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violoniste

  • Très grand Bacri

    Nicolas Bacri est l’un de nos meilleurs compositeurs contemporains, multiprimé et plusieurs fois nommé aux Victoires de la Musique classique. Très demandé, il est l’auteur de plus de 150 partitions, aussi bien dans la musique symphonique, l’opéra, la musique de chambre que l’oratorio. Il est de retour cette année avec un nouvel album, Da Camera (Passavant), interprété par Elizabeth Balmas, au violon et à l’alto et Orlando Bass au piano. L'enregistrement se compose de deux nocturnes et de trois sonates, toutes datant des années 2000 à 2019, si l’on met de côté la Sonata Da Camera aux dates de composition échelonnées sur plus de vingt ans.

    Mais commençons par le Notturna ed allegro op. 151, commandée au départ par la pianiste luxembourgeoise Sabine Weyer, une œuvre au départ pour trio piano-violon-violoncelle. Le compositeur précise que cette pièce peut être et, d’ailleurs, a été joué sur d’autres instruments, que ce soit en solo – on pense à la flûtiste Jieun Han – ou à plusieurs. Ici, au violon, alto et piano avec Elizabeth Balmas et Orlando Bass.

    Nicolas Bacri fait partie de ses compositeurs qui entendent réconcilier l’irréconciable : la musique contemporaine atonale et sérielle et le classicisme, sans a priori, en privilégiant le travail sur le langage (on pense au motif basé sur les lettres B.A.C.R.I., comme il le rappelle dans le livret du disque) mais aussi sur l’expressivité – on hésitera à employer le terme d’"expressionnisme". Le résultat de cette première nocturne c’est un dialogue, non sans tension – féminin et masculin, comme il le remarque lui-même – mais finalement tendre et qui va vers l’apaisement et un bel éclat de lumière.

    Influencé par le modernisme atonal du début du XXe siècle (on pense à Berg et surtout à Webern, pour sa sensibilité et sa précision), Nicolas Bacri a écrit en 1977, alors qu’il n’a même pas 17 ans, la Sonata Da Camera, op. 67. Il a retravaillé cette œuvre tout au long de sa carrière, en 1997 puis en 2000. Pour autant, reste l’essence "juvénile" de son thème. La passion se devine dans l’Andante de la Sonatina dont s’emparent avec fougue Elizabeth Balmas et Orlando Bass. Il faut de la technique pour s’attaquer à cette pièce ambitieuse et qui donne son nom à l’opus. C’est dire son importance. On parle d’expressionnisme dans cette sonate qui suit la carrière de Nicolas Bacri et à laquelle il avoue être attaché. Que l’on écoute le nerveux Scherzo et le long et bouleversant Pezzo elegiaco (adagio molto). On peut d’autant plus parler de romantisme contemporain. Le compositeur français évoque d'ailleurs la figure de Schubert lorsqu’il parle de "la douceur et la quasi naïveté" du thème centrale de la Sonate op. 67 qui se termine par des variations à la fois déroutantes et virtuoses (Variazioni). Elizabeth Balmas et Orlando Bass démontrent que l’audace moderne de l’atonalité n'est pas morte.

    Romantisme contemporain

    Autre Nocturne, Tenebrae, datée de 2015 et 2016, voit Nicolas Bacri revenir vers l’harmonie, sans pour autant tourner le dos à une construction musicale ambitieuse. Cette Nocturne n°6 a été écrite pour le piano. La prise de son met à l’honneur le jeu tour à tour puissante, élégant, sombre (d’où le titre Tenebrae) et expressionniste d’Orlando Bass. Le compositeur confie qu’il s’agit d’une de ses pièces pour piano les plus représentatives.  

    La Sonate n°2 op. 75 est proposée dans une version pour violon et piano. Elle date de 2002. Là aussi, elle peut s’écouter comme une réconciliation entre ses premières compositions sérielles et atonales et son retour vers la tonalité, avec toujours la recherche de l’expression et du sentiment. Il s’agit de l’une de ses pièces les plus significatives, comme il le confie lui-même et il est vrai qu’elle reste extrêmement jouée. Elizabeth Balmas et Orlando Bass s’affrontent plus qu’ils ne discutent, tout en tension (Introduction et Allegro), avant une Élégie à la fois sombre et mystérieuse. La violoniste semble voler au-dessus de ce mouvement qui voit dialoguer les deux instruments, tel un chant d’amour d’amour et de douleur, avant un long et éloquent silence. La Sonate n°2 se termine par un Rondo infernal, telle une danse des morts, tour à tour riante, menaçante mais finalement non sans rédemption.

    La Sonata Variata op. 75 est proposée dans une version pour alto seule. Elle a été écrite entre 2000 et 2001. L’auditeur ou l’auditrice découvrira un Nicolas Bacri joueur et ne tournant pas le dos à la mélodie (Preludio), pas plus qu’à ses influences classiques, à l’instar de sa Toccata rustica. Lorgnant du côté de Bach, le compositeur français fait se rejoindre archaïsme et modernité. L’alto reste tendu de bout en bout, avalant tout l’espace sonore durant deux minutes 30. Cette dernière sonate se termine par un finale nommé Metamorfosi. Un mouvement mystérieux, comme son nom l’indique. On est loin des premières œuvres atonales de Nicolas Bacri.

    L’artiste ne vend pourtant pas son âme à la modernité néoclassique. Toujours aussi exigeant, il reste un compositeur mû d’abord par l’émotion, l’expressivité et une écriture très fine, ce que le livret de l’album laisse à voir. Son homologue néerlandais John Borstlap a salué Nicolas Bacri comme "le compositeur français le plus important depuis Messiaen et Dutilleux" C’est dire l’importance de son œuvre, à découvrir ou redécouvrir donc.

    Nicolas Bacri, Da Camera,
    Elizabeth Balmas (violon et alto) & Orlando Bass (piano), Passavant, 2025

    https://www.facebook.com/nicolasbacriofficial
    http://www.nicolasbacri.net/biographiefr.html
    https://www.passavantmusic.com

    Voir aussi : "Un inconnu nommé Dupont"
    "Plus d’air, plus d’espaces"

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  • De la Tchéquie à Vienne avec Vanhal

    Le violoniste Marco Pedrona et le pianiste Matteo Bogazzi (au pianoforte) proposent dans ce nouvel enregistrement d’Indésens Calioppe une sélection d’œuvres de Johann Baptist Vanhal (1739-1813). Une vraie découverte. Sa longue carrière européenne, commencée dans la Tchéquie de son enfance, l’a rendu célèbre à Vienne. L’homme, respecté et admiré, a côtoyé Mozart et Haydn, avec qui il aurait constitué un légendaire quatuor – le tout aussi oublié Carl Ditters von Dittersdorf complétait cette fine équipe. C’est sur deux instruments d’époques que Marco Pedrona et Matteo Bogazzi ont choisi de jouer les trois sonates opus 30 pour violon et pianoforte de Vanhal.

    Nous sommes au cœur du Vienne brillant de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Déjà le début d’une domination musicale, et ce pour un bon bout de temps. Vanhal était réputé dans les salons bourgeois et aristocratiques de la bonne société autrichienne. On peut le comprendre, à l’écoute de la mozartienne Sonate n°1 en si bémol majeur, enlevée (Allegro moderato). On pourra préférer dans cette pièce l’Adagio, plus fin et moins virtuose. Marco Pedrona et Matteo Bogazzi donnent du lustre à cette œuvre intime et que goûtaient avec plaisir les contemporains et contemporaines du natif de Nechanice, au nord de la Tchéquie. 

    1 300 compositions, dont 54 quatuors, environ 30 concertos et plus de 100 symphonies

    Que de chemins parcourus pour ce fils de paysan, parvenu à éblouir le cœur de l’Europe. La preuve encore avec la deuxième Sonate pour violon et pianoforte, celle-là aussi en si bémol majeur, où Johann Baptist Vanhal semble se dégager de l’influence de Mozart pour construire une pièce plus originale, enlevée et mélodieuse (Allegro vivace). Il faut préciser ici que Vanhal a été très prolifique : 1 300 compositions, dont 54 quatuors, environ 30 concertos et plus de 100 symphonies. Voilà qui place l’homme à un niveau prolifique assez rare. Toujours dans la 2e Sonate, on se laissera séduire par le court et élégant Andante molto, tout comme l’original et vrombissant Rondò Allegro (et Adagio-Tempo primo), servi par les deux musiciens italiens semblant s’amuser comme personne.  

    La facture classique de ces sonates n’empêche pas l'auditeur ou l'auditrice d’être séduits par la troisième Sonate en sol majeur laissant deviner un musicien alliant écriture précise, clarté et expressivité (Allegro moderato et le charmant Rondò Allegro), parvenant à surprendre sans cesse, même pour ces œuvres écrites pour deux instruments. Dans le Cantabile, ne sommes-nous pas déjà dans une forme de préromantisme ?  

    Au final, voilà des pièces faciles d’accès, précise le livret ; certes, mais non sans difficultés techniques et nécessitant de la virtuosité. Ce qui est à souligner et qui est d’autant plus remarquable pour les deux instrumentalistes italiens, partis – ce qui est en soi très audacieux – sur les traces de Vanhal. Et vous savez quoi ? Ils l’ont finalement retrouvé, à notre plus grand bonheur !

    Johann Baptist Vanhal, Sonatas for piano and fortepiano op. 30,
    Marco Pedrona (violon) et Matteo Bogazzi (pianoforte), Indésens Calioppe, 2025

    https://indesenscalliope.com/boutique/sonatas-for-violin-and-fortepiano

    Voir aussi : "Berlin à l’ombre de Géants" 

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  • Premiers feux d’artifices romantiques pour Katok 

    Parlons, pour commencer, du Quintette à cordes en ut majeur de Schubert, créé en 1828, quelques mois avant sa mort à l’âge de 31 ans. C’est peu dire que cette œuvre constitue un jalon de la musique de chambre ; il s’agit en réalité d’une pièce romantique majeure du XIXe siècle et même de la musique classique tout court.

    L’Ensemble Katok la propose dans son premier album (un double album en réalité), Le temps suspendu, proposé par b•records. Une belle entrée en matière. Contrairement à ce que ne l’indique son nom, Katok, en hommage au réalisateur Tarkovski, est un ensemble bien français, ardéchois plus précisément, créé par le violoniste Paul Serri. Il s’est entouré pour l’occasion du violoniste Shuichi Okada, des violoncellistes Magdalena Sypniewski et Justine Metral et de l’alto Anna Sypniewski. L’enregistrement est une captation d’un concert lors du Katok Festival en octobre 2024, en l’église Saint-Pierre d’Antraogues-Asperjoc.

    Bla Bla Blog est d’emblée sensible à cette démarche de proposer la musique classique et contemporaine dans des lieux où la population a peu l’habitude de ce répertoire. C’est ce que l’on appelle la démocratisation de l’art. Un gros big up pour le Katok Ensemble.

    Cet album marque donc la naissance sur disque d’un ensemble attachant pour sa jeunesse (le frais et étincelant Allegro ma non troppo le prouve) et son hypersensibilité (indispensable pour s’attaquer au répertoire de Schubert). Pour s’en convaincre, que l’on écoute le sobre et bouleversant Adagio, dans lequel les silences sont aussi importants que les notes. Dans le livret de présentation du disque, Paul Serri rappelle que lorsque Schubert écrit son Quintette  D 956, il se sait condamner. Toujours dans cet Adagio, la tristesse se fait chant d’adieu. Ce qui n’empêche pas le compositeur, qui n’a jamais connu la gloire de son vivant, de se révolter contre la mort qui va l’emmener quelques mois plus tard.

    Les longs mouvements du Quintette permettent à l’auditeur de se laisser mener par une composition aussi simple que géniale, et d’une passion jamais entendue jusqu’alors dans le classique – le romantisme incarné. Ne faisons cependant pas de ce Quintette une œuvre funèbre. Elle est au contraire vibrante de vie, à l’instar du Scherzo-Presto, et même moderne dans certains passages. On a, à juste titre, salué le talent d’architecte sonore de Schubert. Qualité présente notamment dans le formidable dernier mouvement Allegretto. Schubert refuse la tristesse, au profit d’une série de danses romantiques. La vie l’emporte définitivement sur la mort. C’est ce que les six musiciens et musiciennes de l’Ensemble Katok ont compris. 

    Deux compositeurs qui ne se sont jamais rencontrés

    À côté de Schubert, la présence de Beethoven tombe sous le sens dans ce double album. Et pourtant, les deux compositeurs ne se sont jamais rencontrés. Schubert vouait une admiration sans borne pour son maître, génie reconnu, lui, de son vivant.

    Nous parlions de Schubert et de son quintette composé quelques mois avant son décès. Lorsque Ludwig van Beethoven écrit son Quatuor à cordes n° 15 en la mineur, il sort d’une grave maladie et est en convalescence. Nous sommes entre décembre 1824 et août 1825, quatre ans plus tôt donc. Le compositeur allemand sent lui aussi la fin proche (s’en sera fini trois ans plus tard). Voilà qui rend cette pièce de musique de chambre particulièrement poignante (Assai sostenuto).

    Et pourtant, ce quatuor est d’abord une œuvre de commande pour le Prince Galitsyne datant de 1822. Un soulagement financier pour Beethoven qui s’y met assez tard, fin 1824. Un an plus tôt, il a créé sa Neuvième Symphonie. Voilà pour les circonstances d’écriture.

    L’Ensemble Katok s’attaque sans complexe à ce monument de la musique classique, sans fléchir sur l’Allegro du premier mouvement. On a, à juste titre, salué le modernisme du deuxième mouvement, Allegro ma non tanto. Il respire. Il médite, même, dirions-nous, comme s’il était en suspension permanente, soudainement interrompu par une singulière danse, venant interrompre par un élan de vie une partie dominée par l’attente et la réflexion.  

    Le Molto adagio vient nous rappeler que nous avons à faire à une œuvre singulière et importante de Beethoven. La mort et la douleur sont au centre de cette création qui continue de marquer les esprits. Mystique, spirituel, métaphysique : ces termes pourraient être utilisées pour cette partie ressemblant à une pièce religieuse – un chant d’action de grâce et de reconnaissance, précisait Beethoven lui-même. L’Ensemble Katok propose là l’une des parties les plus bouleversantes et réussies du double album.

    Singulier est le quatrième mouvement en forme de marche (Alla marcia, assai vivace). C’est une sorte de parenthèse pour reposer les oreilles de l’auditeur et l’auditrice. D’ailleurs, les musicologues remarquent que Beethoven est resté longtemps indécis sur la facture et le rythme à donner à cette partie. Elle est courte (2 minutes 26 dans cet enregistrement public de b.records). Il ne donne que plus de relief au cinquième et dernier mouvement Allegro appassionato. Il est romantique, certes, mais surtout poétique et plein de sève. L’énergie pulse dans cette magnifique partie conclusive, demandant aux interprètes virtuosité et cohérence d’ensemble impeccable. Le quatuor commençait la pièce avec de lourds nuages, voilà qu’elle devient une ode à la jeunesse. Impossible pour le Katok Ensemble de ne pas retranscrire cet élan bienfaisant. Beethoven for ever.

    À noter enfin que, comme toutes les productions de b.records, le ou la propriétaire du disque aura droit à un poster original, ici une création graphique originale de Magali Cazo

    Le temps suspendu, Franz Schubert & Ludwig van Beethoven,
    Ensemble Katok, b•records, coll. Katok, 2025 

    https://www.b-records.fr/disques/le-temps,-suspendu
    https://katok.fr/katok-ensemble

    Voir aussi : "Et de 3, et de 2"
    "Pas de pépin pour Julien Desprez"

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  • … Un autre renouveau des Saisons

    Hier, je vous parlais d’un enregistrement très classique, et néanmoins vitaminée des Quatre Saisons de Vivaldi par le Klaipéda Chamber Orchestra. Place aujourd’hui, toujours chez Indésens, a une version cette fois beaucoup plus contemporaine de cette œuvre intemporelle que Max Richter a nommé The New Four Seasons – Vivaldi Recomposed. Les puristes ont hurlé lors de la création en 2012 de cette relecture qui est plutôt une composition originale à partir des Quatre Saisons de Vivaldi dans lequel se mêlent les cordes baroques et des nappes synthétiques de musique électronique.

    C’est de nouveau le Klaipéda Chamber Orchestra, dirigé par Mindaugas Bačkus qui se frotte à l’expérience, avec une nouvelle fois les solistes violonistes Justina Zajancauskaite, Ruta Lipinaityte, Egle Valute et Julija Andersson. Il faut saluer l’audace, et du compositeur allemand comme des interprètes dans ce qui apparaît comme une œuvre originale de notre siècle. Le livret nous apprend que Max Richter a supprimé "environ 75 % du matériau original de Vivaldi tout en conservant certains motifs célèbres" (Spring 1).

    Le baroque prend un sérieux coup de dépoussiérage, sans être pour autant étrillé ni trahi (Spring 2, Summer 1). L’esprit est là, dirions-nous, y compris dans l’Allegro du "Printemps" (Spring 3). Max Richter appartient au mouvement post minimalisme. Il est vrai que l’influence du minimalisme américain, certes dépassé ici, est évident. Les lignes musicales sont claires, modernes, néoclassiques et viennent servir le vénérable Vivaldi, non sans audace cependant.

    Quel tempérament !

    Les violonistes Justina Zajancauskaite, Ruta Lipinaityte, Egle Valute et Julija Andersson servent avec la même enthousiasme que leur autre version plus traditionnelle des Quatre Saisons (Summer 1), avec ardeur, hardiesse et même une sacrée solidité. Quel tempérament ! Max Richter peut se féliciter d’être aussi bien servi par ces violonistes ne se posant pas de questions. L’Adagio de "L’été" devient un chant funèbre. Sans doute l’une des plus belles bouleversantes parties de ces Nouvelles Quatre Saisons. Le Summer 3 est aussi naturaliste que l’était le Presto "orageux" de "L’Eté" de Vivaldi.

    Si Max Richter reprend la facture archaïque des danses du début de l’automne (Autumn 1), ce n’est pas sans faire des écarts à la composition originale : dépoussiérage en règle et coups d’archers tendus sont au menu de ce mouvement, finalement peu dépaysant. Pas plus dépaysant l’est l’Autumn 2, dans lequel le baroque revient en majesté. Finalement, voilà un "Automne" des plus séduisants, y compris dans sa troisième partie aux fortes influences du courant répétitif américain.

    Le premier mouvement de "L’Hiver" (Winter 1) reprend la structure de l’Allegro non molto originel de Vivaldi, avec ses célèbres lignes mélodiques, mais que Richter a ratiboisé avec audace. On trouvera cela génial ou au contraire inutile. Pour le Winter 2, la composition est nappée de sons électroniques, donnant à ce mouvement une aridité glaciale. Il semble voir de faibles flammèches tenter de réchauffer l’âtre d’une cheminée en plein hiver. La dernière partie, Winter 3, fait se mêler pour terminer post minimalisme et baroque, comme une synthèse de ces Nouvelles Quatre Saisons, incroyables et qui ont fait couler de l’encre à leur sortie.

    Max Richter, The New Four Seasons – Vivaldi Recomposed, Klaipéda Chamber Orchestra, dirigé par Mindaugas Bačkus, avec Justina Zajancauskaite, Ruta Lipinaityte, Egle Valute et Julija Andersson (violons),
    Indesens Calliope Records, 2025

    https://indesenscalliope.com
    https://www.koncertusale.lt/en/collective/klaipeda-chamber-orchestra
    https://maxrichtermusic.com
    https://www.facebook.com/zajancauskaite.justina
    https://rutalipinaityte.com/en/homepage
    https://www.instagram.com/eglevalute
    https://www.facebook.com/p/Julija-Andersson-100085192234016

    Voir aussi : "Un renouveau des Saisons…"

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  • Un renouveau des Saisons… 

    Vous allez me dire : "Encore Vivaldi ! Encore les Quatre saisons !" Certes, mais celles-ci méritent un coup d’oreille. Je dis bien "celles-ci", car il sera question, aujourd’hui et demain, de deux versions radicalement différentes avec le chef-d’œuvre universellement connu de Vivaldi.

    Crées en 1724 par le compositeur vénitien, ces Quattro Stagioni (Indésens) sont quatre concertos pour violon, opus 8, en trois mouvements, décrivant en musique les saisons, avec une virtuosité chère à Vivaldi, lui qui avait fait sa renommée autant comme compositeur que comme violoniste justement virtuose.

    Le Klaipéda Chamber Orchestra, dirigé par Mindaugas Bačkus, respecte l’écriture de Vivaldi. L’ensemble lituanien est aidé en cela par les quatre violonistes qui endossent avec autorité l’exigeante partition, à savoir les Lituaniennes Justina Zajancauskaite, Ruta Lipinaityte, Egle Valute et Julija Andersson. Elles s’emparent en douceur de l’Allegro du 1er Concerto "Le printemps", avec en tête cette interprétation naturaliste parlant du chant joyeux des oiseaux et du murmure des herbes et du feuillage (Largo et Pianissimo sempre). Le baroque de Vivaldi, qui semble déjà annoncer le classicisme naissant, se fait archaïque avec le troisième mouvement, célébrant les fêtes et les danses pastorales.

    Archi jouée et archi écoutée (parfois trop, si l’on pense à son utilisation dans les publicités ou les messageries téléphoniques !), cette œuvre semble toujours révéler des secrets. Et c’est là que le talent des interprètes prend tout son sens. Ainsi, le 2e Concerto "L’été" a rarement paru aussi mélancolique. Le soleil écrase hommes et troupeaux, le zéphyr vent annonce un orage menaçant (Allegro non molto). La virtuosité des quatre solistes doit allier précisions des notes, expressivités et, bien sûr, virtuosité. Ce qui n’empêche pas ces moments de tensions suspendues avec la crainte des éclairs et les vols nerveux et inquiétants des mouches et des taons (Adagio). Quand on parle d’œuvre musicale et expressive, quoi de plus parlant que le Presto impetuoso d’estate du 3e mouvement. Les cordes et les coups d’archers nerveux font résonner comme jamais les éclairs et les tonnerres.

    Archi jouée et archi écoutée cette œuvre semble toujours révéler des secrets

    Pierre angulaire de la musique baroque, ces Quatre Saisons se font archaïques dans les deux premiers mouvement (Allegro et le tendre Adagio molto) du 3e Concerto pour violon "L’automne", avec ces danses paysannes et l’expression des bonheurs simples : la bonne récolte, le vin, les chants, les danses, le repos, en un mot le plaisir. Le troisième mouvement (La caccia – Allegro) n’est pas celui qui vient le premier en tête lorsque l’on parle des Quatre Saisons de Vivaldi. Et pourtant, il n’est pas le moindre intéressant : le compositeur exprime en musique les derrière son rythme en forme de chevauchée ("Le chasseur part pour la chasse à l’aube, / Avec les cors, les fusils et les chiens", dit le sonnet écrit, semble-t-il, par Vivaldi himself), se cache l’ombre de la mort, celle de la bête traquée : "Elle tente de fuir / Exténuée, mais meurt sous les coups". Tout cela est rendu avec une fausse désinvolture. Troublant. Comme quoi, beaucoup est encore à découvrir dans ces quatre concertos.

    Vivaldi termine, évidemment, avec "L’hiver", sans doute le concerto qui serre le plus au cœur. L’énergie est au service d’une saison rude, ce qu’exprime avec talent l’orchestre Klaipéda (Allegro non molto). Étrange "Hiver" en réalité, qui nous parle aussi des soirées au coin du feu alors que la pluie glacée tombe à torrents dehors (Largo), avant une toute dernière partie paisible. Le sonnet accompagnant l’oeuvre est à cet égard éloquent : "Ainsi est l'hiver, mais, tel qu'il est, il apporte ses joies". Tout comme la joie de cet enregistrement qui entend revisiter une œuvre majeure de la musique baroque avec l’insouciance et la fraîcheur de jeunes artistes.

    Antonio Vivaldi, Les Quatre Saisons, Klaipéda Chamber Orchestra, dirigé par Mindaugas Bačkus ,
    avec Justina Zajancauskaite, Ruta Lipinaityte, Egle Valute et Julija Andersson (violons),
    Indesens Calliope Records, 2025
    https://indesenscalliope.com

    https://www.koncertusale.lt/en/collective/klaipeda-chamber-orchestra
    https://www.facebook.com/zajancauskaite.justina
    https://rutalipinaityte.com/en/homepage
    https://www.instagram.com/eglevalute
    https://www.facebook.com/p/Julija-Andersson-100085192234016

    Voir aussi : "Philippe Guilhon Herbert : « Ravel est au plus près de mon parcours de musicien »"

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  • Lucia Micarelli a plus d’une corde à son arc

    Ce qui frappe d’emblée dans l’envoûtant album Anthropology c'est la voix de Lucia Micarelli. Be My Husband, qui ouvre son nouvel opus, est une reprise d’un standard jazz de Nina Simone, adaptation lui-même d’un chant traditionnel afro-américain, Rosie. Pour cette fois, l’artiste étasunienne abandonne son instrument fétiche, le violon, pour préférer une interprétation dépouillée voix-percussions. Audacieux et bouleversant.

    Elle se saisit plus loin de l’archer pour un air traditionnel roumain, Rustem, dans lequel la violoniste part dans une danse endiablée, offrant du même coup un aperçu de sa virtuosité. On sera captivé d’une autre manière par son interprétation incroyable d’une mélodie du compositeur élisabéthain Thomas Tallis (1505-1585). Sacrée découverte que ce Third Mode Melody ! On pourrait dire la même chose du traditionnel Very Day I’m Gone, chant de départ, chant de deuil et chant de l’exil bouleversant, interprété par une Lucia Micarelli, comme habitée : "Oh, the very day I′m gone / You will know what train I'm on / You will hear the whistle blow 100 miles / Hear the whistle blow 100 miles". Sans doute l’un de mes meilleurs titres de l’album.

    Après un passage par le jazz, tout en rythme et en sonorités du sud américain (1B d’Edgar Meyer) puis par la folk avec une reprise pudique de Both Sides Now de Joni Mitchell, c’est du côté du classique que l’on retrouve la musicienne et chanteuse. Place, en l’occurrence, à un monument de Jean-Sébastien Bach, l’Adagio de sa première Sonate pour violon en sol mineur BWV 1001. Vous me direz qu’il s’agit là d’un morceau incontournable, certes difficile et demandant une grande dextérité. Voilà qui illustre en tout cas à la fois la virtuosité et l’ouverture d’une musicienne s’attaquant à tous les registres de ses cordes – vocales… et celles de son violon, bien entendu.

    Un incroyable album pluriel qui rend Lucia Minarelli si attachante et si unique

    Lucas Micarelli ne pouvait pas ne pas explorer le répertoire contemporain. C’est chose faite avec le Duo pour violon et violoncelle (partie III) de Zoltán Kodály (1882-1967). N’oublions pas non plus sa version des Red Violin Caprices de John Corigliano, thème et variations composés pour le film Le violon rouge, film oscarisé en 1999 et tombé hélas dans un relatif oubli – si l’on excepte toutefois justement sa BO, devenue un classique.

    Parlons aussi de ces deux autres airs traditionnels que sont Black is the Color of My True Love’s Hair, une ballade écossaise bien qu’elle ait été aussi utilisée de l’autre côté de l’Atlantique dans les Chansons folkloriques anglaises des Appalaches du Sud de Cecil Sharp. L’album se termine avec le délicat Careless Love qui avait été immortalisé le siècle dernier par Madeleine Peyroux. L’artiste américaine s’empare de cette "ballade du XIXe siècle et de standard du Dixieland". Voilà qui achève de faire d’Anthropology un incroyable album pluriel, fascinant et qui rend Lucia Minarelli si attachante et si unique. On adore !

    Lucia Micarelli, Anthropology, Vital Records, 2025
    https://www.luciamicarelli.com
    https://www.facebook.com/luciamicarelli
    https://www.instagram.com/theloosh
    https://www.youtube.com/@LuciaMicarelliOfficial

    Voir aussi : "Altiera : ‘L’amour existe peut-être ailleurs, dans un autre univers, une autre dimension’"
    "Pas de pépin pour Julien Desprez"

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  • Sue-Ying Koang à l’attaque du Mozart suédois

    Oui, la musique classique reste un grand champ de découvertes, ou plutôt de redécouvertes musicales. On doit à la violoniste Sue-Ying Koang celle de Johan Helmich Roman (1694-1755), inconnu en France mais considéré dans son pays natal, la Suède, comme un père fondateur en musique classique. Ce qui n’empêcha pas Roman de voyager et de se produire à travers l’Europe, trouvant notamment, à l’instar de son contemporain Haendel, un point de chute en Angleterre avant de revenir à Stockholm où il obtient les faveurs de la cour royale. Intendant de la musique, il appuie de tout son poids pour favoriser la langue suédoise dans la liturgie mais aussi par la traduction des traités musicaux dans sa langue natale.  

    Sue-Ying Koang propose dans un enregistrement d’Indésens une sélection d’œuvres pour violon seul, rarement jouées comme le reconnaît l’interprète mais pourtant d’une grande richesse. La couleur, la chaleur et la vivacité frapperont l’auditeur, à commencer par les trois Övningar, des mouvements isolés qui ouvrent l’opus et qui sont des études et des "exercices pour le violon de Roman".  

    Le tout premier, en do mineur (BeRI 339), séduit par sa fougue que Sue-Ying Koang apprivoise avec une belle virtuosité. L’övningar en mi majeur (BeRI 332) est encore un de ces beaux voyages dans ce riche solo pour violon tout en arabesque. Celui en fa majeur (BeRI 348), aussi fantaisiste que mélancolique, prouve que Roman n’était pas qu’un compositeur technique et virtuose. Violoniste lui-même, il offre au violon une riche variété de sons, de rythmes et de tons. Il faut ajouter à cela une prise de son rendant au violon tout son éclat. D’autres övningars parsèment l’opus, dont celui, majestueux et éclatant, en ut majeur (BeRI 337), l’"étude" en mi mineur BeRI 347, technique et d’une belle virtuosité et L’övningar en sol mineur BeRI 336, dense et riche de ses multiples variations, avec les coups d’archers impeccables de Sue-Ying Koang.

    Coups d’archers impeccables de Sue-Ying Koang

    Parmi la vingtaine d’assaggi laissés par le compositeur suédois, Sue-Ying Koang en propose trois, la BeRI 312 en mi mineur, la BeRI 313 en fa dièse mineur et la BeRI 317 en en ut majeur. La violoniste précise dans le livret de l’album que "les sources musicales des assaggi sont fragmentaires", avec en outre des erreurs de copie, des pages manquantes et des doutes quant à l’ordre des mouvements. Elle précise que l’absence d’indications de la part du compositeur scandinave laisse à l’interprète une grande liberté, ce dont la violoniste entend bien profiter.    

    L’Assaggio en mi mineur cueillera au cœur l’auditeur par son mélange de retenue et d’insouciance. Roman était un voyageur européen, avons-nous dit. Ne serait-il pas passé par la France ? Cette question mérite d’être posée à l’écoute des quatre mouvements qui auraient pu être composés par Marin Marais (le bouleversant Non troppo adagio). Ce qui n’empêche pas le "Mozart suédois" de faire montre d’une légèreté dans le troisième mouvement Allegro moderato ou, mieux, le dansant Allegro sous forme de gigue. Nous voilà bien là au cœur du XVIIIe siècle européen.  

    L’Assaggio en fa dièse mineur prouve que Roman n’est pas à considérer comme un petit maître de cette époque, écrasé qu’il a pu être par les légendes de son époque qu’étaient Bach, Mozart ou Haendel. Sa subtilité et son audace sont évidentes dans le Non troppo allegro de cet assaggio, mêlant retenue, hésitations, suspensions mais aussi virtuosité que la violoniste rend avec un mélange de patience, de fougue et d’audace. Deux courts mouvements viennent clore cet assaggio, à savoir un Andante tout en pudeur et un Allegretto en forme d’au revoir.

    Moins baroque et plus classique dans sa facture, l’Assaggio en ut majeur séduit par sa simplicité et son élégance. Pas d’esbroufes dans l’interprétation de Sue-Ying Koang mais une très grande classe (Con spirito). L’auditeur sera pareillement sensible à la belle densité du Allegro assai comme aux multiples variations du dernier mouvement Andantino.  

    Parmi les surprises de cet opus passionnant, l’auditeur trouvera un arrangement par Johan Helmich Roman de l’Amen du Stabat Mater de Pergolese. Le compositeur italien se retrouve plus loin, cette fois dans une version pour violon, arrangée par Roman himself, du bouleversant Fac ut ardeat cor meum

    Sue-Ying Koang, Johan Helmich Roman,A Violin Solo, Indésens Calliope Records, 2024
    https://indesenscalliope.com
    https://sueyingkoang.com

    Voir aussi : "Fauré, cent ans après toujours jeune"

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  • Nuit et lumières chez les Schumann

    C’est par une œuvre collective que commence cet enregistrement d’œuvres de Robert Schumann pour violon et piano. La Sonate F.A.E. nous vient de deux figures majeures du romantisme – Brahms (pour le troisième mouvement "Allegro (Scherzo)" et Schumann pour les deuxième et quatrième mouvements, "Intermezzo" et "Finale". Le troisième est Albert Dietricht, compositeur du premier mouvement "Allegro". Les trois amis écrivent en 1853 cette sonate au nom étrange mais plein de sens : "F.A.E." pour "Frei Aber Einsam" ("libre mais solitaire"). Elle a été offerte cette année-là au violoniste Joseph Joachim. Ce dernier l’a d’ailleurs joué, tout comme Clara Schumann.

    Nous avions parlé il y a quelques semaines du "Scherzo" enregistré par Rachel Kolly et Christian Chamorel. Dans l’album Robert Schumann et son univers, proposé par Indésens, Yann Passabet-Labiste au violon et Bertrand Giraud au piano proposent les quatre mouvements de cette sonate, écrite avant que la maladie ne fasse taire Robert Schumann. Le compositeur vit une période tragique avec la mort de son jeune fils Emil en 1847, celle de son ami Felix Mendelssohn la même année et avant la détection d’une maladie mentale chez Ludwig, un autre de leur fils. Schumann vit particulièrement douloureusement cette période. La dépression succède à des crises d’angoisse et des hallucinations. Voilà pour le tableau de cette période sombre à nulle autre pareil. Autant dire que cette Sonate F.A.E. fait figure de petit miracle musical. 

    Saluons le premier mouvement "Allegro" d’Albert Dietricht, d’une belle richesse ornementale, servi qui plus est par des interprètes jamais en baisse de régime. Il s’agit du mouvement le plus long de la sonate (plus de douze minutes et demi). Avouons cependant qu’après cette romantique entrée en matière, on s’arrêtera particulièrement sur le court "Intermezzo" que Robert Schumann a annoté en allemand : "Bewegt, doch nicht zu schnell". La douleur déchire cette partie. Le piano de Bertrand Giraud se met légèrement en retrait pour laisser s’exprimer le violon de Yann Passabet-Labiste, sans jamais que le violoniste ne fasse preuve de pathos. Vient répondre la fougue et la verve de Johannes Brahms, le disciple et admirateur, qui en est au début de sa carrière. Les Schumann sont sa famille de cœur et Clara Schumann restera son amie et amour jusqu’à ses derniers jours.

    Cette fois, piano et violon viennent se répondre avec bonheur. La vigueur est là, mais aussi la passion et la tendresse. On est presque heureux de retrouver Robert Schumann dans un "Finale" au tempo vif, comme si le compositeur meurtri par trois années sombres revenait à la vie. Magnifique coup d’éclat que cette dernière partie qui prend par moment l’allure de marche décidée grâce au violon diabolique de Yann Passabet-Labiste.   

    La vigueur est là, mais aussi la passion et la tendresse

    Schumann, ses amis et sa famille pourrait s'intituler l'opus. C’est Clara Schumann qui poursuit le programme, avec ses trois Romances op. 22. Ecrites elles aussi en 1853, elles ont été, tout comme la Sonate F.A.E., dédiées au violoniste Joseph Joachim. L’esprit romantique souffle sur ce que l’on pourrait appeler une sonate pour piano et violon en trois mouvements, "Andante molto", "Allegretto ; Milt zartem Vort" et "Leidenschaftlich schnell". L’auditeur y lira de douloureuses plaintes, alors que le mari de Clara est pourchassé par ses démons intérieures ("Andante molto"), sentiments que vient nuancer la deuxième romance "Allegretto", mais non sans ce sens du spleen que parviennent à rendre le duo de musiciens et en particulier le violon de Yann Passabet-Labiste. Le "Leidenschaftlich schnell" prouve, s’il en était besoin de le démontrer, que Clara Schumann est au sommet d’un art musical, à l’égal au moins de Robert Schumann auquel elle a survécu quarante ans.     

    Autre Romances, celles de Robert Schumann, justement. Son opus 94 a été composé pour son épouse en 1849. Destinée pour le piano et le hautbois, elle est régulièrement jouée, comme ici, pour le violon et le piano. Une immense tristesse, que le violon de Yann Passabet-Labiste rend particulièrement bien, se dégage dans le "Nicht Schnell". "Simple, affectueux", indique la deuxième romance. Il est vrai qu’une relative légèreté est évidente, bien que la mélancolie ne soit pas absente. Un sentiment de vide se dégage encore plus de la dernière romance "Nicht Schnell", au mouvement pourtant "Moderato". Il y a ces légères mais réelles ruptures, rendant cette partie bien plus tragique qu’elle n’en a l’air.

    L’enregistrement se clôt avec la Sonate n°3 en la mineur. Composée par Robert Schumann en 1836. Il a 26 ans. Elle a l’impétuosité de la jeunesse (le premier mouvement allegretto "Ziemlich langsam") et cet évident souffle épique, porté par les deux interprètes décidément bien inspirés. Suit un "Intermezzo" plus court (deux minutes et demi), lent, gracieux et romantique, avant le "Scherzo" ("Lebhaft") enlevé et aux nombres pièges dont se tirent brillamment Yann Passabet-Labiste et Bertrand Giraud. Dans le "Finale", Robert Schumann termine par un ensemble de morceaux de bravoure, porté par des mélodies ardentes, pour ne pas dire enflammées. Nous sommes dans une période marqué par une union des plus compliquées entre Clara et Robert Schumann, avec toujours le romantisme en bande-son.   

    Robert Schumann et son univers, Yann Passabet-Labiste (violon) & Bertrand Giraud (piano), Indésens Calliope Records, 2024
    https://indesenscalliope.com/boutique/robert-schumann-son-univers
    https://www.bertrandgiraud.net
    https://www.facebook.com/yann.passabetlabiste

    Voir aussi : "Brahms doublement suisse (et même triplement)"

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