"

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  • Perdu au milieu des elfes

    fantasy,elfe,centaure,christine ringuet,romanElfes, licornes, hippogriffes, nains, centaures ou dragons : rien ne manque dans ce petit roman de fantasy qu’est La Constellation des Elfes, écrit et auto-édité par Christine Ringuet (Amazon).

    Dans le pays de Galiaé, un jeune homme, Kalen, recueille accidentellement une elfe et sa licorne. En quelques heures, sa vie ennuyeuse et pleine de frustration prend un tour féerique, dans tous les sens du terme. C’est aussi l’occasion pour lui de vivre sa va vie avec des créatures fantastiques et dans des pays pas moins imaginaires.

    On accroche ou pas à ce premier roman, relativement court pour un livre de fantasy (environ 200 pages). Les amateurs se laisseront conduire en douceur dans cette quête initiatique qui se laisse goûter sans honte.

    En début d’année, Christine Ringuet a publié son deuxième roman, Eléanor X (auto-édité lui aussi).

    Christine Ringuet, La Constellation des Elfes, Amazon, 2018, 205 p.
    https://www.facebook.com/christine.ringuet.7

    Voir aussi : "Taddeuz à l’école des sorciers"

    fantasy,elfe,centaure,christine ringuet,roman