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quatuor dutilleux

  • Plus d’air, plus d’espaces

    Quatre compositeurs majeurs de la musique française constituent le cœur de cet enregistrement du Quatuor Dutilleux : Henri Dutilleux – bien sûr – mais aussi Jean-Philippe Rameau, Maurice Ravel et Claude Debussy. Quatre figures majeures, donc, auxquels s’ajoute une petite nouvelle, Claire-Marie Sinnhuber, que nous découvrons donc.

    On ne le dira jamais assez. On entre dans la musique de Rameau avec je ne sais quoi de méfiance pour une musique passant vite comme datée et on en ressort fatalement envoûté. Le Quatuor Dutilleux propose ici une œuvre qui n’est pas forcément la plus connue. Sa Suite à 4, quatre mouvements de moins de 12 minutes en tout, n’était au départ pas pour quatuor mais pour clavecin seul. C’est un gros travail de transcription de Thomas Duran – également au violoncelle – qui permet de recréer une pièce aérée, ample et colorée, véritable invitation aux Turcs, muses et cyclopes. Irrésistible comme Rameau.

    Autre époque, autre univers avec Ainsi la Nuit d’Henri Dutilleux, une œuvre majeure de la musique contemporaine et du répertoire français. Le quatuor a été composé sur plusieurs années, dans la première moitié des seventies. Deux Nocturnes, quatre Parenthèses et un final Temps suspendu constituent cette pièce incroyable de modernité, tout autant que de retour au répertoire contemporain du début du XXe siècle – le livret parle de Bartok. On pourrait tout aussi bien citer Webern (Nocturne 1). Le Quatuor Dutilleux ne pouvaient pas faire l’impasse sur le compositeur français disparu il y a 12 ans. Précisons aussi que le titre de l’album, Miroir d’espace, reprend le sous-titre du mouvement Parenthèse 1 d’Ainsi la Nuit. Disons aussi que cette suite pourrait illustrer un tableau de Soulages. À la monochromie noire des peintures de ce dernier répondraient des sonorités et des rythmes alternant obscurités (les Litanies 1 et 2 des Parenthèses 2 et 3) et éclats (Parenthèse 1 / Miroir d’espace).

    Dans l’espace sonore proposé par Dutilleux – le compositeur et l’ensemble, donc – alternent esprits inquiétants (Litanies) et voyages dans l’au-delà. Le compositeur français l’avait dédié en 1977 à la mémoire de l'amateur d'art américain Ernest Sussman, ami du compositeur. C’est du reste bien une prière que l’auditeur ou l’auditrice a l’impression d’écouter dans la Litanie 2 (Parenthèse 3), avec ce mouvement Constellations (Parenthèse 4), une musique des sphères mystérieuse. Suit un bref Nocturne – le second –, feu follet en forme d’apparition furtive. Temps suspendu vient clore Ainsi la Nuit, porté un ensemble qui a fait d’Henri Dutilleux leur figure de référence. Autant dire que  Guillaume Chilemme (violon), Matthieu Handtschoewercker (violon), David Gaillard (alto) et Thomas Duran (violoncelle) ne pouvaient que bien servir le maître.

    Ce désir de tendre attachement

    Retour au classicisme avec Maurice Ravel et son Quatuor à cordes en fa majeur qu’il avait dédié à Claude Debussy. Il est vrai qu’il y a de l’onirisme, pour ne pas de l’impressionnisme, dans cette œuvre qui avait été demandée par Gabriel Fauré en 1902.

    Maurice Ravel a 27 ans et créé là sa première pièce pour musique de chambre. On aime Ravel pour ce mélange de modernité et de classicisme. Ses compositions semble être d’une grande simplicité (Allegro moderato). Cela ne les rend, comme ici, que plus colorées et harmoniques. Le deuxième mouvement (Assez vite. Très rythmé) nous entraîne dans un univers lui aussi merveilleux, mais aussi joyeux et insouciant. Il y a souvent dans la musique de Ravel, non pas de l’archaïsme, mais un retour aux sources. Le compositeur, et avec lui, ici, l’ensemble Dutilleux, évoquent ce désir de tendre attachement. Nous sommes en terrain connu et conquis.

    Voilà qui rend Ravel si prodigieusement actuel, y compris dans ses rythmiques et ses danses espagnoles – espagnoles, comme ses origines. On fond à l’écoute du mélodieux et bouleversant troisième mouvement Très lent. Les cordes du Quatuor Dutilleux viennent nourrir une partie à la tristesse ineffable. Voilà qui tranche avec le nerveux troisième mouvement (Vif et agité). Ravel conclut en beauté cet hommage à Debussy que l’on trouve plus tard dans l’album du Quatuor Dutilleux.

    Beaucoup découvriront Claire-Marie Sinnhuber, présente dans ce programme avec sa pièce Flos Fracta. Littéralement "Fleur brisée", cette création prouve que le Quatuor Dutilleux nage comme un poisson dans l’eau dans la création contemporaine. La musique de chambre se trouve bousculée ici, grâce à une œuvre puisant son inspiration dans la nature, l’environnement fragile, les oiseaux, les arbres et, bien sûr, le floral. Claire-Marie Sinnhuber lorgne aussi du côté d’Olivier Messiaen et de ses Chants d’oiseaux. Elle fait de Flos Fracta une vraie pièce naturaliste. C’est simple : grâce au quatuor français, on entend même la pluie perler sur les feuilles.

    Debussy est présent dans l'enregistrement pour clore cet album de musique française. Il s’agit ici du célèbre Clair de lune, extrait de la Suite Bergamesque, dans une version pour quatre instruments adaptée par David Gaillard. Une rareté qui rend d'autant plus indispensable l'écoute de ce Clair de lune. Quelle magnifique initiative ! Une belle curiosité, immanquable.

    Quatuor Dutilleux, Miroirs d’espace, Indesens Calliope Records, 2025
    https://indesenscalliope.com/boutique/miroirs-despace
    https://quatuordutilleux.com

    Voir aussi : "Premiers feux d’artifices romantiques pour Katok"
    "… Un autre renouveau des Saisons"

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  • Rita Strohl en robe de chambre

    Depuis quelques années, la musique classique revoit de fond en comble son catalogue avec un objectif remarquable : découvrir, redécouvrir et mettre en lumière des compositrices que l’histoire a oubliées. Parmi celles-ci, il y a Rita Strohl (1865-1941). La Boîte à Pépites s’est penchée sur cette musicienne française en proposant de nouveaux enregistrements via une série de coffrets.

    Sa musique de chambre fait l’objet d’un deuxième volume (il en comportera trois), avec des interprètes passionnés qui se sont penchés sur une œuvre rare mais d’un très grand intérêt. Il convient de citer les - jeunes - musiciennes et musiciens (car quelques hommes sont aussi de la partie) qui se sont attelés à la tâche de ressusciter une compositrice oubliée. Citons ces interprètes qui se sont lancés dans cette belle aventure : les violonistes Raphaëlle Moreau, Shuichi Okada, Alexandre Pascal, les altistes Léa Hennino, Claudine Legras, les violoncellistes Héloïse Luzzati, Edgar Moreau, Aurélien Pascal, la contrebassiste Lorraine Campet, le clarinettiste Nicolas Baldeyrou, les pianistes Célia Oneto Bensaïd (dont nous avons déjà parlé sur Bla Bla Blog) et Tanguy de Williancourt, avec également le Quatuor Dutilleux pour être complet.

    À la lisière du XIXe et du XXe siècle, la carrière de Rita Strohl épouse à la fois le classicisme français, le romantisme finissant (La Grande Fantaisie sur le premier CD) et le modernisme révolutionnaire qui est certes peu présent dans ce deuxième coffret. Une vraie belle découverte que celle de Rita Strahl qui nous fait dire que décidément parler de "sexe d’une œuvre" n’a pas grand sens. Le Moderato de La Grande Fantaisie nous entraîne, sous forme d'une valse, dans les salons français, encore tout imprégnés de classicisme mais aussi d’influences folkloriques qui en font une singulière composition. Rita Strohl n’oublie pas Bach, comme pour remettre l’église au milieu du village.  

    L’intimité le dispute à la légèreté dans le Septuor en ut mineur de 1890, avant une Romance surfant sur le mystère, l’onirique et la langueur. Cela fait de ce mouvement un joyau à ne surtout pas manquer et digne de figurer comme un des futurs grands tubes de la musique classique – on se plaît à rêver de l’utilisation qu’en ferait un réalisateur pour une BO. 

    Rita Strohl n’oublie pas Bach, comme pour remettre l’église au milieu du village

    Il y a de la légèreté, de la grâce et de l’enfance dans cet autre opus nommé Arlequin et Colombine. Les instruments se répondent avec une harmonie au service d’un discours amoureux (Allegretto quasi andantino) teinté de mélancolie (Andante).

    Rita Strohl soigne un univers musical bien à elle passant, dans le Quatuor pour violon, alto, violoncelle et piano (2e CD du coffret), du pathétique au romantique, avec des envolées jeunes et joyeuses (Scherzo), de la virtuosité enthousiasmante et où la patte de Bach ressurgit (Thème et variations – Andante).

    L’auditeur sera capté par la texture soyeuse du Deuxième Trio en ré mineur admirablement servi par Raphaëlle Moreau, Edgar Moreau et Tanguy de Williencourt (Andante sostenuto – Allegro). L’auditeur découvrira tout autant le prenant Andante, "très mystérieux" comme l’indique ce deuxième mouvement. Plus romantique que cela, il n’y a pas. C’est un final coloré qui vient conclure ce formidable Trio, une vraie belle et géniale découverte de Rita Strohl.

    La violoniste Héloïse Luzzati et la pianiste Célia Oneto Bensaïd apportent un supplément d’âme supplémentaire à ce deuxième CD avec Solitude, une Rêverie pour piano et violoncelle datant de 1897. L’ombre de Gabriel Fauré plane sur cette courte pièce à la puissante mélancolie. On est là au cœur de la musique française de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. La belle prise de son saisit au mieux la rondeur du violoncelle et le jeu tout en contrastes et en densité de Célia Oneto Bensaïd.  

    C’est singulièrement sur le CD 3 que l’on retrouve le Premier Trio pour piano, violon et violoncelle date de 1894. La compositrice a choisi de nommer les deux premiers mouvements, en plus des indications habituelles. Le premier mouvement, "Les adieux et le départ", est joué allegro. Voilà une scène d’adieu inhabituellement joyeuse. Invitation à se revoir ou bien plaisir de se retrouver seul ? On  laissera l’auditeur choisira ce que Rita Strohl souhaitait mettre en musique. Le deuxième mouvement, Adagio cantabile, est intitulé "Prière". Il est vrai que le contraste avec la partie précédente est saisissant. Les notes glissent et montent avec grâce, servies par une mélodie au majestueux classicisme.

    Le Quatuor Dutilleux est à la manœuvre pour nous faire découvrir le délicat Quatuor à cordes daté de 1885. Après le très court et grave Allegro ma non troppo, nous voilà partis dans un thème et des variations (Moderato) qui nous séduisent par le choix d’un mouvement passant de la séduisante mélopée aux accents baroques à la joyeuse danse devant des esprits capricieux. Voilà qui fait de ce passage un écart de la compositrice française vers la modernité.

    Celia Oneto Bensaïd vient conclure ce très beau coffret consacré à la musique de chambre de Rita Strohl avec la Musiques sur l’eau datant de 1903. L’ombre de Debussy plane sur cet opus en trois mouvements (Jeux de naïades, Barcarolle et Orage). Le jeu de la pianiste française séduit par sa simplicité, sa grâce et ses ondulations pleines de finesses, de naturel… et de naturalisme. Voilà qui permet de clore en beauté une rétrospective passionnante sur une compositrice trop vite oubliée et qui renaît aux oreilles de l'auditeur de 2024, 80 ans après sa mort. 

    Rita Strohl, Une compositrice de la démesure, Volume 2,
    Musique de chambre, La Boîte à Pepites, 2024, 3 CD

    https://elleswomencomposers.com
    https://www.presencecompositrices.com/compositrice/strohl-rita

    Voir aussi : "Album univers"
    "Résurrection"

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