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classique - Page 16

  • Kubrick, le musicien

    Dans ses premiers films, si l’attachement de Stanley Kubrick aux bandes originales est bien réel, ce dernier n’en est cependant pas encore à en faire un élément à part entière de ses créations. Jusqu’aux Sentiers de la Gloire, on ne sent pas chez le réalisateur américain le besoin ou la volonté de faire de la musique un élément à part entier de son œuvre. L’illustration sonore est certes importante mais elle en est encore à adopter plus ou moins les canons du cinéma hollywoodien et elle n’est pas un acteur majeur de ses films comme elle le sera par la suite.

    Une bande-son "sous influence"

    Dans sa première œuvre vraiment importante, Les Sentiers de la Gloire (1957), le réalisateur utilise à bon escient la musique, dirigée par Gerald Fried (qui a déjà œuvré avec Kubrick dans Fear and Desire et dans Le Baiser du Tueur) et l’orchestre philharmonique de Bavière, au service de son message antimilitariste : l’utilisation de percussions, une Marseillaise aux accents brutaux, une valse volontairement décalée et surtout la chanson allemande interprétée par Susanne Christiane (Ein ganzes Jahr und noch viel mehr) comme résonance à la fois sombre, cruelle et ironique de ce film tragique sur la vaste absurdité des guerres. Mais le cinéaste n’en est pas encore à prendre en main intégralement le choix de ses musiques.

    La chose est encore plus vraie en 1960 dans Spartacus, son film certainement le moins personnel mais cependant une étape capitale dans la carrière du metteur en scène américain. Le choix du compositeur lui échappe : il s’agira d’Alex North, ancien élève d’Aaron Copland et auteur de la musique d’Un Tramway nommé Désir d’Elia Kazan. La bande originale, bien que de qualité (Alex North a été nommé aux Oscars pour son travail), peut susciter des réserves : elle est élégante mais sans originalité malgré quelques thèmes de qualité. Kubrick est à la réalisation comme dans ses choix musicaux, "sous influence".

    Lolita et Dr Folamour : des B.O. légères ?

    Lolita (1962) est le premier film vraiment personnel de Kubrick. Il est cependant tentant de stigmatiser une nouvelle fois la légèreté de la bande originale : facture d’une comédie hollywoodienne classique, peu d’innovations chez Nelson Riddle. Cependant, il faut avoir en tête que cette adaptation du roman de Nabokov n’a rien d’une fresque romantique ou d’une tragédie grandiose : c’est une comédie dramatique acerbe dont le choix musical n’avait rien d’aisé.

    Kubrick s’en sort par un choix hétéroclite et finalement plutôt bienvenu : un thème majestueux et lyrique, la chanson espiègle Lolita Ya Ya interprétée par la toute jeune Sue Lyon, une composition sombre au clavecin (que certains critiques ont rapproché de Ligeti, l’un des compositeurs fétiches de Kubrick que l’on retrouvera quelques années plus tard dans 2001), un air de jazz et même une polonaise de Chopin. Au final, la bande-son de Lolita peut sembler dater ; mais il ne faut pas oublier que l’histoire de ce film est celle d’une adolescente des années 60.

    En 1963, pour Docteur Folamour, Kubrick fait appel à un musicien renommé, Laurie Johnson, que le grand public connaît comme le compositeur de Chapeau melon et Bottes de Cuir (The Avengers). Dans ce nouveau pamphlet antimilitariste (après Les Sentiers de la Gloire), la musique a pour leitmotiv le thème, très martial, When Johnny Comes Marching Home, avec cependant une orchestration décalée et volontairement légère (ballets, valses). Kubrick va plus loin en donnant à la chanson finale une facture romantique. Au final, la B.O. Dr Folamour est au service d’une thèse sur l’érotisation à outrance de la guerre, illustrée avec force par la chute de l’ogive nucléaire chevauchée par un soldat hystérique.

    Le tournant de 2001

    En 1968, 2001 : l’Odyssée de l’Espace marque une rupture. Stanley Kubrick fait cette fois le choix d’extraits musicaux qu’il sélectionne lui-même avec une très grande rigueur. Il peut sembler paradoxal que c’est au moment où l’artiste maîtrise à 100% son œuvre qu’il abandonne la collaboration de compositeurs de musiques originales. Kubrick assume cette décision : il est vain, explique-t-il en 1972 dans une interview à Michel Ciment, de demander à un musicien pop ou à un compositeur moderne une création pour ses films lorsque l’on peut trouver des œuvres orchestrales inestimables chez Mozart, Beethoven ou Strauss. En puisant dans le répertoire ancien, abondant et de qualité, Kubrick peut utiliser un matériau musical de qualité capable de servir ses films.

    La bande-son de ce film majeur aurait pu être bien différente. Pour 2001 : l’Odyssée de l’Espace Kubrick songe d’abord à faire appel à une composition originale. Il pense à Carl Orff, l’auteur des Carmina Burana (1937) et aussi d’un opéra tombé dans l’oubli et au titre emblématique, La Lune (1939). Cependant, l’âge du compositeur allemand (72 ans) rend difficile une collaboration avec un artiste aussi exigeant que Kubrick. Alors que celui-ci trouve la solution en imaginant un projet de bande-son (il songe d’abord à Félix Mendelssohn, Vaughan Williams et à Gustav Mahler avant d’abandonner ces idées premières), la MGM tente d’imposer une collaboration avec le compositeur Alex North, ravi de collaborer de nouveau avec le réalisateur après Spartacus. Le musicien propose 40 minutes d’une œuvre que Kubrick, d’abord satisfait, n’utilisera pas ; il revient au contraire à son projet initial d’une bande son puisant dans le répertoire du XIXe et du XXe siècle.

    Prenant à contre-pied tous les canons du cinéma, Kubrick fait débuter son film par un plan noir de plus de deux minutes illustré par la musique dissonante de György Ligeti Atmosphères (1961). Le choc de ces premières minutes précède l’ouverture d’Ainsi Parlait Zarathoustra de Richard Strauss. Ces trois notes les plus célèbres du cinéma, impressionnantes et magnifiques, servent aussi, disent certains critiques, le propos philosophique du Surhomme (Der Übermensch) qu’a développé Nietzsche dans son ouvrage Ainsi parlait Zarathoustra... György Ligeti est de nouveau présent plus loin dans le film dans le Lux Aerterna de son Requiem, notamment lors des apparitions du monolithe.

    L’autre extrait emblématique de ce film est Le Beau Danube bleu de Johann Strauss Fils. Ce choix aurait pu paraître surprenant pour un tel film ; en fait, il donne à cette œuvre de science-fiction une beauté majestueuse et universelle. Il faut cependant noter que le choix du Beau Danube bleu (vidéo ci-dessous) a été en fait purement accidentel : l’anecdote raconte que Kubrick a eu l’idée d’emprunter ce thème le jour où en visionnant des rushs représentant le vaisseau spatial lunaire, un technicien, qui s’ennuyait, écoutait cette valse viennoise...

    À noter aussi l’utilisation judicieuse de la langoureuse mais non moins sombre suite pour ballet Gayaneh d’Aram Khatchatourian lors de la scène de présentation du vaisseau spatial où coexistent dans une sorte d’apathie Dave l’astronaute et Hal l’ordinateur surdoué.

    Au final, Kubrick a affirmé que, dans ce film, il avait "cherché à créer une expérience visuelle, qui passe outre les catégories verbales et pénètre directement le subconscient, avec un contenu émotionnel et philosophique. Je voulais que le film soit une expérience intensément suggestive qui ramène le spectateur à un niveau plus intérieur de connaissance, justement comme le fait la musique. Vous êtes libres de réfléchir comme vous le voulez sur la signification philosophique et symbolique du film."

    La réussite musicale de 2001 : L’Odyssée de l’Espace est telle que pour longtemps encore l’air du Beau Danube bleu, celui d’Ainsi Parlait Zarathoustra et la musique de György Ligeti en général resteront liés à cette œuvre culte du cinéma… ce qui n’a pas empêché ce dernier d’intenter un procès à la MGM pour l’utilisation de son œuvre !

    L’expérience d’Orange Mécanique

    Dans Orange Mécanique (1973), le compositeur Beethoven est la seule passion du héros Alex, que ses instructeurs moraux transforment par la suite en réflexe pavlovien. Il était donc logique que le musicien allemand soit au centre du film choc de Kubrick. Kubrick fait le choix d’utiliser des extraits de la 9ème Symphonie de Beethoven adaptés au synthétiseur par la musicienne Wendy Carlos (qui a commencé sa carrière sous le nom de Walter Carlos).

    Cette dernière ne se contente pas de travailler des œuvres de Beethoven ; outre plusieurs compositions originales, elle adapte également Rossini (La Pie Voleuse, l’ouverture de Guillaume Tell) et Edward Elgar (Pompes et Circonstances). Cette bande son reconnaissable entre toutes, car dénaturant complètement les œuvres classiques originales, accentue l’impression de malaise. Kubrick va plus loin dans la provocation en utilisant en générique de fin le célèbre standard crooner Singin’ in the Rain, clin d’œil sarcastique semblant signifier qu’aucun happy end n’est de mise dans ce pamphlet interrogeant la violence sociétale. D’ailleurs, c’est cet air qu’Alex chante lors de la scène de viol du début du film.

    Barry Lyndon : Oscar de la meilleur BO

    flFl_Illustration_21192.gifDans Barry Lyndon, le réalisateur revient à une orchestration plus traditionnelle. Comme pour 2001 : L’Odyssée de l’Espace, le cinéaste prend un soin particulier à choisir les extraits musicaux qui illustreront ce film historique. Il utilise des extraits de compositeurs du XVIIIème siècle et du début XIXème siècle : Bach, Schubert, musiques traditionnels anglaises et la célèbre Sarabande d’Haendel, orchestrée de différentes manières. Cette Sarabande est utilisée telle un leitmotiv accompagnant l’ascension et la chute de Barry Lyndon. Les scènes de vie et de guerre sont illustrées d’airs traditionnels (Piper’s Maggot Jig, The Sea-Maiden, British Grenadiers, Lilliburlero) joués sur des instruments d’époque et donnant ainsi au film un parfum d’authenticité.

    L’entrée de Barry dans "le grand monde" est illustrée par des extraits de musique classique donnant aux scènes une ampleur et une luxuriance qui a fait la célébrité de ce film. Idoménée de Mozart, un concerto pour violoncelle de Vivaldi et surtout le Trio en mi bémol de Schubert subliment les images de Kubrick. Il a été judicieusement fait remarqué à ce dernier que Schubert était un compositeur du XIXe siècle et que ce trio était donc anachronique dans ce film d’époque se situant un siècle plus tôt ; Kubrick a répondu qu’il a fait ce choix esthétique car il n’avait trouvé aucun autre morceau se prêtant aussi bien à son film. Au final, la musique originale de Barry Lyndon vaudra à l’arrangeur Leonard Rosenman un Oscar pour son travail.

    Shining et Full Metal Jacket : L’effroi des images et le choc musical

    En 1979, la sortie de Shining est un choc pour le cinéma d’épouvante : rictus de Jack Nicholson, huis clos étouffant dans un hôtel immense et somptueux, omniprésence de la lumière blanche, adaptation contemporaine du mythe de la damnation. Il fallait une musique à la hauteur de ce choix esthétique ; elle fera date et école dans le cinéma d’horreur et d’épouvante. Kubrick choisit d’utiliser une BO exigeante et oppressante. Wendy Carlos, qui avait œuvré dans Orange mécanique, est mise à contribution et compose l’ensemble de la bande originale. Mais Kubrick prend le parti de n’utiliser que deux morceaux, un Dies Irae et Rocky Mountains, que l’on entend au début du film - ce qui décevra fortement Wendy Carlos.

    L’ensemble de la bande-son est d’abord un emprunt au répertoire contemporain : la Musique pour cordes, percussions et célesta de Béla Bartok (1936), plusieurs œuvres du compositeur polonais Krysztof Penderecki (Utrenja, De Natura Sonoris n°2, Le Réveil de Jacob, Polymorphia). L’utilisation de cordes nerveuses, les percussions et les dissonances participent à l’atmosphère angoissante de cette adaptation du roman de Stephen King.

    Dans Full Metal Jacket, violent film antimilitariste, Kubrick ne pouvait pas appréhender musicalement cette œuvre de la même manière que Les Sentiers de la Gloire ou que Dr Folamour : 30 années avaient passé au cours desquelles le monde avait connu les bouleversements des révolutions sociétales de 1968 ; de plus, aux États-unis la Guerre du Vietnam avait bouleversé toutes les certitudes américaines. Full Metal Jacket est donc un film engagé et qui se situe dans son époque. Kubrick choisit donc pour accompagner sa bande son de musiques pop et rock, un genre pour lequel il est moins sensible que le jazz, le classique ou le contemporain. Pour autant, le cinéaste fait mouche : pour décrire la vie de jeunes hommes confrontés à l’expérience humiliante de l’instruction militaire puis de la guerre, Johnny Wright, The Dixie Cups, Sam The Sham And The Pharaohs, Chris Kenner, Nancy Sinatra, The Trashmen ou les Rolling Stones paraissaient mieux indiqués que Mozart, Ligeti, Schubert ou Beethoven ! En outre, Stanley Kubrick demande à sa fille Abigail Maed d’inclure des compositions originales. La musique est au service du réalisme du film tout en servant de contre-pied ironique aux propos engagés de Kubrick : le rock, musique festive et exutoire, illustre une guerre absurde et des comportements militaires peu édifiants, le tout étant contrebalancé par la BO inspirée d’Abigail Maed.

    Eyes Wide Shut : un aboutissement visuel et musical

    Au sommet de son art, Kubrick n’a pas caché qu’il tenait Eyes Wide Shut comme le meilleur film de sa carrière. Une fois de plus, il va prendre un soin particulier à adapter la bande son à cette fiction dramatique. La principale difficulté est que ce drame intimiste baigne tout entier dans une sorte de torpeur, à mi chemin entre la réalité et le rêve. La musique est d’une grande variété : le jazz avec le standard Strangers In The Night, le pop-rock avec le tube de Chris Isaak Baby Did A Bad Thing, la musique classique avec la valse Jazz Suite de Chostakovitch qui va devenir internationalement connue et la musique contemporaine avec Ligeti (Musica Ricercara n° 2, utilisée dans la scène de l'orgie).

    La valse néo-classique de Chostakovitch, derrière sa légèreté, illustre les failles dans le couple Bill-Alice (le départ pour la fête) : l’examen d’une jeune femme à moitié nue (Mandy !) dans le cabinet de Bill contraste avec une scène banale – pour ne pas dire ennuyeuse – lorsqu’Alice s’occupe de sa fille. Preuve que cette valse n’est qu’une illusion, au moment du départ à la soirée du début du film, Bill coupe lui-même la chaîne et la musique s’éteint.

    La valse est la musique de l’illusion ; le jazz, lui, est celle de la tentation : la fête des Ziegler pendant laquelle Alice est draguée, la rencontre avec la prostituée Domino, les retrouvailles avec le pianiste de jazz qui introduit Bill à la fête du château.

    La musique pop-rock (Chris Isaak) est utilisée dans la scène phare du film : la scène de séduction devant le miroir est érotisée à l’extrême grâce aux couleurs chaudes et surtout à la musique - et aussi pour le spectateur un tant soit peu averti par le fait qu’Alice/Kidman et Bill/Cruise sont à l’époque en couple à l’écran comme à la ville. La chanson Baby Did A Bad Thing n’est pas qu’une illustration sonore d’une des scènes les plus célèbres de l’œuvre de Kubrick : c’est aussi et surtout une chanson qui exprime le sentiment de culpabilité d’Alice, appuyé par son regard sombre.

    La musique contemporaine accompagne les interrogations, les doutes et les fantasmes des protagonistes : l’angoisse et la paranoïa de Bill est servi par la Musica Ricercara n°2 de Ligeti (une nouvelle fois mis à l’honneur par Kubrick), la jalousie lorsqu’il imagine sa femme entre les bras d’un officier de marine est illustrée par un morceau de Jocelyn Pook (The Naval Officer) tout comme les séquences orgiaques.

    C’est sans doute dans ce dernier film que la science de l’utilisation de la bande-son peut être considérée comme aboutie. Pour la dernière fois de sa vie, Kubrick prouve ainsi qu’en plus d’être un cinéaste impressionnant, il est un musicien et un mélomane inspiré.

    Cinezik.org
    Les Cramés de la Bobine
     

     

  • Barry Lyndon, une parabole sur la destinée humaine

    Dans le cadre de la rétrospective Kubrick à Montargis en novembre 2009, le site des Cramés de la Bobine, association d'art et d'essai locale à l'origine de l'événement, proposait une série d'articles sur Barry Lyndon.  

    Parmi ces billets, je vous recommande celui de Claude Sabatier : "Barry Lyndon, une parabole sur la destinée humaine".

    Les Cramés de la Bobine

  • "Eyes Wide Shut" : Les yeux grands ouverts

    Douze années séparent Full Metal Jacket d’Eyes Wide Shut. Durant cette période, Stanley Kubrick travaille sur plusieurs projets de films : Une Education polonaise, un film sur la Shoah que Kubrick interrompt lorsqu’il apprend que Spielberg tourne La Liste de Schindler et IA Intelligence artificielle qui sera finalement réalisé par… Spielberg.

    Au milieu des années 1990, Kubrick reprend la caméra pour tourner un "petit film intimiste", l’adaptation contemporaine d’une nouvelle de l’auteur autrichien Arthur Schnitzler, Traumnovelle (La Nouvelle rêvée), sujet qu’il comptait déjà réaliser en 1968. Le scénario d’Eyes Wide Shut est co-écrit avec le scénariste français Frédéric Raphael. Les deux hommes travaillent sur une histoire mêlant crise conjugale, fantasmes, rêves érotiques, aventures amoureuses réelles et occasions manquées.

    Comme à son habitude, Kubrick opte pour des personnages contemplatifs, des mouvements de caméras fluides, l’utilisation de couleurs primaires, donnant à son film une atmosphère onirique. Le tournage du film débute fin 1996 dans le plus grand secret et non sans difficultés. Il dure 19 mois. Stanley Kubrick doit s’adapter aux acteurs qu’il dirige. Le couple Tom Cruise et Nicole Kidman est à l’époque l’un des plus en vue. La perspective de les voir ensemble à l’écran sous la direction de Stanley Kubrick suscite la curiosité du public. Le cinéaste doit aussi remplacer au pied levé Harvey Keitel qui quitte le tournage au bout de six mois. Il est remplacé par Sydney Pollack. De même, Kubrick décide également de retourner une scène entre Tom Cruise et Jennifer Jason Leigh, qui avait été engagée pour tenir le rôle de Marion. Malheureusement, à l’époque cette dernière est déjà sur le tournage d’eXistenZ de David Cronenberg. La scène est donc retournée mais avec l’actrice suédoise Marie Richardson.

    La fin du tournage a lieu en juin 2008. Le film est présenté quelques mois plus tard à la Warner. Lors de la projection le 6 mars 1999, Kubrick confie qu’Eyes Wide Shut est son meilleur film. Il décède d’une crise cardiaque le lendemain.

    Eyes Wide Shut, de Stanley Kubrick, avec Tom Cruise, Nicole Kidman et Sidney Polack, Etats-Unis, 1999, 159 mn

    La suite, ici avec les films laissés à l'état de projet par le réalisateur

  • 2001 en 1968

    En 1964, L’année de la sortie de Docteur Folamour, Kubrick rencontre Arthur C. Clarke. Ils décident de collaborer à un film de science-fiction. Clarke propose comme point de départ sa nouvelle La Sentinelle, écrite en 1948. Le sujet de cette histoire est la découverte par des astronautes d’un tétraèdre extraterrestre sur la lune.

    Kubrick et Clarke travaillent simultanément sur ce projet : le scénario pour Kubrick et un roman pour Clarke. Le parti pris est de construire une vaste saga de l’humanité depuis la naissance de l’intelligence humaine plusieurs milliers d’années avant notre ère jusqu’à la rencontre avec de nouvelles intelligences (artificielle puis extraterrestre) dans le futur.

    2001 : L’Odyssée de l’Espace (A Space Odyssey), film de science-fiction autant que fable philosophique et poétique, est d’une puissance et d’une ambition sans égale. Cette œuvre mythique a marqué le cinéma comme jamais. Kubrick, cinéaste confirmé en pleine maîtrise de sa technique, use de moyens jamais vus pour ce tournage. Il s’entoure de techniciens renommés et s’appuie sur des outils révolutionnaires de la NASA pour élaborer un film aussi impressionnant que magnifique.

    Cette œuvre audacieuse et complexe est en outre indissociable de sa bande-son : l’ouverture d’Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss (les trois plus célèbres notes de musique de l’histoire du cinéma !), le Kyrie de Ligeti et bien sûr Le Beau Danube Bleu achèvent de donner à ce film une couleur majestueuse.

    Il y a eu sans nul doute un avant et un après 2001 : l’Odyssée de l’Espace. Signe des temps, le film est sorti en 1968, année révolutionnaire s’il en est !

    2001, L'Odyssée de l'Espace ( A Space Odyssey), de Stanley Kubrick, avec Keir Dullea, Gary Lockwood et William Sylvester, Etats-Unis, 1968, 139 mn

    La suite de ce dossier ici, avec un focus sur Shining...

  • Nannerl, sœur de Mozart et génie sacrifiée

    A l'occasion de la journée de la femme, le bloggeur voudrait faire un éclairage sur une de ces nombreuses femme de génie qui a pu être sacrifiée et oubliée. 

    Pourquoi ne pas parler de Maria Anna Walburga Ignatia Mozart (1751-1829), dite Nannerl, brillante musicienne et compositrice mais dont toutes les œuvres ont disparu ? Cette femme a fait l'objet d'un film sorti discrètement en 2010, Nannerl, la Sœur de Mozart, un long-métrage historique et somptueux du réalisateur français René Féret.

    L’auteur de L’Histoire de Paul et La Communion solennelle nous plonge dans l’histoire d’une femme restée dans l’ombre d’un génie musical exceptionnel.

    Qui savait que Wolfgang Amadeus Mozart avait non seulement une sœur mais en plus une sœur talentueuse dont la carrière prometteuse a été éclipsée ? Maria Anna Mozart, surnommée Nannerl, est née en 1751 et a reçu à l’âge de 7 ans une éducation musicale par son père, le charismatique Léopold Mozart.

    Ce dernier la promet à un brillant avenir. Mais les convenances de l’époque – une femme ne doit pas composer ! – autant que la précocité de son jeune frère Wolfgang condamnent Nannerl à rester dans l’ombre et à n’être que témoin de la carrière fulgurante de l’auteur de Don Giovanni.

    René Féret n’a pas souhaité faire une reconstitution fidèle du XVIIIe siècle - jusque dans les choix de la bande originale ! Son objectif est de mettre au centre de son film la musique et surtout le destin d’une artiste bridée du fait des convenances de son époque et de sa famille. Plus familier des chroniques contemporaines que des films historiques, le cinéaste fait le choix de parler de création dans un long métrage dont il assume l’aspect fictionnel. Le critique Alain Riou ajoute que le cinéaste, qui s’est longtemps battu pour ce film, a mis dans Nannerl, la Sœur de Mozart des éléments de son histoire personnelle et de son enfance. 

    Nannerl, la Soeur de Mozart, de René Féret, avec Marie Féret,
    David Moreau, Marc Barbé, Delphine Chuillot, France, 2010, 120 mn

  • Le bloggeur vous adresse ses vœux

    Puisque c'est d'actualité, c'est à mon tour de vous adresser mes vœux pour cette nouvelle année. Des expressions telles que "Bonne année 2015", "Vœux de santé, de bonheur et de prospérité" font florès. En ce qui me concerne, je ne peux que souhaiter que cette future année 2015 soit meilleure que 2014. Ce ne sera déjà pas si mal que cela.  

    Cette année passée a été importante pour ce blog qui, après sept ans d'existence, a pris une nouvelle jeunesse et a été entièrement refondu (comme d'ailleurs mon site Internet !). Depuis le mois de septembre, j'ai eu le plaisir de vous faire partager mes moments de lecture, de cinéma ou de découvertes et j'ai constaté avec plaisir que vous étiez nombreux à me suivre. Merci à vous !

    Je continuerai en 2015 à vous parler – de la manière la plus subjective qui soit ! – de mes découvertes, de mes passions et, pourquoi pas aussi, de mes coups de gueule. Je peux d'ores et déjà vous signaler quelques futurs billets : une série d'articles sur Stanley Kubrick, des critiques de musique classique et d'opéras (je vous parlerai notamment d'une époustouflante Lulu), un coup de projecteur sur Christine and the Queens pour commencer l'année et des billets sur plusieurs livres – récents et moins récents. 

    En somme, de bonnes résolutions pour 2015. 

  • Les Variations "Gouldberg"

    "Il est génial et c'est nous qui l'avons !" Ainsi pouvait se résumer l'état d'esprit de la Columbia lorsque le jeune Glenn Gould, 22 ans en 1955, signa avec avec la major américaine pour son premier disque. Un premier disque qui, au début, laissa perplexe ses producteurs. 

    Le musicien canadien s'était déjà fait remarquer lors de concerts, autant pour ses choix musicaux hétéroclites et assumés (des compositeurs élisabéthains côtoyaient Beethoven, Webern et, déjà, Bach) que pour sa présence physique reconnaissable entre toutes lors de ses interprétations : position basse sur son siège, virtuosité, jeu non legato, visage hypnotisé, concentration telle que l'artiste allait jusqu'à chantonner durant ses propres exécutions – ce qui n'ira pas sans donner des sueurs froides aux ingénieurs du son !

    Devenu un des poulains de la Columbia, Glenn Gould devait enregistrer le premier de ses nombreux enregistrements. Quelle œuvre allait être choisie par le musicien ?

    Si le pianiste ne montrait pas beaucoup d'intérêt pour le répertoire romantique, il n'était pas absurde de penser qu'il allait jeter son dévolu sur Beethoven ou Bach. Et si c'est effectivement ce dernier qui fut choisi, ce fut pour une œuvre peu enregistrée jusqu'alors : les Variations Goldberg. La surprise était manifeste.

    Ces 30 variations sur un aria (cataloguées sous la référence BWV 988), exercice pour clavier datant des années 1740, étaient destinées selon la légende au jeune Johann Gottlieb Goldberg, claveciniste doué et élève de Jean-Sébastien Bach. Cette série de courts thèmes et variations ne suscitaient pas l'enthousiasme au sein de la Columbia. Qui s'intéressait au début des années 50 à ces Variations Goldberg, du reste peu enregistrées et surtout mal connues du public ?

    Mais, les producteurs plièrent. On ne pouvait déjà rien refuser au jeune Glenn Gould.

    Contre toute attente, ces trente-deux arias et variations suscitèrent l'enthousiasme critique et surtout public. Les ventes de disques explosèrent. Glenn Gould devint instantanément une star. Comme le commenta son compatriote Norman Snider, "Si une lycéenne possédait un disque de musique classique parmi des enregistrements de Dave Brucecks ou du Trio Kingston, c'était sans doute les Variations Goldberg" ("Indeed, if a college girl had one record of serious music among the Dave Brubecks and Kingston Trios, it was likely to be the Goldberg Variations"). 

    Cette référence à quelques standards de jazz n'est pas anodin. Virtuose, Gould offrait un nouveau souffle à cette œuvre austère, lui donnant du rythme et même, diront certains, du swing. La relecture des Variations Goldberg hérissa le poil de nombreux puristes mais le public ne s'y trompait pas, qui fit un triomphe au pianiste au point de le rendre légendaire.

    Mais l'histoire des "Variations Gouldberg" ne s'arrête pas là. 

    26 ans plus tard, dans la dernière année de sa vie, Glenn Gould offrit une nouvelle version de cette œuvre devenue culte et célèbre grâce à lui. Il choisit cette fois une interprétation lente, sombre et contemplative, plus longue de 13 minutes que l'enregistrement de 1955 ! Le jeune homme impétueux des premières années avait laissé place à un homme mûr, plus intériorisé et d'abord soucieux de comprendre l'essence même de Bach. 

    Ces deux enregistrement éloignés dans le temps, l'un débutant et l'autre clôturant une carrière exceptionnelle, offrent deux visages diamétralement opposées d'un même morceau. Deux visages, deux chefs-d'œuvres, mais un seul interprète. 

    Jean-Sébastien Bach et Glenn Gould, Variations Goldberg (version de 1955), Sony Classical
    Jean-Sébastien Bach et Glenn Gould, Variations Goldberg (version de 1982), Sony Classical

  • Concerto pour piano seul

    Le deuxième concerto pour piano de Rachmaninov est souvent considéré comme un des summums du répertoire pour clavier, en raison de sa virtuosité. 

    C'est sur Internet que la pianiste Valentina Lisitsa s'est fait connaître grâce à une interprétation rarement vue et entendue de ce concerto pour piano puisque, à défaut d'orchestre pour l'accompagner, elle l'interprète seul. Un véritable exploit, tant cette oeuvre est riche en couleurs et en variations. 

    On peut ne pas être sensible à la facture un peu désuète de ce film mais sûrement pas au tour de force de Valentina Lisitsa qui a pris en main un "Everest" de la musique classique avec audace et conviction.

    Egalement visible sur Youtube, le deuxième mouvement et le dernier mouvement.