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C’est avec le Scoring Berlin Orchestra que Nathan Henninger a enregistré en 2023 l’une de ses dernières créations, ses Cinq scènes pour orchestre. L’auditeur ou l’auditrice trouvera dans cette œuvre de beaux et romanesques moments – on n’emploiera pas le terme de "romantique", quoique…
Après un court et méditatif prélude (Horn), l’orchestre semble surgir du néant pour se déployer avec mystère (Scène 1, Misterioso). Le compositeur canadien prend son temps pour plonger dans un univers vaste et d’une belle ambition, en dépit d’une durée relativement courte de ses suites (cinq minutes tout au plus). La Scène 2, plus majestueuse (Maestoso) grâce à son apport des cordes, devient méditative, comme si nous étions, avec le compositeur et chef d’orchestre, dans l’observation des étoiles.
Ses suites sont aussi bien sonores que visuelles
Car, oui, il s’agit bien ici d’une musique des sphères qui nous est proposée dans ce très bel album aux couleurs luxuriantes et à la belle densité (Scène 3, Brightly). L’atmosphère n’en reste pas moins inquiétante. Nathan Henninger a composé pour le cinéma et la télévision, ce qui n’étonne pas ici : ses suites sont aussi bien sonores que visuelles. C’est simple : on voyage dans un maelstrom de rythmes, de sonorités… et de couleurs (Scène 4, Misterioso). L’influence des grands compositeurs romantiques russes est tout autant manifeste dans ces fascinantes Suites.
La Scène 5, Gently propose, avec son dialogue entre l’orchestre et les bois, une descente en douceur après un périple dans les confins de l’univers. Une musique des sphères, vous disais-je…
Saluons pour terminer la conception visuelle de ce très beau disque conçu par Martin Rowsell, avec en particulier une peinture de Torsten Wolber qui apporte un moment de grâce supplémentaire. Préférez donc la version physique aux versions dématérialisées. Les artistes vous en remercieront chaudement !
Figure capitale du XVIIIe siècle, Joseph Haydn (1732-1809) aurait pu être écrasé par ses géniaux contemporains que furent Mozart (qu’il rencontra et avec qui il se lia tant amicalement qu’artistiquement) que Beethoven qui fut son élève. Et ne parlons ni de Jean-Sébastien Bach ni de Haendel. Alors oui, Haydn n’est certes pas le premier compositeur que l’on cite lorsque l’on parle de classicisme musical mais il en fut certainement une figure essentielle. Ce qui explique pourquoi ses œuvres sont encore jouées et admirées.
Parmi ces œuvres, il faut absolument citer ses Symphonies (on le surnomme d’ailleurs "le père de la symphonie"). Haydn a tant labouré ce genre qu’il en a sorti pas moins de 106 symphonies. Dans le dernier album de la Tafelmusik, c’est la 43e Mercure et la 49e La Passione qui sont proposées, avec la violoniste Rachel Podger – "La gloire britannique inégalée du violon baroque" selon le prestigieux Times – au premier violon et à la direction de l’orchestre canadien Tafelmusik.
L’ensemble ontorien joue sur des instruments anciens ces deux symphonies écrites entre 1768 et 1771. À l’époque, le prestigieux compositeur viennois suit la cour impérial en Hongrie au Palais d’Esterházy dans la ville de Fertöd. Le livret précise que cet éloignement de la luxuriante et exaltante capitale austro-hongroise pour un lieu plus calme permit à Haydn de se concentrer sur ses créations sans distraction excessive. Le livret de l’album nous apprend qu’entre 1770 et 1774, dans ce lieu de villégiature hongrois, le compositeur autrichien écrivit pas moins de 17 symphonies, 12 quatuors à cordes, une demi-douzaine de sonates pour piano, 2 messes, un Salve regina et 4 opéras… Un vrai stakhanoviste !
Lignes mélodiques architectoniques
La Symphonie 43 Mercure frappe d’emblée par sa vivacité et son classicisme que Mozart a certainement dû apprécier. Il y a, pour commencer, un Allegro lumineux et dense que les riches instruments d’époque viennent d’autant plus embellir. Avec Rachel Podger au premier violon, inutile de dire que les cordes ont le beau rôle. L’incroyable Adagio, à la fois quiète et mélancolique, est vraiment caractéristique du XVIIIe siècle classique, tout en retenues et en lignes mélodiques élégantes. Haydn n’exprimait-il pas ici sa mélancolie de Vienne ?
Arrêtons-nous sur le court Menuetto & Trio, un troisième mouvement lui aussi représentatif du style et des rythmes de l’époque. L’orchestre s’en empare sans complexe, avec une solide assurance. Autrichien dans l’âme, il est possible, dit le livret, que ce mouvement ait pu plonger la reine Marie-Antoinette dans une profonde nostalgie de son pays. La dernière partie de la 43e, avec son Final enlevé et dynamique, a donné à l’œuvre le surnom de Mercure, le dieu messager et celui des voyages. L’Allegro termine ce périple dans un bel enthousiasme, avec un orchestre mené tambour battant par Rachel Podger.
La seconde œuvre présent dans l’album est la Symphonie 49, dite La Passione. Écrite en 1768, elle s’inspire de la Passion chrétienne, d’où son titre. Elle aurait d’ailleurs été composée à l’occasion d’un Vendredi Saint. Il est vrai que cette symphonie est beaucoup plus grave et solennelle que la 43e, avec son long Adagio qui n’est pas sans majesté. À la plainte de ce premier mouvement succède un Allegro di molto vigoureux, à la fois grave et étincelant. Haydn fait preuve d’une audace certaine. Tout le classicisme du XVIIIe siècle est dans cette densité, ces rythmes envolés et ces lignes mélodiques architectoniques.
Restons dans ce XVIIIe siècle prérévolutionnaire avec le 3e mouvement sous forme de menuet (Menuetto & Trio). Rachel Podger s’y meut avec une belle aisance. Les instruments anciens ne sont pas pour rien dans cette impression d’être face à un Haydn comme ressuscité, sachant se faire délicat dans les cuivres mais aussi plus nostalgique que pieux. Ne serait-ce pas un Haydn qui, depuis la Hongrie, se languit de son Autriche de cœur ? Le Finale Presto termine en beauté une symphonie passionnée – dans tous les sens du terme.
Violoniste renommée, Rachel Podger a très bien fait de se mettre en danger pour la direction de ces deux symphonies. Elle prouve que le le XVIIIe siècle ne se limite ni à Bach ni à Mozart. Haydnissimo !
Après une série de chroniques tour à tour sur un opéra contemporain âpre, tragique et terrible (Les Bienveillantes d'Hèctor Parra), puis sur du théâtre lyrique XXe siècle tombé dans l’oubli (La Sorcière de Camille Erlanger) et des pièces contemporaines italiennes des XXe et XXIe siècle (le formidable programme de Claudia Chan, Toccare), place cette fois à du classique de chez classique, en l’occurrence Ludwig van Beethoven et trois de ses Symphonies, la 1ère, la 2e et la 4e. Elles nous sont proposées par l’Orchestre Consuelo dirigé par Victor Julien-Laferrière à la baguette.
Avec ce premier coffret, c’est une intégrale des Symphonies du génie allemand qui se construit, certes pas avec ses œuvres les plus célèbres. Mais n’est-ce pas un moyen de les redécouvrir – voire de les découvrir ? B.records, qui a fait du live sa spécialité, nous propose une captation impeccable à l’Abbatiale Saint-Robert lors du Festival de la Chaise-Dieu les 22 et 213 août 2023.
En deux CD, nous voilà au cœur de ces monuments musicaux que Beethoven a commencé à composer finalement assez tardivement. À 30 ans, date de l’écriture de la première symphonie, il a déjà derrière lui quelques chefs d’œuvres de musique de chambre, dont ses trois premiers concertos pour piano. C’est un musicien aguerri qui voit en 1800 sa Symphonie n°1 op. 21, écrite un an plus tôt, être jouée en grande pompe à Vienne. La fougue mozartienne (sans compter le mouvement Menuetto, si caractéristique du XVIIIe siècle), l’influence de son maître Haydn, la virtuosité, la densité et les riches couleurs frappent aux oreille. À l’époque de l’écriture de la Symphonie n°1, le compositeur a les yeux tournés vers la France de Napoléon, personnage qui le fascinera longtemps avant qu’il ne lui tourne définitivement le dos.
Fougue mozartienne
La Symphonie n°2 est composée un an plus tard. Le musicien est atteint des premiers symptômes de sa surdité, ce qui ne l’empêche pas d’écrire, et même d’écrire vite. Après la découverte mémorable de la première symphonie, celle-ci surprend moins. Enlevée, rythmée et tonique, elle reste paradoxalement peu jouée – sinon dans le cadre d’intégrales.
On imagine les auditeurs de l’époque secoués malgré tout par le dynamisme de cette construction musicale menée par un Orchestre Consuelo franchement emballant. La direction de Victor Julien-Laferrière ne s’embarrasse pas de temps morts ou d’une revisite qui aurait été vaine. Cette 2e Symphonie est à écouter pour le deuxième mouvement Larghetto. Ample et mélodieuse, cette partie est le gros point fort d’une symphonie souvent poliment écoutée et encore fortement influencée par Mozart et Haydn, même si Beethoven commence déjà à s’en détacher. Il n’y a cependant pas encore ce souffle héroïque (le bref mouvement Allegretto) et romantique (Allegro Molto) que l’on trouvera dans la symphonie suivante, la 3e, "Héroïque", justement.
Sombre majesté
Le 2e CD est consacré à une seule symphonie, la 4e en si bémol majeur op. 60. C’est sur des notes funèbres que commence cet opus, plus long mais aussi plus mystérieux. Il y a une sombre majesté planant sur cette symphonie débutant singulièrement par un Adagio, un mouvement lent, certes, mais complété par un Allegro vivace, enjoué.
Composée entre la Symphonie Héroïque – la 3e – et l’incroyable 5e (les fameux et populaires "pom pom pom pom" d’introduction), celle-ci semble se chercher. Marchant là encore sur les traces de ses brillants aînés – Mozart et Haydn – Beethoven l’écrit en 1806 sur une commande du comte Franz von Oppersdorff. Le compositeur propose là une œuvre de qualité, certes, mais n’ayant pas pour ambition de renverser la table. L’auditeur sera charmé par l’écriture subtile et mélodieuse, avec un deuxième mouvement Adagio paisible et plein de noblesse.
Victor Julien-Laferrière conduit l’Orchestre Consuelo avec ardeur et sans se poser de questions sur cette Quatrième mal-aimée (car) coincée entre les deux monuments que sont la Troisième et la Cinquième. Saluons la technicité et la maîtrise du chef dans l’appréhension d’un troisième mouvement aux indications aussi précises que Allegro molto e vivace – Un poco meno allegro – Tempo primo ! Et si la "révolution Beethoven" était déjà en marche dans ces "symphonies paires", déroulant une cadence infernale et construites comme des machineries à la fois redoutables et profondément humaines ? Le dernier mouvement Allegro ma non troppo séduit par sa tonicité et sa puissance dramatique pour ne pas dire romantique.
Voilà un premier volume passionnant, augurant une Intégrale alléchante.
Singulier programme que ce Vitrail proposé par les Trios Messiaen et Xenakis, à l’œuvre dans une création éponyme de Thierry Escaich, d’une part, et dans une version musique de chambre de la Symphonie n°15 de Dimitri Chostakovitch, d’autre part. Deux compositeurs bien différents sont au cœur de cet enregistrement proposé par b.records, enregistré en live le 1er août 2023 à la Salle Elie de Brignac-Arqana à l’occasion du 22e Août musical de Deauville.
Le premier compositeur est Thierry Escaich, un contemporain français toujours très actif. Vitrail, qui donne son nom à l'opus, est une commande de la Fondation Singer-Polignac et des Amis de la musique à Deauville. Voilà une nouvelle preuve que la musique contemporaine reste un domaine essentiel dans la culture actuelle. Dans le livret de l’album, le compositeur français explique qu’il a écrit Vitrail pour faire écho à l’arrangement pour musique de chambre de la Symphonie n°15. Thierry Escaich parle de cohérence, d’unité et des "mêmes couleurs instrumentales" que celles de Dimitri Chostakovitch. Dans ce programme taillé sur mesure, l’alliance des Trios Messiaen et Xenakis est remarquable de pertinence, de cohésion, de finesse et finalement d’évidence.
En un seul mouvement d’un peu plus de dix minutes, Vitrail propose un voyage dans lequel les sons concrets et lumineux – pour ne pas dire spatiaux – semblent rejoindre le jazz dans une sorte de chant religieux. On trouve dans cet opus d’Escaich ce qui ressemble à des danses traditionnelles. La musique contemporaine n'est très jamais très loin du classique, pour ne pas dire du folklore. Voilà qui rend ce Vitrail tout à fait passionnant. La recherche sonore est dans chaque mesure d’une création du Trio Messiaen et du Trio Xenakis. Il y a des mouvements espiègles dans cette œuvre, mais aussi une sombre mélancolie, au point que l’auditeur pourra y entendre d’inquiétants appels d’esprits tourmenteurs. Les cordes y répondent avec ce qui ressemble à des implorations, voire des prières. Les différents instruments – percussions, cordes, piano – dialoguent, se répondent, s’affrontent dans une œuvre qui reste d’une grande cohérence.
Thierry Escaich parle de cohérence, d’unité et des "mêmes couleurs instrumentales" que celles de Dimitri Chostakovitch
Cette cohérence est présente dans la 15e Symphonie de Dimitri Chostakovitch. Le compositeur russe avait l’habitude des grands ensembles, à telle enseigne que c’était un vrai défi qu’a relevé – avec succès – Viktor Derevianko lorsqu’il a transcrit cette Quinzième pour un orchestre de musique de chambre.
Cette symphonie, écrite en 1971, est la dernière composée par Chostakovitch qui meurt quatre ans plus tard. Résolument moderne, cette œuvre frappe par les rappels de classiques – Rossini et l’Ouverture de Guillaume Tell, mais aussi Wagner ou Mahler. Chostakovitch est resté mystérieux sur ce choix artistique et ces "citations" musicales. Dans l’Allegretto, mélancolie, espièglerie et tragédie se mélangent allègrement dans la formidable version des Trios Messiaen et Xenakis.
De tragédie, il en est encore plus question dans le bouleversant Adagio. Il faut se souvenir que Chostakovitch incarne sans doute plus que n’importe quel artiste du XXe siècle les drames historiques de son époque, que ce soient les guerres mondiales ou les totalitarismes nazis et communistes. On retrouve dans cette transcription pour un ensemble ramassé les couleurs et l’ampleur musical du compositeur russe. Les percussions y ont en particulier toutes leurs places avec un Trio Xenakis faisant montre d’une subtilité rare dans la manière d’utiliser les percussions.
L’auditeur sera sans dote frappé autant par la brièveté de l’Allegretto – brièveté à la fois sèche, pour ne pas dire cinglante – et sa facture plus grave qu’il n’y paraît. Il y a une certaine insouciance dans ce troisième mouvement. Mais cette insouciance est frappée par de lourds dangers, comme si vie et mort s’affrontaient dans un combat qui ne sera finalement que mortel.
C’est un mouvement funèbre – Adagio – qui vient conclure cette ultime symphonie de Chostakovitch. Le compositeur russe fait se réconcilier modernité et classicisme pour cette partie baignée dans une sombre mélancolie, non sans éclats lumineux, quand ils ne sont pas aveuglants. Il s’agit de la mélancolie, des tourments et des interrogations d’un homme âgé et qui se sait dans les derniers moments de son existence.
Le Trio Messiaen est constitué de David Petrlik (violon), Volodia Van Keulen (violoncelle) et Philippe Hattat (Piano). Le Trio Xenakis est constitué d’Emmanuel Jacquet, Rodolphe Théry et Nicolas Lamothe aux percussions.
Escale contemporaine, ou plutôt néo-classique avec Philippe Chamouard et trois de ses œuvres interprétées par le Brasov Philharmonic Orchestra dirigé par Christian Orasanu.
Intitulé, Escales, l’album proposé par Indésens propose un vrai voyage musical comprenant la 9e Symphonie écrite entre 2009 et 2011, la Valse toscane, plus récente (2020) et Canadian March composée entre mars et juin 2018. En route donc vers l'Espagne, l'Italie et le Canada avec Philippe Chamouard.
L’auditeur se laissera emporter par une Symphonie n°9 aux élans passionnés pour ne pas dire néo-romantique. Le premier mouvement au tempo de marche a des accents prokofieviens avec ces vagues de cordes, ces mélodies harmonieuses et le passage de percussions menaçantes. La passion sourd de cette composition d’une grande densité. Le même souffle se retrouve dans le long et langoureux "Adagio" comme si les Roméo et Juliette du compositeur russe reprenaient vie aujourd’hui. Philippe Chamouard précise dans le livret que ce mouvement a été écrit en premier et que "c’est la représentation d’un visage féminin imaginaire qui en est à l’origine". Gageons qu’il s’agit du visage de la célèbre héroïne de Shakespeare. Le lyrisme, la puissance, la profondeur et l’élégie sont en tout cas les maîtres mots de cette deuxième partie qui ne laissera pas l’auditeur ou l’auditrice insensible.
Des accents prokofieviens
Pour le troisième mouvement, Philippe Chamouard a décidé de s’emparer de deux rythmes du folklore andalou issus du flamenco. Il est vrai que souffle sur cette "Bulerie y siguiriya" un souffle tout méditerranéen. La direction de Christian Orasanu donne des couleurs et du soleil à l’Orchestre philharmonique de Brasov, jusque dans le jeu des castagnettes s’amusant et dansant avec les cordes.
Plus complexe est le quatrième mouvement, "Misterioso & allegretto". Mystérieux en effet dans son agencement souvent menaçant de thèmes semblant discuter entre eux, mais toujours avec harmonie. Ce mouvement fait la part belle et la part sombre à un rythme lancinant, mais non sans grandeur.
L’opus propose deux autres œuvres, plus courtes celles-là. Il y a tout d’abord cette Valse toscane. On sent le plaisir du compositeur à l’avoir créée. Il avoue d’ailleurs qu’elle trouve sa genèse dans un voyage à Sienne, en Toscane, au cours d’un printemps 2019. L’esprit romantique souffle sur cette pièce symphonique qu’il a écrit sous forme d’une valse. "Un exercice de style amusant", confie-t-il.
L’œuvre qui clôt l’album est une impressionnante Canadian March. À l’instar de la Valse toscane, Philippe Chamouard a retranscrit le souvenir d’une marche au bord du Moraine Lake. Il n’est pas simple de mettre en musique des images – la couleur de l’eau, les paysages de montagnes ou les nuances du ciel. Le compositeur semble avoir posé un chevalet musical peut retranscrire par touches sonores des sensations et des souvenirs d’un voyage inoubliable et plein de nostalgie.
Philippe Chamouard, Escales, Symphonie n°9, Valse toscane, Canadian March, Brasov Philharmonic Orchestra dirigé par Christian Orasanu, Indésens Calliope Records, 2024 http://philippechamouard.fr https://indesenscalliope.com
Choc musical chez Deutsche Grammophon avec l'incroyable enregistrement Rachmaninoff For Two. Le compositeur est bien connu. Il s'agit de Sergeï Rachmaninoff célèbre pour ses concertos pour piano, en particulier le célébrissime deuxième et son "Adagio". Les interprètes, Sergeï Babayan et surtout Daniil Trifonov, finissent de rendre l’album Rachmaninoff For Two absolument immanquable.
Les deux pianistes – le premier arménien et le second russe – proposent, pour commencer, une transcriptions par Daniil Trifonov d’"Adagio" de la Symphonie n°2 du compositeur russe. Une entrée en matière passionnante avant le cœur du programme, à savoir les Suites n°1 et 2 pour deux pianos et ses Danses symphoniques op. 45.
En un double album mémorable c'est toute l'essence de Rachmaninoff qui est proposée. La virtuosité du génie russe expatrié aux États-Unis après la Révolution Russe explose dans cet enregistrement à ne pas manquer. Il faut pourtant souligner que, dernier romantique russe, Sergueï Rachmaninoff a été un élève et un admirateur de Tchaïkovski, au point de lui dédier sa première Suite op. 5, tout comme la seconde op. 17 mais que le maître n’a jamais pu entendre.
Sergeï Babayan et Daniil Trifonov s’emparent de la Suite op. 17 avec fougue et enthousiasme (I. Introduction) mais aussi avec cet élan de vie où la mélancolie n'est jamais loin (II. Valse). L'auditeur sera sans doute captivé par le 3e mouvement de cette Suite. Il faut se laisser entraîner au long cours par cette délicate "romance" avant une troisième et dernière partie virtuose faisant d'une tarentelle une infernale et magnétique danse.
En un double album mémorable c'est toute l'essence de Rachmaninoff qui est proposée
L’auditeur se laissera baigné par les averses sonores de l'allegretto ("Barcarolle") de la première Suite ou les vagues pianistique d'un romantisme de l'"adagio sostenuto" ("La nuit… l’amour"). Mais à force de faire rimer Rachmaninoff avec virtuosité on oublie ces moments où la délicatesse et la retenue du génie lui permettent de proposer les pages les plus bouleversantes sans doute de la première moitié du XXe siècle (le largo funèbre nommé "Les larmes"). Dernier grand compositeur classique, Rachmaninoff entre pourtant dans la modernité à travers le dernier mouvement entêtant de la première Suite (l’allegro maestoso se place sous le signe de "Pâques").
Toujours aussi impliqués et parfaits dans ce projet musical de haute volée, Sergey Babayan et Daniil Trifonov jouent une version dense, colorée et rythmée des Danses Symphoniques dédiées en 1940 au chef Eugene Ormandy. On est dans une synthèse du classicisme et de la modernité. Oeuvre d'un immigré russe loin de son pays, la nostalgie n’est jamais absente, pas plus que son admiration pour les traditions de son pays (2e mouvement "Andante con moto" avec son tempo enivrant et dingue d'une valse). Dans cet opus, la virtuosité n'empêche jamais les respirations d'y faire leur place, avec qui plus est deux interprètes vivant de concert ce beau moment musical. L'ambitieuse écriture de Rachmaninoff explose dans le 3e et long dernier mouvement de ces Danses Symphoniques (plus de 11 minutes). Les interprètes russes ne transigent pas sur leur implication artistique autant que leur technique. Quatre mains – seulement, aurions-nous envie d'écrire – suffisent à élever cette architecture sonore complexe, puissante, déroutante et d'une grande profondeur.
Cet album a été l'un Diapason d'Or ce mois de juin.
Voici sans doute l’un des meilleurs albums de 2023. Un vrai coup de poing à l’estomac par une musicienne, nouvelle venue de la scène française. Zaho de Sagazan propose avec La Symphonie des Éclairs un choc musical autant que poétique, mixant chanson française, électro et textes aux jaillissements inoubliables. Que l’on pense aux premiers vers de La "Fontaine de sang" qui ouvre l’opus : "Le vin de ses vaisseaux / Au rythme de son cœur / Coule et donne à boire / À des bouches au hasard".
Pour ses grands et brillants débuts, Zaho de Sagazan puise à la fois dans son quotidien et dans ses "aspirations". C’est d’ailleurs le titre du deuxième morceau, véritable hymne à la cigarette par une chanteuse dont la voix si caractéristique l’a rendue reconnaissable entre toutes. Une voix au grain incroyable rend d’autant plus bouleversant et irrésistible ce chant d’amour pour l’amour qu’est "Les Dormantes" : "L'amour qui fait tomber les cheveux / L'amour qui nous bande les yeux / L'amour vendu aux plus sensibles / Par des putains de vicieux / L'amour qui nous faire croire que lui, c'est eux / Que ça n'sera jamais mieux".
L’amour est bien ce qui porte Zaho de Sagazan. Que l’on pense à "Les Garçons", en forme de listing et d’hommage, à la déclaration "Langage", au fragile et délicat voix-piano "Dis-moi que tu m’aimes" ("J’en ai vécus des amours miséreux / Alors, prends-en soin / Prends soin du cœur que tu as entre les mains"), sans oublier l’électrisant "Mon inconnu" ("Je crois que j'suis amoureuse d'un inconnu / Impossible Mon Père de l'oublier / Depuis que je l'ai vu, j'en ai honte / En manque d'amour, ou détraquée, ah / Putain, je suis détraquée").
Réussite totale
Femme de lettres – on peut le dire – Zaho de Sagazan est tout aussi douée dans ses compositions et sa manière de retourner les cœurs. C’est, par exemple, "Je rêve", en forme de slow qui proclame que le rêve est la réalité. Une vraie philosophie et, de nouveau, une déclaration d’amour. Cette manière de renouveler la chanson française grâce au son électronique est une vraie marque de fabrique de la native de Saint-Nazaire. Les nappes synthétiques enveloppent un texte réduit à son essentiel : "Je t'aime / Passionnément, tu m'aimes / Suffisamment, pour que je reste / Mais pourquoi je reste". Cette pureté se veut pudeur, fort à propos dans le titre aérien "Mon corps", en forme de confession et de jeu de miroir, que le morceau "Ne te regarde pas" assume plus encore.
Le public a été frappé par "Tristesse", formidable composition tendue électro-pop au texte de combattante autant que d’artiste exigeante. La réussite est si totale que l’auditeur aura longtemps en tête les paroles exigeantes et existentialistes : "Marionnettiste je suis / Et sûrement pas l'inverse".
À ce point de la chronique, il faut parler de ce chef d’œuvre qu’est le morceau "La Symphonie des éclairs", qui a donné le nom à l’album. Les mots de cette chronique sont trop faibles pour parler de cette chanson aérienne, hymne dédiée au pouvoir de la musique, à la puissance poétique rarissime. Il faut juste écouter, réécouter et se laisser porter par cette œuvre incroyable : "Il fait toujours beau au dessus des nuages / Mais moi je suis de ces oiseaux qui nous font danser sous l'orage / Je traverserai tous les nuages pour trouver la lumière / En chantant sous la pluie la symphonie des éclairs".
Étonnante et émouvante BD. Mais aussi cinématographique, si l’on veut ajouter un adjectif. Sort en ce mois de juin la dernière création de Guillaume Carayol et Stéphane Sénégas, Un chemin vers Pépé, aux éditions de la Gouttière, dans la collection DoRéMi Chat.
Un mot sur cette collection au concept inédit mis en place par les éditions de la Gouttière et l'Orchestre de Picardie. DoRéMi Chat propose à des auteurs de s’inspirer d’un morceau de musique classique. Cette oeuvre fait à la fois l'objet d'un livre de bande dessinée et d'un concert interprété par l'Orchestre de Picardie. Une jolie, passionnante et intelligente idée pour les enfants et toute la famille. En 2023, c'est le duo Carayol/Sénégas qui se sont prêtés à l’exercice. Pour leur BD Un chemin vers Pépé, ils ont choisi la 35e Symphonie de Mozart.
Un livre de bande dessinée et un concert interprété par l'Orchestre de Picardie
Du héros de cette BD, le lecteur ne saura rien. C’est un enfant d’une dizaine d’années, sans prénom. Il a deux parents et surtout un grand-père, le fameux Pépé.
Les auteurs nous entraînent sur les pas de l’enfant, au pays des rêves, de la souffrance – mais aussi de la musique de Mozart. Lorsque commence l’histoire, le garçon écrit une courte lettre émouvante à son grand-père dont il est privé de visite à l’hôpital afin de le "protéger". Le lecteur comprend que la mort rôde. Elle se personnalise sous la forme d’un étrange personnage volant. Lorsque la nuit vient, l’enfant rêve, et son compagnon – un nuage noir muni d’une paire d’yeux – l’accompagne dans un étrange pays. Mais l’hôpital redouté n’est pas loin.
Lorsque le récit de Pépé et de son petit-fils commence, le lecteur y trouvera sans doute une lointaine référence à Little Nemo, bande dessinée pionnière et fondamentale dans l’histoire du 9e art. Ici, pas de dialogues, pas de commentaires, pas de bulles mais un jeune personnage omniprésent, une présence quasi fantomatique de Pépé et un découpage cinématographique soigné. Les notes de Mozart surgissent vers la moitié du livre, comme autant d’apparitions fantastiques et rassurantes.
Un chemin vers Pépé se veut un excellent livre pour parler du deuil. Avec, en plus, une ouverture vers la musique classique et Mozart.