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quatuor

  • Plus d’air, plus d’espaces

    Quatre compositeurs majeurs de la musique française constituent le cœur de cet enregistrement du Quatuor Dutilleux : Henri Dutilleux – bien sûr – mais aussi Jean-Philippe Rameau, Maurice Ravel et Claude Debussy. Quatre figures majeures, donc, auxquels s’ajoute une petite nouvelle, Claire-Marie Sinnhuber, que nous découvrons donc.

    On ne le dira jamais assez. On entre dans la musique de Rameau avec je ne sais quoi de méfiance pour une musique passant vite comme datée et on en ressort fatalement envoûté. Le Quatuor Dutilleux propose ici une œuvre qui n’est pas forcément la plus connue. Sa Suite à 4, quatre mouvements de moins de 12 minutes en tout, n’était au départ pas pour quatuor mais pour clavecin seul. C’est un gros travail de transcription de Thomas Duran – également au violoncelle – qui permet de recréer une pièce aérée, ample et colorée, véritable invitation aux Turcs, muses et cyclopes. Irrésistible comme Rameau.

    Autre époque, autre univers avec Ainsi la Nuit d’Henri Dutilleux, une œuvre majeure de la musique contemporaine et du répertoire français. Le quatuor a été composé sur plusieurs années, dans la première moitié des seventies. Deux Nocturnes, quatre Parenthèses et un final Temps suspendu constituent cette pièce incroyable de modernité, tout autant que de retour au répertoire contemporain du début du XXe siècle – le livret parle de Bartok. On pourrait tout aussi bien citer Webern (Nocturne 1). Le Quatuor Dutilleux ne pouvaient pas faire l’impasse sur le compositeur français disparu il y a 12 ans. Précisons aussi que le titre de l’album, Miroir d’espace, reprend le sous-titre du mouvement Parenthèse 1 d’Ainsi la Nuit. Disons aussi que cette suite pourrait illustrer un tableau de Soulages. À la monochromie noire des peintures de ce dernier répondraient des sonorités et des rythmes alternant obscurités (les Litanies 1 et 2 des Parenthèses 2 et 3) et éclats (Parenthèse 1 / Miroir d’espace).

    Dans l’espace sonore proposé par Dutilleux – le compositeur et l’ensemble, donc – alternent esprits inquiétants (Litanies) et voyages dans l’au-delà. Le compositeur français l’avait dédié en 1977 à la mémoire de l'amateur d'art américain Ernest Sussman, ami du compositeur. C’est du reste bien une prière que l’auditeur ou l’auditrice a l’impression d’écouter dans la Litanie 2 (Parenthèse 3), avec ce mouvement Constellations (Parenthèse 4), une musique des sphères mystérieuse. Suit un bref Nocturne – le second –, feu follet en forme d’apparition furtive. Temps suspendu vient clore Ainsi la Nuit, porté un ensemble qui a fait d’Henri Dutilleux leur figure de référence. Autant dire que  Guillaume Chilemme (violon), Matthieu Handtschoewercker (violon), David Gaillard (alto) et Thomas Duran (violoncelle) ne pouvaient que bien servir le maître.

    Ce désir de tendre attachement

    Retour au classicisme avec Maurice Ravel et son Quatuor à cordes en fa majeur qu’il avait dédié à Claude Debussy. Il est vrai qu’il y a de l’onirisme, pour ne pas de l’impressionnisme, dans cette œuvre qui avait été demandée par Gabriel Fauré en 1902.

    Maurice Ravel a 27 ans et créé là sa première pièce pour musique de chambre. On aime Ravel pour ce mélange de modernité et de classicisme. Ses compositions semble être d’une grande simplicité (Allegro moderato). Cela ne les rend, comme ici, que plus colorées et harmoniques. Le deuxième mouvement (Assez vite. Très rythmé) nous entraîne dans un univers lui aussi merveilleux, mais aussi joyeux et insouciant. Il y a souvent dans la musique de Ravel, non pas de l’archaïsme, mais un retour aux sources. Le compositeur, et avec lui, ici, l’ensemble Dutilleux, évoquent ce désir de tendre attachement. Nous sommes en terrain connu et conquis.

    Voilà qui rend Ravel si prodigieusement actuel, y compris dans ses rythmiques et ses danses espagnoles – espagnoles, comme ses origines. On fond à l’écoute du mélodieux et bouleversant troisième mouvement Très lent. Les cordes du Quatuor Dutilleux viennent nourrir une partie à la tristesse ineffable. Voilà qui tranche avec le nerveux troisième mouvement (Vif et agité). Ravel conclut en beauté cet hommage à Debussy que l’on trouve plus tard dans l’album du Quatuor Dutilleux.

    Beaucoup découvriront Claire-Marie Sinnhuber, présente dans ce programme avec sa pièce Flos Fracta. Littéralement "Fleur brisée", cette création prouve que le Quatuor Dutilleux nage comme un poisson dans l’eau dans la création contemporaine. La musique de chambre se trouve bousculée ici, grâce à une œuvre puisant son inspiration dans la nature, l’environnement fragile, les oiseaux, les arbres et, bien sûr, le floral. Claire-Marie Sinnhuber lorgne aussi du côté d’Olivier Messiaen et de ses Chants d’oiseaux. Elle fait de Flos Fracta une vraie pièce naturaliste. C’est simple : grâce au quatuor français, on entend même la pluie perler sur les feuilles.

    Debussy est présent dans l'enregistrement pour clore cet album de musique française. Il s’agit ici du célèbre Clair de lune, extrait de la Suite Bergamesque, dans une version pour quatre instruments adaptée par David Gaillard. Une rareté qui rend d'autant plus indispensable l'écoute de ce Clair de lune. Quelle magnifique initiative ! Une belle curiosité, immanquable.

    Quatuor Dutilleux, Miroirs d’espace, Indesens Calliope Records, 2025
    https://indesenscalliope.com/boutique/miroirs-despace
    https://quatuordutilleux.com

    Voir aussi : "Premiers feux d’artifices romantiques pour Katok"
    "… Un autre renouveau des Saisons"

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  • Premiers feux d’artifices romantiques pour Katok 

    Parlons, pour commencer, du Quintette à cordes en ut majeur de Schubert, créé en 1828, quelques mois avant sa mort à l’âge de 31 ans. C’est peu dire que cette œuvre constitue un jalon de la musique de chambre ; il s’agit en réalité d’une pièce romantique majeure du XIXe siècle et même de la musique classique tout court.

    L’Ensemble Katok la propose dans son premier album (un double album en réalité), Le temps suspendu, proposé par b•records. Une belle entrée en matière. Contrairement à ce que ne l’indique son nom, Katok, en hommage au réalisateur Tarkovski, est un ensemble bien français, ardéchois plus précisément, créé par le violoniste Paul Serri. Il s’est entouré pour l’occasion du violoniste Shuichi Okada, des violoncellistes Magdalena Sypniewski et Justine Metral et de l’alto Anna Sypniewski. L’enregistrement est une captation d’un concert lors du Katok Festival en octobre 2024, en l’église Saint-Pierre d’Antraogues-Asperjoc.

    Bla Bla Blog est d’emblée sensible à cette démarche de proposer la musique classique et contemporaine dans des lieux où la population a peu l’habitude de ce répertoire. C’est ce que l’on appelle la démocratisation de l’art. Un gros big up pour le Katok Ensemble.

    Cet album marque donc la naissance sur disque d’un ensemble attachant pour sa jeunesse (le frais et étincelant Allegro ma non troppo le prouve) et son hypersensibilité (indispensable pour s’attaquer au répertoire de Schubert). Pour s’en convaincre, que l’on écoute le sobre et bouleversant Adagio, dans lequel les silences sont aussi importants que les notes. Dans le livret de présentation du disque, Paul Serri rappelle que lorsque Schubert écrit son Quintette  D 956, il se sait condamner. Toujours dans cet Adagio, la tristesse se fait chant d’adieu. Ce qui n’empêche pas le compositeur, qui n’a jamais connu la gloire de son vivant, de se révolter contre la mort qui va l’emmener quelques mois plus tard.

    Les longs mouvements du Quintette permettent à l’auditeur de se laisser mener par une composition aussi simple que géniale, et d’une passion jamais entendue jusqu’alors dans le classique – le romantisme incarné. Ne faisons cependant pas de ce Quintette une œuvre funèbre. Elle est au contraire vibrante de vie, à l’instar du Scherzo-Presto, et même moderne dans certains passages. On a, à juste titre, salué le talent d’architecte sonore de Schubert. Qualité présente notamment dans le formidable dernier mouvement Allegretto. Schubert refuse la tristesse, au profit d’une série de danses romantiques. La vie l’emporte définitivement sur la mort. C’est ce que les six musiciens et musiciennes de l’Ensemble Katok ont compris. 

    Deux compositeurs qui ne se sont jamais rencontrés

    À côté de Schubert, la présence de Beethoven tombe sous le sens dans ce double album. Et pourtant, les deux compositeurs ne se sont jamais rencontrés. Schubert vouait une admiration sans borne pour son maître, génie reconnu, lui, de son vivant.

    Nous parlions de Schubert et de son quintette composé quelques mois avant son décès. Lorsque Ludwig van Beethoven écrit son Quatuor à cordes n° 15 en la mineur, il sort d’une grave maladie et est en convalescence. Nous sommes entre décembre 1824 et août 1825, quatre ans plus tôt donc. Le compositeur allemand sent lui aussi la fin proche (s’en sera fini trois ans plus tard). Voilà qui rend cette pièce de musique de chambre particulièrement poignante (Assai sostenuto).

    Et pourtant, ce quatuor est d’abord une œuvre de commande pour le Prince Galitsyne datant de 1822. Un soulagement financier pour Beethoven qui s’y met assez tard, fin 1824. Un an plus tôt, il a créé sa Neuvième Symphonie. Voilà pour les circonstances d’écriture.

    L’Ensemble Katok s’attaque sans complexe à ce monument de la musique classique, sans fléchir sur l’Allegro du premier mouvement. On a, à juste titre, salué le modernisme du deuxième mouvement, Allegro ma non tanto. Il respire. Il médite, même, dirions-nous, comme s’il était en suspension permanente, soudainement interrompu par une singulière danse, venant interrompre par un élan de vie une partie dominée par l’attente et la réflexion.  

    Le Molto adagio vient nous rappeler que nous avons à faire à une œuvre singulière et importante de Beethoven. La mort et la douleur sont au centre de cette création qui continue de marquer les esprits. Mystique, spirituel, métaphysique : ces termes pourraient être utilisées pour cette partie ressemblant à une pièce religieuse – un chant d’action de grâce et de reconnaissance, précisait Beethoven lui-même. L’Ensemble Katok propose là l’une des parties les plus bouleversantes et réussies du double album.

    Singulier est le quatrième mouvement en forme de marche (Alla marcia, assai vivace). C’est une sorte de parenthèse pour reposer les oreilles de l’auditeur et l’auditrice. D’ailleurs, les musicologues remarquent que Beethoven est resté longtemps indécis sur la facture et le rythme à donner à cette partie. Elle est courte (2 minutes 26 dans cet enregistrement public de b.records). Il ne donne que plus de relief au cinquième et dernier mouvement Allegro appassionato. Il est romantique, certes, mais surtout poétique et plein de sève. L’énergie pulse dans cette magnifique partie conclusive, demandant aux interprètes virtuosité et cohérence d’ensemble impeccable. Le quatuor commençait la pièce avec de lourds nuages, voilà qu’elle devient une ode à la jeunesse. Impossible pour le Katok Ensemble de ne pas retranscrire cet élan bienfaisant. Beethoven for ever.

    À noter enfin que, comme toutes les productions de b.records, le ou la propriétaire du disque aura droit à un poster original, ici une création graphique originale de Magali Cazo

    Le temps suspendu, Franz Schubert & Ludwig van Beethoven,
    Ensemble Katok, b•records, coll. Katok, 2025 

    https://www.b-records.fr/disques/le-temps,-suspendu
    https://katok.fr/katok-ensemble

    Voir aussi : "Et de 3, et de 2"
    "Pas de pépin pour Julien Desprez"

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  • Le retour de Claire Désert chez Maurice Ravel

    On trouvera dans ce Chamber Music proposé par Indésens un aperçu passionnant de cette musique de chambre qui va si bien au style français des premières années du XXe siècle. Car s’il est bien un compositeur-phare de cette période, c’est bien Maurice Ravel (1875-1937) dont nous avions déjà parlé ici il y a quelques jours. Ajoutons d’ailleurs que la pianiste Claire Désert est de retour, après un enregistrement du Quintette Moraguès dans un programme Ravel et Clapet.

    Mais n’allons pas si vite en besogne et intéressons-nous au Quatuor Jaochim qui nous fait découvrir les vagues néo-romantiques du Quatuor à cordes en fa majeur que Ravel a composé entre 1902 et 1903 et qui fit de lui, presque du jour au lendemain, "un des Maîtres de demain" . Il s’agit de la première œuvre de musique de chambre du compositeur français. Le Quatuor M.35 est dédié à Gabriel Fauré. On y devine d’ailleurs ce mélange de pudeur et de mélancolie (Assez vif). Pour autant, le jeune Maurice Ravel – il a 28  ans – marche sur les pas de l’impressionniste musical qu’est Debussy (le premier mouvement Allegro moderato). Dans le troisième mouvement en particulier (Très lent), le romantisme du XIXe siècle se retrouve revivifié grâce au modernisme de Maurice Ravel, particulièrement audacieux, à l’instar du final Vif et afité, mélange de classicisme et de fougue expressionniste. Une merveille en son temps comme un chef d’œuvre "souriant" et que le Quatuor Joachim restitue avec panache et allant.

    Tatiana Samouil au violon et David Lively au piano s’attaquent à la Sonate pour piano et violon n°2 en sol majeur. On avait commencé avec la première pièce de musique de chambre ; voici la dernière. Nous sommes en 1927. Ravel est dans les dernières années de sa vie. Il a abandonné le romantisme pour une facture plus moderne, revivifiée par les recherches musicales du début du XXe siècle (Allegro) et d’autres génies tels que Béla Bartók. Il faut saluer la performance de Tatiana Samouil et David Lively dans l’interprétation de cette pièce exigeante et allant à l’essentiel. Ravel se fait audacieux et pleinement dans son époque dans le deuxième mouvement Blues Moderato. Il s’ouvre au jazz américain, prouvant qu’on peut être un compositeur classique, aristocratique dans sa prestance et ouvert au monde. La sonate se termine par le final Perpeteum mobile, diabolique mouvement dont s’empare avec virtuosité le violon de Tatiana Samouil.

    C’est Claire Désert qui vient clore en beauté cet album Ravel

    La pièce Tzigane de Ravel prouve à prouve à elle seule la palette de couleurs et de rythmes de Ravel. Cette danse a été dédiée en 1924 à la violoniste Jelly d’Aranyi. Une nouvelle fois, c’est Tatiana Samouil qui l’interprète. Il faut saluer son talent, tant la pièce virtuose regorge de difficultés techniques. Tzigane audacieux mais aussi envoûtant et plein de vie, comme une ode à la vie et à une culture forte et attrayante.  

    Régis Pasquier au violon et Jean-Claude Pennetier au piano proposent le mouvement Allegro moderato de la Sonate posthume pour violon et piano M.12. Contrairement à ce que le titre ne le laisserait entendre, cette pièce a été écrite assez tôt dans la vie du compositeur, en 1897, jouée par Georges Enesco et accompagnée par le jeune Maurice Ravel lors de sa création. Elle n’a été découverte que très tardivement, en 1975, donc bien après la mort du compositeur. On peut être séduit par cet unique mouvement néo-romantique très influencé par Gabriel Fauré : fluidité, retenues et un certain lyrisme. Pas de modernisme ici ni de jeux de rythmes mais un certain respect… académique.

    C’est Claire Désert qui vient clore en beauté cet album Ravel grâce au magnétique Adagio assai du Concerto en sol majeur pour piano. Écrit au crépuscule de la vie du compositeur, de 1929 à 1931, c’est l’avant-dernière œuvre de Maurice Ravel, qu’il a dédiée à la pianiste Marguerite Long. C’est aussi l’une des plus connues. On est là dans un style néo-classique. Claire Désert fait honneur à ce mouvement plein de lyrisme, de sobriété, de pudeur et d’élégance. Cette pièce majeure vaut à elle seule que l’on se précipité sur ce superbe enregistrement Ravel.

    Ravel, Chamber music, Indésens Calliope Records, 2025
    https://indesenscalliope.com/boutique/ravel
    https://www.clairedesert.com
    https://quatuorjoachim.com

    Voir aussi : "Qui n’aime pas Ravel ?"
    "Bouquets de Fauré"

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  • 1842, année romantique

    "1842" aurait pu être le titre du dernier coffret de b.records, Collection Schumann. Cet enregistrement consacré à la musique de chambre de Robert Schumann s’intéresse à quatre œuvres de jeunesse du compositeur allemand. Nous sommes en 1842 et Schumann ne s’est pas encore essayé aux quatuors, se limitant surtout à des opus pour piano et voix. Cette année 1842 entre dans l’histoire de la musique romantique.

    L’enregistrement proposé est la captation d’un concert donné par le Quatuor Strada à l’Auditorium de la Cité de la Musique et de  la Danse à Soissons, les 3 et 19 avril 2024. Le Quatuor réunit Pierre Fouchenneret et Ayako Tanaka au violon, Lise Berthaud (alto) et François Salque (violoncelle).

    Ce coffret Robert Schumann débute avec le 1er Quatuor à cordes op. 41 dont l’introduction soyeuse et vibrante annonce un mouvement harmonique et harmonieux, mais non sans l’expressivité romantique de Robert Schumann (Andante expressivo) ni une allégresse certaine (Allegro). Écrit en 1842 (Robert Schumann a 32 ans), ce Quatuor op.41 illustre l’état d’esprit de son auteur. Il vit une période heureuse, ce qu’illustre encore le deuxième mouvement Scherzo – Presto – Intermezzo vivifiant auquel s’attaque le Quatuor Strada avec enthousiasme. Même l’Adagio n’est ni triste ni funèbre. Mélancolique et beethovénien, il ressemble à une douce déclaration d’amour. Le Presto, vif comme un torrent sauvage, vient conclure un premier Quatuor typique de cette année 1842 placée sous le signe de la musique de chambre schumanienne.

    Toujours en 1842, le compositeur allemand écrit son deuxième Quatuor à cordes op. 41. L’Allegro vivace a la légèreté de ces œuvres insouciantes. Le Quatuor Strada s’y promène avec une bonheur. Le charme de l’Andante quasi variazioni réside dans sa manière d’avancer pas à pas, avec un sorte de nonchalance joueuse. Le mouvement suivant, Scherzo – Presto, le plus court de ce coffret, garde cette insouciance et cette joie de vivre, si caractéristique de la musique de chambre schumanienne de cette période. Tour aussi alerte, l’Allegro molto vivace vient clore le Quatuor à cordes n°2 ainsi que le premier CD du coffret.

    "Ils me ravissent jusque dans le moindre détail"

    Le 3e Quatuor à cordes commence par une somptueuse déclaration d’amour tout en romantisme. N’est-ce pas à Robert Schumann amoureux – de Clara Wieck, future Madame Schumann – dont nous avons à faire dans le premier mouvement Andante ? Les frères Fouchenneret précisent d’ailleurs dans le livret que le trio de quatuors ont été offerts à la musicienne et compositrice pour ses 23 ans qui a su apprécier la valeur de cette création : "Ils me ravissent jusque dans le moindre détail", lui dit-elle. Pour l’Assai agitato, Robert Schumann semble se démultiplier dans une partie virtuose, enlevée et à la construction savante. On se pose sur l’Adagio, plus sobre avant un Finale Allegro molto vivace, enlevé, capricieux et joueur, mais non sans élan amoureux et romantique, avec une ligne mélodique irrésistible.

    Le Quintette pour piano et cordes op. 44 vient compléter ce programme. Théo Fouchenneret au piano rejoint son frère Pierre, toujours avec le Quatuor Strada. Composé lui aussi en 1842, le Quintette en mi bémol majeur est devenu un des exemples les plus éclatants de la musique romantique, suscitant d’ailleurs l’admiration, entre autres, de Wagner himself. L’Allegro est "brillante", mené tambour battant grâce notamment au piano de Théo Fouchenneret. Arrêtons-nous un instant sur le second mouvement In modo d’una marcia, un poco largamente. C’est tout le génie de Schumann qui s’exprime dans cette partie plus sombre – sinon funèbre – et dans lequel le compositeur sort des sentiers battus. Le romantisme se pare de modernité dans ce séduisant et frappant mouvement nimbé de mystères, comme annonciateur de sombres dangers. Avec le Scherzo Molto vivace, c’est un Schumann jeune et alerte qui s’exprime dans un mouvement relativement court, et en tout cas efficace. Le Quintette et le coffret se termine avec un Finale allegro ma non troppo au solide tempérament. Il vient clore une œuvre essentielle chez Schumann et, par là, une année 1842 à marquer d’une pierre blanche.  

    Robert Schumann, Quatuors et quintette pour piano et cordes,
    Quatuor Strada et Théo Fouchenneret, b•records, 2025

    https://www.b-records.fr
    https://www.theofouchenneret.com
    https://pierrefouchenneret.com/quatuor-strada

    Voir aussi : "Romantique et métaphysique Schumann"

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  • Bouquets de Fauré

    Pour terminer cette année 2024, quoi de mieux que de le faire avec Gabriel Fauré dont nous fêtons les 100 ans de sa mort. Une "Année Fauré", donc, et qui mérite ce Florilège proposé par Indésens. Les enregistrements proposés sur 2 CD s’étalent sur 50 ans, de 1974 à 2024.  

    La première partie de l’album est constituée du Quatuor pour piano et cordes n°2 op. 45 et de la première Sonate pour violon op. 13. Ces œuvres ont été enregistrées entre 2017 et 2024.

    Gabriel Fauré, dont la musique est parfois considérée à tort comme mièvre et trop classique, surprend par sa franche énergie et son audace romantique dans le Quatuor op. 45. L’ensemble constitué par Lauriane Corneille (piano), Hugues Borsarello (violon), Arnaud Thorette (alto) et Raphaël Perraud (violoncelle) restituent de concert la densité de cette pièce de 1886, en particulier l’Allegro molto moderato. La jeunesse, la vivacité et l’audace de l’Allegro molto frappent aux oreilles. On peut aussi parler d’efficacité du langage comme du sens mélodique du compositeur français. Ringard et dépassé, Fauré ? Sûrement pas à l’écoute du troisième mouvement Adagio ma non troppo, mystérieux, raffiné, élégant mais aussi doué d’une singulière modernité avec son piano central dans le quatuor (le jeu inspiré de Lauriane Corneille fait particulièrement merveille). Le finale Allegro molto achève de nous convaincre de l’importance de cette pièce à la fois puissante et lyrique.

    Le premier CD est complété par la Sonate pour violon n°1 op. 13. Elle est jouée ici au violon par Tatiana Samouil, avec David Lively au piano. La gestation de l’œuvre a duré deux ans, de 1875 à 1877, avant de trouver sa forme définitive qui a immédiatement conquis le public. Fauré impose son style fait de recherches mélodiques, d’élégance mais aussi de virtuosité (Allegro molto). Il y a cette délicatesse et cette onctuosité propre à la musique française durant la Belle Époque (le léger et espiègle Andante). Fauré insuffle tout autant une fraîcheur bienvenue dans l’avant-dernier mouvement Allegro vivo avant un finale Allegro quasi presto, enlevé, joyeux et que le duo Tatiana Samouil-David Lively mène avec éclat.  

    De véritables tubes classiques

    La seconde partie de ce double-album de Gabriel Fauré est consacré à des pièces brèves, et pour certaines archi-célèbres. Mettons de côté le Chant funéraire op. 117, tardif (il a été composé en 1921), seul opus religieux de l’album et dont la retenue méditative renvoie à son chef d’œuvre qu’est le Requiem. Le Chant funéraire est ici proposé dans une version  de l’Orchestre d’harmonie des Gardiens de la paix, dirigé par Désiré Dondeyne. Mélodies et Romances dominent ce programme, dans des enregistrements s’étalant sur 50 ans. La harpiste Marie-Pierre Langlament et le violoncelliste Martin Löhr sont les interprètes majoritairement représentés.

    Le terme angliciste de best-of n’est pas galvaudé pour ce qui est un choix de musique de chambre, à telle enseigne que les curieux et curieuses désirant mieux connaître Gabriel Fauré seront bien inspirés de se précipiter sur ce double album, et en particulier sur le second CD passionnant.

    On image l’embarras pour ne pas dire le déchirement des programmateurs dans le choix des pièces. Remarquons cependant que la première Mélodie, op. 7 (Après un rêve), est proposée dans deux versions, l’une avec harpe et violoncelle (Marie-Pierre Langlament et Martin Löhr), l’autre, plus éclatante, avec trompette et piano (Eric Aubier et Pascal Gallet).

    De véritables tubes classiques sont évidemment présents, que ce soit la troisième Romance sans paroles op. 17, avec Alexandre Gattet au hautbois et le pianiste Laurent Wagschal – que les fidèles de Bla Bla Blog connaissent bien maintenant. Autre pièce majeure, La Sicilienne op. 78, toujours avec Marie-Pierre Langlament à la harpe et Martin Löhr au violoncelle. Citons aussi le léger et gracieux Papillon op. 77. Cette pièce revient plus loin dans une étonnante version pour euphonium (Lilian Meurin) et piano (Victor Metral). N’oublions pas non plus la Fantaisie op. 79 aux allures de danse fantasmagorique, avec Vincent Luca à la flûte et Emmanuel Strosser au piano ou la Romance op. 69 – romantique et mélodieuse à souhait.

    Des Huit pièces brèves op. 84, cinq ont été choisies. Laura Bennett Cameron au basson accompagnée de Roger Boutry au piano en proposent deux, le Caprocioso de la n°1 et l’Improvisation de la n°5, adaptés pour cet instrument à vent séduisant et de plus en plus en vogue. Absolument immanquable ! Marie-Pierre Langlament et Martin Löhr sont de retour pour la délicate Sérénade op. 98. L’Élégie op. 24 ne pouvait pas ne pas figurer sur l’album. Elle est proposée dans une version pour harpe et violon.

    Marie-Pierre Langlament et Martin Löhr – encore eux – viennent conclure ce programme avec de nouveau les Romances sans paroles op. 17. Outre le retour de la 3e Romance, Andante moderato, figurent la 1ère Andante quasi allegretto et la 2e Allegro molto. Tout l’esprit de Fauré est là : lignes mélodiques irrésistibles et expressivité tout en retenue.

    Voilà un double-album capital pour découvrir ou redécouvrir la musique de chambre d’un compositeur capital. 

    Gabriel Fauré, Florilèges, Indésens Calliope, 2024
    https://indesenscalliope.com
    https://www.bs-artist.com/pages/communication

    Voir aussi : "Bonnes chansons de Fauré"
    "Élégies pour Fauré"
    "Fauré, cent ans après toujours jeune"

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  • La Bohême, la Bohême...

    Derrière le titre Deep Forest se cache l’album du Quatuor Akilone consacré à Antonin Dvořák. Les quatre musiciennes ont jeté leur dévolu sur le Quatuor à cordes n°14 en la bémol majeur, B. 193, op. 105 et Les Cyprès B.152, deux œuvres représentatives du compositeur tchèque, en dépit du fait que l’on retienne surtout du compositeur ses célèbres symphonies, dont celle du Nouveau Monde.

    Voilà donc un autre champ de découverte. La patte de Dvořák frappe immédiatement aux oreilles : sens de la mélodie, densité et un  mélange de subtilité et de fougue.  

    Avec Dvořák, on ne s’ennuie jamais, et l’on est d’autant plus séduit par le jeu des quatre concertistes (Magdalena Geka et Élise De-Bendelac au violon, Perrine Guillemot-Munck à l’alto et Lucie Mercat au violoncelle) qui sont allées jusqu’en République tchèque pour s’imprégner de l’atmosphère de ce pays magique.

    C’est toute l’âme du pays qui transparaît dans le Quatuor à cordes n°14, écrit en 1896 aux États-Unis et pensé comme un voyage dépaysant en Bohême (premier mouvement Adagio ma non troppo – Adagio appasionato). Le compositeur a choisi un tempo rapide (Molto vicace) pour le deuxième mouvement. Puisant ses influences dans la tradition musicale tchèque, l’œuvre s’en détache avec bonheur et un certain enthousiasme.

    On ne dira jamais assez que Dvořák a été pour la fin XIXe et le début XXe siècle, un musicien européen phare du classicisme. La preuve avec le troublant et poignant troisième mouvement Lento e molto cantabile, laissant de larges places aux pauses, aux suspensions et aux silences. Le 14e Quatuor se termine par un étrange mouvement, Allegro ma non troppo. Une danse envoûtante, et aussi inquiétante aux entournures (le formidable violoncelle de Lucie Merlat), guide cette dernière partie s’éloignant peu à peu de la nuit pour aller vers l’apaisement, pour ne pas dire la lumière. 

    Une œuvre que le compositeur n’a eu de cesse remaniée tout au long de sa vie

    La deuxième partie du programme est consacrée à une pièce de jeunesse rare de Dvořák. Les Cyprès (Cypřiše) est une œuvre que le compositeur n’a eu de cesse de remanier tout au long de sa vie. Les membres du Quatuor Akilone ne cachent pas leur amour pour cette œuvre peu connue et inspirée de poèmes de Gustav Pfleger Moravský. Ceci explique la présence de ces Cyprès dans leur album, inspirant en outre le titre de l'album et ses forêts profondes. Au passage, impossible de ne pas parler de l’engagement environnemental du quatuor. Sensible à ces questions, il est membre du réseau ARVIVA.

    Dvořák tire 12 mélodies somptueuses pour lesquelles il a toujours eu un attachement singulier. Dans le livret du disque, Tristan Labouret s’interroge d’ailleurs sur cette œuvre tellement aimée du compositeur : "Pourquoi donc cet éternel retour à ce cycle de jeunesse ?" Ce n’est certainement pas l’idée d’un succès commercial puisque Les Cyprès ne seront jamais publiés du vivant du musicien. Pourquoi pas une histoire d’amour – non-réciproque – avec la belle-sœur du compositeur ? Peut-être si l’on en croit les titres de plusieurs mélodies : "Je sais que mon amour pour toi" (Já vím, že v sladké naději), "Quand tes doux regards tombent sur moi" (V té sladké moci očí tvých) ou encore "L'amour ne nous mènera jamais à cette fin heureuse" (Ó, naší lásce nekvete to vytoužené štěstí). Mais la réponse est sans doute est à la fois plus simple et plus personnelle, dit en substance le texte du livret. Dvořák voyait dans Les Cyprès le retour à son enfance, à l’insouciance et à la liberté.

    D’ailleurs, cette légèreté et cette paix est bien transcrite par les quatre musiciennes du quatuor. Le romantisme finissant (Les Cyprès ont été écrits à partir de 1887) donne à ces mélodies une facture immédiatement envoûtante, comme si elles semblaient hors du temps et hors de toute géographie réelle. C’est une forêt transfigurée qui se donne à entendre ("Dans la clairière la plus profonde de la forêt, je me tiens", Zde v lese u potoka). La pureté de ces lignes mélodiques expliquent en même temps qu’elles justifient que Dvořák y ait consacré de longs moments. Le Quatuor Akilone les délivrent avec la même grâce.

    C’est d’autant plus somptueux qu’elles ont été aidées par la superbe prise de son de Ken Yoshida lors de l’enregistrement à l’église de Nanteuil-sur-Marne à l’automne 2023.

    Dvořák, Deep Forest, Quatuor Akilone, Klarthe, 2024 
    https://quatuorakilone.com
    https://www.klarthe.com
    Concerts en France : le 17/12/2024 à Roubaix (59) - Concerts de Poche, le 16/01/2025 à Paris,
    Fondation Singer-Polignac (sur invitation) et le 31/01/2025 à Menetou-Râtel (18)

    Voir aussi : "Hanni Liang et les voix (féminines) du piano"
    "Trio percutant"     
    "Élise Bertrand, ultra moderne romantique"

    Crédit photographique : © Hubert Caldaguès - Photoheart

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  • Pour l’amour de Clara

    Et si Johannes Brahms constituait à la fois un "aboutissement" de la musique classique et une esthétique inimitable ? Tels sont les propos, dans la présentation du disque The String Quartets, du violoncelliste Simon Iachemet du Quatuor Agate lorsqu’on l’interroge sur cette intégrale des Quatuors à cordes de Brahms. Les trois œuvres ont été terminées sur un laps de temps assez court, entre 1873 et 1876.

    Cet enregistrement de 2023 par le Quatuor Agate est une plongée dans ce qui se fait de mieux dans la musique romantique allemande du XIXe siècle. Osons le dire : il faut de l’athlétisme pour se lancer dans ce qui ressemble à un vrai marathon musical, tant la musique de Brahms concentre morceaux de bravoures, plages bouleversantes – pour ne pas dire tragiques – et nombreuses séquences virtuoses, à l’image du premier mouvement allegro du Premier Quatuor en do mineur op. 51.

    L’auditeur y retrouvera le romantisme exacerbé d’un compositeur qui a dû penser non pas à Clara Schumann mais à Agathe von Siebold pour sa "Romanze (poco adagio)", partie délicate et en forme de doux questionnements. Rien à voir avec les tourments intérieurs du troisième mouvement "Allegretto molto moderato e comodo". La complexité et l’exigence sont visibles dans cette partie qui illustre l’histoire d’un quatuor commencé en 1865 mais qui a mis près de huit ans avant d’être terminé puis joué pour la première fois. Ce quatuor se termine par un "Allegro" enlevé, mélodique et d’une harmonie impeccable, servi par un ensemble en verve et qui entend marquer l’aspect beethovenien et "autoritaire" de cette œuvre (c’est toujours Simon Iachemet qui le souligne). 

    Les quatre instruments se disputent le lead avec un mélange d’enthousiasme, de passion et de lyrisme

    Le Quatuor à cordes n°2 en la mineur op. 51 a été composé en 1873, dans la foulée de son premier quatuor, et un an après le Requiem allemand devenu historique. Il a été joué pour la première fois deux ans plus tard devant Clara Schumann à Vienne. Nous voici au cœur du cercle romantique européen.

    Sans doute Brahms n’a, à l’époque, plus rien à prouver. Cette œuvre n’a pas ce caractère impétueux et démonstratif du premier Quatuor à cordes. Il est plus lyrique et délicat, avec des moments où l’insouciance n’est pas absente ("Allegro non troppo"). L’auditeur sera sans doute frappé par la simplicité et l’économie de moyens pour l’"Andante". Brahms propose ici un mouvement cependant plus complexe qu’il n’y paraît. La ligne mélodique serpente onctueusement et les quatre instruments se répondent avec une grâce qui n’est pas dénuée de gravité. Le troisième mouvement, "Quasi minuetto, moderato", le plus court du deuxième quatuor, lorgne du côté du baroque. L’auditeur imaginerait non sans problème cette partie enlevée être jouée sur des instruments anciens. Brahms semble ici s’être pas mal amusé dans un mouvement qui semble être plus mozartien que beethovenien. Le "Finale" ("Allegro non assai") choisit le sérieux dans un mouvement construit comme une vraie aventure musicale et où les quatre instruments – les deux violons, l’alto et le violoncelle – se disputent le lead avec un mélange d’enthousiasme, de passion et de lyrisme. 

    Dans ce double album, le second disque est consacré pour l’essentiel au Quatuor à cordes n° 3 op. 67. Nous sommes en 1875 lorsque Brahms le compose. Il a quarante-deux ans et est en pleine maîtrise de son art. Il n’entamera sa première symphonie qu’un an plus tard. La musique de chambre n’a déjà plus de secret pour celui qui livre dans le premier mouvement "Vivace" (près de onze minutes tout de même) une véritable œuvre à part entière, une sorte de sonate aux multiples voix et lignes mélodiques, non sans accents modernes. Voilà qui rend l’interprétation du Quatuor Agate d’autant plus valeureuse.

    On invitera l’auditeur à s’arrêter sur le superbe et poignant "Andante". N’est-ce pas à Clara Schumann que s’adresse Johannes Brahms dans ce parfait exemple de création romantique ? On ne peut s’empêcher de citer ici l’extrait d’une lettre de 1856 qu’il a adressé à la veuve de Robert Schumann : "Ma bien-aimée Clara, je voudrais, je pourrais t’écrire tendrement combien je t’aime et combien je te souhaite de bonheur et de bonnes choses. Je t’adore tellement, que je ne peux pas l’exprimer…" Certes, au moment de la composition de l’œuvre nous sommes vingt ans plus tard, mais les sentiments de Johannes Brahms pour la femme de son ami semblent n’avoir jamais cessé, et ce jusqu’à la mort de cette dernière, un an avant le décès de Brahms en 1897. Parlons de romantisme encore avec le troisième mouvement "Agitato (allegretto non troppo)" dans lequel s’expriment les mouvements du cœur et de l’âme, ce qui en fait une partie tourmentée, pour ne pas dire poignante.

    Le dernier quatuor se termine de manière plus apaisée, "poco allegretto con variazioni". La maîtrise de Brahms est totale dans sa manière de se jouer des thèmes, de proposer un mouvement coloré et aux rythmes jaillissants. Équilibre serait le terme qui correspond le mieux à ce final en forme de douce consolation. Sans doute une autre déclaration d’amour à Clara Schumann.  

    Le quatuor de garçons offre un dernier cadeau à l’auditeur : la Romanze n°5 op. 118, une des six pièces pour piano écrite en 1893 dans les dernières années du compositeur. L’ensemble le propose ici dans une version pour quatuor, délicate, amoureuse et mélancolique. Est-il utile de précisé qu’il a été dédié à sa chère Clara qu’il n’a jamais oubliée ?

    Le Quatuor Agate sera en concert  seront en concert le lundi 18 mars à 20 heures au Théâtre de l’Atelier de Paris pour une soirée consacrée à Brahms – évidemment. 

    Johannes Brahms, The String Quartets, Quatuor Agate, Appassionato, le label, 2023
    https://quatuoragate.com
    https://www.facebook.com/quatuoragate
    https://www.instagram.com/quatuor.agate
    En concert le lundi 18 mars à 20h au Théâtre de l’Atelier
    1 place Charles Dullin, 75018 Paris
    https://www.theatre-atelier.com/event/concert-quatuor-agate

    Voir aussi : "Romantique et métaphysique Schumann"
    "Les Schumann en majesté"

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  • Amour, musique et nostalgie

    Nostalgie, quand tu nous tiens. Ces Chants nostalgiques, proposés par la soprano Marie-Laure Garnier la pianiste Célia Oneto Bensaid et le Quatuor Hanson, s'intéressent à la musique classique française du XXe siècle, avec des œuvres de Gabriel Fauré, Ernest Chausson, mais aussi une compositrice que l’on découvre, Charlotte Sohy. Voilà une sélection bienvenue, tant la musique classique n’en finit pas de sortir de ses archives des artistes féminines qui ont été "oubliées", en raison précisément de leur sexe. Chants nostalgiques est l'enregistrement public d'un concert à l'Estran de Guidel en mars 2022.

    C’est la nostalgie qui est le fil conducteur de cet album, avec d’abord l’opus 81 de Gabriel Fauré, La Bonne chanson. Ce sont des airs généralement assez courts (le plus long fait un peu plus de trois minutes) qui ont été composés à partir de poèmes de Paul Verlaine. On retrouve le souffle et l'âme de Fauré et son sens mélodique, à commencer par le titre "Une sainte en son auréole", que Marie-Laure Garnier interprète avec flamme et sincérité. Célia Oneto Bensaid vient accompagner "Puisque l'aube grandit" pour donner du souffle à ce répertoire de musique française très XXe siècle fortement teinté de symbolisme ("La lune blanche").

    Le néo-classique Fauré étonne avec "J'allais par des chemins perdus", un titre plus moderne, derrière lequel on peut discerner l'esprit de Darius Milhaud. Gabriel Fauré vient se livrer plus intimement encore avec le plus classique "J'ai presque peur, en vérité". Outre "Avant que tu ne t'en ailles", un rien désuet mais néanmoins charmant pour cet ode à la nature et à l'attente, Fauré fait le choix de la légèreté avec "Donc, ce sera par un clair jour d'été", dans lequel le compositeur semble faire le lien avec le romantisme, le classicisme à la française et la modernité. Précisons que morceau reprend des mesures de son Requiem dans ses dernières notes. "N'est-ce pas ?" frappe par sa modernité, à l'instar de "J'allais par des chemins perdus". La Bonne Chanson se terminer par le titre le plus long de l'opus, "L’hiver a cessé", plus complexe, dense et caractérisant un Gabriel Fauré indéfinissable autant que délicat.

    Une vraie découverte : celle de la compositrice Charlotte Sohy

    Autre compositeur à l'honneur dans cet enregistrement public : Ernest Chausson. Les Chants nostalgiques proposent sa "Chanson perpétuelle" op. 37, une œuvre d'adieu dans lequel le désespoir affleure, dans un classicisme tout français. Chausson se distingue avec son sens de la mélodie et sa plainte pour la mort du bien aimé qui "s'en est allé".

    Parlons ensuite de la grande découverte de l’album : celle de la compositrice Charlotte Sohy (1887-1955). La musique classique est en train de se rendre compte qu'un vaste répertoire écrit par des femmes a été mis aux oubliettes. L'album Chants nostalgiques, à l'instar de l'association "Elles Women Composers" et un coffret dédié à son œuvre (La boîte à pépites), propose de découvrir Charlotte Sohy à travers ses Trois Chants nostalgiques (opus 7). Une œuvre nostalgique, oui, mais aussi sombre et mélancolique, composée sur des textes de Cyprien Halgan (1838-1896). Charlotte Sohy s'inscrit bien dans la tradition de la musique française ("Pourquoi jadis t'ai-je trouvé ?"), mais avec une modernité certaine dans son expressionnisme et dans sa manière de se libérer du carcan harmonique ("Le feu s'est éteint"). On a ici affaire à un opus crépusculaire que les interprètes s'approprient avec une grande sincérité ("Sous ce ciel d'hiver"). Ce qui est remarquable pour une œuvre peu connue et d'une compositrice qui ne l'est pas plus.

    Retour à Ernest Chausson avec une transcription de Franck Vuillard de son "Poème de l'amour et de la mer", opus 19. Les trois chants, relativement longs (de deux minutes – un "Interlude" – à plus de quatorze minutes) font de cette œuvre un magnifique final. D'un très beau classicisme, que l'on pourrait dire néoromantisme, illustrent musicalement les poèmes symbolistes de Maurice Bouchar (1855-1929). Marie-Laure Garnier, le quatuor Hanson et Célia Oneto Bensaid font de ce "Poème de l'amour et de la mer" une œuvre tourmentée et vivante, non sans de bouleversants éclats instrumentaux ("Interlude"). On se laisse finalement bercer par la dernière chanson, "La mort et l'amour", singulière alliance, interprétée avec un mélange de légèreté et de nostalgie, justement.

    Voilà qui clôt en beauté un album intelligent de découvertes et de redécouvertes classiques. 

    Chants nostalgiques, Marie-Laure Garnier, Célia Oneto Bensaid, Quatuor Hanson,
    L'Estran Live, B Records, 2022

    https://www.b-records.fr
    https://www.celiaonetobensaid.com
    https://www.facebook.com/profile.php?id=100039928732584
    https://www.facebook.com/people/Marie-Laure-Garnier-Soprano/100063568958709
    https://elleswomencomposers.com/festival-100722-chants_nostalgiques

    Voir aussi : "Résurrection"
    "Album univers"

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