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Spécial Musique contemporaine

  • Marie Ythier, sans l’ombre d’un doute

    C’est avec un violoncelle riche, endiablé et passionné que Marie Ythier propose une sélection de créations contemporaines signées de jeunes compositeurs : Matteo Gualandi (né en 1995), Augustin Brand (né en 1994) et Bastien David (né en 1990, le plus "âgé" donc).

    Le violoncelle en partage, paru chez b•records, est un ensemble d’instants de communions et d’échanges passionnants avec l’Orchestre national Auvergne-Rhône-Alpes, l’ensemble Sillages et Arne Deforce, violoncelliste familier de compositeurs aussi complexes et déroutants que Iannis Xenakis, Richard Barrett ou John Cage. Voilà qui situe d’emblée l’univers proposé dans l’opus.

    La musique contemporaine mérite largement qu’on parle d’elle, elle qui secoue régulièrement le cocotier des musiques académiques et traditionnelles pour amener les sons dans ses derniers retranchements. Cela donne, à plus d’un égard, la couleur et la densité de l’album imaginé et mené par Marie Ythier.

    Grâce à elle, le violoncelle s’impose comme un instrument soliste à part entière, chose relativement rare comme le souligne la musicienne dans la présentation de l’album. Fotografie rarissime di angeli de Matteo Gualandi, une commande la Fondation Royaumont, s’apparente à une suite, un genre musical tombé en désuétude mais revigoré ici grâce à des sons tour à tour primaires ("La fille, le feu"), minimalistes et méditatifs ("La chute d’Icare") ou s’inspirant du baroque ("Chanson de l’oiseau dans la lumière").

    Il est encore question de baroque dans la quatrième partie "Toccata", savant mélange de sons renvoyant à Bach autant qu’aux trouvailles musicales du XXe siècle. La "Passacaille", le plus long mouvement de cette œuvre de Matteo Gualandi, a une facture à la fois archaïque et contemporaine. Marie Ythier prend à bras le corps ce morceau dans lequel les silences et les suspensions prennent autant de valeur que les notes, jusqu’aux dernières mesures déchirantes.

    Comme "des nuées d’oiseaux"

    Le deuxième compositeur qui a les honneurs de ce passionnant album est Augustin Braud. De l’un, l’autre est une œuvre concertante pour violoncelle et ensemble. Nous sommes là dans une création audacieuse, pleinement contemporaine, dans laquelle s’installe un ensemble de dialogues sauvages entre l’instrument soliste de Marie Ythier et l’ensemble Sillages dirigé par Gonzalo Bustos. Ajoutons que c’est l’Ensemble Sillage qui a lui-même commandé cette œuvre au compositeur. La nature semble être au cœur de ce que la musicienne appelle un "concerto grosso". Mais il s’agirait d’un concerto grosso de notre époque, audacieux, moderne, tourmenté mais aussi singulièrement primaire. Comme "des nuées d’oiseaux" ajoute Marie Ythier. Mais des nuées comme folles et perdues dans un ciel menaçant. Bouleversant.

    En 2022, Le Printemps des Arts de Monaco a commandé à Bastien David L’Ombre d’un doute, une œuvre pour deux violoncelles et orchestre. Pour cet enregistrement public à l’abbaye de Royaumont en septembre 2023, Marie Ythier était accompagnée du violoncelliste Arne Deforce et de l’Orchestre national Auvergne-Rhône-Alpes dirigé par Thomas Zehetmair.

    C’est par une pluie de notes ravageuses que commence cette création contemporaine dans laquelle Marie Ythier a trouvé son alter ego en la personne d’Arne Deforce, jamais plus à l’aise que lorsqu’il met à rude épreuve son violoncelle à la recherche d'inattendus. Et de l’inattendu, il y en a dans ces plus de quinze minutes d’un concerto au service de sonorités puissantes et de rythmes singuliers. Il semble que l’Orchestre national Auvergne-Rhône-Alpes a trouvé ses adversaires avec les violoncelles de Marie Ythier et Arne Deforce.

    Puissance, gravité, sombres dangers et attentes inquiétantes sont exprimés dans des passages qui n’ont rien d’improvisés. Les coups d’archers se succèdent dans une œuvre pleinement inscrite dans le XXIe siècle. L’auditeur pourra y lire l’influence de la musique concrète, celle du courant répétitif américain dans des passages minimalistes mais aussi, dans une certaine mesure, l’apport de l’électro dans des vagues sonores presque spectrales. Marie Ythier et Arne Deforce, armés de leur violoncelle, s’y livrent comme jamais, habités par cette œuvre incroyable s’élevant jusqu’à des sommets, telle une nuée… d’insectes – et non plus d’oiseaux.     

    Marie Ythier, Le Violoncelle en partage, Marie Ythier (violoncelle), Arne Deforce (violoncelle), Orchestre national Auvergne-Rhône-Alpes dirigé par Thomas Zehetmair, Ensemble Sillages dirigé par Gonzalo Bustos, b•records, 2024
    https://www.b-records.fr/marie-ythier-le-violoncelle-en-partage
    https://www.marie-ythier.com
    https://www.facebook.com/marieythiercellist/?locale=fr_FR
    https://www.arnedeforce.com
    https://onauvergne.com
    https://www.ensemblesillages.com
    https://www.bastiendavid.com
    https://augustinbraud.com
    https://www.matteogualandi.com

    Voir aussi : "Schumann et la petite bande des Fouchenneret"

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  • Peter Jablonski, très classique, très jazz

    Bla Bla Blog avait parlé il y a quelques semaines de l’album Air de Christian Schittenhelm. Cette grande bouffée d’air frais dans la musique d’aujourd’hui prend un nouveau relief avec son autre opus du moment, Back Home with the Moon.

    Pas d’orchestre symphonique cette fois mais un piano et un interprète d’exception, le Suédois Peter Jablonski. Ce grand interprète de Chopin, courant les scènes du monde entier, se penche cette fois sur un répertoire contemporain, à la facture néo-classique mais aussi des influences jazz.

    La simplicité, la nudité et la fluidité de Peter Jablonski se mettent au service de pièces intimes immédiatement attachantes. C’est la caressante "Berceuse mauve", tout en pastel, c’est la délicate "Valse naïve" dont on lira l’influence d’Erik Satie mais c’est aussi cet autre morceau, "Simply Yes", dont la retenue laisse place à un élan passionné. 
    La "Valse de rien" semble nous ramener quelques dizaines d’années plus tôt dans une salle de bal parisien après le départ des derniers invités, lorsqu’un couple se retrouve seul pour une dernière danse. Décidément, la valse est un style qu’affectionne Christian Schittenhelm ("The Algot Walz").

    Le titre qui donne son nom à l’opus semble faire le pont entre classicisme, contemporain et jazz. Il y a aussi un esprit pop dans ce "Back Home With The Moon" dont Peter Jablonski prend possession avec un plaisir évident.

    Simplicité, nudité, fluidité

    L’album de  Christian Schittenhelm et de son instrumentiste prestigieux est enrichi de pièces courtes à la belle densité et que le piano vient colorer. C’est le mélodique "Duo", le spectral "Stellar", l’étrange "Poème de l’inutile" ou la composition très contemporaine "Impression de lièvre" jouant sur le rythme et sur des notes semblant s’envoler en toute liberté.

    L’auditeur prendra plaisir à se faire prendre au piège dans cette choix de pièces se jouant de toutes les étiquettes. Comment en effet caractériser en effet "Roof Ans Sky", lente et mélancolique déambulation au piano, la ballade "Alone" à la tristesse éloquente ou encore ces titres à la facture jazz cool que sont "After Me The Storm" ou encore "A Bad E Could Be The Best", avec ses sonorités graves ?

    Le pianiste classique Peter Jablonski vient servir à merveille de sublimes morceaux, à telle enseigne que "Zebra Piano" paraît lui être destiné directement ? Le contemporain est aussi bien présent, particulièrement à la deuxième moitié du disque. C’est "Quadratures" mais aussi "Lévitation" dans lesquelles le piano se fait grave et par moment suspendu. 

    Christian Schittenhelm, Back Home With The Moon,
    Peter Jablonski (piano), Sfumato Records, 2024

    https://christianschittenhelm.fr
    https://sfumatorecords.com/records
    https://www.peterjablonski.com

    Voir aussi : "De l’air"

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  • Basson, toi mon ami

    Nous avions déjà parlé du basson dans une chronique consacrée à Rui Lopes. Cet instrument discret – et même trop discret – est une nouvelle fois mis en valeur dans un formidable album de compilations d’œuvres classiques et contemporaines. C’est Lola Descours qui mène le bal dans son formidable album Hommage à Nadia Boulanger.

    Au programme de la bassoniste, Stravinsky, Sains-Saëns, Nadia Boulanger (bien sûr), Lili Boulanger, Poulenc, Fauré, mais aussi Philipp Glass, Aaron Copland ou encore Piazzola. Autant de compositeurs qui ont entouré la musicienne, cheffe d’orchestre et pédagogue. Saluons aussi la présence de compositeurs souvent cantonnés à la musique de films mais qui sont réellement entrés dans le répertoire classique contemporain. Ce sont Michel Legrand, Jean Françaix, Leonard Bernstein et Vladimir Cosma.

    Une seule œuvre de Nadia Boulanger est proposée. Il s’agit du lumineux "La mer" qui s’écoute comme un hommage à Debussy. Lili Boulanger, décédée dans sa 24e année ne pouvait pas ne pas apparaître non plus dans cet hommage à sa sœur. Elle qui se savait tôt gravement malade, a laissé une œuvre évidemment incomplète mais en tout cas marquante. Lola Descours propose un "Nocturne" d’elle à la facture classique et aux délicats reflets que vient épouser le basson.  

    C’est une vraie gourmandise que d’écouter et de découvrir des œuvres et surtout un instrument au son rond et profondément humain. L’album commence par la Suite italienne sur Pulcinella d’Igor Stravinsky. Cette œuvre, au départ un ballet écrit en 1919 d’après des emprunts au compositeur baroque Pergolese, est devenu une suite orchestrale en 1932. Le basson de Lola Descours se fait tour à tout joueur ("Overture", "Tocata"), mélancolique ("Serenata"), amoureux ("Gavotte con due variazioni") et sombre en forme d’adieu ("Minuetto e Finale").

    Une influence de Nadia Boulanger ? Gageons que oui

    On a dit que cet album constitue un hommage et, mieux, un cercle d’amis et de proches de Nadia Boulanger. Parlons à ce sujet du "Maria de Buenos Aires" d’Astor Piazzolla que Nadia Boulanger, est-il dit dans le livret, encouragea, avec l’intuition que le musicien argentin devait assumer le choix du tango. On sait ce qu’il advint par la suite. Il y a une autre "Maria" dans l’opus. Il s’agit de l’héroïne légendaire de West Side Story. Lola Descours en propose une version pour basson à la toute fin de l’album. Leonard Bernstein a qualifié Nadia Boulanger de "Reine de la musique". La bassoniste propose une version épurée du classique de la comédie musicale new-yorkaise avec accordéon, rendant le titre plus bouleversant encore.

    C’est avec le morceau "Old Poem" que s’est concrétisée une autre relation artistique, cette fois entre Aaron Copland et la musicienne et pédagogue française. Le compositeur américain propose dans ce court morceau une essence à la fois moderne et une création aux sources anciennes. Le basson caresse chaque note, donnant à ce poème musical une teinte tout en romanesque.

    Il est naturel de trouver dans cet album la Sonate op. 168 pour basson et piano de Camille Saint-Saëns. Ce dernier l’a composé en 1921, peu avant sa mort. Il s’agit d’une des œuvres majeures du répertoire pour cet instrument mal-aimé. Lola Descours propose cette sonate en sachant que Saint-Saëns, un ami de la famille Boulanger, fut quelque peu misogyne pour Nadia Boulanger, sans doute un peu trop libre à son goût et pour son époque.      

    D’autres grands classiques de la musique française rejoignent cet enregistrement, à commencer par Francis Poulenc et trois courts morceaux élégants, "Fiançailles pour le rire", un extrait de La Courte Paille et un autre de Léocadia, le fameux air "Les chemins de l’amour", rendu célèbre à par Yvonne Printemps. Le basson est parfait pour rendre à cette chanson toute sa douceur. Gabriel Fauré est également présent la mélodie "Les berceaux", interprété là aussi avec piano et basson.

    L’auditeur découvrira avec bonheur le titre phare du film Le Jouet, avec un Vladimir Cosma plus inspiré que jamais et qui a fait de la BO de cette célèbre comédie une œuvre désormais classique. Autre compositeur pour le cinéma, Michel Legrand est présent avec le morceau "Watch What Happens". Le titre dira sans doute moins que l’œuvre dont il est tiré : Les Parapluies de Cherbourg.    

    Parmi les grandes figures de la musique contemporaine américaine, et outre Aaron Copland, Lola Descours a la bonne idée de proposer le passionnant "Love Divided Bye" de Philipp Glass. Le minimalisme est bien là mais le compositeur américain le mâtine de cet esprit français. Une influence de Nadia Boulanger ? Gageons que oui.

    La musicienne française vouait une tendresse et une admiration particulière pour Jean Françaix qu’elle a formé dès son enfance. Il est présent ici avec son "Divertissement pour basson et quintettes à cordes". Sérieux, légèreté, gravité, insouciance, classicisme et modernisme se marient avec bonheur dans cette œuvre de 1959 que l’on découvre grâce à Lola Descours. Le basson se fait plus discret, tout en restant central et capital. Un instrument roi, assurément.   

    Hommage à Nadia Boulanger, Lola Descours (basson), Paloma Kouider (piano),
    Trio ABC, Octuor de France, Indésens Calliope Records, 2024
    https://loladescours.com
    https://www.facebook.com/p/Lola-Descours-Bassoon

    https://indesenscalliope.com

    Voir aussi : "Rui Lopes, le basson peut lui dire merci"

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  • Harpe et Basson au rooftop

    Avec l’album Harp and Bassoon "On the Roof", c’est une plongée dans une tradition musicale multimillénaire qui nous est proposée, en même temps qu’un ensemble de créations contemporaines de la compositrice israélienne Anna Segal. Cet enregistrement propose ainsi le premier enregistrement mondial du Concerto Judaica pour harpe et basson.

    Quelle audace ! Une œuvre contemporaine est en soi une gageure, mais alors que dire lorsque sont mis à l’honneur la harpe et surtout le basson – instrument injustement incompris, sinon mal aimé… Anna Segal fait surtout bien plus que cela. Elle s’appuie sur la longue tradition culturelle et musicale juive pour proposer de réconcilier des univers que l’on dirait a priori irréconciliables.

    L’auditeur saluera la densité comme la richesse de ce concerto, mené par l’orchestre Israel Strings Ensemble dirigé par Doron Salomon. Anna Segal a composé une œuvre faisant un large pont entre sons immémoriaux venant de ce côté de la Méditerranée et inventions musicales à base de ruptures de rythmes et de musique atonale. L’Orient est l’univers où baigne ce concerto éminemment moderne mais refusant de tourner le dos au passé. Que l’on écoute les lignes orientales de harpe au milieu de concerto – en un seul mouvement – pour s’en rendre compte. Il y a aussi de la joie, de la vie et de l’allant dans l’opus de la compositrice israélienne, dont le tour de force de mettre le basson en vedette n’est pas le moindre de ses coups de force. 

    Chants revivifiés

    À côté du Concerto Judaica, l’auditeur découvrira des créations contemporaines plus courtes, s’inspirant elles aussi largement des traditions juives. La délicatesse et la sensualité de "Désir" sont évidents dans ce qui peut s’apparenter à un vrai chant d’amour mélodieux.

    Les neuf chansons qui suivent sont inspirées de la tradition biblique. Il s’agit d’une "Mosaïque biblique pour Basson et Harpe" comme l’annonce l’album. Au mystérieux "Samson et les Renards", vient répondre des lectures musicales des personnages de Jaël (Livre des Juges), Jonas ("Jonas et la baleine"), "Yudan le prêtre", Déborah (Livre des Juges), "Les Lions" (Daniel), sans oublier "L’Arche de Noé". Anna Segal. La composition de la musicienne fait la part belle aux inspirations et aux couleurs orientales ("Yudan le prêtre"). La modernité et même l’humour ("Jonas et la baleine") viennent se mettre au service de chants revivifiés.

    Ce n’est pas à proprement parlé du sacré dont il s’agit ici, en dépit des thèmes adoptés par la compositrice, mais bien de chants profanes multimillénaires inspirés de la Bible, et qu’Anna Segal, en se basant sur des thèmes hébraïques traditionnels, parvient à rendre modernes.

    Avec le chant consacré à l’Arche de Noé, Anna Segal prend le parti d’un titre court et à la facture contemporaine. Deux autres chants sont à signaler : "Les oiseaux" et "Amen pour toujours". Le premier est court d’un peu plus d’une minute, se joue d’une mélodie entêtante, avant de se terminer par quelques percussions. Le second se déploie avec mélancolie. La fin, douce et pleine d’espoir, se laisse deviner, appuyée par la harpe de Rachel Talitman et le basson de Mavroudes Troullos.

    Trois chansons viennent clôturer cet enregistrement passionnant et d’une grande volupté. Ce sont des airs folkloriques ("La caravane, "Le Pardon – Prière" et le délicat "Chanson d'amour yéménite") qu’Anna Segal revisite en réconciliant, de nouveau, traditions musicales ancestrales et inventions sonores contemporaines.

    Du très, très bel ouvrage.

    Anna Segal, Harp and Bassoon "On the Roof", Rachel Talitman (harpe) et Mavroudes Troullos (basson), Israel Strings Ensemble dirigé par Doron Salomon, Harpe & Co, 2023
    https://www.prestomusic.com/classical/products/9541289--harp-and-bassoon-on-the-roof-music-by-anna-segal
    https://annasegal.musicaneo.com

    Voir aussi : "Rui Lopes, le basson peut lui dire merci"

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  • En image, en musique et en public

    Du live et de la musique française pour ce nouvel enregistrement paru chez b.records. L’album Images… rassemble un ensemble de pièces des XXe et XXIe siècles proposées par le pianiste Lorenzo Soulès. Elles ont été captées à Orléans le 15 février 2023.

    Il s’agit d’un opus essentiellement chronologique proposant des œuvres françaises de ce siècle – à l’exception de Piano Figues du Britannique George Benjamin. L’album débute avec le cycle Images – bien sûr ! – de Claude Debussy. Nous sommes entre 1905 et 1907. Le courant classique dicte toujours sa loi, avec un compositeur aux œuvres délicates et soyeuses que Lorenzo Soulès capte avec un touché d’une élégance rare. Que l’on pense à l’impressionniste "Reflets dans l’eau" ou au mélancolique "Hommage à Rameau". Pour "Mouvements", Debussy se fait naturaliste dans ce bref morceau plein de vie, auquel vient répondre le réaliste "Cloches à travers les feuilles". Plus sombre, dans "Et la lune descend sur le temple qui fut", le compositeur se fait poète – et même peintre sonore ("Poissons d’or").

    Allons plus loin dans le XXe siècle avec Lorenzo Soulès et arrêtons-nous sur ce compositeur majeur que fut Olivier Messiaen. Le pianiste propose des interprétations de deux extraits du fameux Catalogue d’oiseaux. L’auditeur qui serait passé à côté de cette œuvre découvrira ces lectures incroyables du "Traqueur rieur" et de "L’alouette calandrelle". Et si Olivier Messiaen était le compositeur le plus humaniste et le plus écologiste de l’histoire de la musique ? Il fait de ces chants d’oiseaux, qu’il a écoutés avec l’oreille absolue qui était la sienne, des morceaux d’un modernisme incroyable, en nous disant : "Écoutez mes amis que sont les oiseaux. Les aviez-vous déjà entendus ainsi ? Ne nous parlent-ils pas à nous, contemporains ?"

    Pour ces deux chants d’oiseaux, Messiaen atteint l’essence de la musique contemporaine en l’ancrant dans la réalité et l’univers, celui de la nature. Capter et orchestrer des chants d’oiseaux est à la fois si rare et si génial ! Le compositeur de Saint François d’Assise va au bout de sa démarche à la fois engagée (nous ne sommes pourtant qu’en 1956), moderne et d’une folle ambition - ses chants sont longs respectivement de, respectivement, presque huit minutes et plus de cinq minutes, ce qui rend la performance du pianiste d’autant plus remarquable. 

    Peintre sonore

    Le programme de Lorenzo Soulès se poursuit avec une œuvre de Tristan Murail datant de 1993. La Mandragore, long morceau près de dix minutes, s’étire et s’enroule mystérieusement, dans des volutes sonores incroyables. Le compositeur français fait de ce morceau pour piano une œuvre à la fois minérale et solaire, telles ces plantes méditerranéennes réputées pour leurs étranges pouvoirs appréciés des sorcières. Aussi étrange que cette œuvre que l’auditeur découvrira sans doute avec intérêt, et qui le renverra sans doute à l’influence de Messiaen, écouté plus tôt.

    Images… propose avec le Deuxième Livre d’Études de Philippe Manoury la composition contemporaine la plus récente, car elle date de 2021 et a été écrite pour le Concours d’Orléans. Deux morceaux sont proposés dans l’album. Il y a, pour commencer, "Dérèglements", une composition sombre écrite avec précision, avec ces effets sonores se jouant des échos, des répétitions mais aussi des silences, sans doute bien plus inquiétants encore. C’est une vraie bourrasque qui saisit l’auditeur et que Lorenzo Soulès parvient à rendre avec toute sa puissance. Le second titre de Philippe Manoury est le vivant et contemporain "Réseaux". La puissance d’évocation de nos réseaux sociaux et informatiques est frappante. Ce titre prouve que les compositeurs contemporains continuent à se régénérer et à prouver qu’ils restent très actuels.

    Dans ce programme de musique française, un intrus apparaît en fin d’enregistrement : le Britannique George Benjamin. Pourquoi a-t-il sa place ? Lorenzo Soulès s’explique : "Benjamin a quelque chose de très français. Dans ses œuvres pour orchestre, notamment, il contrôle parfaitement les timbres des différents groupes, à la manière de Ravel ou de Debussy". Les dix Piano Figures de 2004 de George Benjamin, dans leur brièveté (entre trente secondes et deux minutes), ont la concision, la précision et la texture de "coloristes" tels que Debussy et Ravel, justement. On s’en conviendra à l’écoute de "Spell", de "Knotts" ou de "In the Mirror". Pareillement, ne pourrait-on pas voir dans "Song" une réminiscence d’Erik Satie ? La puissance et la virtuosité de Lorenzo Soulès font merveille dans des morceaux aussi complexes que "Hammers", sans parler de la sensibilité qu’il met dans "Alone" ou "Mosaic". Impossible non plus de ne pas parler des lignes modiques de "Around the Corner" ou du mystérieux "Whirling" qui vient conclure de fort belle manière cet enregistrement public proposé par Lorenzo Soulès.

    La tournée "Images" de Lorenzo Soulès s’arrêtera à Montargis, le 22 novembre 2023, avec un masterclass et un concert du pianiste, accompagné de Chisato Taniguchi.

    Images…, Lorenzo Soulès, piano, b-records, 2023
    https://www.b-records.fr
    https://www.lorenzo-soules.com
    https://www.facebook.com/lorenzo.soules

    Voir aussi : "Franck par Lazar"

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  • Concerto pour le monde d’après

    Les deux premières surprises à la découverte du Concerto pour violon du compositeur américain Todd Mason viennent de la durée de l’œuvre – un peu plus de 23 minutes – mais aussi de sa structure – un seul mouvement, allegro. Cette composition de 2022 est proposée par Ulysses Arts dans un enregistrement tout juste sorti, avec Tosca Opdam au violon et avec le Budapest Scoring Orchestra dirigé par Péter Illényi.

    Todd Mason n’ambitionne ni plus ni moins que de proposer une œuvre pour notre temps, résolument contemporaine (elle a été composée en plein Covid), mais d’une si grande solidité qu’elle affrontera sans coupé férir le monde d’après.    

    Le concerto s’ouvre avec un gong, instrument des plus immémoriaux, comme le rappel que le compositeur entend s’accrocher au passé et à à de brillants anciens. Les noms d’Alban Berg et de Béla Bartók viennent inévitablement en tête. Le violon de Tosca Opdam entre en jeu très rapidement. La violoniste néerlandaise apporte son souffle lyrique, sa nervosité comme sa dimension pathétique dans cette œuvre aux multiples facettes et aux nombreuses ruptures de rythmes. Il semble que, vers le milieu du concerto, la violoniste et l’orchestre s’affrontent, avant que Tosca Opdam ne se lance dans une partie solo, offrant à cette allegro un singulier chant romanesque et mélancolique.    

    Une large palette de couleurs, de rythmes et d’émotions

    L’auditeur sera sans doute marqué par les influences de Todd Mason dans cette œuvre relativement courte. Nous parlions de Berg et Bartók. Il y a aussi le choix pour le compositeur américain de ne pas oublier la mélodie, le classicisme, le romantisme mais aussi la musique populaire, à travers par exemple des fragments de fanfare au début du concerto. Force reste toutefois au modernisme et au contemporain, ce qui donne à cette œuvre une large palette de couleurs, de rythmes et d’émotions, jusqu’aux dernières notes. Avec une Tosca Opdam encore une fois irrésistible.

    L’autre œuvre de cet enregistrement d’UA est cette Chamber Suite en trois mouvements, écrite en 2020. L’auditeur découvrira une composition plus familière à ses oreilles, plus tonale, avec des cordes incroyablement denses et riches. Todd Mason évoque pour le premier mouvement "Allegro deciso" une étonnante influence : celle de mélodies folkloriques arméniennes, preuve que, ici comme dans son concerto pour violon, le compositeur américain refuse de complètement tourner le dos au passé.

    Pour le deuxième mouvement "Expressivo", place à l’émotion mais aussi au tragique, à telle enseigne que l’on pourra y trouver la marque d’Henryk Górecki et de sa troisième Symphonie n°3 "des chants plaintifs". Quant au troisième et dernier mouvement, "Spirito", enlevé pour ne pas dire nerveux, il évoque une dance traditionnelle européenne, dans une facture classique, et qui aurait tout à fait sa place dans une BO de film ou de série.  

    Au final, avec ces deux œuvres, l’auditeur aura eu la chance de découvrir ou redécouvrir deux artistes passionnants : le compositeur Todd Mason et la violoniste Tosca Opdam. Gageons aussi que l’étonnant Concerto pour violon restera dans les mémoires. 

    Todd Mason, Concerto pour violon & Chamber Suite,
    Tosca Opdam, violon, Budapest Scoring Orchestra dirigé par Péter Illényi, Ulysses Arts, 2023

    https://www.ulyssesarts.com
    https://toddmasoncomposer.com
    https://toscaopdam.com/home
    https://www.instagram.com/toscaopdam/?hl=fr

    Voir aussi : "Courtoise et romantique Maguelone"

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  • Voyage musical à Giverny avec Julian Loida

    Au jeu des références musicales, Giverny, la création contemporaine de Julian Loidan peut autant renvoyer au courant répétitif américain de Philip Glass ou Steve Reich qu’aux compositions de Yann Kiersen. Mais pas que.

    C’est aussi avec les yeux que s’écoute l’album du jeune compositeur américain. L’auditeur pourra naviguer dans les, toiles de Claude Monet qui est le sujet, lui et son jardin, au cœur de l’opus. Ce sont les touches musicales du morceau "Giverny", comme autant de tâches de couleur d’une toile impressionniste. C’est aussi ces couleurs hivernales de "December Dreams", mêlant le gris, le jaune pâle, les teintes beiges et le blanc.

    L’ambition de Giverny n’est ni plus ni moins que de voyager et se faire voyager au cœur du Jardin du Val d'Oise. Julian Loidan choisit une palette de sons : piano, vibraphone, percussions, machines, violons, voix éthérée pour naviguer entre la fin XIXe et 2023. Monet, le peintre français sans doute le plus adulé à l’étranger, devient un personnage de notre époque, comme ne le dit paradoxalement pas le mélancolique "You Will Be Missed" ou encore le nostalgique et pas moins triste "Surrender". 

    Julian Loidan choisit une palette de sons : piano, vibraphone, percussions, machines, violons, voix éthérée pour naviguer entre la fin XIXe et 2023

    Cela n’empêche pas le musicien américain de s’emparer d’un classique de la musique française de l’époque de Monet, la fameuse "Gymnopédie n°1" d’Erik Satie, que le compositeur rehausse toutefois de teintes synthétiques. Cela donne un résultat séduisant, sans pour autant dénaturer le chef d’œuvre de l’ami de Claude Monet.

    Pour son dernier album, Julian Loida choisit des chemins étonnants et séduisants, un peu à l’image des allées que suit le touriste pour admirer le domaine de Monet. Arrêtons-nous un instant sur "Sphere", mêlant jazz et rock pour un morceau tendant au psychédélisme tellement en vogue dans les années 70. Il y a un incontestable esprit New Age dans ce titre prenant son temps, au même titre sans doute qu’"Ambrosia", infiniment plus court (un peu plus d’une minute) et aussi astral que Giverny est terrien.

    Avec "Beautiful Day" et "Collide", nous sommes carrément dans une pop bien dans notre époque, preuve supplémentaire que Julian Loida ne s’entend pas se limiter à une lecture classique de l’œuvre de Monet et de ses jardins.

    Retour enfin à la musique contemporaine américaine avec "Waves", s’inscrivant dans la vague – si l’on peut se permettre ce jeu de mot – du mouvement répétitif américain, mais cette fois coloré de jazz et de pop, pour un morceau prenant son temps et choisissant de se perdre dans les jardins de Giverny. L’auditeur sera tout aussi marqué par le choix assumé de l’électronique pour "Look Up" , une nouvelle preuve s’il en est que Claude Monet reste éternel.

    Julian Loida, Giverny, Gratitude Sound Music, 2023
    https://gratitudesoundmusic.com/latest-news
    http://www.julianloida.com
    https://www.instagram.com/julianloida

    Voir aussi : "Les couleurs musicales d’Aysedeniz"

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  • Les couleurs musicales d’AyseDeniz

    N’en déplaise aux grincheux, la musique classique et contemporaine connaît depuis quelques années un sérieux renouveau. Un exemple ? AyseDeniz et son dernier album, Patterns.

    La musicienne, originaire de Turquie, s’est fait connaître grâce au bouche-à-oreille et les réseaux sociaux. AyseDeniz cumule des centaines de milliers de fans sur les réseaux sociaux et des dizaines de millions de streams sur les plateformes. Patterns, c’est une foi renouvelée pour le classique et la composition. La pianiste a pour elle l’enthousiasme mais aussi la virtuosité, à l’exemple du singulier "Chaos" qui ouvre son album sorti ce printemps.

    La compositrice propose treize titres, relativement courts (de deux à quatre minutes) qui entendent montrer qu’il y a une vie après Bach ("AfterBach") et que le classique connaît un revival assez inattendu en ce début du XXIe siècle. Non, le romantisme n’est pas plus mort ("Enchanted Heart") semble nous glisser à AyseDeniz à l’oreille, grâce à un piano lumineux et un orchestre qui se déploie avec élégance.

    L’auditeur pourra saluer un album à la fois riche et aux multiples surprises, à l’instar de "Kelton", à la mélodie mystérieux et romanesque. N’importe quel metteur en scène trouvera dans l’opus de l’artiste turque une bande son d’une incroyable richesse, alternant lyrisme ("The Labyrinth Of Freedom"), poésie ("Sunshine City"), mélancolie ("Sarp"), fougue ("Chaos"), retenue ("Threads Of Sound"), pudeur ("Lunapark") et grands élans symphoniques ("AfterBach"). 

    Coloriste musicale

    Véritable concerto pour piano de nos jours (si l’on excepte, à partir de la seonde moitié de l’album des morceaux pour instrument solo), Patterns sait jouer des nuances et prendre l’auditeur par la main, en revenant à l’essence du classique : l’harmonie, la création mélodique et le sens de l’architecture sonore. Écouter "Lunapark", par exemple, c’est entrer dans un monde coloré et lumineux, celui de l’enfance, de l’innocence et de l’insouciance.  

    Disons-le : la musique d’AyseDeniz touche grâce à sa qualité de provoquer des images, y compris à la personne la plus réfractaire au classique ("Sharp"). Dans "Sunshine City", la musicienne se retrouve seule derrière son piano , au service d’une pièce se déroulant avec élégance et en allant à l’essentiel. Et si cet essentiel n’était pas tout simplement la beauté ?    

    Patterns abrite quelques jolies surprises, frappant par leur construction sonore, à l’instar du nu et mélancolique "Peace Finally" ou de l’impressionniste "Velvet Piano". Le choix du piano solo permet à AyseDeniz de montrer toute sa virtuosité ("The Labyrinth Of Freedom"), autant que sa justesse et ses qualités de coloriste musicale toute debussyenne ("In My Head"). On quitte comme de l’album comme on sort d’un rêve, avec une très belle valse, "April Waltz"

    Il faut enfin noter que suite au tremblement de terre catastrophique qui a frappé le pays natal d'AyseDeniz et la Syrie voisine, l'artiste a lancé Help In Harmony, un mouvement musical au profit de l'organisation Turkish Philanthropy Funds. La pianiste souhaite utiliser sa popularité sur les réseaux sociaux afin de réunir des artistes et mobiliser des dons pour de la nourriture de survie, des soins médicaux et psychologiques, des abris et bien plus encore.  

    AyseDeniz, Patterns, Audio Networks, 2023
    https://www.adpianist.com
    https://www.instagram.com/adpianist/?hl=fr
    https://www.facebook.com/ADPianist
    https://www.helpinharmony.com

    Voir aussi : "Majeur !"
    "Nul n’est prophète en son pays"

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