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On ne va pas se mentir : l’histoire d’Anne Franck n’a jamais été aussi bien traitée que par le film de George Stevens (The Diary of Anne Frank, 1959) et bien entendu par le Journal d’Anne Franck. Le manuscrit de l’adolescente néerlandaise, retrouvé par miracle par son père après la guerre, est par la suite devenue une œuvre majeure de la littérature mondiale, le journal le plus célèbre du monde et aussi une des pierres angulaires de la littérature concentrationnaire.
Le film Anne Frank, ma meilleure amie, proposé par Netflix, est consacré à ce sujet sensible et difficile sous un biais inattendu. Il fallait être culotté pour revenir sur ce récit, ce que Ben Sombogaart et ses deux interprètes principales, Josephine Arendsen et Aiko Mila Beemsterboer, font avec conviction.
Le film est tout d’abord inspiré d’une histoire vraie, celle d’Hannah Goslar, toujours vivante en 2022, qui a été la plus proche amie d’Anne Franck. Adolescentes lorsque les Pays-Bas sont envahis par l’occupant nazi, les deux jeunes juives vivent de plein fouet l’antisémitisme et les rafles qui font rage.
Elles se vouent une amitié solide en dépit de leur caractère opposée : Hannah est réservée, presque effacée, alors qu’Anne, la future auteure du Journal, se montre drôle, prolixe, ambitieuse (elle rêve d’être écrivaine connue et de parcourir le monde), avec parfois des réactions qui laissent son amie désarçonnée.
Ce sont des adolescentes comme il en existe des millions par le monde : l’école, les jeux, les premiers émois, les dragues avec les garçons et les amitiés, tantôt trahies tantôt respectées jusqu’à la mort. Et c’est justement la mort qui rôde autour de ces jeunes filles.
Une amitié exceptionnelle et bouleversante
Anne Frank, ma meilleure amie n’est pas le récit des deux années de clandestinité dans l’Annexe d’Amsterdam où elle et sa famille se sont cachées pour échapper à leur arrestation. Cette arrestation aura finalement lieu en août 1944. Anne Franck meurt l’année suivante, en avril 1945, à Bergen-Belsen.
C’est du reste dans ce camp de concentration qu’ont lieu plusieurs scènes majeures du film. On y suit Hannah, déportée comme son amie. Elle est persuadée qu’Anne a émigré en Suisse, suite à une lettre laissée par son père Otto. Elle s’aperçoit de son erreur : non seulement son amie n’a jamais quitté Amsterdam, mais en plus elle a été arrêtée comme elle et est détenue dans le même camp. La retrouver et lui parler devient son obsession.
Ben Sombogaart alterne les épisodes à Amsterdam, préludes au cauchemar qui s’annonce et la reconstitution d’un camp de concentration avec une Hannah Goslar s’accrochant à la vie et prenant une fillette sous sa protection. Josephine Arendsen et Aiko Mila Beemsterboer dans le rôle d’Anne Franck sont formidables de justesse. Le refus d’édulcorer le personnage de la jeune auteure est louable. Par contre, le public sera sans doute déçu que sa période de clandestinité dans l’Annexe soit volontairement mise de côté.
L’essentiel n’est pas là : le jeune public va pouvoir grâce à Netflix découvrir voire redécouvrir la figure majeure d’Anne Franck et pourquoi pas lire son indispensable Journal. Le film, lui entend surtout insister sur une amitié exceptionnelle et bouleversante.
Exceptionnels destin et carrière que ceux de Gino Bartali !
Les fans de cyclisme connaissent le champion et ses deux victoires au Tour de France, l’une en début de carrière en 1938 et l’autre à la toute fin, dix ans plus tard, en 1948, alors que le champion italien va sur ses 40 printemps. L’exploit est encore inégalé à ce jour.
La performance est d’autant plus remarquable que la carrière du cycliste a été stoppée net par la seconde guerre mondiale, et là est justement le cœur de la bande dessinée de Julian Voloj et Lorena Canottiere, Gino Bartali, Un champion cycliste parmi les Justes (éd. Marabulles).
Figure sportive autant qu’héroïque, Gina Bartali naît en Italie dans un village près de Florence. Ses origines modestes le destinent à une existence modeste – maçon comme son père ou ouvrier agricole comme sa mère. Mais c’est le vélo, qu’il découvre jeune, qui le passionne. Côtoyer son cousin Armando mais aussi et surtout son ami Giacomo Godbenberg ont un impact décisif sur son existence et sur sa vie. D’abord parce que la bicyclette a eu une place prépondérante dans les jeunes années de ces garçons, et aussi en raison des origines juives du petit Giacomo, fils d’expatriés russes.
Rapidement, de courses amateurs en critériums semi-professionnels, Gino Bartali excelle dans les courses à vélo, jusqu’à obtenir ses premiers prix. Sport déjà populaire, le cyclisme est également vu comme une arme idéologique et patriotique dans l’Italie mussolinienne.
Attachant et comme invulnérable
Compétiteur dans l’âme, Gino Bartali arrive au Tour de France 1937 comme favori mais il lui faut attendre un avant avant de remporter le Maillot Jaune. Il est le deuxième Italien à remporter la plus importante course du monde. C'est pain bénit pour Mussolini qui rêve de faire de Bartali un des nouveaux héros italiens, "mais dans son pays, le fait qu’il n’encense pas le fascisme et qu’il ne mentionne pas le Duce dans son discours de remerciement fut remarqué."
Ce premier acte de courage n’est pas le dernier pour celui qui est le plus grand sportif italien de son époque. Sa carrière est cependant compromise avec la seconde guerre mondiale, et contre toute attente, Gino Bartali choisit de se mettre au service de la Résistance et de la lutte contre l'antisémitisme.
Les fans de cyclisme se précipiteront sur cette bande dessinée élégante et sensible consacrée à une des figures majeurs du vélo, double vainqueur du Tour de France et véritable héros dans son pays. Gino Bartali a été un peu oublié de ce côté des Alpes et cette BD est un excellent moyen de se souvenir de lui, de son parcours, de ses choix et de sa carrière qui aurait pu être bien différente sans le conflit mondial de 39-45 et des dictatures nazies et fascistes du XXe siècle.
Sur un scénario dense et héroïsant le champion péninsulaire, Lorena Canottiere, Grand Prix Artemisia 2018 pour l’album Verdad, utilise des couleurs pastel rose et orangées. Il y a une certaine douceur, pour ne pas dire naïveté, dans les traits de ses personnages. En dépit de la dureté de cette période, les événements les plus tragiques sont évoquées avec pudeur pour ne garder que l’essence de l’athlète italien, attachant, héroïque, généreux et comme invulnérable.
Ce qui frappe d’emblée dès les premières lignes de Charlotte, que David Foenikinos a publié en 2014, c’est la composition du texte.
L’auteur a opté pour un texte écrit sous forme de versets. Vrai récit, faux roman, pas tout à fait un poème, on serait tenté de dire que c’est une épitaphe qu’écrit David Foenkinos. Une épitaphe sur 250 pages autour d'une artiste terrassée pendant ses jeunes années, en pleine seconde guerre mondiale.
Charlotte fait partie de ces œuvres personnelles que l’écrivain français présente ainsi : "Pendant des années, j'ai pris des notes. / J'ai parcouru son œuvre sans cesse. / J'ai cité ou évoqué Charlotte dans plusieurs de mes romans. / J'ai tenté d'écrire ce livre tant de fois. / Mais, comment ? / Devais-je être présent ? / Devais-je romancer son histoire ? / Quelle forme mon obsession devait-elle prendre ?"
Mais qui est cette Charlotte en question ?
Charlotte est, pour commencer, l’histoire de la peintre Charlotte Salomon et de famille juive allemande, marqués par des tragédies et des suicides – celui d’une tante en 2013 puis de sa mère alors qu’elle est une jeune enfant. La jeune fille, à l’intelligence et la sensibilité développés, est élevée par son père Albert, remarié avec une chanteuse lyrique, Paula Lindberg qui l’élève comme sa propre fille. C’est indirectement grâce à cette dernière que Charlotte rencontre l’homme qui va la marquer durablement, Alfred Wolfsohn, musicologue, professeur de chant et pédagogue exceptionnel.
Une épitaphe sur 250 pages
Lorsque les nazis arrivent au pouvoir, la vie devient de plus en plus dure, dangereuse et cruelle pour cette famille juive allemande. Mais c’est aussi au cours de cette période que Charlotte s’ouvre à l’art, et en particulier à l’art pictural.
La seconde guerre mondiale éclate et Charlotte est envoyée en France, en sécurité croit-on. Elle rejoint sur la Côte d’Azur ses grands-parents maternels, loin d’Albert, Paula et Alfred. Mais ce qui devait être des retrouvailles familiales et un soutien se transforme en cauchemar pour la jeune femme.
La vie de Charlotte Salomon est de celle qui a été, à ma connaissance, oubliée. Elle a laissé une œuvre unique et autobiographique, Leben? oder Theater? (Vie ? Ou théâtre ?). On sait que les artistes féminines ont été largement oubliées dans l’histoire de l’art et dans les galeries des grands musées. Le récit biographique et romancé de Charlotte Salomon est un moyen de découvrir cette œuvre totale et personnelle mêlant des centaines de gouaches et d’aquarelles, des textes et de la musique.
Après avoir lu Charlotte de David Foenkinos, un roman bouleversant jusque dans ses dernières pages, il est certain que la curiosité vous mènera sur les pas de Charlotte. L’écrivain lui a fait la plus belle des épitaphes et le plus beau des hommages.
David Foenkinos, Charlotte, éd. Gallimard, 2014, 256 p. @DavidFoenkinos
En réalisant des recherches sur sa région d’origine, la Bretagne, Stéphanie Trouillard, journaliste à France 24, découvre la photo d’une déportée du Morbihan, Marie-Louise Moru, dite Lisette. Un cliché pris à Auschwitz sur lequel la jeune femme, étonnamment souriante, semble défier ses bourreaux. Cette attitude emplie de bravoure va inspirer une longue quête pour retracer le parcours tragique de cette résistante.
Longtemps resté dans l’ombre, le destin de Lisette retrouve la lumière à travers des textes, photos et documents d’archives. Journaliste à France 24, Stéphanie Trouillard s’est spécialisée depuis plusieurs années dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Quatre ans après la sortie du webdocumentaire multi-primé Si je reviens un jour, les lettres retrouvées de Louise Pikovsky, elle propose une nouvelle enquête sur cette période à l'occasion de la Journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la déportation.
Quatre chapitres composent le documentaire de Stéphanie Trouillard, Le sourire d’Auschwitz : "Oser dire non", "La dénonciation", "Le convoi des 31 000"et "La reconnaissance". Le récit d’une Française ordinaire plongée en enfer pendant l’une des périodes les plus noires de notre histoire.
Nous avions parlé il y a quelques semaines de la biographie de Simone Veil par Amandine Deslandes. Cet ouvrage passionnant sur une femme politique exceptionnelle à plus d'un tire méritait que l'on s'y attarde de nouveau. Une interview d'Amandine Deslandes s'imposait. L'auteure de Simone Veil, Mille Vies, Un Destin (éd. City) a bien voulu répondre à quelques questions.
Bla Bla Blog – Bonjour Amandine. Vous êtes l’auteure d’une biographie sur Simone Veil. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans cette entreprise, que l’on imagine ardue ? Amandine Deslandes – Je dois avouer que j’ai toujours voulu écrire, et secrètement rêvé d’être publiée. Alors, j’écrivais, sans trop en parler à personne, à part mon associé, qui est également mon compagnon dans la vie. Nous avons eu l’occasion de rencontrer dans le cadre de notre travail un membre de City Éditions. Ils ont une partie de leur activité spécialisée sur les biographies et les témoignages. Alors, nous nous sommes mis en quête d’un thème. Avec le tournage d’un film biopic, nous avons choisi d’écrire sur Madame Veil. Je me suis très vite éprise du sujet, à la fois sur les sujets en lien avec la protection sociale et sur la question du droit des femmes. C’était si naturel de raconter cette grande dame ! C’est vrai que c’était du sport d’écrire en seulement trois mois, surtout avec ma vie professionnelle en parallèle, mais c’était aussi très galvanisant !
BBB – Quelles ont été vos sources ? AD – L’écriture de cette biographie a nécessité un très gros travail de recherche. J’ai d’abord lu tous les ouvrages parus sur sa vie. Ensuite, il s’est agi de compiler des archives. Aujourd’hui avec les moyens dont on dispose, l’accès à l’information est facilité. J’ai regardé les vidéos archives de l’INA, comme les anciens débats télévisés ou encore Le Divan d’Henri Chapier, puis lu de très nombreux articles, dans Paris Match, Le Figaro, Le Monde, Le Point, et tant d’autres. J’ai également écouté des podcasts parus au moment de sa disparition. J’ai beaucoup travaillé à base de photos ou encore de cartes pour me représenter les lieux et les personnes, et pouvoir les décrire avec justesse. Je dirais en fait que, le plus difficile, c’est presque de savoir arrêter les recherches !
BBB – Le lecteur sera sans doute surpris de voir que la période de sa vie la plus sombre, celle de la déportation, fait l’objet d’une vingtaine de pages alors qu’il s’agit d’une période capitale dans sa vie. Est-ce par manque de sources ? AD – Je ne crois pas que cela soit le sujet. Je crois avoir trouvé ce dont j’avais besoin pour travailler cette partie terrible de sa vie. Toutefois, cela a, proportionnellement à la durée de sa vie, représentée, certes une période très sombre, mais relativement courte. Je ne voulais pas non plus la résumer à sa judéité. Cela ne me semblait pas la définir, et encore moins être conforme à ce qu’elle aurait probablement souhaité.
BBB – Simone Veil semble avoir d’ailleurs longtemps été discrète cette période. AD – C’est une horreur. Je crois que personne n’est à même de comprendre la réalité de ce que les déportés ont vécu. Cela a été très dur pour moi d’écrire sur le sujet, et aujourd’hui quand j’en parle, j’ai toujours la gorge qui se noue. Alors, quand on l’a vécu, je n’ose même pas imaginer. Elle a vécu un traumatisme terrible, et je crois qu’elle n’avait pas envie d’être réduite à cela, ce qui ne l’a pas empêché bien au contraire d’œuvrer pour le devoir de mémoire.
"Le plus difficile, c’est presque de savoir arrêter les recherches !"
BBB – À la lecture de votre biographie, il apparaît contre toute attente que c’est la loi sur l’adoption sur laquelle elle a travaillé qui est sa plus grande fierté. Avez-vous vous-même été surprise par son regret que ce ne soit pas cette loi qui porte le nom de « Veil » mais la loi sur l’IVG ? AD – Il me semble qu’elle n’était pas, en son for intérieur, pro-avortement. Elle pensait cependant qu’il s’agissait d’une question de santé publique et de droit. Il était indispensable pour elle de mettre fin à cette hypocrisie de société et de permettre une réelle avancée en matière des droits de la femme. Toute sa vie, elle a œuvré à la défense du droit de l’être humain. Je crois qu’elle aurait aimé que la loi sur l’adoption porte son nom, elle la considérait comme un bel aboutissement de son travail de juriste.
BBB – N’y a-t-il pas une énigme "Simone Veil" ? Et cette femme d’un milieu bourgeois plutôt conservateur qui donne naissance à l’une des plus grandes révolutions sociétales du XXe siècle ? AD – Je ne pense pas que l’on puisse réduire Simone Veil à un simple paradoxe de société. Elle était certes d’un milieu bourgeois et mondain, mais elle avait une forme de rébellion en elle. C’était un esprit libre. Elle était capable de se fondre dans le Tout-Paris tout autant que de s’emporter contre une injustice criante. Elle cherchait en toute chose un équilibre en rejetant les clivages partisans. Je crois que c’est la marque de fabrique de son engagement, et c’est un point dans lequel je me retrouve profondément.
BBB – Vous insistez aussi sur son engagement européen. Qu’est-ce qui reste aujourd’hui de son héritage européen ? AD – Elle a été une Européenne convaincue très tôt. C’est ainsi qu’elle a suivi son mari muté en Allemagne, car elle croyait profondément en l’importance de la réconciliation. Elle a été la première femme Président du parlement européen. C’est en soi un héritage. Bien que son passage à la tête de l’assemblée ait été court, elle a beaucoup œuvré pour la construction européenne. C’est elle qui a fait rayonner le parlement et lui a donné la crédibilité face aux autres instances européennes dont il dispose encore aujourd’hui.
BBB – Parlez-nous de ses relations avec Jacques Chirac, assez complexes d’après ce que l’on peut lire. AD – Complexes, je ne sais pas. Ambivalentes, certainement. Il l’a beaucoup soutenu, et il avait une affection particulière pour elle. Il l’appelait « Poussinette ». En même temps, c’était un ambitieux. Je cite dans le livre une phrase qu’elle répète à son sujet : "Jacques Chirac et moi sommes des amis. Mais l’amitié et la politique sont deux choses différentes." Je pense qu’ils ne partageaient pas exactement la même vision de la politique. Elle était profondément centriste, et lui n’était pas, ce que l’on pourrait appeler un homme de compromis !
BBB – Simone Veil est décédée en juin 2017, soit quelques mois seulement avant le déclenchement du mouvement #MeToo. D’après vous, comment aurait-elle réagirait, elle qui est une des figures du féminisme français ? AD – Je pense que l’on en a fait une icône féministe contre sa volonté. Elle ne se revendiquait pas de ce mouvement. Il m’apparait qu’elle était avant tout un défenseur des droits, des droits de la femme en particulier. Elle pensait d’ailleurs à la fin de sa vie que le chemin était loin d’être terminé, et qu’il ne fallait pas oublier d’où l’on venait. La mémoire, encore et toujours. Je ne suis pas certaine qu’elle aurait apprécié ce mouvement. Elle a incité les femmes à faire appliquer leurs droits. Cependant, elle était, en toutes circonstances, pour la justice et le respect de l’être humain. Elle n’aurait pas probablement cautionné l’utilisation parfois déviante des réseaux sociaux.
BBB – Merci d’avoir répondu à ces questions. AD – Merci à vous de m’avoir donné l’opportunité de partager ma passion de cette grande dame !
C’est peu de dire que Simone Veil est une personnalité majeure de la Ve République. Femme politique dans un milieu masculin, elle est restée une personnalité populaire et admirée, y compris quatre ans après sa mort, en juin 2017. Une vraie référence, en dépit du fait qu’elle n’a été ni Présidente de la République, ni première ministre.
Dans son ouvrage, Simone Veil, Mille Vies, Un Destin (éd. City), Amandine Deslandes revient sur le destin peu ordinaire de cette femme issue de la bourgeoisie parisienne "éclairée". L’enfance heureuse de la petite Simone Jacob, modelée par le patriotisme et la laïcité, n'est absolument pas déterminé par les origines juives de la famille, à telle enseigne qu’"elle aurait oublié qu’elle était juive sans la guerre."
La grande rupture de sa vie est celle de l’Occupation et de sa déportation à Auschwitz puis Bergen-Belsen, avant une Marche de la Mort .
La biographe consacre moins de 20 pages à cette expérience inhumaine et traumatisante, mais c’est cette période d’un an est essentielle pour comprendre le parcours d’une survivante, mais aussi une incomprise dans une France qui, après la seconde guerre mondiale, qui souhaite tourner au plus vite la page de l’Occupation et du génocide juif. La blessure indicible sera toujours là, d’autant plus que la jeune Simone ne s’est jamais considérée comme juive : "Simone Veil était entrée française dans les camps. Elle est ressortie juive."
La sortie de la guerre est d’autant plus difficile que "les déportés raciaux n’ont pas eu le même traitement que les autres… sont considérés comme moins importants." De plus, Simone en vient à jalouser sa sœur, une survivante elle aussi, mais qui est passée par la Résistance et est considérée comme une héroïne. L’autre déchirure est un deuil : celle de Madeleine Jacob, surnommée "Milou", avec qui Simone a partagé les épreuves des camps. En 1952, après des études à Sciences-pop et la rencontre avec son futur mari Antoine Veil, Milou décède dans un accident de voiture.
Les années suivantes sont celles d’une carrière dans la fonction publique autant que d’un engagement pour améliorer les conditions d’incarcération dans les prisons françaises. Les femmes détenues subissent des conditions pires que les hommes, constate Simone Veil : "L’administration pénitentiaire m’a davantage empêchée de dormir que le ministère de la Santé !", commente-t-elle plus tard.
"Simone Veil était entrée française dans les camps. Elle est ressortie juive"
Elle est nommée ensuite à la direction des affaires civiles. Elle travaille sur le dossier de l’adoption et rédige un projet de loi révolutionnaire, plaçant l’enfant au centre du processus : "Sa plus grande fierté professionnelle… Elle regrettera toujours que la loi dénommée Veil soit sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG) plutôt que [cette loi sur l’adoption]".
1969 marque l’arrivée de Simone Veil dans le grand bain de la politique – masculine. Quelques années plus tard, le jeune Président élu, Valéry Giscard d’Estaing fait entrer Simone Veil dans son gouvernement pour lancer des réformes sociales. Et parmi ces réformes, il y a cette loi pour l’IVG, qui va être le vrai marqueur politique de cette femme politique atypique. Elle entre dans le gouvernement de Jacques Chirac avec qui, comme l’explique Amandine Deslandes, les relations – "une centriste et un anti-compromis" – ne vont jamais être simples : amitié, confiance et respect n’empêchent pas les manœuvres politiciennes, les désaccords, voire les coups bas.
La réforme de l’IVG fait l’objet d’un chapitre particulièrement documenté. Amandine Deslandes décrit bien l’atmosphère révolutionnaire qui régnait au mi-temps des années 70, rendant indispensable une loi qui pouvait défriser les plus conservateurs : "Si tu ne règles pas ce problème dès le début du septennat, nous auront droit à un avortement sauvage devant l’Élysée !", prévint un témoin à une Simone Veil qui incarnait cette réforme capitale pour le droit des femmes.
Sans doute s’agit-il là du point de départ d’une histoire passionnée entre la France et Simone Veil, dans la carrière passa ensuite par le Parlement européen. elle en fut une Présidente investie, comme le dit l’auteure. C'était une voix européenne qui portait haut des messages de paix, de réconciliation et de modération.
Figure charismatique à la parole portant loin, Simone Veil n’est pas une personnalité classique, comme le montre Amandine Deslandes : de nouveau ministre dans les années 90 sous le gouvernement de cohabitation de d'Edouard Balladur, c’est finalement moins comme responsable politique qu’elle a laissé sa trace que comme figure morale. Que l'on pense à ses fonctions de Sage au Conseil Constitutionnel puis à son élection à l'Académie française en 2008.
Amandine Deslandes insiste bien entendu sur l’importance de son passé de déportée, qui fait d’elle une des gardiennes de la mémoire des victimes de la Shoah. L’autre combat majeur est celui pour le droit des femmes, qui lui fait dire : "Le bonheur des femmes est un des problèmes fondamentaux de notre société." Un combat plus que jamais d’actualité. On serait curieux aujourd’hui de l’entendre parler des combats féministes, alors qu’elle s’est éteinte quelques semaines avant le déclenchement du raz-de-marée #MeToo.
En raison de la crise sanitaire et du grand confinement de ce printemps, Résistance de Jonathan Jakubowicz est passé totalement inaperçu, récoltant un peu plus de 7 000 dollars de recettes sur le continent américain et moins de 300 000 dollars dans le monde. Des chiffres exceptionnellement bas.
Malgré tout, ce film historique se situant en pleine seconde guerre mondiale, dans la France occupée, mérite que l’on s’y arrête. D’abord pour la prestation de ses deux acteurs principaux, Jesse Eisenberg et Clémence Poésy, ensuite, ensuite parce que le long-métrage de Jonathan Jakubowicz s’intéresse à une personnalité exceptionnelle, dans la période de sa vie la moins connue : Marcel Marceau. Canal+ propose de le découvrir en ce moment.
Celui qui deviendra le Mime Marceau se nomme dans l’état-civil Marcel Mangel. Né dans une famille strasbourgeoise d’origine juive, l’adolescent n’a pour préoccupation qu’une passion : le spectacle. Déjà doué pour le mime, il voit cependant très vite la guerre le rattraper et la menace allemande entrer dans sa vie. Avec son frère et son cousin, résistants, il décide de s’engager avec eux – mais aussi pour les beaux yeux d'une jeune femme, Emma. Leur combat est le sauvetage d’enfants juifs orphelins. Sachant leur existence condamnée, le groupe de résistance les cache, avant de décider de les faire fuir en Suisse. Le jeune homme prend un pseudo pour ce combat : Marcel Marceau. À Lyon, où les résistants on trouvé refuge, l’officier Klaus Barbie, "le boucher de Lyon" (un surnom qui prendra tout son sens dans une scène effrayante), a vent de cette opération et se lance sur la trace de Marcel, d’Emma et des enfants.
Biopic à la facture classique, Résistance est à voir. Le premier intérêt est la découverte d'un pan méconnu de la vie du Mime Marceau. Un nom qui date de cette période et qui prend tout son sens. Jesse Eisenberg campe le plus grand mime de l’histoire avec justesse, ce qui n’a rien d’évident pour une telle figure qui a contribué à révolutionner l’histoire du spectacle. On prend tout autant plaisir à retrouver Clémence Poésy, si rare et pourtant si impeccable dans ce drame historique à l'histoire passionnante.
Les critiques sur le choix de l’anglais pour un film se déroulant en France n’a a mon avis ni réelle pertinence ni grand intérêt (regardez un peu les classiques indiscutable que sont La Liste de Schindler ou Le Pianiste…). Résistance (un titre trop général qui ne reflète pas le choix artistique du réalisateur et scénariste) reste un bon film sur cette période, et qui se regarde à la fois comme un honorable long-métrage historique, un vrai film à suspense et comme un magnifique hommage à Marcel Marceau.
Résistance, biopic de Jonathan Jakubowicz, avec Jesse Eisenberg, Ed Harris, Édgar Ramírez, Clémence Poésy et Matthias Schweighöfer, France, États-Unis, Allemagne et Royaume-Uni, 2020, 120 mn, en ce moment sur Canal+ https://www.canalplus.com
Unorthodox a été la série à succès inattendue de cette période de confinement. Une mini-série en réalité : avec quatre épisodes cette création Netflix n’impose pas un temps interminable de binge-watching. Là est sans doute l’une des raisons du succès d’Unorthodox. Mais pas que.
À vrai dire, la série allemande avait tout pour faire fuir de nombreux spectateurs : le récit a priori aride d’un déracinement et d’une séparation, une plongée dans l’univers peu connu des hassidiques, des acteurs inconnus et le refus du spectaculaire.
Esther Schwarz est Etsy, une jeune New-yorkaise élevée dans un milieu orthodoxe extrêmement pieux, si pieux que le respect des rituels juifs vire à l’obsession jusque dans la vie quotidienne. Etsy a été élevée par sa grand-mère et sa tante après la séparation de sa mère, Alex, partie vivre en Allemagne. Le père, lui, est incapable de l’élever. Alcoolique et aussi croyant que les autres membres de sa famille, il a laissé sa mère et sœur le soin de s’occuper de sa fille. Et s’occuper d’elle signifie surtout la marier.
Sa famille lui trouve un homme, Yanky Shapiro, aussi respectueux des traditions qu’il peut être doux et très réservé. Mais les relations entre Esther et Yanky s’aggravent en raison de la pression sociale pour qu’elle devienne mère. Un an après les noces célébrées en grande pompe, Etsy décide de fuir pour rejoindre Berlin. Sa mère y vit toujours, mais entre les deux femmes les liens ont été coupés depuis longtemps, car Alex elle-même a dû se séparer de son mari peu de temps après la naissance d’Essther. Pendant ce temps, le rabbin de la communauté hassidique demande à Yanky de partir en Europe récupérer son épouse. Pour l’accompagner, on lui impose la présence de son cousin Moishe. Les deux hommes s'envolent pour Allemagne pour retrouver celle qui a fui leur communauté.
Il faut la voir débarquer à Berlin, à la fois éblouie, fascinée et apeurée
Unorthodox est l’adaptation du récit autobiographique de Deborah Feldman, The Scandalous Rejection of My Hasidic Roots (2012). Pour raconter cette histoire d’une fuite et d’une libération, les showrunneuses ont insisté sur la construction intérieure d’Esty, se trouvant du jour au lendemain livrée à elle-même dans un monde qu’elle ne connaît pas. Il faut la voir débarquer à Berlin, à la fois éblouie, fascinée et apeurée. Une baignade, un concert de musique classique ou une soirée en boîte de nuit prennent des allures de découvertes ahurissantes et déstabilisantes. Esty y découvre à cette occasion l’amitié, l’amour, une vocation mais aussi la grisante incertitude de la liberté.
Esther est interprétée par Shira Haas, impressionnante de bout en bout et littéralement métamorphosée lors de son arrivée en Europe. Elle endosse avec un naturel désarmant cette femme déracinée d'un milieu toxique et bien décidée à se battre pour exister. Mais cette quête pour son identité en cache une autre : celle d’une jeune femme juive se reconstruisant sur les lieux mêmes où la Shoah a pris corps. La série multiplie les références et les symboles de ce traumatisme : la fameuse baignade dans le lac en face de Wannsee (le lieu de la tragique conférence du 20 janvier 1942), la tête rasée d’Etsy, des conversations sur le nazisme et même une chemise rayée que porte un moment la jeune femme.
On ne racontera pas la fin de cette série, qui fait d’un concours de musique la conclusion d’un récit intelligent et émouvant sur la liberté, les racines, le féminisme mais aussi la réconciliation.
Unorthodox, mini-série dramatique allemande d’Anna Winger et Alexa Karolinski avec Shira Haas, Amit Rahlav et Jeff Willbursch une saison, 4 épisodes, 2020, Netflix https://www.netflix.com/fr/title/81019069