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soprano

  • 5 femmes

    L'album Filiations du label Présences Compositrices est consacré à trois compositrices. La plus connue, Nadia Boulanger (1887-1979), côtoie Elsa Barraine (1910-1999) et Henriette Puig-Roget (1910-1992). En dépit de leurs états de service – compositrices, instrumentistes hors pair, pédagogues et toutes trois Prix de Rome – c’est le silence ou, au mieux, le dédain poli qui ont fait écho à leur carrière. Injuste ! Une injustice que proposent de réparer deux autres femmes, la soprano Clarisse Dalles et la pianiste Anne Le Bozec. Elles interprètent un choix de chansons et d’airs de ces trois musiciennes du XXe siècle que beaucoup d’entre nous découvrons ici. Il était temps.  

    La première compositrice qui a l’honneur de cet album est Nadia Boulanger. Sa sœur Lili Boulanger a certes eu droit à la postérité grâce à ses mélodies régulièrement jouées. Ce n’est pas le cas pour Nadia. Clarisse Dalles et Anne Le Bozec sortent de l’ombre trois chansons à la facture très musique française du début du XXe siècle. Nadia Boulanger a mis en musique deux poèmes de Camille Mauclair (le cruel et romantique "Elle a vendu mon cœur", "Le couteau") et des textes de Verlaine ("Soleil couchants"), Georges Delaquys ("Les lilas sont en folie") et un "Cantique" de Maurice Maetelinck. L’auditeur s’arrêtera sans doute sur ce dernier titre à la fois mélodieux délicat et d’un fort mysticisme ("A toute âme qui pleure / A tout péché qui passe / J’ouvre au sein des étoiles / Mes mains pleines de grâce"), puisqu’il est tiré de Sainte Béatrice, écrit en 1900 par l’écrivain belge. Cette chanson lumineuse est contrebalancée par le sombre "Couteau" ("J’ai un couteau dans l’cœur / - Une belle, une belle l’a planté").

    Passons à Elsa Barraine qui est la première grande découverte de cet album de Présences Compositrices. Il faudrait une chronique entière sur elle pour parler de son parcours : élève de Dukas, Prix de Rome à 19 ans pour une cantate consacrée à Jeanne d’Arc (La Vierge guerrière), elle devient une instrumentiste demandée et chef de chœur, en même temps qu’elle s’engage pour la culture populaire en pleine période du Front Populaire. Communiste, elle s’engage dans la Résistance en pleine seconde guerre mondiale. Après la Libération, son engagement est intact alors qu’elle devient une compositrice de musiques de film et de pièces de théâtre (ses commanditaires se nomment Jean Grémillon, Jacques Demy, Charles Dullin ou encore Jean-Louis Barrault). 

    Sacrée découverte !

    Ce sont ici cinq chansons d'Elsa Barraine qui sont proposées. On est frappé par la diversité des influences. À une mise en musique très classique du premier Nobel de Littérature Sully Prudhomme ("Ne jamais la voir") succède un poème d’Armand Foucher ("Pastourelle"). On entre ici dans la modernité et, musicalement, Erik Satie dans la retenue et Olivier Messiaen dans la composition moderne, ne sont pas loin dans ce texte bucolique et régionaliste : "Paissez mes moutons dans la plaine, / La bonne herbe de la Lorraine, / Mes beaux moutons blancs".  Plus étonnant, c’est l’auteur chinois du VIIIe siècle Xuanzong qui a les honneurs de la compositrice avec un "Chant des marionnettes". Dans cette chanson courte (moins de deux minutes), Elsa Barraine s’amuse du rythme syncopé, à la fois hommage à la culture chinoise et plongée dans la musique contemporaine dans ces années de composition bouillonnantes (1934 et 1935). Autre audace moderne encore avec cette fois une mise en chanson à la facture musique française du XXe siècle de deux textes… de l’écrivain, poète et musicien indien Rabindranath Tagore. Ce sont les délicieux airs "Je suis ici pour te chanter des chansons" (Tagore n°15) et "Je ne réclamerai rien de toi" (Tagore n°54). Les couleurs, les nuances, les rythmes et la voix claire de Clarisse Dalles montrent l’audace d’Elsa Barraine, compositrice hardie, passionnante, romantique et même romanesque. Une sacrée découverte !    

    Henriette Puig-Roget a les honneurs de la seconde moitié de l’album avec un inédit, le cycle Le temps de la solitude, publié à la SACEM en 1942. La compositrice a mise en musique douze mélodies sur L’Offrande lyrique de Rabindranath Tagore – de nouveau –, poèmes qui avaient été traduits par André Gide. On navigue dans ces chansons mystérieuses où la nature omniprésente reflète les tourments exprimés par Clarisse Dalles et Anne Le Bozec. Ce sont les saisons éphémères, les "vagues bruyantes" ("Absence", Tanagore n°21), les lourds nuages et la plage déserte ("Plante", Tanagore n°18), les nuits d’orage et la "menaçante forêt" ("Orage", Tanagore n°23) ou "la pluvieuse obscurité de Juillet" ("Séparation", Tanagore n°84). On peut bien parler de naturalisme musical dans cette œuvre singulière qui sert de pont entre un classique de la littérature indienne et la musique française moderne. Clarisse Dalles au chant et Anne Le Bozec au piano choisissent la simplicité dans cette œuvre aux mille couleurs. La modernité de Henriette Puig-Roget est évidente dans cet opus que l’on découvre, à la fois d’une contemporanéité réelle et aux vagues mélodiques touchantes (le délicieux "Promesse", Tanagore n°44).

    Audacieuse, Henriette Puig-Roget l’est tout autant dans l’étonnant "Éveille-toi". Elle s'inspire là encore du poète indien Rabindranath Tagore (Tanagore n°55). Elle en fait un titre énergique, insistant, rythmé, typique de cette période de composition à la fois sombre (nous sommes en 1942) et riche de ses recherches musicales. Il semble contrebalancé plus loin par l’onirique et debussyen "Sommeil" (Tanagore n°47). On invitera l’auditeur à se procurer l’album dans sa version physique afin de découvrir les textes poétiques du Prix Nobel de Littérature indien. On peut penser à ce texte tiré de la chanson "Là-bas", Tanagore n°63 : "Tu m’as fait connaître à des amis que je ne connaissais pas. Tu m’as fait asseoir à des foyers qui n’étaient pas le mien. Celui qui était loin, tu m’as ramené proche et tu as fait un frère de l’étranger."

    L’altruisme, la générosité et l’amour (le vibrant et joyeux "Toi seul", Tanagore n°38). Tels sont les thèmes centraux de ce cycle. L’ambition littéraire de ces poèmes mis en musique est évidente, que ce soit dans "Le Bien véritable", Tanagore n°17 ou le sobre hommage à un "intime" ("Lui", Tanagore n° 72). L’œuvre d’Henriette Puig-Roger – ainsi que l’album – se termine avec la chanson "Évasion" (Tanagore n°42). C’est une invitation au voyage que propose le génie indien et la compositrice française en touches impressionnistes. Cette ode à la nature et à la liberté est aussi un bouleversant chant sur notre mort inéluctable : "N’est-il pas temps de lever l’ancre ? Que notre barque avec la dernière lueur du couchant s’évanouisse enfin dans la nuit".

    Filiations, Nadia Boulanger, Elsa Barraine et Henriette Puig-Roget, Filiations, Clarisse Dalles (soprano) et Anne Le Bozec (piano), Présence Compositrices, 2024
    https://www.presencecompositrices.com

    Voir aussi : "Résurrection"
    "Compositrices et compositeurs, une frise chronologique"

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  • La jeunesse au pouvoir

    C’est un Voyage à Paris que je vous propose. Enfin, quand je vous dis "Je vous propose", disons plutôt que ce périple est musical, puisqu’il s’agit de la captation d’un enregistrement public à l’Académie Orsay-Royaumont en mai dernier, avec quatre jeunes artistes venant présenter un choix d’œuvres des XIXe et XXe siècle.

    Comme le titre de l’album l’indique, les compositeurs français sont à l’honneur, quoique pas intégralement. Francis Poulenc ouvre le bal avec cinq courtes chansons (mise à part "Sanglots", d’environ quatre minutes) de ses Banalités, avec la mezzo-soprano Brenda Poupard et la pianiste Anne-Louise Bourion. Nous sommes ici au cœur de la tradition classique française, avec un compositeur qui est un jalon essentiel entre le classique et le contemporain, et qui mérite d’être découvert ou redécouvert (on pense au délicieux et original "Fagnes de Wallonie"). Parmi les morceaux, figure le bref air "Voyage à Paris" qui donne son titre à l’opus. L’auditeur s’arrêtera sans doute avec intérêt sur le sombre "Sanglots". Francis Poulenc revient plus tard dans l’album avec un air de ses Chansons gaillardes, le délicieux "Sérénade", interprété cette fois par le baryton basse Adrien Fournaison et la pianiste Natallia Yeliseyeva. Le compositeur met en musique en 1925 les paroles d’un texte anonyme du XVIIe siècle : "Avec une si belle main, / Que servent tant de charmes, / Que vous tenez du dieu Malin, / Bien manier les armes. / Et quand cet Enfant est chagriné / Bien essuyer ses larmes".

    Brenda Poupard et Anne-Louise Bourion s’attaquent ensuite à un compositeur allemand, et pas le moindre. C’est Franz Liszt qui est mis à l’honneur, avec trois lieder au romantisme intact. S’enchaînent, avec élégance les airs "Lasst mich ruhen" (composé vers 1858), le lancinant "Über allen Gipfeln ist Ruh" (autour de 1849) et le plaintif "Gebet" (plus tardif, 1878 environ).

    Ce voyage parisien se poursuit avec Adrien Fournaison et Natallia Yeliseyeva s’attaquant – évidemment, serait-on tenté de préciser – au plus français et parisien sans doute des compositeurs français, Gabriel Fauré. La subtilité de l’auteur du Requiem est flagrante dans la chanson pleine de mélancolie "L’absente". Moins connu sans doute pour le grand public, Henri Duparc est mis à l’honneur dans le sombre et naturaliste "La vague et le clocher". Outre la "Sérénade" de Poulenc, le programme d’Adrien Fournaison et Natallia Yeliseyeva se poursuit avec un lieder du compositeur allemand du XIXe siècle Carl Loewe ("Elkönig"), assez typique du répertoire romantique, mais moins cependant que le "Harfenspieler I" de Franz Schubert. 

    Ambiance, ambiance

    C’est du reste ce dernier qui ouvre la section de la soprano Cyrielle Ndjiki Nya et la pianiste Kaoli Ono, avec deux autres lieder : "Der Zwerg" et "Totengräbers Heimwhle". L’auditeur gouttera la pureté de la voix de la soprano, naviguant dans les vagues pianistiques de Schubert avec un plaisir évident. Que l’on pense au lied "Der Zwerg", d’autant plus incontournable qu’il a été interprété par le passé notamment par Dietrich Fischer-Dieskau, Jessye Norman et, plus récemment, par Matthias Goerne. Déployant sa maîtrise, la soprano se montre puissante et sombre dans le "Totengräbers Heimwhle", le titre le plus long de l’album. On ne pourra qu’admirer la maîtrise et la technique du duo dans ce morceau plein de désespoir et d’appel à la paix définitive ("Ô destin / – Ô triste devoir – / Je n’en peux plus ! / Quand sonnerez-vous pour moi, / Ô heure de paix ?! / Ô mort ! Viens et ferme les yeux !"). Ambiance, ambiance.

    Au sombre romantisme vient succéder les Trois chansons de Bilitis de Debussy. Retour en France et à Paris, donc (L’homme est né à Saint-Germain-en-Laye et est mort dans le 16ᵉ arrondissement). L’auditeur gouttera avec délice ces airs impressionnistes portés par le piano plein de nuances de Kaoli Ono ("La flûte de pan") et l’étrange intimité ("La chevelure") qui sourd de ces chansons composées en 1897 d’après des textes originaux – et pseudo traductions du grec – de Pierre Louÿs : "Cette nuit, j’ai rêvé. J’avais ta chevelure autour de mon cou. J’avais tes cheveux comme un collier noir autour de ma nuque et sur ma poitrine". La modernité de Debussy est évidente dans "Le tombeau des naïades", mystérieux, inquiétant mais aussi sensuel : "Il me dit : « Les satyres sont morts. « Les satyres et les nymphes aussi. Depuis trente ans il n’a pas fait un hiver aussi terrible. La trace que tu vois est celle d’un bouc. Mais restons ici, où est leur tombeau »".  

    Le ténor Ted Black, accompagné du pianiste Dylan Perez viennent conclure ce programme de Voyage à Paris avec, de nouveau, Debussy. Ils choisissent deux chansons des Proses lyriques, écrites entre 1892 et 1893. C’est le lyrique et romantique "De rêve", déployant de longues et colorées vagues, et le non moins lyrique "De fleurs". Ces mélodies ont été spécialement transcrites pour ténor. La voix à la fois puissante et subtile de Ted Black fait merveille dans ces airs d’une grande complexité, autant que brillants d’une lumière évidente ("De fleurs").

    Le programme et l’album se terminent avec un compositeur de la première moitié du XXe siècle. Erich Wolfgang Korngold, né en Autriche, est parti aux États-Unis pendant la seconde guerre mondiale où il a vécu et travaillé. Surtout connu pour ses BO de films hollywoodiens (Les Aventures de Robin des Bois, Capitaine Blood, L'Aigle des mers). Les lieder proposés, "Mond, so gehst du wieder auf" et "Gefasster Abschied" témoignent d’un esprit romantique tardif, atypique – et daté – alors que l’Amérique et l’Europe sont en plein mouvement contemporain. Cela ne nous empêche pas de découvrir avec plaisir un compositeur oublié, grâce à de jeunes talents qui n’oublient pas d’où ils viennent. 

    Voyage à Paris, Orsay-Royaumont Live, b-records, 2023
    https://www.b-records.fr/voyage-a-paris
    https://www.instagram.com/_brenda_poupard_
    https://www.linkedin.com/in/mlle-bourion
    https://www.facebook.com/AdrienFournaisonBarytonBasse
    https://natallia-yeliseyeva.com
    https://www.cyriellendjikinya.com
    https://www.kaoliono.com
    https://www.tedblacktenor.com
    https://www.dylanjohnperez.com

    Voir aussi : "En image, en musique et en public"

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  • Amour, musique et nostalgie

    Nostalgie, quand tu nous tiens. Ces Chants nostalgiques, proposés par la soprano Marie-Laure Garnier la pianiste Célia Oneto Bensaid et le Quatuor Hanson, s'intéressent à la musique classique française du XXe siècle, avec des œuvres de Gabriel Fauré, Ernest Chausson, mais aussi une compositrice que l’on découvre, Charlotte Sohy. Voilà une sélection bienvenue, tant la musique classique n’en finit pas de sortir de ses archives des artistes féminines qui ont été "oubliées", en raison précisément de leur sexe. Chants nostalgiques est l'enregistrement public d'un concert à l'Estran de Guidel en mars 2022.

    C’est la nostalgie qui est le fil conducteur de cet album, avec d’abord l’opus 81 de Gabriel Fauré, La Bonne chanson. Ce sont des airs généralement assez courts (le plus long fait un peu plus de trois minutes) qui ont été composés à partir de poèmes de Paul Verlaine. On retrouve le souffle et l'âme de Fauré et son sens mélodique, à commencer par le titre "Une sainte en son auréole", que Marie-Laure Garnier interprète avec flamme et sincérité. Célia Oneto Bensaid vient accompagner "Puisque l'aube grandit" pour donner du souffle à ce répertoire de musique française très XXe siècle fortement teinté de symbolisme ("La lune blanche").

    Le néo-classique Fauré étonne avec "J'allais par des chemins perdus", un titre plus moderne, derrière lequel on peut discerner l'esprit de Darius Milhaud. Gabriel Fauré vient se livrer plus intimement encore avec le plus classique "J'ai presque peur, en vérité". Outre "Avant que tu ne t'en ailles", un rien désuet mais néanmoins charmant pour cet ode à la nature et à l'attente, Fauré fait le choix de la légèreté avec "Donc, ce sera par un clair jour d'été", dans lequel le compositeur semble faire le lien avec le romantisme, le classicisme à la française et la modernité. Précisons que morceau reprend des mesures de son Requiem dans ses dernières notes. "N'est-ce pas ?" frappe par sa modernité, à l'instar de "J'allais par des chemins perdus". La Bonne Chanson se terminer par le titre le plus long de l'opus, "L’hiver a cessé", plus complexe, dense et caractérisant un Gabriel Fauré indéfinissable autant que délicat.

    Une vraie découverte : celle de la compositrice Charlotte Sohy

    Autre compositeur à l'honneur dans cet enregistrement public : Ernest Chausson. Les Chants nostalgiques proposent sa "Chanson perpétuelle" op. 37, une œuvre d'adieu dans lequel le désespoir affleure, dans un classicisme tout français. Chausson se distingue avec son sens de la mélodie et sa plainte pour la mort du bien aimé qui "s'en est allé".

    Parlons ensuite de la grande découverte de l’album : celle de la compositrice Charlotte Sohy (1887-1955). La musique classique est en train de se rendre compte qu'un vaste répertoire écrit par des femmes a été mis aux oubliettes. L'album Chants nostalgiques, à l'instar de l'association "Elles Women Composers" et un coffret dédié à son œuvre (La boîte à pépites), propose de découvrir Charlotte Sohy à travers ses Trois Chants nostalgiques (opus 7). Une œuvre nostalgique, oui, mais aussi sombre et mélancolique, composée sur des textes de Cyprien Halgan (1838-1896). Charlotte Sohy s'inscrit bien dans la tradition de la musique française ("Pourquoi jadis t'ai-je trouvé ?"), mais avec une modernité certaine dans son expressionnisme et dans sa manière de se libérer du carcan harmonique ("Le feu s'est éteint"). On a ici affaire à un opus crépusculaire que les interprètes s'approprient avec une grande sincérité ("Sous ce ciel d'hiver"). Ce qui est remarquable pour une œuvre peu connue et d'une compositrice qui ne l'est pas plus.

    Retour à Ernest Chausson avec une transcription de Franck Vuillard de son "Poème de l'amour et de la mer", opus 19. Les trois chants, relativement longs (de deux minutes – un "Interlude" – à plus de quatorze minutes) font de cette œuvre un magnifique final. D'un très beau classicisme, que l'on pourrait dire néoromantisme, illustrent musicalement les poèmes symbolistes de Maurice Bouchar (1855-1929). Marie-Laure Garnier, le quatuor Hanson et Célia Oneto Bensaid font de ce "Poème de l'amour et de la mer" une œuvre tourmentée et vivante, non sans de bouleversants éclats instrumentaux ("Interlude"). On se laisse finalement bercer par la dernière chanson, "La mort et l'amour", singulière alliance, interprétée avec un mélange de légèreté et de nostalgie, justement.

    Voilà qui clôt en beauté un album intelligent de découvertes et de redécouvertes classiques. 

    Chants nostalgiques, Marie-Laure Garnier, Célia Oneto Bensaid, Quatuor Hanson,
    L'Estran Live, B Records, 2022

    https://www.b-records.fr
    https://www.celiaonetobensaid.com
    https://www.facebook.com/profile.php?id=100039928732584
    https://www.facebook.com/people/Marie-Laure-Garnier-Soprano/100063568958709
    https://elleswomencomposers.com/festival-100722-chants_nostalgiques

    Voir aussi : "Résurrection"
    "Album univers"

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  • Une nuit étoilée avec Sarah Brightman

    Il n’y avait qu’en cette fin d’année que nous pouvions parler de l’album de Sarah Brightman, France. Un opus qui brille de mille feux, même s’il n’a pas été conçu pour susciter l’unanimité. Avec cette nouveauté, la chanteuse anglaise lorgne bien évidemment de ce côté de la Manche, en faisant appel à des artistes populaires (Florent Pagny, Roch Voisine, Andrea Boccelli, I Muvrini et même Jean-Jacques Goldman).

    Entendons-nous bien : derrière sa facture de pop internationale, l’opus de la diva a pour unique ambition d’offrir une heure de voyage romanesque et romantique – en France, serions-nous tentés d’ajouter – où ne manquent ni la luxuriance, ni les nappes de violons amoureux, ni les envolées lyriques, ni ce je ne sais quoi de clinquant qui pourra en agacer certaines et certains.

    Mais laissons de côté les critiques tièdes et intéressons-nous à cette diva britannique, désignée comme "la soprano la plus vendue au monde" (30 millions d'albums, 180 Platinum & Gold Award dans 40 pays sur 5 continents, sans compter son apparition aux ouvertures des JO de Barcelone et de Pékin). L'artiste a choisi de concilier le lyrique et le classique à la pop, voire au rock à l’instar de la reprise d'un extrait du Fantôme de l'opéra, qui l'a rendue célèbre et qu’elle interprète en duo avec Vincent Niclo. Cette initiative de faire un pont entre des genres qui ont pour fâcheuse habitude de se regarder en chiens de faïence, mérite d’être relevée, même si elle n’est pas inédite.  

    À cet égard, la découverte du titre "A Question Of Honour" mérite d’être relevée : après l’ouverture sur l’air célèbre de La Wally ("Ebben? Ne andrò lontana"), la soprano fait le choix d’une rythmique électro-pop et de vagues mêlant synthétiseurs et guitares, avant de clôturer sur les célèbres mesures d’Alfredo Catalani.

    Andrea Boccelli ("Time To Say Goodbye"), Florent Pagny ("Just Show Me How To Love You"), Vincent Niclo ("There For Me"), Roch Voisine ("Ne viens pas"), Alessandro Safina ("Sarai Qui") ou I Muvrini ("Tu quieres volver") accompagnent Sarah Brightman pour des duos étincelants et produits avec soin. 

    "Just Show Me How To Love You", qu’elle interprète avec Florent Pagny, l’une des plus belles voix masculines de la chanson française, a tout pour devenir un futur tube pour les guimauves que nous sommes : de l’amour, du vrai, du lyrique, des serments éternels, avec une sérieuse dose d'exubérance et de classe, comme si nous étions invités à une bal des débutants au Château de Versailles, avec grand orchestre s’il vous plaît.

    Un pont entre des genres qui ont pour fâcheuse habitude de se regarder en chiens de faïence

    Amour de nouveau avec la belle déclaration "Sogni", écrite par Frank Peterson et Chiara Ferrau : "Amore mio, dove sei stato? / Nei miei sogni io ti ho cercato / Giorno o notte mi sei mancato" ("Mon amour, où étais-tu? / Dans mes rêves je te cherchais / Tu m'as manqué jour ou nuit"). On pourrait tout aussi citer "Sarai Qui" avec Alessandro Safina : "Quando penso ai giorni che / Ho passato insieme a te / Io vorrei che tu tornassi qui / Per non lasciarmi mai" ("Quand je pense aux jours que / J'ai passés avec toi / j'aimerais que tu reviennes ici / Pour ne jamais me quitter").

    La diva anglaise se frotte avec le même plaisir à la pop : "Tout ce que je sais", "Ne viens pas" de et avec Roch Voisine ou "He Doesn’t See Me", écrit en partie par Jean-Jacques Goldman.

    "Nella Fantasia" mérite que l’on s’y arrête : l’artiste lyrique a choisi de proposer une version du désormais classique "Gabriel's Oboe", écrit par Ennio Morricone pour le film Mission.

    "Tu quieres volver", que Sarah Brightlman chante avec I Muvrini constitue l’un des très bons morceaux de cet album. Fusion du lyrique et de la chanson, alliance de l’espagnol et du corse : la soprano, le groupe de Jean-François Bernardini et le London Symphony Orchestra font merveille, avec ce souffle romanesque et puissant.

    Le classique est bien entendu présent dans cet album, avec des succès multiséculaires remis au goût du jour : l'étude n° 3 "Tristesse" de Chopin ("Dans la nuit"), l’Adagio d’Albinioni dans une version singulièrement sombre et rythmée ("Anything Anywhere"), la marche funèbre de la 7e Symphonie de Beethoven ou l’"Ave Maria" de Schubert, dans une facture plus traditionnelle.

    On peut reconnaître à la soprano anglaise qu'elle est aussi à l'aise dans l'interprétation de grands airs d’opéra, à l’instar du "O Mio Babbino Caro" ou du  "Nessum Dorma" de Giacomo Puccini (respectivement tirés des opéras Gianni Schicchi et Turandot). Toujours classique, ou plutôt néo-classique, la chanteuse propose une nouvelle version du Pie Jesu du compositeur anglais contemporain Andrew Lloyd Webber, qu’elle met également à l’honneur avec son interprétation, nous l'avons dit, d’un extrait de The Phantom of the Opera. Un clin d’œil pour celle qui est devenue une star planétaire grâce à son rôle de Christine dans la célèbre comédie musicale.

    Il était inévitable que la soprano ne pouvait pas nous quitter sans sa version du tube "Time To Say Goodbye", avec le non moins célèbre Andrea Boccelli. De quoi garder en tête pour un bon bout de temps ce morceau intemporel : "Time to say goodbye / Paesi che non ho mai / Veduto e vissuto con te…"

    Vous connaissez la suite.

    Sarah Brightman, France, SaFran / Pias, 2020
    https://sarahbrightman.com
    https://www.facebook.com/SarahBrightmanMusic

    Voir aussi : "Le trio Sōra vous souhaite un joyeux anniversaire, M. Beethoven"

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  • Séries à gogo

    Voilà un hors-série estival qui devrait intéresser pas mal de passionnés de séries télé. Bien entendu, tout le monde ou presque connaît les séries mythiques Breaking Bad, Soprano, Game of Thrones ou, plus loin de nous, Le Prisonnier, La Quatrième Dimension ou Chapeau Melon et Bottes de Cuir. Mais qui a déjà entendu parler de John from Cincinnati (une saison, 2007), la version britannique de House of Cards (une seule saison, 1990) ou encore la comédie satirique Grosse Pointe, supprimée en pleine gloire en 2001, après seulement 17 épisodes ?

    Première propose cet été, dans un hors-série qui ravira les sériephiles – souvent amnésiques – et qui nous rappelle que ce genre très en vogue n’est pas né avec HBO. D’ailleurs, un chapitre ("Old Cool") est consacré à quelques-uns de ces authentiques monuments historiques qui peuvent avoir le goût d’une madeleine de Proust : Automan créé par Glen A. Larson (1983-1984), la série anglaise d’épouvante Thriller (six saisons entre 1973 et 1976) ou Sapphire & Steel (six saisons entre 1979 et 1982), autre création britannique avec Joanna Lumley (une des "madame bottes de cuir") et David McCallul et véritable précurseur de Stranger Things.

    Un certain Steven Spielberg

    Les rédacteurs de Première parviennent à dénicher d’authentiques joyaux autant que des pièces rares de futurs grands réalisateurs et showrunners. Ainsi, durant les trois saisons de Night Gallery (1969-1973), Rod Sterling, le créateur de Twilight Zone, parvient à faire signer un certain Steven Spielberg , 22 ans en 1969. Ce sera Eyes, un épisode avec Joan Crawford. Au début des années 2000, c’est dans Los Angeles : Division Homicide que Michael Mann s’essayait à la série télé. En 2000, l’ancien journaliste David Simon ne sortait de terre qu’une seule saison de The Corner. Une fin sèche mais qui allait annoncer son chef d’œuvre The Wire (Sur Écoute).

    La France fait figure de parent pauvre – à juste titre. Au contraire de la Grande-Bretagne qui a droit à un chapitre consacré ("Ils sont fous ces Anglais"), peu de séries trouvent grâce aux yeux de nos spécialistes : Noires sont les Galaxies (une seule saison en 1981), Au-delà des Murs (une saison franco-belge en 2015) et l’étonnante série autofictionnelle Inside Jamel Comedy Club, créé par Blanche Gardin et Fabrice Éboué en 2009 (une seule saison là aussi). Première a droit à une interview de ces deux artistes surdoué·es qui reviennent sur la genèse et la fabrication étonnante de ce format d’un autre genre.

    J’oubliais une dernière chose importante : le hors-série Première explique comment voir chacune de ses séries, histoire de ne pas sortir complètement frustrés et de se souvenir que dans la vie d’une série seuls les diffuseurs ont droit de vie et de mort sur les plus géniales de ces créations audiovisuelles.

    "Les 100 meilleures séries que vous n’avez pas vues,"
    in Première, hors-série, juillet-août 2018
    http://www.premiere.fr

    Voir aussi :
    "C’est pas de la télé, c’est HBO
    "Une chose venue d’un autre temps"

  • Deus ex machina

    Attention : spoils pour celles et ceux qui n’auraient pas vu la première saison de Westworld...

    Les robots – pardon, les hôtes – du célèbre parc de Robert Ford sont de retour, bien décidés à prendre leur destin en main, guidés par une Dolorès (Evan Rachel Wood ) métamorphosée en prophétesse impitoyable. 

    La série Westworld, l’une des meilleures du moment, a remis HBO au centre des attentions et prouve que la chaîne câblée n’a rien perdu de son audace, après les succès historiques de Soprano, Rome ou Game of Thrones.

    Pour cette nouvelle saison, la série créée par créée par Jonathan Nolan (le frère de) et Lisa Joy ouvre des perspectives scénaristiques ahurissantes.

    Des perspectives scénaristiques ahurissantes

    Westworld est l’adaptation télé du roman, mais aussi du film Mondwest, écrit et réalisé par Michael Crichton en 1973. Westworld est ce parc d’attraction imaginé autour de l’univers de western, et dans lequel des robots plus vrais que nature sont destinés à satisfaire les plus bas instincts des visiteurs humains : se battre, tuer ou violer. Dans un futur plus ou moins proche, la technologie parvient à créer des androïdes quasi parfaits mais surtout soumis à des ingénieurs qui peuvent les programmer et les rebooter à volonté. Seulement, un bug est découvert par Bernard, l’un des scientifiques de Westworld (Jeffrey Wright). Et voilà nos robots bien décidés à prendre leur destin en main.

    Les ramifications promises à la toute fin de la première saison se développent au-delà des espérances, et ce en dépit de quelques longueurs, de dialogues denses ou d’intrigues complexes. L’ambivalence des personnages – et en premier lieu de Dolorès et de Maeve (Thandie Newton) – est le vrai must, tout comme le choix d’enrichir le parc de nouveaux univers.

    L’histoire mêle interrogations métaphysiques, va-et-vient entre le passé et le futur, condamnation de ces Prométhée modernes incapables de maîtriser leurs créations, sans oublier une bonne ration de violence et de sexe.

    La saison 2 de Westworld est l’événement télé de ces dernières mois, mais sans doute aussi un authentique fait sociologique autour des dangers de l’intelligence artificielle – et naturelle.

    Westworld, saison 2, créé par Jonathan Nolan et Lisa Joy,
    avec Evan Rachel Wood, Thandie Newton, James Marsden,
    Ed Harris et Jeffrey Wright, HBO, 10 épisodes, 2018, sur OCS
    https://www.hbo.com/westworld

    Voir aussi : "C'est pas de la télé, c'est HBO"