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musique de chambre

  • Premiers feux d’artifices romantiques pour Katok 

    Parlons, pour commencer, du Quintette à cordes en ut majeur de Schubert, créé en 1828, quelques mois avant sa mort à l’âge de 31 ans. C’est peu dire que cette œuvre constitue un jalon de la musique de chambre ; il s’agit en réalité d’une pièce romantique majeure du XIXe siècle et même de la musique classique tout court.

    L’Ensemble Katok la propose dans son premier album (un double album en réalité), Le temps suspendu, proposé par b•records. Une belle entrée en matière. Contrairement à ce que ne l’indique son nom, Katok, en hommage au réalisateur Tarkovski, est un ensemble bien français, ardéchois plus précisément, créé par le violoniste Paul Serri. Il s’est entouré pour l’occasion du violoniste Shuichi Okada, des violoncellistes Magdalena Sypniewski et Justine Metral et de l’alto Anna Sypniewski. L’enregistrement est une captation d’un concert lors du Katok Festival en octobre 2024, en l’église Saint-Pierre d’Antraogues-Asperjoc.

    Bla Bla Blog est d’emblée sensible à cette démarche de proposer la musique classique et contemporaine dans des lieux où la population a peu l’habitude de ce répertoire. C’est ce que l’on appelle la démocratisation de l’art. Un gros big up pour le Katok Ensemble.

    Cet album marque donc la naissance sur disque d’un ensemble attachant pour sa jeunesse (le frais et étincelant Allegro ma non troppo le prouve) et son hypersensibilité (indispensable pour s’attaquer au répertoire de Schubert). Pour s’en convaincre, que l’on écoute le sobre et bouleversant Adagio, dans lequel les silences sont aussi importants que les notes. Dans le livret de présentation du disque, Paul Serri rappelle que lorsque Schubert écrit son Quintette  D 956, il se sait condamner. Toujours dans cet Adagio, la tristesse se fait chant d’adieu. Ce qui n’empêche pas le compositeur, qui n’a jamais connu la gloire de son vivant, de se révolter contre la mort qui va l’emmener quelques mois plus tard.

    Les longs mouvements du Quintette permettent à l’auditeur de se laisser mener par une composition aussi simple que géniale, et d’une passion jamais entendue jusqu’alors dans le classique – le romantisme incarné. Ne faisons cependant pas de ce Quintette une œuvre funèbre. Elle est au contraire vibrante de vie, à l’instar du Scherzo-Presto, et même moderne dans certains passages. On a, à juste titre, salué le talent d’architecte sonore de Schubert. Qualité présente notamment dans le formidable dernier mouvement Allegretto. Schubert refuse la tristesse, au profit d’une série de danses romantiques. La vie l’emporte définitivement sur la mort. C’est ce que les six musiciens et musiciennes de l’Ensemble Katok ont compris. 

    Deux compositeurs qui ne se sont jamais rencontrés

    À côté de Schubert, la présence de Beethoven tombe sous le sens dans ce double album. Et pourtant, les deux compositeurs ne se sont jamais rencontrés. Schubert vouait une admiration sans borne pour son maître, génie reconnu, lui, de son vivant.

    Nous parlions de Schubert et de son quintette composé quelques mois avant son décès. Lorsque Ludwig van Beethoven écrit son Quatuor à cordes n° 15 en la mineur, il sort d’une grave maladie et est en convalescence. Nous sommes entre décembre 1824 et août 1825, quatre ans plus tôt donc. Le compositeur allemand sent lui aussi la fin proche (s’en sera fini trois ans plus tard). Voilà qui rend cette pièce de musique de chambre particulièrement poignante (Assai sostenuto).

    Et pourtant, ce quatuor est d’abord une œuvre de commande pour le Prince Galitsyne datant de 1822. Un soulagement financier pour Beethoven qui s’y met assez tard, fin 1824. Un an plus tôt, il a créé sa Neuvième Symphonie. Voilà pour les circonstances d’écriture.

    L’Ensemble Katok s’attaque sans complexe à ce monument de la musique classique, sans fléchir sur l’Allegro du premier mouvement. On a, à juste titre, salué le modernisme du deuxième mouvement, Allegro ma non tanto. Il respire. Il médite, même, dirions-nous, comme s’il était en suspension permanente, soudainement interrompu par une singulière danse, venant interrompre par un élan de vie une partie dominée par l’attente et la réflexion.  

    Le Molto adagio vient nous rappeler que nous avons à faire à une œuvre singulière et importante de Beethoven. La mort et la douleur sont au centre de cette création qui continue de marquer les esprits. Mystique, spirituel, métaphysique : ces termes pourraient être utilisées pour cette partie ressemblant à une pièce religieuse – un chant d’action de grâce et de reconnaissance, précisait Beethoven lui-même. L’Ensemble Katok propose là l’une des parties les plus bouleversantes et réussies du double album.

    Singulier est le quatrième mouvement en forme de marche (Alla marcia, assai vivace). C’est une sorte de parenthèse pour reposer les oreilles de l’auditeur et l’auditrice. D’ailleurs, les musicologues remarquent que Beethoven est resté longtemps indécis sur la facture et le rythme à donner à cette partie. Elle est courte (2 minutes 26 dans cet enregistrement public de b.records). Il ne donne que plus de relief au cinquième et dernier mouvement Allegro appassionato. Il est romantique, certes, mais surtout poétique et plein de sève. L’énergie pulse dans cette magnifique partie conclusive, demandant aux interprètes virtuosité et cohérence d’ensemble impeccable. Le quatuor commençait la pièce avec de lourds nuages, voilà qu’elle devient une ode à la jeunesse. Impossible pour le Katok Ensemble de ne pas retranscrire cet élan bienfaisant. Beethoven for ever.

    À noter enfin que, comme toutes les productions de b.records, le ou la propriétaire du disque aura droit à un poster original, ici une création graphique originale de Magali Cazo

    Le temps suspendu, Franz Schubert & Ludwig van Beethoven,
    Ensemble Katok, b•records, coll. Katok, 2025 

    https://www.b-records.fr/disques/le-temps,-suspendu
    https://katok.fr/katok-ensemble

    Voir aussi : "Et de 3, et de 2"
    "Pas de pépin pour Julien Desprez"

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  • Beethoven, un jeune compositeur très ambitieux

    Œuvres de jeunesse de Ludwig van Beethoven, les six premiers quartets du compositeur allemand sont catalogués comme son opus 18. Ils ont été composés entre 1799 et 1801. À l’époque, Beethoven, âgé d’une trentaine d’années, entreprend de revisiter un genre archi-classique que dominaient son maître Haydn et Mozart, mort quelques années plus tôt. L’ambition de Beethoven est patente et le natif de Bonn ne va pas manquer de confirmer son talent par la suite. L’histoire raconte que Beethoven répond à une commande du Prince Lobkowitz et que le compositeur allemand est en concurrence avec… Haydn lui-même qui n’a finalement pu honorer l’écriture de ces quartets. L’enregistrement en 3 CD de ces six quatuors est proposé par le Calidore String Quartet, avec Jeffrey Myers et Ryan Meehan (violons), Jeremy Berry (alto) et Estelle Choi (violoncelle).

    Beethoven surfe encore à l’époque sur le classicisme XVIIIe siècle. Il y a ces envolées et ces lignes mélodiques mozartiennes de l’allegro con Brio du Premier Quartet en fa majeur. Le Beethoven génial sort pourtant de son cocon dans un deuxième mouvement Adagio affettuoso e appasionato préromantique. Il y a de l’expressivité et de l’enthousiasme (Allegro) dans ce premier quatuor écrit en 1799.

    Beethoven se pare des costumes du XVIIIe siècle (Allegro du 2e Quartet en ré majeur) pour mieux s’approprier cette musique de chambre. Les notes virevoltent dans une construction beaucoup plus sophistiquée qu’il n’y paraît. Beethoven happe l’auditeur avec ses mouvements mêlant passion romantique et enthousiasme (le vibrant Adagio cantabile du 2e Quartet), sans oublier la légèreté (Scherzo et Allegro, 2e Quartet) et l’insouciance de l’Allegro molto, quasi presto de la même pièce.  

    Beethoven fait sortit la musique de chambre des salons bourgeois

    Le 2e CD contient les 3e et 4e Quartets, toujours opus 18. C’est un Beethoven enthousiaste et juvénile qui est à l’œuvre, toujours fidèle à une fibre classique (Allegro du 2e Quartet), mais non sans tensions ni moments pathétiques.

    Romantique, Beethoven l’est dans le 3e Quatuor, élégant, touchant et avec une évidence qui en fait l’un de ses chefs d’œuvre. L’ensemble Calidore String Quartet joue à l’unisson sans qu’aucun instrument ne prenne le dessus (Allegro). L’Andante con motto, méditatif, n’est sans légèreté. Beethoven avait à cœur, disent les musiciens de l’ensemble, de ne pas composer que pour une élite mais pour toute la population. Après un court mouvement Allegro plein de rondeurs, Beethoven nous embarque dans un Presto révolutionnaire dans son essence, tourmenté et d’une grande modernité.

    Le 4e Quartet en do mineur commence Allegro, telle une série de danses. Compositeur populaire, Beethoven fait sortir la musique de chambre des salons bourgeois et aristocrates. L’Andante scherzoso quasi Allegretto s’écoute comme une jolie digression amoureuse, avant un Menuetto revisitant une danse typique typique du XVIIIe siècle. Beethoven en fait un mouvement nerveux et aux assauts répétés. Pas de demi-mesure mais du sentiment, de la passion et une soif de vivre. L’Allegretto Prestissimo vient conclure cette pièce et le 2e CD dans la fougue et des rythmes de danses dont s’empare avec enthousiasme le Calidore String Quart.Le 3e CD complète l’enregistrement de l’opus 18.

    Avec ces pièces de musique de chambre, Beethoven a revigoré un genre. L’Allegro du 5e Quartet en la majeur virevolte. Il faut toute la virtuosité de l’ensemble new-yorkais pour venir à bout d’un mouvement aussi tonique. Beethoven a beau revenir à ses "classiques" – l’élégant et non moins majestueux Menuet –, il s’affirme dans ses élans romantiques irrésistibles avec un mouvement Andande cantabile se permettant même une cavalcade réjouissante et redoutable… pour les interprètes. Incroyable de modernisme pour l’époque. Le Quatuor en la majeur se termine avec un Allegro tout aussi vif, semblant faire le lien avec classicisme mozartien et romanisme.

    Le 6e Quartet en si bémol majeur vient clore le 3e CD et le coffret de cet opus 18. Beethoven y fait preuve du même tempérament enthousiaste (l’éclatant et alerte Allegro con brio). L’Adagio de ce quartet se distingue par son élégante ligne mélodique comme par son raffinement qui nous renvoie aux salons allemands de la fin du XVIIIe siècle. L’auditeur sera séduit par le court (3 minutes 12), coloré et nerveux Scherzo et Allegro. Le coffret et les six premiers quartets se terminent par le singulier et bouleversant mouvement Malinconia, suivi de son Allegro. La Malinconia s’écoute comme le dialogue entre deux personnages, l'un mélancolique et hésitant, l'autre jovial et entreprenant. Un troisième personnage (Allegro) vient s’immiscer entre les deux premiers, donnant à ce mouvement incroyable l’aspect d’une pièce de théâtre tragi-comique.

    Ces quatuors "de jeunesse" furent très probablement composés dans l'ordre suivant : 3, 1, 2, 5, 4, 6. En proposant un ordre à la fois logique (1, 2, 3, 4, 5, 6) et inverse des dates de composition, le Calidore String Quartet entend terminer par le mouvement le plus spectaculaire et le plus théâtrale. Pour appuyer ce choix, le livret repend à son compte une citation de TS Eliot dans son recueil Quatre Quatuors : "Ce que nous appelons le début est souvent la fin / Et faire une fin, c'est faire un commencement / La fin est l'endroit d'où nous commençons". Voilà qui est " tout à fait beethovénien" !

    Beethoven, The Early Quartets, Calidore String Quart, Signum Classics, 2025
    https://www.calidorestringquartet.com

    Voir aussi : "Haydnissimo !"
    "Le trio Sōra vous souhaite un joyeux anniversaire, M. Beethoven"
    "À Beethoven, l’humanité reconnaissante"

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  • 1842, année romantique

    "1842" aurait pu être le titre du dernier coffret de b.records, Collection Schumann. Cet enregistrement consacré à la musique de chambre de Robert Schumann s’intéresse à quatre œuvres de jeunesse du compositeur allemand. Nous sommes en 1842 et Schumann ne s’est pas encore essayé aux quatuors, se limitant surtout à des opus pour piano et voix. Cette année 1842 entre dans l’histoire de la musique romantique.

    L’enregistrement proposé est la captation d’un concert donné par le Quatuor Strada à l’Auditorium de la Cité de la Musique et de  la Danse à Soissons, les 3 et 19 avril 2024. Le Quatuor réunit Pierre Fouchenneret et Ayako Tanaka au violon, Lise Berthaud (alto) et François Salque (violoncelle).

    Ce coffret Robert Schumann débute avec le 1er Quatuor à cordes op. 41 dont l’introduction soyeuse et vibrante annonce un mouvement harmonique et harmonieux, mais non sans l’expressivité romantique de Robert Schumann (Andante expressivo) ni une allégresse certaine (Allegro). Écrit en 1842 (Robert Schumann a 32 ans), ce Quatuor op.41 illustre l’état d’esprit de son auteur. Il vit une période heureuse, ce qu’illustre encore le deuxième mouvement Scherzo – Presto – Intermezzo vivifiant auquel s’attaque le Quatuor Strada avec enthousiasme. Même l’Adagio n’est ni triste ni funèbre. Mélancolique et beethovénien, il ressemble à une douce déclaration d’amour. Le Presto, vif comme un torrent sauvage, vient conclure un premier Quatuor typique de cette année 1842 placée sous le signe de la musique de chambre schumanienne.

    Toujours en 1842, le compositeur allemand écrit son deuxième Quatuor à cordes op. 41. L’Allegro vivace a la légèreté de ces œuvres insouciantes. Le Quatuor Strada s’y promène avec une bonheur. Le charme de l’Andante quasi variazioni réside dans sa manière d’avancer pas à pas, avec un sorte de nonchalance joueuse. Le mouvement suivant, Scherzo – Presto, le plus court de ce coffret, garde cette insouciance et cette joie de vivre, si caractéristique de la musique de chambre schumanienne de cette période. Tour aussi alerte, l’Allegro molto vivace vient clore le Quatuor à cordes n°2 ainsi que le premier CD du coffret.

    "Ils me ravissent jusque dans le moindre détail"

    Le 3e Quatuor à cordes commence par une somptueuse déclaration d’amour tout en romantisme. N’est-ce pas à Robert Schumann amoureux – de Clara Wieck, future Madame Schumann – dont nous avons à faire dans le premier mouvement Andante ? Les frères Fouchenneret précisent d’ailleurs dans le livret que le trio de quatuors ont été offerts à la musicienne et compositrice pour ses 23 ans qui a su apprécier la valeur de cette création : "Ils me ravissent jusque dans le moindre détail", lui dit-elle. Pour l’Assai agitato, Robert Schumann semble se démultiplier dans une partie virtuose, enlevée et à la construction savante. On se pose sur l’Adagio, plus sobre avant un Finale Allegro molto vivace, enlevé, capricieux et joueur, mais non sans élan amoureux et romantique, avec une ligne mélodique irrésistible.

    Le Quintette pour piano et cordes op. 44 vient compléter ce programme. Théo Fouchenneret au piano rejoint son frère Pierre, toujours avec le Quatuor Strada. Composé lui aussi en 1842, le Quintette en mi bémol majeur est devenu un des exemples les plus éclatants de la musique romantique, suscitant d’ailleurs l’admiration, entre autres, de Wagner himself. L’Allegro est "brillante", mené tambour battant grâce notamment au piano de Théo Fouchenneret. Arrêtons-nous un instant sur le second mouvement In modo d’una marcia, un poco largamente. C’est tout le génie de Schumann qui s’exprime dans cette partie plus sombre – sinon funèbre – et dans lequel le compositeur sort des sentiers battus. Le romantisme se pare de modernité dans ce séduisant et frappant mouvement nimbé de mystères, comme annonciateur de sombres dangers. Avec le Scherzo Molto vivace, c’est un Schumann jeune et alerte qui s’exprime dans un mouvement relativement court, et en tout cas efficace. Le Quintette et le coffret se termine avec un Finale allegro ma non troppo au solide tempérament. Il vient clore une œuvre essentielle chez Schumann et, par là, une année 1842 à marquer d’une pierre blanche.  

    Robert Schumann, Quatuors et quintette pour piano et cordes,
    Quatuor Strada et Théo Fouchenneret, b•records, 2025

    https://www.b-records.fr
    https://www.theofouchenneret.com
    https://pierrefouchenneret.com/quatuor-strada

    Voir aussi : "Romantique et métaphysique Schumann"

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  • Bouquets de Fauré

    Pour terminer cette année 2024, quoi de mieux que de le faire avec Gabriel Fauré dont nous fêtons les 100 ans de sa mort. Une "Année Fauré", donc, et qui mérite ce Florilège proposé par Indésens. Les enregistrements proposés sur 2 CD s’étalent sur 50 ans, de 1974 à 2024.  

    La première partie de l’album est constituée du Quatuor pour piano et cordes n°2 op. 45 et de la première Sonate pour violon op. 13. Ces œuvres ont été enregistrées entre 2017 et 2024.

    Gabriel Fauré, dont la musique est parfois considérée à tort comme mièvre et trop classique, surprend par sa franche énergie et son audace romantique dans le Quatuor op. 45. L’ensemble constitué par Lauriane Corneille (piano), Hugues Borsarello (violon), Arnaud Thorette (alto) et Raphaël Perraud (violoncelle) restituent de concert la densité de cette pièce de 1886, en particulier l’Allegro molto moderato. La jeunesse, la vivacité et l’audace de l’Allegro molto frappent aux oreilles. On peut aussi parler d’efficacité du langage comme du sens mélodique du compositeur français. Ringard et dépassé, Fauré ? Sûrement pas à l’écoute du troisième mouvement Adagio ma non troppo, mystérieux, raffiné, élégant mais aussi doué d’une singulière modernité avec son piano central dans le quatuor (le jeu inspiré de Lauriane Corneille fait particulièrement merveille). Le finale Allegro molto achève de nous convaincre de l’importance de cette pièce à la fois puissante et lyrique.

    Le premier CD est complété par la Sonate pour violon n°1 op. 13. Elle est jouée ici au violon par Tatiana Samouil, avec David Lively au piano. La gestation de l’œuvre a duré deux ans, de 1875 à 1877, avant de trouver sa forme définitive qui a immédiatement conquis le public. Fauré impose son style fait de recherches mélodiques, d’élégance mais aussi de virtuosité (Allegro molto). Il y a cette délicatesse et cette onctuosité propre à la musique française durant la Belle Époque (le léger et espiègle Andante). Fauré insuffle tout autant une fraîcheur bienvenue dans l’avant-dernier mouvement Allegro vivo avant un finale Allegro quasi presto, enlevé, joyeux et que le duo Tatiana Samouil-David Lively mène avec éclat.  

    De véritables tubes classiques

    La seconde partie de ce double-album de Gabriel Fauré est consacré à des pièces brèves, et pour certaines archi-célèbres. Mettons de côté le Chant funéraire op. 117, tardif (il a été composé en 1921), seul opus religieux de l’album et dont la retenue méditative renvoie à son chef d’œuvre qu’est le Requiem. Le Chant funéraire est ici proposé dans une version  de l’Orchestre d’harmonie des Gardiens de la paix, dirigé par Désiré Dondeyne. Mélodies et Romances dominent ce programme, dans des enregistrements s’étalant sur 50 ans. La harpiste Marie-Pierre Langlament et le violoncelliste Martin Löhr sont les interprètes majoritairement représentés.

    Le terme angliciste de best-of n’est pas galvaudé pour ce qui est un choix de musique de chambre, à telle enseigne que les curieux et curieuses désirant mieux connaître Gabriel Fauré seront bien inspirés de se précipiter sur ce double album, et en particulier sur le second CD passionnant.

    On image l’embarras pour ne pas dire le déchirement des programmateurs dans le choix des pièces. Remarquons cependant que la première Mélodie, op. 7 (Après un rêve), est proposée dans deux versions, l’une avec harpe et violoncelle (Marie-Pierre Langlament et Martin Löhr), l’autre, plus éclatante, avec trompette et piano (Eric Aubier et Pascal Gallet).

    De véritables tubes classiques sont évidemment présents, que ce soit la troisième Romance sans paroles op. 17, avec Alexandre Gattet au hautbois et le pianiste Laurent Wagschal – que les fidèles de Bla Bla Blog connaissent bien maintenant. Autre pièce majeure, La Sicilienne op. 78, toujours avec Marie-Pierre Langlament à la harpe et Martin Löhr au violoncelle. Citons aussi le léger et gracieux Papillon op. 77. Cette pièce revient plus loin dans une étonnante version pour euphonium (Lilian Meurin) et piano (Victor Metral). N’oublions pas non plus la Fantaisie op. 79 aux allures de danse fantasmagorique, avec Vincent Luca à la flûte et Emmanuel Strosser au piano ou la Romance op. 69 – romantique et mélodieuse à souhait.

    Des Huit pièces brèves op. 84, cinq ont été choisies. Laura Bennett Cameron au basson accompagnée de Roger Boutry au piano en proposent deux, le Caprocioso de la n°1 et l’Improvisation de la n°5, adaptés pour cet instrument à vent séduisant et de plus en plus en vogue. Absolument immanquable ! Marie-Pierre Langlament et Martin Löhr sont de retour pour la délicate Sérénade op. 98. L’Élégie op. 24 ne pouvait pas ne pas figurer sur l’album. Elle est proposée dans une version pour harpe et violon.

    Marie-Pierre Langlament et Martin Löhr – encore eux – viennent conclure ce programme avec de nouveau les Romances sans paroles op. 17. Outre le retour de la 3e Romance, Andante moderato, figurent la 1ère Andante quasi allegretto et la 2e Allegro molto. Tout l’esprit de Fauré est là : lignes mélodiques irrésistibles et expressivité tout en retenue.

    Voilà un double-album capital pour découvrir ou redécouvrir la musique de chambre d’un compositeur capital. 

    Gabriel Fauré, Florilèges, Indésens Calliope, 2024
    https://indesenscalliope.com
    https://www.bs-artist.com/pages/communication

    Voir aussi : "Bonnes chansons de Fauré"
    "Élégies pour Fauré"
    "Fauré, cent ans après toujours jeune"

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  • La Bohême, la Bohême...

    Derrière le titre Deep Forest se cache l’album du Quatuor Akilone consacré à Antonin Dvořák. Les quatre musiciennes ont jeté leur dévolu sur le Quatuor à cordes n°14 en la bémol majeur, B. 193, op. 105 et Les Cyprès B.152, deux œuvres représentatives du compositeur tchèque, en dépit du fait que l’on retienne surtout du compositeur ses célèbres symphonies, dont celle du Nouveau Monde.

    Voilà donc un autre champ de découverte. La patte de Dvořák frappe immédiatement aux oreilles : sens de la mélodie, densité et un  mélange de subtilité et de fougue.  

    Avec Dvořák, on ne s’ennuie jamais, et l’on est d’autant plus séduit par le jeu des quatre concertistes (Magdalena Geka et Élise De-Bendelac au violon, Perrine Guillemot-Munck à l’alto et Lucie Mercat au violoncelle) qui sont allées jusqu’en République tchèque pour s’imprégner de l’atmosphère de ce pays magique.

    C’est toute l’âme du pays qui transparaît dans le Quatuor à cordes n°14, écrit en 1896 aux États-Unis et pensé comme un voyage dépaysant en Bohême (premier mouvement Adagio ma non troppo – Adagio appasionato). Le compositeur a choisi un tempo rapide (Molto vicace) pour le deuxième mouvement. Puisant ses influences dans la tradition musicale tchèque, l’œuvre s’en détache avec bonheur et un certain enthousiasme.

    On ne dira jamais assez que Dvořák a été pour la fin XIXe et le début XXe siècle, un musicien européen phare du classicisme. La preuve avec le troublant et poignant troisième mouvement Lento e molto cantabile, laissant de larges places aux pauses, aux suspensions et aux silences. Le 14e Quatuor se termine par un étrange mouvement, Allegro ma non troppo. Une danse envoûtante, et aussi inquiétante aux entournures (le formidable violoncelle de Lucie Merlat), guide cette dernière partie s’éloignant peu à peu de la nuit pour aller vers l’apaisement, pour ne pas dire la lumière. 

    Une œuvre que le compositeur n’a eu de cesse remaniée tout au long de sa vie

    La deuxième partie du programme est consacrée à une pièce de jeunesse rare de Dvořák. Les Cyprès (Cypřiše) est une œuvre que le compositeur n’a eu de cesse de remanier tout au long de sa vie. Les membres du Quatuor Akilone ne cachent pas leur amour pour cette œuvre peu connue et inspirée de poèmes de Gustav Pfleger Moravský. Ceci explique la présence de ces Cyprès dans leur album, inspirant en outre le titre de l'album et ses forêts profondes. Au passage, impossible de ne pas parler de l’engagement environnemental du quatuor. Sensible à ces questions, il est membre du réseau ARVIVA.

    Dvořák tire 12 mélodies somptueuses pour lesquelles il a toujours eu un attachement singulier. Dans le livret du disque, Tristan Labouret s’interroge d’ailleurs sur cette œuvre tellement aimée du compositeur : "Pourquoi donc cet éternel retour à ce cycle de jeunesse ?" Ce n’est certainement pas l’idée d’un succès commercial puisque Les Cyprès ne seront jamais publiés du vivant du musicien. Pourquoi pas une histoire d’amour – non-réciproque – avec la belle-sœur du compositeur ? Peut-être si l’on en croit les titres de plusieurs mélodies : "Je sais que mon amour pour toi" (Já vím, že v sladké naději), "Quand tes doux regards tombent sur moi" (V té sladké moci očí tvých) ou encore "L'amour ne nous mènera jamais à cette fin heureuse" (Ó, naší lásce nekvete to vytoužené štěstí). Mais la réponse est sans doute est à la fois plus simple et plus personnelle, dit en substance le texte du livret. Dvořák voyait dans Les Cyprès le retour à son enfance, à l’insouciance et à la liberté.

    D’ailleurs, cette légèreté et cette paix est bien transcrite par les quatre musiciennes du quatuor. Le romantisme finissant (Les Cyprès ont été écrits à partir de 1887) donne à ces mélodies une facture immédiatement envoûtante, comme si elles semblaient hors du temps et hors de toute géographie réelle. C’est une forêt transfigurée qui se donne à entendre ("Dans la clairière la plus profonde de la forêt, je me tiens", Zde v lese u potoka). La pureté de ces lignes mélodiques expliquent en même temps qu’elles justifient que Dvořák y ait consacré de longs moments. Le Quatuor Akilone les délivrent avec la même grâce.

    C’est d’autant plus somptueux qu’elles ont été aidées par la superbe prise de son de Ken Yoshida lors de l’enregistrement à l’église de Nanteuil-sur-Marne à l’automne 2023.

    Dvořák, Deep Forest, Quatuor Akilone, Klarthe, 2024 
    https://quatuorakilone.com
    https://www.klarthe.com
    Concerts en France : le 17/12/2024 à Roubaix (59) - Concerts de Poche, le 16/01/2025 à Paris,
    Fondation Singer-Polignac (sur invitation) et le 31/01/2025 à Menetou-Râtel (18)

    Voir aussi : "Hanni Liang et les voix (féminines) du piano"
    "Trio percutant"     
    "Élise Bertrand, ultra moderne romantique"

    Crédit photographique : © Hubert Caldaguès - Photoheart

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  • Rita Strohl en robe de chambre

    Depuis quelques années, la musique classique revoit de fond en comble son catalogue avec un objectif remarquable : découvrir, redécouvrir et mettre en lumière des compositrices que l’histoire a oubliées. Parmi celles-ci, il y a Rita Strohl (1865-1941). La Boîte à Pépites s’est penchée sur cette musicienne française en proposant de nouveaux enregistrements via une série de coffrets.

    Sa musique de chambre fait l’objet d’un deuxième volume (il en comportera trois), avec des interprètes passionnés qui se sont penchés sur une œuvre rare mais d’un très grand intérêt. Il convient de citer les - jeunes - musiciennes et musiciens (car quelques hommes sont aussi de la partie) qui se sont attelés à la tâche de ressusciter une compositrice oubliée. Citons ces interprètes qui se sont lancés dans cette belle aventure : les violonistes Raphaëlle Moreau, Shuichi Okada, Alexandre Pascal, les altistes Léa Hennino, Claudine Legras, les violoncellistes Héloïse Luzzati, Edgar Moreau, Aurélien Pascal, la contrebassiste Lorraine Campet, le clarinettiste Nicolas Baldeyrou, les pianistes Célia Oneto Bensaïd (dont nous avons déjà parlé sur Bla Bla Blog) et Tanguy de Williancourt, avec également le Quatuor Dutilleux pour être complet.

    À la lisière du XIXe et du XXe siècle, la carrière de Rita Strohl épouse à la fois le classicisme français, le romantisme finissant (La Grande Fantaisie sur le premier CD) et le modernisme révolutionnaire qui est certes peu présent dans ce deuxième coffret. Une vraie belle découverte que celle de Rita Strahl qui nous fait dire que décidément parler de "sexe d’une œuvre" n’a pas grand sens. Le Moderato de La Grande Fantaisie nous entraîne, sous forme d'une valse, dans les salons français, encore tout imprégnés de classicisme mais aussi d’influences folkloriques qui en font une singulière composition. Rita Strohl n’oublie pas Bach, comme pour remettre l’église au milieu du village.  

    L’intimité le dispute à la légèreté dans le Septuor en ut mineur de 1890, avant une Romance surfant sur le mystère, l’onirique et la langueur. Cela fait de ce mouvement un joyau à ne surtout pas manquer et digne de figurer comme un des futurs grands tubes de la musique classique – on se plaît à rêver de l’utilisation qu’en ferait un réalisateur pour une BO. 

    Rita Strohl n’oublie pas Bach, comme pour remettre l’église au milieu du village

    Il y a de la légèreté, de la grâce et de l’enfance dans cet autre opus nommé Arlequin et Colombine. Les instruments se répondent avec une harmonie au service d’un discours amoureux (Allegretto quasi andantino) teinté de mélancolie (Andante).

    Rita Strohl soigne un univers musical bien à elle passant, dans le Quatuor pour violon, alto, violoncelle et piano (2e CD du coffret), du pathétique au romantique, avec des envolées jeunes et joyeuses (Scherzo), de la virtuosité enthousiasmante et où la patte de Bach ressurgit (Thème et variations – Andante).

    L’auditeur sera capté par la texture soyeuse du Deuxième Trio en ré mineur admirablement servi par Raphaëlle Moreau, Edgar Moreau et Tanguy de Williencourt (Andante sostenuto – Allegro). L’auditeur découvrira tout autant le prenant Andante, "très mystérieux" comme l’indique ce deuxième mouvement. Plus romantique que cela, il n’y a pas. C’est un final coloré qui vient conclure ce formidable Trio, une vraie belle et géniale découverte de Rita Strohl.

    La violoniste Héloïse Luzzati et la pianiste Célia Oneto Bensaïd apportent un supplément d’âme supplémentaire à ce deuxième CD avec Solitude, une Rêverie pour piano et violoncelle datant de 1897. L’ombre de Gabriel Fauré plane sur cette courte pièce à la puissante mélancolie. On est là au cœur de la musique française de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. La belle prise de son saisit au mieux la rondeur du violoncelle et le jeu tout en contrastes et en densité de Célia Oneto Bensaïd.  

    C’est singulièrement sur le CD 3 que l’on retrouve le Premier Trio pour piano, violon et violoncelle date de 1894. La compositrice a choisi de nommer les deux premiers mouvements, en plus des indications habituelles. Le premier mouvement, "Les adieux et le départ", est joué allegro. Voilà une scène d’adieu inhabituellement joyeuse. Invitation à se revoir ou bien plaisir de se retrouver seul ? On  laissera l’auditeur choisira ce que Rita Strohl souhaitait mettre en musique. Le deuxième mouvement, Adagio cantabile, est intitulé "Prière". Il est vrai que le contraste avec la partie précédente est saisissant. Les notes glissent et montent avec grâce, servies par une mélodie au majestueux classicisme.

    Le Quatuor Dutilleux est à la manœuvre pour nous faire découvrir le délicat Quatuor à cordes daté de 1885. Après le très court et grave Allegro ma non troppo, nous voilà partis dans un thème et des variations (Moderato) qui nous séduisent par le choix d’un mouvement passant de la séduisante mélopée aux accents baroques à la joyeuse danse devant des esprits capricieux. Voilà qui fait de ce passage un écart de la compositrice française vers la modernité.

    Celia Oneto Bensaïd vient conclure ce très beau coffret consacré à la musique de chambre de Rita Strohl avec la Musiques sur l’eau datant de 1903. L’ombre de Debussy plane sur cet opus en trois mouvements (Jeux de naïades, Barcarolle et Orage). Le jeu de la pianiste française séduit par sa simplicité, sa grâce et ses ondulations pleines de finesses, de naturel… et de naturalisme. Voilà qui permet de clore en beauté une rétrospective passionnante sur une compositrice trop vite oubliée et qui renaît aux oreilles de l'auditeur de 2024, 80 ans après sa mort. 

    Rita Strohl, Une compositrice de la démesure, Volume 2,
    Musique de chambre, La Boîte à Pepites, 2024, 3 CD

    https://elleswomencomposers.com
    https://www.presencecompositrices.com/compositrice/strohl-rita

    Voir aussi : "Album univers"
    "Résurrection"

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  • Nuit et lumières chez les Schumann

    C’est par une œuvre collective que commence cet enregistrement d’œuvres de Robert Schumann pour violon et piano. La Sonate F.A.E. nous vient de deux figures majeures du romantisme – Brahms (pour le troisième mouvement "Allegro (Scherzo)" et Schumann pour les deuxième et quatrième mouvements, "Intermezzo" et "Finale". Le troisième est Albert Dietricht, compositeur du premier mouvement "Allegro". Les trois amis écrivent en 1853 cette sonate au nom étrange mais plein de sens : "F.A.E." pour "Frei Aber Einsam" ("libre mais solitaire"). Elle a été offerte cette année-là au violoniste Joseph Joachim. Ce dernier l’a d’ailleurs joué, tout comme Clara Schumann.

    Nous avions parlé il y a quelques semaines du "Scherzo" enregistré par Rachel Kolly et Christian Chamorel. Dans l’album Robert Schumann et son univers, proposé par Indésens, Yann Passabet-Labiste au violon et Bertrand Giraud au piano proposent les quatre mouvements de cette sonate, écrite avant que la maladie ne fasse taire Robert Schumann. Le compositeur vit une période tragique avec la mort de son jeune fils Emil en 1847, celle de son ami Felix Mendelssohn la même année et avant la détection d’une maladie mentale chez Ludwig, un autre de leur fils. Schumann vit particulièrement douloureusement cette période. La dépression succède à des crises d’angoisse et des hallucinations. Voilà pour le tableau de cette période sombre à nulle autre pareil. Autant dire que cette Sonate F.A.E. fait figure de petit miracle musical. 

    Saluons le premier mouvement "Allegro" d’Albert Dietricht, d’une belle richesse ornementale, servi qui plus est par des interprètes jamais en baisse de régime. Il s’agit du mouvement le plus long de la sonate (plus de douze minutes et demi). Avouons cependant qu’après cette romantique entrée en matière, on s’arrêtera particulièrement sur le court "Intermezzo" que Robert Schumann a annoté en allemand : "Bewegt, doch nicht zu schnell". La douleur déchire cette partie. Le piano de Bertrand Giraud se met légèrement en retrait pour laisser s’exprimer le violon de Yann Passabet-Labiste, sans jamais que le violoniste ne fasse preuve de pathos. Vient répondre la fougue et la verve de Johannes Brahms, le disciple et admirateur, qui en est au début de sa carrière. Les Schumann sont sa famille de cœur et Clara Schumann restera son amie et amour jusqu’à ses derniers jours.

    Cette fois, piano et violon viennent se répondre avec bonheur. La vigueur est là, mais aussi la passion et la tendresse. On est presque heureux de retrouver Robert Schumann dans un "Finale" au tempo vif, comme si le compositeur meurtri par trois années sombres revenait à la vie. Magnifique coup d’éclat que cette dernière partie qui prend par moment l’allure de marche décidée grâce au violon diabolique de Yann Passabet-Labiste.   

    La vigueur est là, mais aussi la passion et la tendresse

    Schumann, ses amis et sa famille pourrait s'intituler l'opus. C’est Clara Schumann qui poursuit le programme, avec ses trois Romances op. 22. Ecrites elles aussi en 1853, elles ont été, tout comme la Sonate F.A.E., dédiées au violoniste Joseph Joachim. L’esprit romantique souffle sur ce que l’on pourrait appeler une sonate pour piano et violon en trois mouvements, "Andante molto", "Allegretto ; Milt zartem Vort" et "Leidenschaftlich schnell". L’auditeur y lira de douloureuses plaintes, alors que le mari de Clara est pourchassé par ses démons intérieures ("Andante molto"), sentiments que vient nuancer la deuxième romance "Allegretto", mais non sans ce sens du spleen que parviennent à rendre le duo de musiciens et en particulier le violon de Yann Passabet-Labiste. Le "Leidenschaftlich schnell" prouve, s’il en était besoin de le démontrer, que Clara Schumann est au sommet d’un art musical, à l’égal au moins de Robert Schumann auquel elle a survécu quarante ans.     

    Autre Romances, celles de Robert Schumann, justement. Son opus 94 a été composé pour son épouse en 1849. Destinée pour le piano et le hautbois, elle est régulièrement jouée, comme ici, pour le violon et le piano. Une immense tristesse, que le violon de Yann Passabet-Labiste rend particulièrement bien, se dégage dans le "Nicht Schnell". "Simple, affectueux", indique la deuxième romance. Il est vrai qu’une relative légèreté est évidente, bien que la mélancolie ne soit pas absente. Un sentiment de vide se dégage encore plus de la dernière romance "Nicht Schnell", au mouvement pourtant "Moderato". Il y a ces légères mais réelles ruptures, rendant cette partie bien plus tragique qu’elle n’en a l’air.

    L’enregistrement se clôt avec la Sonate n°3 en la mineur. Composée par Robert Schumann en 1836. Il a 26 ans. Elle a l’impétuosité de la jeunesse (le premier mouvement allegretto "Ziemlich langsam") et cet évident souffle épique, porté par les deux interprètes décidément bien inspirés. Suit un "Intermezzo" plus court (deux minutes et demi), lent, gracieux et romantique, avant le "Scherzo" ("Lebhaft") enlevé et aux nombres pièges dont se tirent brillamment Yann Passabet-Labiste et Bertrand Giraud. Dans le "Finale", Robert Schumann termine par un ensemble de morceaux de bravoure, porté par des mélodies ardentes, pour ne pas dire enflammées. Nous sommes dans une période marqué par une union des plus compliquées entre Clara et Robert Schumann, avec toujours le romantisme en bande-son.   

    Robert Schumann et son univers, Yann Passabet-Labiste (violon) & Bertrand Giraud (piano), Indésens Calliope Records, 2024
    https://indesenscalliope.com/boutique/robert-schumann-son-univers
    https://www.bertrandgiraud.net
    https://www.facebook.com/yann.passabetlabiste

    Voir aussi : "Brahms doublement suisse (et même triplement)"

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  • Schumann et la petite bande des Fouchenneret 

    Pierre et Théo Fouchenneret et leur bande continuent chez b.records leur exploration de la musique de chambre de Robert Schumann. Place cette fois à un double album consacré à ses Trios et au Quartet pour piano et cordes. Ces œuvres ont été enregistrées en public à l’Auditorium de la Cité de la Musique et de la Danse de Soissons les 10 et 11 décembre 2023.

    De toutes les pièces de musique de chambre, le trio est très certainement l'un des genres les plus passionnants et les plus appréciés en raison de la composition ramassée qui oblige le compositeur à aller à l'essentiel. Le premier Trio op . 63 en ré mineur ne déroge pas à la règle avec deux premiers mouvements alliant équilibre et une énergie toute juvénile. Pour mener à bien des trios aussi techniques et engagées il faut un ensemble en parfaite osmose. C'est le cas pour le groupe formé par Pierre Fouchenneret au violon, Victor Julien-Laferrière au violoncelle et Théo Fouchenneret au piano. Le romantisme est à l'œuvre dans le troisième mouvement lent de ce premier Trio. Schumann s'y livre corps et âme dans des lignes mélodiques serpentant harmonieusement. Il faut se laisser perdre dans cette pièce à la mélancolie à la fois douloureuse et amoureuse. Le dernier mouvement sonne comme une consolation, mieux un retour à l'espoir et à la jeunesse, mais non sans des passages plus graves. Force reste aux puissances de la vie semble nous murmurer à l’oreille le compositeur allemand.  

    Le deuxième Trio op. 80 commence avec un certain enthousiasme, tout classique,  mais c'est bien le romantisme qui est à l'œuvre. Composé durant la même période que le premier – autour de 1847, bien que le compositeur a mis 3 ans a l'écrire – il était le préféré de Clara Schumann qui le jouait régulièrement. La passion éclate à chaque note et même un certain enthousiasme si l'on se laisse porter par le premier mouvement plein d'éclats mais aussi de pièges. Des défis que relèvent les frères Fouchenneret et Victor Julien-Laferrière. L'auditeur sera sans doute frappé par le contraste entre cette partie pleine d'insouciance et le deuxième mouvement lent et lascif. L'interprétation sait y mettre des couleurs et une jolie densité. Il semblerait que nous soyons dans un de ces boudoirs du XIXe siècle, témoins indiscrets d'une conversation badine entre Robert et Clara Schumann.

    La partie suivante s'apparente à une danse à l'infinie délicatesse. Le trio s'empare de ce mouvement avec ce qu'il faut de mesure. Plus classique que romantique, c'est une invitation a la promenade bucolique que propose Robert Schumann, mais non sans ces suspensions et ces hésitations qui apportent ce je ne sais quoi de mélancolie. Le premier disque du coffret se termine avec un dernier mouvement plus enlevé et relativement court (5 minutes 32). De quoi terminer ce deuxième Trio de Robert Schumann dans une belle allégresse. 

    Romantique à 200%

    1851 fut une année chargée pour le compositeur allemand qui avait fort à faire avec l'écriture de ses deux premières sonates pour violon, son travail sur sa Symphonie en ré mineur, sans compter des ouvertures d'opéra, des leader et des œuvres chorales. Pour ces raisons, le troisième Trio op. 110 n'a sans doute pas été sa composition prioritaire. Moins connu, il est aussi le moins joué en concert. On doit remercier les Fouchenneret de le proposer et de le faire découvrir ou redécouvrir. Le sens de la mélodie et la technicité d'écriture sont évidentes dans le premier mouvement. Un vrai univers à lui tout seul, avec ses arabesques, ses plages voluptueuses et ses décrochages.

    Succède immédiatement un mouvement lent qui commence de manière funèbre. L'interprétation captive par sa dimension pathétique. Là encore, l'osmose est là, entre les trois musiciens. Il semble que nous soyons là,  dans une veine toute romantique, dans une lutte de sentiments et dans un dialogue de cœurs. Après un troisième mouvement tempéré, sinon hésitant, mais non sans rythmes, suit la toute dernière partie de ce Trio dont l'auditeur goûtera les couleurs chatoyantes et les inventions mélodiques admirablement rendues par l'ensemble français. Nous sommes là dans un salon bourgeois de Düsseldorf, où à été composée cette œuvre, certes pas la plus connue du compositeur allemand mais pas la moins attachante.

    Lise Berthaud vient rejoindre les trois interprètes pour jouer avec eux le Quatuor pour piano, violon, violoncelle et alto. Il a été composé en 1842 et comporte lui aussi quatre mouvements. Félix Mendelssohn, à qui est dédié ce quatuor, sera le premier à le jouer. L'opus 47 témoigne lui aussi du souffle romantique et poétique de Robert Schumann. Derrière chaque note, il semble qu'apparaît la figure de son épouse Clara. 

    Écrit comme une sonate, le premier mouvement a ces longues respirations, ces incessants dialogues et ses envolées irrésistibles. Plus court (3 minutes 31), la partie suivante est un scherzo à la vivacité confondante, pour ne pas dire moderne. L'ensemble des Fouchenneret se sort admirablement de ses embûches musicales. Suit un troisième mouvement romantique à 200%. Il s'agit sans doute de l'une des meilleures parties de ce double album. L'auditeur aimera à se perdre dans ce somptueux voyage mené par un quatuor sachant allier virtuosité, respirations, sens du rythme et expressivité.

    Le double album se termine par le dernier mouvement du Quatuor op. 47. Un mouvement allègre presque léger qui se termine par de belles envolées lyriques. Il semble être guidé par la vie, l'amour, la jeunesse, la badinerie mais aussi la danse. Le romantisme fait roi.

    Robert Schumann, Trios et Quatuor piano et cordes, b•records, 2024
    https://www.b-records.fr/schumann-trios-et-quatuor-piano-et-cordes
    https://www.theofouchenneret.com
    https://pierrefouchenneret.com
    https://www.victorjulien-laferriere.com

    Voir aussi : "Romantique et métaphysique Schumann"

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