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Bandes dessinées et mangas - Page 13

  • L’expérience Jimi Hendrix en concept album

    Comment évoquer en images et en BD Jimi Hendrix ? Comment rendre sa mesure à une carrière fulgurante et à bien des égards révolutionnaire ? Car on a tendance à oublier que la carrière du guitariste et chanteur américain n’a duré que quatre années, au sein de son groupe The Jimi Hendrix Experience.

    Mattia Colombara (au scénario) et Gianluca Maconi (au dessin) proposent dans Jimi Hendrix-Requiem électrique un biopic sous forme de bande dessinée qui condense en 144 planches la vie de l’artiste né en 1942 à Détroit et mort à 27 ans après une surconsommation d’alcool et de calmants. Trop court sans doute pour développer tous les aspects de sa vie, mais suffisamment documenté pour proposer un récit qui a vocation à être "universel", comme le disent les auteurs. Les fans de Jimi Hendrix adoreront et les autres se passionneront pour la découverte ou redécouverte de celui qui est considéré comme l’un des plus grands musiciens et guitaristes du XXe siècle.

    Le lecteur replonge dans la vie brève mais passionnante d’un afro-américain, marqué par une vie familiale compliquée (il ne rencontre son père qu’à trois ans, après la démobilisation de celui-ci et la fin de la seconde guerre mondiale) et la découverte de la guitare à l’âge de quinze ans, qu’il apprend quasiment seul. Son début de carrière est chaotique : maigres cachets, petits clubs et groupes plus ou moins obscurs. Il finit par côtoyer quelques grands noms, avec plus ou moins de bonheur : Ike et Tina Turner, Little Richard ou Sam Cooke. Sa rencontre avec la mannequin Linda Keith lui permet d’approcher Chas Chandler, le bassiste des Animals, qui lui ouvre bien des portes.

    Une carrière marquée par la ségrégation et le racisme

    La suite, se sont d’autres rencontres – les Beatles, Paul McCartney et surtout Eric Clapton – mais surtout des concerts qui vont entrer dans les annales : les premières parties des concerts de Johnny Hallyday en 1966, le festival de Monterrey en 1967, Woodstock un an plus tard et l’Île de Wight l’année de sa mort, durant l’été 1970.

    Les auteurs ont choisi de s’approprier le nom du groupe du guitariste, pour proposer "un livre qui joue avec les règles de la bande dessinée comme Jimi jouait avec les structures musicales." Trois parties constituent cet album "concept", avec une introduction, un intermède (qui est aussi un hommage au 2001 : L’Odyssée de l’Espace de Kubrick) et un épilogue. Chacune des trois parties regroupe trois chapitres consacrés à des chansons de Hendrix : Woodoo Chile, Crosstown Traffic, Burning Of The Midnight Lamp, Castle Made Odf Sand, Fire, All Allong The Watchtower, Machine Gun, Hear My Train Coming et Woodoo Child (Slight Return). De ce point de vue, la lecture des notes des auteurs en toute de livre est intéressante pour comprendre leur démarche artistique. Au passage, l’ouvrage dépeint sans l’enjoliver cette période extrêmement riche, sans gommer ses travers : drogues, producteurs sans état d’âme et discrimination.

    Graphiquement, Gianluca Maconi a fait le choix du noir et blanc pour leur Jimi Hendrix-Requiem électrique. Un choix compréhensible, dans la mesure où la carrière de Hendrix a été marquée par la ségrégation et le racisme, y compris lorsque le chanteur était au sommet de sa gloire. Lors d’une interview, les auteurs lui font dire ce cruel constat : "Les blancs dansaient et s’amusaient en nous écoutant… Mais lorsque la musique s’arrêtait, on redevenait des déchets." Le message est poignant et renvoie bien entendu à une réalité toujours d’actualité. Il reste aujourd’hui son œuvre musicale exceptionnelle… et quelle guitare !

    Mattia Colombara & Gianluca Maconi, Jimi Hendrix-Requiem électrique
    éd. Graph Zeppelin, 2020, 144 p.

    https://www.facebook.com/GraphZeppelin
    https://www.jimihendrix.com/fr/biographie

    Voir aussi : "Clatpton, toujours debout"

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  • Furieux kurofune

    Cela fait longtemps que le manga a su gagné ses lettres de noblesse bien au-delà du Japon. S’essayant à tous les genres, les mangakas ont aussi investi le domaine de l’histoire : la preuve avec Funestes Vaisseaux du scénariste Wilson Michel Sean et de la dessinatrice Akiko Shimojima.

    L’histoire racontée dans cette bande dessinée, à la facture plutôt classique dans son découpage comme dans son dessin, raconte une période peu connue sous nos contrées : celle de la crise de l’époque Edo, dont l’un des épisodes les plus emblématiques fut la pression des Occidentaux, bien décidés à réitérer le même coup de force qu’ils avaient accomplis en Chine (les deux Guerres de l’Opium et le traité de Nankin). L’Asie est un territoire immense qui aiguise l’appétit des Russes, des Britanniques, des Néerlandais, des Français mais aussi des États-Unis, qui ne sont pas encore la grande puissance qu’ils seront quelques décennies plus tard, mais qu’ils aspirent à devenir : car tel est bien l’enjeu de cet épisode qui va traumatiser le Japon, autant qu’il va permettre de consolider une identité commune.

    En mai 1853, le contre-amiral américain Perry arrive avec trois navires au large des îles Ryuku. Ces "funestes bateaux noirs" ("kurofune") vont bientôt devenir l’obsession des Shoguns au pouvoir ? Perry est chargé par le Président américain Franklin Pierce d’exiger des droits commerciaux et l’installation de mandats commerciaux au cœur du Japon.

    Des conséquences incommensurables

    La jeune nation a des ambitions géopolitiques très gourmandes, et entend bien asseoir sa position, au détriment d’un pays, le Japon, d’autant plus tétanisé par l’agressivité du militaire que le pays est resté replié sur lui-même depuis deux siècles. Seul le port de Nagasaki est ouvert au commerce étranger. Dans ce contexte favorable pour lui et son pays, Perry menace de prendre de force la capitale Edo – future Tokyo. Bientôt, les trois navires arrivent dans la baie de la capitale japonaise. La période d’intimidation commence vraiment, et elle aura des conséquences incommensurables.

    Wilson Michel Sean (The Garden, The Minamata Story) et Akiko Shimojima (Les 47 Ronins, Les Secrets du Ninja) retracent un an d’un épisode important dans l’histoire du pays du Soleil Levant. Un gros travail de documentation autant que de scénarisation permet d’avoir ce manga à la fois passionnant, vivant et accessible. Akiko Shimojima électrise le récit grâce à un découpage des cases très cinématographique. Les traits des personnages sont expressifs et un soin particulier est donné aux décors et aux bateaux.

    Funestes vaisseaux se veut aussi une introduction au Crépuscule des Samouraïs, autre volume de cette collection consacrée à l’histoire du Japon en manga.

    Wilson Michel Sean & Akiko Shimojima, Funestes vaisseaux, éd. Graph Zeppelin, 2020, 192 p.
    https://seanmichaelwilson.weebly.com
    http://akiko2010.blogspot.com
    https://www.facebook.com/GraphZeppelin
    http://www.tabou-editions.com

    Voir aussi : "Merveilleuses artilleuses"

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  • Lire Astérix

    astérix,uderzo,gosciny,lire,hors-sérieC’est une bonne idée que propose le magazine Lire de ce mois avec son hors-série en hommage à Albert Uderzo, décédé il y a quelques semaines. Pour élaborer en un temps record ce numéro spécial Astérix, la rédaction a choisi de mettre à jour une version "allégée" d’un précédent hors-série sorti en 2004.

    Les fans d’Astérix peuvent y trouver en ouverture une chronologie, qui commence en 50 avant J.-C., lorsque "toute la Gaule est occupée par les Romains… Toutes ? Non !" Mais vous connaissez la suite... Il est également rappelé que le premier tome de la plus célèbre saga de la BD française est sorti en 1961 à 6 000 exemplaires seulement, bien loin donc des 2 millions du dernier en date, La Fille de Vercingétorix.

    Disparu en pleine pandémie – mais pas du coronavirus – Uderzo laisse derrière lui une immense tristesse mais aussi un héritage incommensurable, qu’il a accepté, au contraire d'Hergé pour Tintin, de voir survivre après sa mort.

    La question de la pérennité d’Astérix est du reste évoquée par le dessinateur lui-même lors d’une interview à François Busnel en 2004, interview reproduite dans ce hors-série.

    Le succès du Grand Fossé permet à Astérix de survivre au décès du scénariste

    Il y évoque la mort de son ami et scénariste René Goscinny en 1977, l’autre papa du célèbre Gaulois. À l’époque, l’album Astérix chez les Belges est terminé mais pas encore sorti. Lorsqu’il évoque cette période, le dessinateur ne manque pas d’envoyer quelques scuds bien sentis en direction de Dargaud, leur éditeur d’origine. Goscinny, le scénariste génial disparu, c'est Uderzo qui doit reprendre seul leur saga, à la fois pour les dessins et pour le texte, "ce qui me terrorisait" confia Albert Uderzo près de trente ans plus tard. Le succès du Grand Fossé (1980), le premier qu’il créé de A à Z, permet à Astérix de survivre au décès du scénariste qui l’a imaginé.

    Goscinny justement n’est pas oublié par le magazine Lire, qui reproduit un article du légendaire scénariste. ce dernier revient sur "le phénomène Astérix." Il y parle de la genèse de la saga, du succès comme sur de ses relations autant professionnelle qu’amicale avec Uderzo. Non sans malice, le co-créateur raconte dans une conférence faite en mai 1967, que le plus difficile pour eux avec le succès de leur saga était d’être invités à des soirées privées au cours desquels on leur servait du sanglier…

    Le lecteur s’arrêtera avec le plus grand intérêt sur une série de zooms consacrés aux plus importants albums d’Astérix, dont La Serpe d’Or, Astérix et les Goths ou Le Domaine des Dieux.

    Et maintenant ? Outre le parc d'attraction et les adaptations cinéma qui ont encore de beaux jours devant eux, la vie d’Astérix a été confiée, depuis 2013 et Astérix ches les Pictes, au duo Jean-Yves Ferri pour le scénario et Didier Conrad pour le dessin, avec la bénédiction d’Uderzo lui-même, et après d’exigeants tests. La destinée du plus célèbre des Gaulois méritais bien cela.

    "L’histoire secrète d’Astérix", hors-série Lire, mai-juin 2020
    https://www.lire.fr
    https://www.asterix.com

    Voir aussi : "La BnF rend hommage à Albert Uderzo"

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  • Merveilleuses artilleuses

    C’est un Paris littéralement fantastique qui sert de décor à Pierre Pevel pour le premier tome de la bande dessinée Les Artilleuses (éditions Drakoo) dont il a écrit le scénario.

    L’écrivain avait déjà fait de ce Paris des Merveilles une saga, cette fois en roman (Les Enchantements d’Ambremer en 2003, suivi de L’Elixir de l’oubli en 2004). Il parlait de la ville qu’il a créé de toute pièce en ces termes : "Imaginez des nuées d'oiseaux multicolores nichées parmi les gargouilles de Notre-Dame… Imaginez des sirènes dans la Seine ; imaginez une ondine pour chaque fontaine, une dryade pour chaque square… Imaginez le bois de Vincennes peuplé de farfadets sous les dolmens ; imaginez, au comptoir des bistrots, des gnomes en bras de chemises, la casquette de guingois et le mégot sur l'oreille… Imaginez de minuscules dragons bigarrés chassant les insectes au ras des pelouses du Luxembourg et happant au vol les cristaux de soufre que leur jettent les enfants… Imaginez une licorne dans le parc des Buttes-Chaumont ; imaginez la Reine des Fées allant à l'opéra dans une Rolls-Royce Silver Gost…" (Le Paris des Merveilles, Les Enchantements d'Ambremer). Pour en savoir plus sur Pierre Pevel, rendez-vous sur le site Fantasy à la Carte.

    C’est dans cette ville féerique que se situe le premier tome des Artilleuses. Nous sommes en 1911 dans un Paris steampunk. Kathhryn, Audrey et Louison sont des hors-la-loi recherchées par la police, et en particulier par la brigade des affaires féeriques. L’explication de cette attention toute particulière des autorités ? Parmi ces artilleuses figure une magicienne, une fée… et une morte. Dans le tome 1, mis en image et en couleur par Étienne Willem et Tanja Wenish, nos trois braqueuses dérobent un objet précieux, le sigillaire, pour un commanditaire, le faune Cristofaros.

    Trois pétroleuses

    Sauf que ce qui devait être une affaire juteuse rondement menée devient un piège. Et voilà Kathhryn, Audrey et Louison obligées de fuir, pourchassées tour à tour par une section policière inspirée des Brigades du Tigre, une machine volante que n’aurait pas renié Robur Le Conquérant, un homme mystérieux rôdant autour de la demeure du faune mais aussi les services secrets du IIe Reich et le sanguinaire colonel Eckermann, qui va vite se mettre en selle pour les prochains épisodes. Aidées du vieil Hugo Barillet, les trois héroïnes vont avoir fort à faire pour s’en sortir. Mais on peut leur faire confiance.

    Cette BD, écrite par Pierre Pevel, est sans nul doute un événement qui sera attendu par les fans de fantasy mais aussi de SF steampunk. Cet auteur a aussi fait de l’uchronie l’une de ses marques de fabrique (Les Ombres de Wielstadt, Grand prix de l'Imaginaire 2002 du meilleur roman). Il imagine son histoire dans un Paris fantasmagorique, avec une histoire mêlant science-fiction à la Jules Verne, voleurs (ou plutôt voleuses) dignes d’Arsène Lupin, magie féérique dans une ville qui en a vu bien d'autres et cavalcades que n’aurait pas reniées la bande à Bonnot. Au dessin, Étienne Willem adopte un coup de crayon rapide, faisant le choix de ne pas appuyer sur la féerie pour préférer l’action, mais aussi le sex-appeal de trois pétroleuses que l’on aura plaisir à suivre pour connaître le dénouement de leur aventure.

    Pierre Pevel, Étienne Willem et Tanja Wenish ; Les Artilleuses,
    Le vol de la sigillaire
    , tome 1, éd. Drakoo, 2020, 48 p.
    https://www.drakoo.fr/les-artilleuses

    Voir aussi : "Pierre Pevel", Fantasy à la carte

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  • Aung San Suu Kyi et les bouddhistes extrémistes

    Carnet de voyage autant qu’enquête d’investigation sur la Birmanie, l’ouvrage de Frédéric Debomy et Benoît Guillaume, Aung San Suu Kyi, Rohingya et extrémistes bouddhistes, (éd. Massot) jette un coup de projecteur sans concession sur l’un des pays les plus fermés d’Asie du Sud-Est et sur l’une des figures les plus mystérieuses de la politique internationale. Les 30 premières pages de ette BD ont paru dans le numéro d'automne 2018 de la revue XXI, sous le titre : La haine des cieux.

    Comme le rappellent les deux reporters français, il n’y a pas si longtemps que cela, Aung San suu Kyi, la fille du Père de l’indépendance birmane, était une dissidente vénérée, récompensée d’un Prix Nobel de la Paix (en 1991) dans un pays sous le joug de l’armée. Réhabilitée par ceux-là même qu’elle combattait, elle devient députée en 2012, puis Présidente trois ans plus tard.

    Mais ce qui devait être un renouveau démocratique et pacifique se révèle rapidement décevant. Et la clé de cette déception réside sans doute autant dans la place de l’institution militaire, toujours puissante, que dans celle des Bouddhistes extrémistes : "Avant les émeutes [en 2013], les moines prêchaient l'amour entre les communautés. Maintenant il y a certains moines qui font partie de Ma Ba Tha, même si ce n'est pas le cas de tous." Ma Ba Tha est un mouvement extrémiste bouddhiste dont le bonze Wirathu est la figure la plus connue. Ces moines se disent "nationalistes".

    Parmi les ennemis désignés de ces bouddhistes extrémistes figurent les musulmans, dont ceux de l’ethnie des Rohingya ("des bouddhistes essayaient de monter les leurs contre les musulmans"). "Wirathu est un moine influent. Au point d'avoir été surnommé « le visage de la terreur bouddhiste » par le magazine Time," est-il écrit dans la bande dessinée d’investigation.

    Frédéric Debomy et Benoît Guillaume parcourent le pays pour rencontrer dissidents, victimes, défenseurs des droits de l’homme et membres d’ONG qui, tous, à leur manière, parlent de la situation explosive dans un pays riche de plus de 130 ethnies. Et aux différences ethniques vient se confondre les différences religieuses, ce qui complique tout dans ce pays soumisà toutes les violences.

    La question de la nationalité, du fédéralisme – qui serait logique dans un État pourtant très centralisé – et de la manière dans des groupes manipulent la société, est au centre de l’enquête. Elle est mise en images et en couleurs avec une économie de moyens, comme si elle était guidée par l’urgence. Ce qui rend le livre d’autant plus passionnant.

    "Une dictatrice démocratiquement élue"

    Un musulman birman résume toutes les tensions que vivent son pays : "Ce qui n'existait pas avant, c'est que si je perds ma carte d'identité et que j'en demande une nouvelle, il n'y aura plus écrit « Bamar » [l'ethnie birmane] et « musulman » comme sur l'actuelle, mais « Indien » ou « Bengali » et « musulman ». On fait de nous des étrangers." "Les moines sont les marionnettes de l'armée" commente encore un des reporters. Des "marionnettes" qui manipulent à leur tour une population d’autant plus perméable aux discours intolérants qu’ils ont été facilités par des décennies de dictature.

    Les droits de l’homme ont encore un long chemin à faire en Birmanie. Un dissident d’origine musulman a une réflexion éloquente : "Il y a un problème de traduction aussi : les « droits » de « droits de l’homme » se traduit en birman par « opportunités »… Les gens se disent : « Pourquoi donnerait-on des opportunités particulières aux musulmans ?" No comment.

    Et c’est là qu’on en vient à Aung San Suu Kyi, l’ancienne dissidente et défenseuse des droits de l’homme. Comment cette Présidente a pu décevoir à ce point ? C’est "une dictatrice démocratiquement élue" assène Thet Swe Win, une des figures politiques de la jeune génération.

    Les journalistes français esquissent des explications au laisser-faire d’Aung San Suu Kyi, prise en tenaille entre l’armée birmane, les extrémistes bouddhistes et ses anciens soutiens frustrés par son inaction après les exactions contre les Rohingya. Peut-on la taxer de femme hautaine, trop prudente ou influencée par Wirathu et ses sbires ? Une chose est sûre : l’ancienne dissidente auréolée d’un Prix Nobel de la Paix a laissé de côté ses anciens soutiens comme les organisations de la société civile. Les plus magnanimes diront qu’elle "sacrifie sa dignité [pour le pays]", les autres qu’elle est une politicienne nationaliste et refusant toute critique. Elle "s’enferme dans un tête à tête avec l’armée", comme si son parti, la LND, n’avait besoin de personne. Et pendant ce temps là, les Birmans, et en particulier les femmes birmanes, souffrent.

    On n'a pas fini d'entendre reparler de la Birmanie, hélas. 

    Frédéric Debomy et Benoît Guillaume,
    Aung San Suu Kyi, Rohingya et extrémistes bouddhistes,
    Massot Editions. 2020, 103 p.

    https://massot.com/auteurs/frederic-debomy

    Voir aussi : "Habibi, mon amour"

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  • Visages de la peur

    Transgressif, non seulement le magazine d’art contemporain White Rabbit l’est, mais il le revendique jusque sur sa page de couverture. Nicolas Le Bault, dont il a été question à plusieurs reprises sur Bla Bla Blog, est aux manettes d’un projet artistique et éditorial passionnant.

    White Rabbit est non seulement le titre d’un magazine dont les signatures se sont enrichies depuis le premier numéro (nous en sommes au troisième), mais aussi une "créature" comme le déclare Nicolas Le Bault. Un personnage bien inquiétant en vérité, au sexe indéterminé, portant des oreilles de lapin et surtout des stigmates : rien de tel pour "angoisser l’univers"... Cette créature a pour caractéristique "[d'ignorer] la frontière entre le bien et le mal. Elle est le mal." Nous voilà prévenus que nous allons être secoués.

    Revue underground, White Rabbit Dream ne se donne pas de limite pour traquer les cauchemars (Sandra Martagex), les traumatismes de l’enfance (Nicolas Le Bault), des scènes oniriques (Angela Dalinger) et les peurs de toute sorte : bandes dessinées (Marie-Pierre Brunel, Mike Diana), compositions graphiques (Sarah Barthe, Aline Zalko, Céline Guichard), peintures (les magnifiques planches d’Anne Van Der Linden) et trois textes proposent une lecture forcément subjective d’un des sentiments humains les plus universellement partagés.

    Le lecteur passe d’histoires monstrueuses et cathartiques (L’Intruse ou Le Chien qui sourit de Nicolas Le Bault) à de véritables chocs visuels (Céline Guichard et ses compositions dessin-photo ou les personnages cauchemardesques de Cendres Lavy et Aleksandra Waliszewska), laissant à chacun le soin d’interpréter des histoires sans paroles : ce sont ces planches sombres et magnifiques de Daisuke Ichiba, peuplés d’êtres inquiétants, sur des planches où le deuil se mêle aux traumatismes de toute sorte et au sexe.

    De véritables chocs visuels

    Restons en Asie avec les magnifiques peintures oniriques de Kazuhiro Hori, dans lesquelles de jeunes écolières japonaises sont entre les griffes d’inquiétants monstres en peluche rose, représentations psychanalytiques de mondes fantastiques rêvés.

    White Rabbit Dream regorge de créations graphiques frappantes, à l’instar de celles d’Helge Reumann, à la limite de l’abstraction, aux anges déchus LGBT de Twotm Land ou de ces effrayants astres aux visages de poupons terrifiants imaginés par Sara Birns.

    Trois textes viennent ponctuer une revue essentiellement graphique. Le premier de ces textes est de Dany-Robert Dufour (Il était une fois le dernier homme). L’auteur parle de la peur – bien entendu – et des moyens de s’en protéger :"Creuser un vide sanitaire ou édifier une grande muraille entre le monde et moi." Au risque d’en finir asphyxié et de se perdre complètement.

    Le deuxième texte, de Frederika Abbate, Terreur versus Peur, est, comme l’indique le sous-titre : une "réhabilitation de la peur." Ce comportement humain est plus que nécessaire : vitale, comme le martèle avec pertinence l’auteure. Oui, "nous vivons sur les ruines de la peur", mais "en vérité, les gens font semblant d’avoir peur. Mais ils n’ont pas peur… Cette peur ne détecte plus le danger un, indivisible, la menace véritable…" : Nous avons "peur de tout et de son contraire," jusqu’à nous entraîner dans "le vilain sommeil de la terreur." Un texte qui n’a de cesse de nous interroger sur nos postures d’hommes et de femmes en 2020.

    Stéphane Rengeval, est au dessin dans de superbes planches au noir et blanc puissant mais aussi à la plume pour un troisième texte. Il y parle de l’autre, de la distance que l’on met face au monde et de la recherche d’une certaine pureté et "sagesse" dans le repli. Cet effacement volontaire ("Entre un être et un autre, il y a un abîme, une discontinuité") met à bas la confiance envers l’autre et a une autre conséquence : "la peur n’existait que dans la distance que j’entretenais avec la réalité ! Autrement dit, la peur occupe l’espace que je lui donne."

    La peur c’est moi, et rien d’autre.

    White Rabbit Dream, La Peur, vol. 3, mars 2020
    https://whiterabbitprod.bigcartel.com
    http://www.nicolaslebault.com

    Voir aussi : "White Rabbit Dream, transgressif et sensible"

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    © Nicolas Le Bault
    © White Rabbit Dream

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  • Dessine-moi un strip

    En cette période très particulière, une initiative de la Cité Internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême s’avère particulièrement la bienvenue. Depuis le 6 avril, en partenariat avec le ministère de la Culture et le Centre national du livre (CNL), la CIBDI d’Angoulême propose aux Français de se mettre au dessin et à la BD grâce à l’opération "Toute la France Dessine !" Une opération qui s’inscrit dans le cadre de l’année de la bande dessinée.

    Les ambitions de la vénérable institution ? Rien de moins que "développer une meilleure connaissance de la BD et de ses codes tout en valorisant les pratiques amateurs."

    Chaque semaine, un strip de quatre cases sera mis en ligne sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Twitter et Youtube) avec le hashtag #ToutelaFranceDessine. Les deux premières cases seront dessinées par un auteur ou une autrice de BD. Elles constitueront le début d'une histoire qu'il s'agira de poursuivre en dessinant les cases vierges. Et ce sont les internautes qui s’en chargeront… Les participants auront juste à partager leurs créations sur les réseaux sociaux en mentionnant le hashtag #Toutelafrancedessine et en taggant le compte @2020annéeBD pour que l'on ne passe pas à côté de leur strip.

    Les meilleures contributions seront publiée chaque semaine sur les sites et réseaux sociaux partenaires de l’opération et exposée lors du prochain festival d’Angoulême, en janvier 2021.

    Les premiers auteur·e·s de l’opération "Toute la France Dessine !"sont sont Florence Cestac, marraine de l’Année de la Bande Dessinée, Jul, également parrain de l’Année de la bande dessinée et Giorgia Marras, autrice franco-italienne, ancienne résidente de la Maison des Auteurs à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, Angoulême.

    Alors, tous à vos crayons, vos plumes et vos encres de chine : cette période de confinement s'y prête bien. Cette semaine, c'est Jul qui s'y colle.

    "Toute la France Dessine !"
    BD 2020
    https://www.bd2020.culture.gouv.fr/Actualites/toute-la-france-dessine

    Voir aussi : "Attache ta tuque ou le français dans tous ses États"

    Jul ©Jul

  • Étreintes orientales

    les mille et une nuits,bd,contes,érotisme,sexe,favorite,sultan,trif,andrea celestini,claire nyman,tabou,orientalismeIl y a des sagas dont l’ambition laisse pantois, lorsqu’elles ne nous excitent pas à l’idée de ce que donneront les volumes suivants. L’adaptation en bandes dessinées des Mille et une Nuits par Trif (éd. Tabou) en fait partie.

    Les éditions Tabou proposent cette version du classique de la littérature arabe, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il risque de surprendre, pour ne pas dire heurter, pas mal de lecteurs.

    Trif propose en effet une version BD épicée et érotique dans ces histoires légendaires mêlant drames et émois amoureux, jalousies, richesses et pouvoirs, rêves de richesse, mariages idylliques, corps somptueux et étreintes torrides. Vous ajoutez à cela des amants transits, des sultans impitoyables, quelques djinns et des favorites belles comme des déesses et redoutables comme des bataillons et vous aurez une idée de ce que peut proposer les éditions Tabou, spécialisés dans l’érotisme.

    Ce premier volume en BD des Mille et Une Nuits commence, comme il se doit, par une introduction de ces contes légendaires racontés par Shéhérazade. Choisie comme courtisane, le sultan Shahriyar l’a promise à la mort après une seule nuit d’amour, comme toutes les autres épouses qui l’ont précédée. Promise à une mort certaine, Shéhérazade, la propre fille du vizir, n’entend pas être une nouvelle victime de Shahriyar. Lors de sa première (et potentiellement unique) nuit avec lui, elle lui raconte un premier conte, et, au petit matin, lui en promet d’autres aussi merveilleux : mais pour cela, le sultan doit lui laisser la vie sauve pour une nuit supplémentaire.

    Amants transits, sultans impitoyables, quelques djinns et des favorites belles comme des déesses

    La première de ces histoires, La Favorite et le Marchand Ghanim, est tiré du Conte d'Ayyûb le Marchand, de son fils Ghânim et de sa fille Fitna. Ghânim, un marchand de Bagdad, désargenté et seul, mais d’une grande probité, aperçoit un jour une superbe favorite dansant et chantant nue dans l’un des jardins du sultan. Bouleversé, le marchand entend la voir en secret régulièrement, jusqu’au jour où deux hommes enlèvent la jeune femme, la séquestre dans un coffre et l’emmènent dans le désert pour la tuer. Ghânim les suit pour délivrer la belle.

    Le second récit, Les deux Sorcières et le Prince Badr est inspiré de Jullanâr ou Badr Bâsim. Le sultan de Bassora a un fils, le beau et ténébreux Badr. Le vieil homme n’a pas de doute qu’il fera un mariage idéal. Mais l’héritier, naïf et insouciant, a déjà des visées : deux sœurs Giawara et Abdallah. Un soir, Badr décide de surprendre la première, "la plus belle fille de Bassora." Mal lui en prend.

    Ces deux histoires composent le premier volume d’un ouvrage assez classique dans la facture qui n’est pas sans penser à Djinn, la série orientalisante de Jean Dufaux et d'Ana Mirallès. Mais la comparaison s’arrête là, car la sensualité est arrosée d’une bonne dose d’érotisme, avec des courtisanes et des amants – du reste, souvent des sultans, vizirs et autres sémillants héritiers – souvent très déshabillés et succombant à des tentations aux lourdes conséquences.

    Voilà qui revisite Les Mille et Une Nuits d’une manière truculente, et finalement sans trop trahir l’esprit d’une œuvre classique qui ne parle après tout que d’amour.

    Trif, Les Mille et une Nuits, volume 1, Le Parfum de Shéhérazade
    Éd. Tabou, 2020, 48 p.

    Adaptation de Claire Nyman et mise en couleur d’Andrea Celestini
    http://www.tabou-editions.com/

    Voir aussi : "Mon corps est à moi"

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