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Beaux-arts, musées et expositions - Page 17

  • Un amour de banane

    Certains produits ont eu une importance historique et sociologique dépassant de beaucoup leur nature prosaïque. Cela a été le cas du sucre, du cacao mais aussi de la banane.

    Le fruit chéri des français, l’un des plus consommés et des plus appréciés, a fait l’objet de l'exposition "Extra ordinaire banane" au Musée portuaire de Dunkerque en 2016. Son succès inattendu – 17 000 visiteurs – a poussé les organisateurs à délocaliser cet événement dans plusieurs villes de France. Après une escale à Dieppe en avril dernier, "Extra ordinaire banane" posera ses bagages à Nantes à partir du 25 août. Le port nantais a accueilli le trafic de banane en provenance de Guinée et de Guadeloupe à partir des années 30, et ce pendant quatre décennies. À l’issue de ses escales sur la côte atlantique tout au long de l’année 2017, l’exposition achèvera sa tournée en 2018 en rejoignant les départements producteurs de la Martinique et de la Guadeloupe. 

    Deuxième fruit le plus consommé en France, véritable star de la culture populaire, du Banana Split de Lio à celle d’Andy Warhol pour le Velvet Underground, sans oublier le fameux Banana des Minions, la banane a pourtant grandi loin du climat européen.

    L’exposition gratuite sera présentée au Hangar à Bananes de Nantes du 25 août au 3 septembre 2017. Elle montrera comment ce fruit tropical fragile a pu être exporté vers les pays du Nord de l’Europe en questionnant les progrès du transport maritime et des conditions de manutention.

    "Extra ordinaire banane" propose de suivre le trajet de la banane à travers dix modules thématiques, intégrant même un parcours spécialement adapté aux plus jeunes. Une approche originale pour permettre au public de découvrir l’exposition de manière interactive.

    Outils de médiation conçus pour les plus jeunes, photographies, films, maquettes apporteront un éclairage étonnant sur un thème généreux. Comme chantait Lio avec gourmandise : "Si tu cherches un truc pour briser la glace / Banana banana banana..."

    "Extra ordinaire banane", Le Hangar à Bananes, Nantes,
    du 25 août au 3 septembre 2017

    Entrée gratuite
    Bananablog

  • Folles époques

    Vite, il est temps de découvrir Ed van der Elsken, figure majeure de la photographie underground et qui est passé sous les radars de pas mal de monde.

    Le musée du Jeu de Paume propose, en collaboration avec le Stedelijk Museum Amsterdam et la Fundación MAPFRE, la première rétrospective en France de l’artiste, jusqu’au 24 septembre prochain.

    Ed van der Elsken (1925-1990) était l’ami des marginaux, des rebelles de tout poil mais aussi des gens ordinaires qu’il n’a cessé de suivre (de "chasser" diront certains) pour en faire les héros de reportages documentaires vivants : une réfugiée à Hong Kong (entre 1959 et 1960), des serveuses à Cebu dans les Philippines (1960) ou ce guérisseur africain exécutant une danse rituelle pour une bonne chasse (Oubangui-Chari, Central Africa, 1957). Plus de 150 tirages originaux sont exposés au Jeu de Paume, ainsi que des extraits de films, des diaporamas ou des maquettes de livres du plus européen, sans doute, des photographes modernes.

    Pendant quarante ans, Ed van der Elsken est parti à la recherche des "siens", ces inconnu(e)s d’Amsterdam, de Paris ou de Tokyo, captés avec humanité, humour et précision, jusque dans leur intimité. "Je fais des choses mortellement sérieuses et aussi des choses drôles. Je fais des reportages sur de jeunes voyous rebelles avec plaisir… Je me réjouis de la vie, je ne suis pas compliqué, je me réjouis de tout. L’amour, le courage, la beauté. Mais aussi le sang, la sueur et les larmes. Garde les yeux ouverts," affirme-t-il en 1971.

    Ed van der Elsken capte ses modèles avec un sens aigu du détail et de la pose, à l’exemple des Jumelles sur la place Nieuwmarkt à Amsterdam (1956). Les regards, la lumière auréolant les chevelures, les maquillages, les bijoux, la position des mains et des doigts, le rendu du tissu des jupes, le drapé des chemisiers : rien n’est anodin et rien n’est de trop dans ce cliché à la mise en scène soignée.

    Lorsqu’il pose ses bagages à Paris, Ed van der Elsken est le témoin et l’acteur de la vie culturelle foisonnante, quelques années après la fin de la seconde guerre mondiale, avec le livre "auto-fictionnel" Une histoire d’amour à Saint-Germain-des-Prés (1956). Il en tire ce cliché sombre, nerveux et spectaculaire (Vali Myers (Ann) danse à La Scala, Paris, 1950).

    À Amsterdam, Ed van der Elsken immortalise ces deux couples aux visages expressifs que l’on croirait sortis d’un film de Martin Scorcese (Quartier de Nieuwmarkt, Amsterdam, 1961). Toujours à Nieuwmarkt, "son" quartier, le photographe témoigne de la vie culturelle foisonnante à Amsterdam. Le jazz y prend une importance considérable. Il suit et photographie Chet Baker, qui se produit au Concertgebouw d’Amsterdam, à l’instar de Miles Davis, Lionel Hampton ou Ella Fitzgerald. Mais Ed van der Elsken s’intéresse aussi aux gens ordinaires au cœur de cette "dolce vita" néerlandaise : tenancières de bar, filles à la coiffure choucroutée ou jeunes loulous aux gueules d’acteurs.

    Aux États-Unis, loin du folklore et du dépaysement, Ed van der Elsken saisit ces deux amoureux californiens, semblant tout droit sortis d’une chanson des Beach Boys.

    EdVanDerElsken_17.jpgAu Japon ancestral, ce sont des marginaux qu’il croise quelques années plus tard (Rockers, Harajuku, Tokyo, 1984). Ed van der Elsken arpente pendant plusieurs années un pays multiple, passionnant et aux rencontres inattendues : rockers à la banane, lutteuses, yakusas (Territoires des yakusas, Kamagasaki, Osaka, 1960), amoureux étreints (Couple s’embrassant, vers 1974) ou citoyens ordinaires et photogéniques surpris dans des scènes de la vie ordinaire (Fille dans le métro, Tokyo, 1981).

    Ed van der Elsken s’intéresse aussi très tôt à la photographie couleur, médium utilisé jusqu’alors pour les magazines et pour la mode, alors que le noir et blanc est encore considéré comme la technique artistique par excellence. La couleur prend grâce à Ed van der Eksen le chemin des galeries et des catalogues d’exposition : il y a ces trois gracieuses néerlandaises comme saisies au vol dans une artère d’Amsterdam, dans une mise en scène que l’on imagine travaillée (Beethovenstraat, Amsterdam, 1967), cette devanture de bar à Amsterdam dont il est difficile de savoir quand elle a été immortalisée (Des adolescents au look des années 50 devant leur café favori, Amsterdam, 1983) ou ce couple japonais saisi en plein ébat (1974).

    Ed van der Elsken, photographe documentaire et humaniste se révèle aussi, au Jeu de Paume, comme un artiste révolutionnaire : "Même si j’éprouve toujours une certaine hésitation à utiliser ce mot, je pense avoir été un artiste toute ma vie, par mes réactions et par l’expression de mes émotions et par la mise en lumière du monde extérieur. Je suis, disons, un artiste caméra pur-sang, ce qui signifie que j’ai toujours développé autant que possible mon équipement, qui me permet de m’attaquer de toujours plus près à la vie."

    La Vie folle, Ed van der Elsken, Jeu de Paume, 13 juin – 24 septembre 2017

    Ed van der Elsken, Beethovenstraat, Amsterdam, 1967. Nederlands Fotomuseum Rotterdam
    © Ed van der Elsken / Ed van der Elsken Estate, courtesy Annet
    Gelink Gallery

    Ed van der Elsken, Rockers, Harajuku, Tokyo, 1984. Nederlands
    Fotomuseum Rotterdam © Ed van der Elsken / Ed van der Elsken Estate

  • Dix ans d’âge métal

    Il n’y a pas destruction sans construction et inversement, nous dit Romain Lienhardt au sujet de sa série intitulée Dix ans d’âge métal.

    Le concept de ces créations plastiques ? Un travail d’appropriations, de déstructurations et de reconstructions à partir d’objets de notre enfance. Les jouets et les souvenirs sont détournés, démontés, remontés, déboîtés, recollés et transformés en fétiches faussement sacrés, ready-made caustiques ou créations surréalistes : un ours en peluche comme sorti d’une poubelle in extremis, des jouets cabossés symbolisant la souffrance de l’enfance, un aquarium où s’agite un requin sur le point de dévorer un Playmobil que l’on vient de lester, un crucifix Big Jim transformé en relique syncrétique ou encore une figurine de Goldorak démembrée. L’enfance de Romain Lienhardt se cristallise en effet autour de figures iconiques détournées, tel ce Dark Vador sanglé sur un banc clouté (Dark Adore).

    Romain Lienhardt transforme les objets les plus innocents en créations provocatrices. Les souvenirs de notre enfance deviennent les symboles de jeunes années plus rudes et violentes qu’on ne l’imagine. Ce sont aussi ces armes faites en Lego, cette maison de poupée devenant un lieu de perdition, ce bilboquet inoffensif transformé en instrument de torture ou encore ces poupées comme martyrisées.

    L’artiste parle encore de l’enfance avec ces poupées désarticulées dans la série Scarecrows, afin "qu'il ne reste du songe / Qu’une marque de sang / Et un épouvantail". Les poupées de l’artiste plasticien deviennent totems et figures taboues : l’assemblage d’une pédale d’embrayage et de boîtes de conserves devient figure anthropomorphique, une petite bonne femme portant coiffe, tenue de ville et sac à main ou bien la pathétique relique représentant un Templier au combat.

    Dans Child Game, Romain Lienhardt utilise la peinture comme moyen d’expression basique, naïf et transgressif. Le pinceau s’affranchit des règles académiques comme le ferait un enfant. La peinture se fait coloriage, grimage et barbouillage. La traditionnelle palette sert à transformer une photographie anodine en création brute ou à créer ex-nihilo des tableaux à la Cy Twombly.

    La photographie est capitale dans le travail de Romain Lienhardt. Grâce à ce médium, l’artiste fait se rencontrer le travail documentaire (Amusement Park) et la création pure, parfois très sombre. Clinical model (Espace Artcore, Paris 2006) nous transporte dans un lieu secret que le tueur en série Dexter n’aurait pas renié : les sujets sont cette fois des mannequins démembrés et réduits à l’état de victimes anonymes.

    La série Figurative frappe par son apparente hétérogénéité. L’artiste y a rassemblé des clichés comme autant de pièces à conviction sur notre époque. S’y côtoient des clichés faussement documentaires (l’enseigne d’une pharmacie semblant "pleurer"), des compositions surréalistes (une chaise an cœur scintillant ou un panneau de signalisation aux signes kabbalistiques), des accumulations à la Arman (des armes) ou des ready-mades inspirées de Marcel Duchamp (pissotières laissées à l’abandon). Cette série a son pendant, Transfigurative, plus engagée et plus noire aussi : portraits ou personnages composés, déstructurés, tatoués, anamorphosés, mis en scène ou "code barrés." Romain Lienhardt se fait plus engagé et particulièrement grinçant avec une revisite de la Joconde en camisole de force et voilée.

    La religion, extrêmement présente chez l’artiste (à l’exemple de Graveyard), est au centre de Night Vision, un triptyque de 2014. Romain Lienhardt s’est intéressé à une crèche située dans un petit village allemand près de Monschau. Le résultat ce sont des scènes moins religieuses que fantastiques : "La nuit, berceau des rêves et des projections imaginaires, permet à ce bestiaire d’exister dans des représentations fantasmagoriques inspirées des œuvres de Giuseppe Arcimboldo ou de Jérôme Bosch" commente-t-il.

    À ces visions sombres, répond le blanc clinique, impersonnel et tout aussi inquiétant de la série Blank. Décors, mobiliers, statues, compositions et installations géométriques sont travaillés avec un soin tout particulier. L’artiste joue avec l’épure, les lumières diaphanes ou les brumes épaisses lorsqu’il compose des paysages oniriques tout droit sortis d’un film de Tim Burton. On cherche en vain un être humain dans ces clichés ; on n’y trouve que chaises vides, lits défaits, nature déserte et studios impersonnels. Et surtout ce blanc, omniprésent. Le titre de cette série peut d’ailleurs rappeler la fameuse page "blank" d’un navigateur Internet n’amenant vers rien.

    C’est le blanc d’une chambre d’hôpital où a gît un moribond que l’on vient d’évacuer vers une morgue. C’est le blanc du studio de photo qui attend la star "condamnée" à être la "cible" d’appareils braqués sur elle tels les fusils d’un peloton d’exécution. Le blanc est celui de ces paysages peuplés de figues fantomatiques ou de décors inquiétants et cliniques : des scènes de plein air aux lumières saturées et comme peuplées d’ectoplasmes ou bien le décorum d’un chef d’état. C’est le blanc surréaliste, mystérieux ne cherchant aussi qu’à être rempli. C’est le blanc du possible, du tout est possible ou du rien n’est possible.

    Le travail de Romain Lienhardt sera exposé à la rentrée prochaine dans le cadre des journées In The Mood For Art, dont Bla Bla Blog sera partenaire.

    http://www.romainlienhardt.com
    © Romain Lienhardt

  • Rodin, l'alchimiste des formes

    Connaissons-nous vraiment Rodin ? Certainement oui pour ses œuvres les plus célèbres – Le Baiser, Le Penseur, Les Bourgeois de Calais ou La Porte de l'Enfer –, pour sa relation tumultueuse et passionnée avec Camille Claudel ou pour ses influences majeures sur la sculpture au XXe siècle. À ce sujet, Victoria Charles rappelle dans le très bel ouvrage qu'est Rodin, La sculpture nue (éd. Eyrolles) la portée artistique du sculpteur de Meudon sur les futurs travaux d’Ossip Zadkine, Pablo Picasso, Aristide Maillol ou encore Constantin Brancusi.

    Le génie de Rodin en fait un personnage majeur de l'art français à travers le monde. Sa carrière n'a pourtant pas été un long fleuve tranquille. L'auteure parle même d'un parcours laborieux. Cet itinéraire a commencé très tôt puisque Rodin, né en 1840, faisait preuve dès l'âge de 14 ans d'une solide aptitude au dessin. Sa formation suit les voies de l'académisme : auprès du sculpteur animalier Antoine-Louis Barye puis dans l'atelier d'Albert-Ernest Carrier-Belleuse, après une série de trois concours d'admission à l’École des Beaux-Arts, tous ratés ! Le jeune homme explore déjà les voies de la modernité, notamment lorsqu'il propose au salon de 1865 le masque de L'Homme au nez cassé (1863). Cette œuvre, dont Rodin était très fier, et qui était le fragment d'une statue cassée, est rejetée par le jury.

    Après avoir traversé l'Europe, le sculpteur se heurte aux critiques d'un milieu dubitatif sur son savoir-faire. Une première médaille en 1880, lors d'un salon, marque le point de départ d'une œuvre marquée par la virtuosité, l'expressivité et le réalisme.

    La reconnaissance officielle vient avec la commande publique de La Porte de l'Enfer, inspirée de La Divine Comédie de Dante. Victoria Charles consacre de nombreuses pages à cette œuvre imposante, influencée par la chapelle Sixtine de Michel-Ange, mais qui s’en démarque grâce à sa modernité inédite pour l'époque.

    La Porte de l'Enfer donne naissance à une sculpture autonome et majeure, Le Baiser (1884), qu'Auguste Rodin destinait au départ à l'imposante commande publique. L'autre œuvre issue de cette Porte est Le Penseur, que l'artiste avait nommé au départ Le Poète car elle était sensée représentée Dante en pleine méditation. Comme pour Le Baiser, Rodin en fait une statue indépendante en 1903.

    Victoria Charles consacre logiquement un chapitre à la relation enflammée entre Rodin et une de ses élèves, déjà géniale, Camille Claudel. Nous sommes en 1882. Elle a 18 ans, il en a 42. Il vit depuis 1864 avec Rose Beuret, qui est devenue très tôt son modèle. Avec Camille Claudel, la passion, la complicité et la reconnaissance mutuelle nourrissent deux géants de la sculpture : "Leur intense liaison agit sur l'art de Rodin, exaltant la mordante et coupable sensualité des figurines modelées pour la Porte de l'Enfer. Il donne à l'amour qui le consume les contours de certains de ses ensembles." L'auteure prend également pour exemple L'Éternel Printemps (1884) ou L'Éternelle Idole (1889). La fin de la relation entre ces deux géants de la sculpture en 1892 continue d'influencer Rodin : L'Adieu (1892), La Pensée (vers 1895) ou le très moderne Sommeil (vers 1890-1894).

    Rodin et les femmes : voilà un sujet à part entière que Victoria Charles n'omet pas de traiter. Hormis cette relation orageuse avec Camille Claudel, il y a le couple, atypique pour l’époque, qu'il forme avec Rose Beuret. Ils ne se marieront que l'année de leur mort, en 1917. La passion de Rodin pour les femmes transparaît dans ses œuvres : "À l'Hôtel Biron, Rodin passe presque tout son temps à dessiner. Dans cette retraite monastique, il se plaît à s'isoler devant la nudité de belles jeunes femmes et à consigner en d'innombrables esquisses au crayon les souples attitudes qu'elles prennent devant lui", écrit à l'époque Paul Gsell. Le sculpteur se permet tout ou presque avec ses modèles, nous apprend Victoria Charles dans le chapitre consacré à ses dessins érotiques  : "Pendant les séances de pose, Rodin demandait à ses modèles de se masturber, et quand elles étaient plusieurs, de s'étreindre, de s'entremêler et de se caresser mutuellement..." Le lecteur découvrira des œuvres picturales méconnues, exceptionnelles et d'une très grande audace. Les corps féminins sont saisis sur le vif, comme des "instantanés." La sensualité et le mouvement dominent ces séries de femmes inlassablement déclinées : aquarelles, collages, "femmes-vases" (1900) ou danseuses asiatiques (1907-1911).

    Les dernières années de Rodin coïncident aussi avec la première guerre mondiale. L’artiste est choquée par les désastres de la Grande Guerre. En raison du climat sombre, après sa mort en 1917 l’État s’oppose à des obsèques nationales : "C’est de cette façon que le plus grand génie du siècle, monument français à lui seul, est enterré par ses amis le 24 novembre 1917 dans le jardin de sa propriété de Meudon, auprès de sa femme." Reste la postérité de l’alchimiste des formes qui : grâce à Rodin, la sculpture vient de faire entrer d’une manière fracassante dans la modernité.

    Victoria Charles, Rodin, La sculpture nue, éd. Eyrolles, 2017, 190 pages
    Exposition "Rodin L’exposition du centenaire",
    au Grand Palais – Galeries nationales, 22 mars - 31 juillet 2017
    R
    odin, de Jacques Doillon, avec Vincent Lindon, France, 2017

  • 500

    Bla Bla Blog vient de publier sa 500ème chronique en moins de trois ans.

    C'est l'occasion de revenir sur  cette aventure éditoriale autant qu'humaine qui a entraîné le bloggeur vers des horizons passionnants. Bla Bla Blog s'est fixé dès le départ un seul principe : la curiosité. Sortir des sentiers battus n'empêche pas de parler de sujets plus classiques. Ni élitiste, ni mainstream, Bla Bla Blog peut aussi bien parler du formidable mais méconnu groupe Carré-Court  que revenir sur David Bowie. Et faire découvrir le travail d'artistes comme Fanny de la Roncière ou la "pétillante" Laura Lambrusco n'empêche pas de parler de Tintin ou de Star Wars.

    Dans les prochaines chroniques, il sera ainsi question de l'étonnante et sulfureuse Stella Tanagra mais aussi du groupe Edgär, d'Oren Lavie que le public français commence à découvrir, ou encore de la série Versailles (à paraître samedi prochain).

    Et Bla Bla Blog sera également partenaire du deuxième épisode de l'événement parisien In The Mood For Art, Panic room/Art, en septembre prochain.

  • Qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre ?

    Voilà une question excellente, pertinente mais diablement ardue. Pourquoi est-ce un chef-d’œuvre ? (éd. de Noyelles) propose de répondre à cette interrogation en analysant 160 créations (80 tableaux et sculptures et 80 photographies) de toutes époques et de tout pays.

    Les auteurs, Andy Pankurst, Lucinda Hawsley (pour les peintures et sculptures) et Val Williams (pour les photographies) proposent de zoomer sur des œuvres exceptionnelles, des peintures de Lascaux aux portraits de Nan Golding (Nan and Brian in Bed, 1983), en passant par quelques joyaux de la Renaissance, les sérigraphies d’Andy Warhol ou les reportages photo d’Henri Cartier-Bresson.

    Il faut d’abord saluer le talent de synthèse des auteurs. En deux pages, dont une consacrée à la reproduction du chef-d’œuvre, les critiques expliquent en quelques mots les circonstances de ces créations, leurs caractéristiques exceptionnelles et y ajoutent une citation ainsi que des références d’autres œuvres similaires.

    Cette compilation en deux volumes et 448 pages, le choix a été fait de préférer une classification thématique à un découpage purement chronologique. Les ouvrages sont divisés en sections brèves et équilibrées : "expression", "beauté", "forme", mouvement", "drame", "histoire" ou insolite".

    Le lecteur retrouvera de nombreuses œuvres archiconnues (Le Radeau de la Méduse, La Joconde ou La Mère migrante de Dorothea Lange). Elles sont décryptées pour en capturer l’essence de ce qui fait d’elles des créations inédites et exceptionnelles. Mais ce très beau coffret renferme également des peintures et sculptures moins célèbres mais tout autant incroyables, bouleversantes ou révolutionnaires : l’étonnant autoportrait à l’âge de 13 ans d’Albrecht Dürer (1484), la gravure d’Hokusai, Le Rêve de la Femme à la Perle (1814), dont la puissance érotique et fantastique n’a rien perdu de sa force ou L’Étude d’un tronc d’Orme de John Constable (v. 1821), au réalisme bluffant.

    On peut saluer le choix des éditions de Noyelles de consacrer un volume entier de son coffret à l’apport de la photographie, omniprésente dans nos vies, mais pourtant si mal connue. Dans son introduction, Val Williams insiste sur la manière dont la photo a bouleversé notre vision du monde. Reportages d’actualités (Ernst Haas, série "Homecoming prisoners, Vienna", 1947), captations documentaires (Esko Männikkö, Kuivaniemi, 1991), témoignages sociologiques ou historiques (Lewis Hine, Sadie Pfeifer, fileuse de coton, Lancaster, Caroline du Sud, 1908), images de mode (Derek Ridgers, Helena, Sloane Square, 1982), créations autofictionnelles (Cindy Sherman) ou expérimentations à visées esthétiques (George Hoyningen-Huene, Plongeurs, 1930) invitent le lecteur à s’immerger dans des chefs d’œuvres photographiques inoubliables.

    Impossible de rester insensible devant les regards tendus de ce couple de teddy boys des années 70 (Chris Steele-Perkins, série "The Teds", 1976), de ne pas admirer la dignité de ce maçon allemand des années 20 (August Sanders, Hendlanger, 1928), de ne pas être hypnotisé par le profil de Lee Miller par Man Ray (1929), de ne pas frémir devant cette scène de guerre au Vietnam immortalisée par Larry Burrows (1966) ou de ne pas être troublé par l’apparition irréelle de cette baigneuse polonaise photographiée par Rineke Dijkstra (Kolobrzeg, Poland, 1992).

    Les auteurs de ce double volume ont réalisé un travail de vulgarisation nécessaire qui invite à la curiosité, avec intelligence et pertinence. C’est à la fois peu et énorme.

    Andy Pankurst, Lucinda Hawsley et Val Williams, Pourquoi est-ce un Chef-d’œuvre ?,
    éd. de Noyelles, deux volumes, 224 p. chacun, 2016
    "Baigneuse sortant des eaux"

  • Politique cosmique

    Au centre d’art contemporain des Tanneries à Amilly, l’exposition "L’éternité par les astres" propose au spectateur une immersion à la fois poétique, politique et cosmique, sous le regard d’Auguste Blanqui. Ce théoricien révolutionnaire est notamment l’auteur d’un ouvrage astronomique, L’Éternité par les Astres, écrit en 1871 lors de sa réclusion au château du Taureau dans le Finistère, après la Commune de Paris. C’est ce livre, une réflexion sur l’immensité de l’univers et sur l’intuition d’autres possibilités de vies biologiques et sociétales, qui est le fil conducteur d’une exposition comme hors du temps.

    Léa Bismuth, la commissaire d’exposition, a imaginé un parcours scientifique, artistique et cosmique pour faire écho à l’utopique Auguste Blanqui, présent grâce à un portrait (Jérôme Zonder, L’enfermé, 2017) et à plusieurs de ses citations.

    L’exposition des Tanneries, visible jusqu’au 27 août 2017, fait se télescoper des arts aussi différents que la photo, l’installation, la vidéo, la sculpture ou les textes révolutionnaires de Blanqui pour cheminer dans la pensée du révolutionnaire socialiste - aussi goûter à un peu d’éternité cosmique.

    Après le film de Rebecca Digne, Épure (2015), le spectateur traverse la verrière lumineuse des Tanneries. Il navigue au cœur des installations Vecteur d’Edouard Wolton (2017) et Astérisme (2014-2017) de Charlotte Charbonnel, une œuvre illustrée par le son des étoiles du Dr Jon M. Jenkins d’après la Mission Keppler de la NASA.

    Après cette entrée en matière dans un jour lumineux, le spectateur entre dans l’espace clos et sombre de ce qui constitue le cœur de l’exposition. Les yeux doivent s’habituer quelques instants à l’obscurité avant de s’immerger, comme au cinéma, dans le récit cosmique et révolutionnaire de Blanqui. Après le visionnage du film de Guy Debord, In girum imus nocte et consumimur igni (palindrome latin signifiant : "Nous tournons dans la nuit et sommes consumés par le feu", 1978), l’apaisement vient dans l’espace suivant, grâce aux captations numériques de Juliette Agnel (Nocturnes 2017).

    C’est une promenade nocturne autant qu’une conversation intemporelle qui conduit le spectateur d’espaces en espaces : l’installation sobre et puissante d’un végétal en suspension (Marie-Luce Nadal, Le Vain des Grâces, fragment d’une vendange, 2017), vidéos (Louis Hervé et Chloé Mallet, Spectacles sans objet, 2016), photographies, documentaires (Juliette Agnel, Quatre jours dans le chantier des Halles, 2011 et Rebecca Digne, Rouge, 2014), performances filmées (Mel O’Callagan, Ensemble, 2013), expositions d’objets et vitrines mêlant science et poésie (Edouard Wolton).

    Cosmologie et politique sont étroitement liés dans une exposition qui va comme un gant à l’espace à la fois austère et spectaculaire des Tanneries. Le révolutionnaire de 1871 Auguste Blanqui voit son œuvre se poursuivre à Amilly. Elle interroge encore le spectateur de 2017 au sujet de la place de l’homme perdu dans les constellations. Inlassable, et souvent vainement, nous traçons son chemin au milieu de la nature. Nous balafrons le monde géologique (Quatre jours dans le chantier des Halles), nous transformons notre environnement (agriculture, industries). Nous nous imprégnons aussi de cette éternité proposée par l’univers, au point de lancer un appel à ces autres vies extra-terrestres dont l’ancien révolté de la Commune avait eu l’intuition (Astérisme). Voilà qui en fait un personnage d’une grande modernité, comme nous le rappelle une citation du Parti imaginaire : "Blanqui n’est pas un personnage historique, détrompez-vous. Il ne nous revient pas comme un fantôme du XIXe siècle, sauf à considérer qu’un siècle puisse traverser les âges. Blanqui est d’hier, d’aujourd’hui, de demain."

    "L’éternité par les astres", Les Tanneries, Amilly (45), du 22 avril au 27 août 2017,
    du mercredi au dimanche, de 14H30 à 18H, entrée libre

    http://www.lestanneries.fr

    Louise Hervé et Chloé Maillet, Spectacles sans objet, 2016
    diapositives argentiques, film, super 8 et vidéo sur HD
    Courtesy galerie Marcelle Alix, Paris

  • Dans les villes de grande solitude

    Bien entendu, Fanny de la Roncière ce sont d'abord ces petites nanas à la Pénélope Bagieu, que ce soit cette Bretonne joyeusement déshabillée sous une pluie iroise, ces bandes de copines désœuvrées ou bien ces trentenaires nonchalantes croquées avec humour. Tous ces personnages tendres et attachants sont à découvrir sur le site de l'artiste.

    Mais Fanny de la Roncière excelle surtout dans un autre genre, tout aussi graphique mais dans un style diamétralement opposé : les villes.

    Les cités que l’artiste "arrache" à son imagination ne sont pas de simples collages comme le spectateur pourrait le penser de prime abord. Fanny de la Roncière utilise des techniques mixtes où intervient une part de hasard.

    Sur des panneaux en bois recyclés, l’artiste imprime des pages de magazines ou de journaux. Le résultat de ces impressions aléatoires servent de point de départ à son minutieux travail sur ces "arrachés." Fanny de la Roncière passe à la phase graphique pour faire sortir du chaos visuel des formes, des visages, des personnages et surtout des cités imaginaires, souvent en friches et désertes. "Éloignez-vous, tout se brouille, tout s'aplatit et disparaît, approchez-vous, tout se recrée et se reproduit" disait Diderot, une citation que la plasticienne aime rappeler.

    Il n’est pas anodin de préciser que l’artiste a vécu plusieurs années en Espagne, à l’époque où la crise économique et immobilière a mis au grand jour des villes abandonnées. Fanny de la Roncière exposera par la suite à Bruxelles dans le cadre de la manifestation "Viens dans ma ville" (2009). 

    Le spectateur est happé par la richesse de ces acryliques aux teintes sépia. Dans ces décors urbains à la fois baroques et fragiles surgissent des visages et des personnages désœuvrés, comme surgis de nulle part et allant on ne sait trop où : ici, derrière un building rouge, une mondaine trinque au-dessus d'un autre convive, goguenard (Au-delà des Rêves) ; là, une femme aux traits orientaux et aux lèvres bleus est représentée tête en bas dans un décor déstructuré mêlant influences cubistes et mer moutonneuse à la Hokusai (La Vie dans quel Sens) ; là encore, un groupe de voyageuses sillonne un paysage surréaliste et inquiétant à la Philippe Druillet (Le Souvenir Vignette). L’influence graphique de la bande dessinée est d'ailleurs évidente : lignes claires, traits appuyés, personnages expressifs. Moebius ou Paul Gillon (tous deux auteurs de science-fiction révolutionnaires et graphistes géniaux) font partie des références que le spectateur – et le bloggeur en premier lieu – pourra mentionner. Sans nier ces apports, Fanny de la Roncière cite plus volontiers François Schuiten et Benoît Peeters pour leur œuvre la plus célèbre, Les Cités obscures.

    Il est encore question de mégalopoles dans la série des "Reflets" : des villes poussent, s'élèvent, tourbillonnent (La Nuit je mens, 2016) et semblent vouloir prendre leur liberté (Lame de Fond, 2016) dans des créations graphiques à la fois graphiques et jouant sur une fausse symétrie.

    Fanny de la Roncière aime à travailler sur des objets récupérés. Ce fut, au début de sa carrière, des sachets de thé savamment agencées et d'une grande élégance. Plus tard, l'artiste s'est intéressé aux sous-bocks, créant pièce après pièce, des mosaïques mêlant constructions géométriques et coulées de peintures aléatoires (FDL 100).

    Une de ses dernières séries pourraient bien lui valoir l'attention d'un public beaucoup plus large. Fanny de la Roncière a choisi comme support de création inédit... des enjoliveurs de voiture. Le résultat final convaincra les plus réticents. Ces objets adorés par les fans de tuning deviennent, sous les mains d'une artiste attachante, des joyaux artistiques : villes futuristes aux buildings fins comme des aiguilles, poissons stylisés s'ébrouant joyeusement ou bien décors géométriques archaïsant. La plasticienne expose pour l'instant ces géniaux enjoliveurs, beaux à couper le souffle... en espérant les voir un jour adoptés par des férus d'automobiles ?

    Fanny de la Roncière est à découvrir dans le cadre de la journée In The Mood For Art, au Kiss Keys, le samedi 25 mars 2017.

    www.fannydelaronciere.com
    Instagram de Fanny de la Roncière
    In The Mood for Art
    Samedi 25 mars 2017, de 13H à 23H30
     Au Kiss Keys, 37 bis rue du Colisée Paris 8eme
    Inscription obligatoire
    Métro : saint Philippe du Roule
    http://www.cherry-gallery.fr

    © Fanny de la Roncière