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  • Avant les Grandes Panathénées

    Figure singulière de la scène française, Louis Arlette a su tracer sa route entre chanson française, rock, sons électro, influences orientales ("Lapis lazuli") et poésie. Une poésie que le musicien avait pleinement assumé dans son précédent opus, "Sacrilège" consacré à de grands noms de la littérature.

    Le voici de retour avec un nouvel album, le bien nommé Chrysalide, qui sonne autant comme une renaissance qu’une redécouverte. Un voyage entre l’Abyssinie et Amsterdam ("Amsterdam en peine"), en passant par Babylone, le zoo de Vincennes, Troie et la Rome d’Énée.

    Dès le premier morceau, "Lapis lazulis", nous voici dans son univers onirique, préambule à un opus d’une rare qualité d’écriture. Louis Arlette fait le choix du parlé-chanté dans cette pérégrination au titre éloquent, "Magnifique" : "Alors y’aura : / Athéna, Énée, et moi… / Mais oui, je sais,  / J’étais pas né / Pendant les grandes Panathénées". 

    Zéro calcul pour Louis Arlette qui se livre ici comme rarement

    Contemporain et bien dans son époque, Louis Arlette ne s’interdit pas de puiser dans les mythes et les traditions gréco-romaines, à l’instar du petit joyau d’écriture qu’est "Dis donc, Énée", construction poétique, "Un récit sans fin ni début / Psychédélique / Ex-libris / Ou bien délirant délice". Sans oublier le gothique et pop-rock "Sardanapale", rendu célèbre par le tableau de Delacroix.

    Les mots de Louis Arlette s’imposent dans cette chanson française ou les sons urbains ne sont pas en reste, à l’instar de "Babylone + calories Calimero", le plus long morceau de l’opus. Le chanteur se lance dans un slam incroyable. Zéro calcul pour Louis Arlette qui se livre ici comme rarement.  

    Il y a du Serge Gainsbourg dans cette manière de jouer des mots, des images frappantes et des rimes en usant le talk-over. Louis Arlette ose le grand écart séduisant entre l’antique et l’hyper-moderne. À l’écoute des titres rap "Samsung enragé" mais aussi de "Croque Odile", c’est un autre artiste qui vient en tête : MC Solaar. Sens du rythme, écriture précise, jusqu’au timbre de Louis Arlette.    

    Voilà un beau voyage en neuf titres, dépaysant, poétique, soufflant un vent de fraîcheur par un artiste qui impose son univers avec audace. 

    Louis Arlette, Chrysalide, Le Bruit Blanc, 2024
    https://www.facebook.com/louisarlette
    https://www.instagram.com/louisarlette

    Voir aussi : "Louis Arlette, classique et moderne"

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  • Laurie Darmon enfourche le tigre

    Laurie Darmon fait partie de ce ces artistes que l’on suit avec passion. Elle revient en ce début d’année avec un nouvel album, Femme studio, dans la continuité de son précédent EP, Dévêtue. Un enregistrement studio, donc, tout en féminité aussi.

    Disons aussi que Femme Studio est l’album d’une femme affranchie de toute question et qui s’avance audacieuse dans un album dansant, sexy et plein de vie.

    Après le formidable opus qu’avait été Février 91, maîtrisé de bout en bout, Laurie Darmon avait entrepris un virage plein de promesse avec le bien nommé Dévêtue, dont voici la continuité.

    Femme studio est bien plus qu’un autoportrait décliné en 15 titres ; c’est aussi un opus déroulant tous les états amoureux d’une jeune femme qui ne sent pas l’âme d’une sirène ("J’aurais bien trop mal aux oreilles") et qui n’a surtout pas envie de faire semblant ni "de sourire à [des] blagues de merde" (Flemme).

    Dans le titre qui donne son nom à l’opus, la chanteuse propose une singulière chanson autobiographique en donnant la parole à un jeune homme, "un puceau meurtri", qui aime secrètement son "double Laurie." Le problème de cet homme ? La timidité qui l’empêche de montrer le tigre qui est en lui : "Je regarde ses fesses / Bouger c’est beau / Oui mais je caresse juste le piano / L’emmener chez moi / Un soir / En faire ma superstar / Lâcher les clés / Les porter / La porter /L’embrasser," puis "arracher ses vêtements / L’embrasser violemment." "Femme studio" contre "homme studio," donc, dans un titre percutant et déroutant. L’une des belles réussites de l’album.

    C’est dans l'univers amoureux que baigne Femme studio : désirs, fantasmes, séductions, étreintes, dans le quel le flow de Laurie Darmon sert la puissance libératrice d’une femme assoiffée d’amour : "Ce soir j’ai pas sommeil / J’ai pas envie de dormir / Je voudrais que tu te réveilles / Qu’on s’encanaille au Brésil" (Tellement faim).

    Arrêtons nous deux secondes sur Laisse-moi t’aimer, qui n’est pas une reprise du sirupeux tube des années 70 mais un titre enlevé sur un rythme de samba : la fête célébrée dans cette chanson annonce une nuit interminable corps contre corps. Encore plus explicite, On Bai., déjà présent dans Dévêtue, invite au lâcher-prise total, avec tout ce qu’il faut pour se faire tourner la tête tout au bout de la nuit : "On danse danse danse danse / On se met bien bien bien / On se laisse aller comme ça / Je me laisse aller avec toi toi toi / On bouge on bouffe on boit on bai."

    Avec Extase, "extase tout court avec un E majuscule," dit la musicienne, on est plus dans un rock aussi âpre qu’une nuit blanche, de nouveau, durant laquelle tout ou presque est permis. "Il y a des corps qui me rassurent / Je vois des formes et je devine quelques parties / Et de la confiture / Non non non." Dans ce titre fiévreux comme l’amour, on reconnaît le flow que l’on avait découvert dans La rupture, le premier succès de la chanteuse.

    Le Serge Gainsbourg, auteur du mythique Love On The Beat, apprécierait

    L'artiste se fait également slameuse avec Que tu te déhanches devant moi, qui est une danse sensuelle, sur fond de séduction saphique  : "Mes mains ne quittent plus sa taille et je la vois qui s’encanaille et me renvoient l’image d’une demoiselle en cage."

    Bien plus torride et osé, Rengaine SM est, comme son nom l’indique, un titre très explicite parlant d’une pratique amoureuse traité avec un incroyable mélange de sensibilité, d’audace et de lyrisme. Le Serge Gainsbourg, auteur du mythique Love On The Beat, apprécierait.

    Mais l’amour a aussi son lot de désillusions, à l’exemple de Reste, un autre titre qui était présent sur le précédent EP : "Alors reste reste / Mais vas-y reste reste / Ça sert à rien de se barrer de se quitter / Viens on la traverse ensemble cette averse." Derrière l’insouciante jeune femme éprise de liberté, il y a aussi la recherche – douloureuse – du grand amour, évident : "Bah ouais je t’aime… C’est pas une honte, putain de merde… sinon on va finir par le regretter mon cœur." Oui, c’est bien d’âme sœur dont il est aussi question, avec ce message lancé par la chanteuse libre mais amoureuse : "Et si tu changes d’avis, surtout préviens-moi."

    Les Îles grecques, également présent sur Dévêtue, traite d’une histoire sentimentale et amoureuse, que nous dirions compliquée, mais aussi d’une rupture... "J’avais envie que tu restes auprès de moi / Là-bas y a trop de filles trop de mecs trop de trucs / Et ce je ne sais quoi."

    Mais trois titres retiendront particulièrement notre attention : d’abord, le formidable Stéphane et Stéphanie, chanson au flow irrésistible et d’un naturalisme désarmant sur "un couple noctambule" : "Tu m’as laissée toute seule / Et maintenant c’est moi qui reste / Là sur le bord de ta gueule / T’as pas débarrassé les miettes / J’avais pas l’habitude avant / J’étais la fille qui sait déjà / Que chaque soir à l’appartement / Même si c’est tard tu seras là."

    Dans un album d’une sensualité exacerbée, Mon amant brille par sa lumineuse simplicité. Car là où Laurie Darmon traitait de l’amour avec audace et de provocation, elle choisit ici de parler d’inimité, d’interrogations sur le désir, de peurs, d’ennui, d’absences insupportables, d’attentes et de fragilité : "La saison est orageuse mais je ne suis pas couverte," chante-elle par exemple.

    L’album se termine enfin avec Maître Corbeau, une série de déclinaisons sur la célèbre fable de La Fontaine : l’auditeur réécoutera avec malice ce vrai exercice de style, qui est aussi une curiosité – mais toujours avec l’esprit made in Laurie Darmon.

    Laurie Darmon, Femme studio, WM FR Affiliated/Play Two, 2020
    https://www.facebook.com/lauriedarmonoff

    Voir aussi : "Laurie Darmon à nu"
    "Vingt-sept ans à la limite"

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  • Aznavour, le mal-aimé

    Il paraît que le grand regret de Charles Aznanour était que ses textes n'étaient pas mis au niveau de ses contemporains, Léo Ferré Jacques Brel ou Georges Brassens. Une considération injuste pour ce fils d'immigrés arméniens nourri à la culture française et affamé de mots. Dans une interview au Figaro, Robert Belleret (Vies et Légendes de Charles Aznavour, éd. Archipel) rappelle que Charles Aznavour disait : "Mon pays c'est la langue française." Il est singulier de penser qu’à l’instar de Jacques Brel, longtemps traumatisé par l’école, c’est plus à la curiosité et à la pugnacité ("assoiffé, obstiné" confie-t-il dans Les Emmerdes) qu’à son cursus scolaire que l’on doit un trésor musical exceptionnel.

    Dans les années à venir, des spécialistes français se pencheront sur les quelques 1200 chansons d’Aznavour. Tel n’est pas l’objet de ce blabla qui préfère parler d’une forme de désamour d’un artiste, de son propre aveu plus apprécié à l’étranger qu’en France.

    Dans sa discographie, le thème de l’amour a été décliné sous tous les angles – coups de foudre, rencontres éphémères, complicité à deux, étreintes torrides, rêves romantiques, homosexualité ou séparations cruelles. Dans ce domaine, l’auteur d’Il faut savoir a montré une créativité sans faille tout au long de sa carrière, maniant les mots avec élégance et subtilité. Dans Comme des étrangers, le déchirant bilan d’un couple finissant, le texte se déploie dans une prose recherchée  : "Nous tuons le temps. Le temps qui sûrement nous dévore et ravage ce rien de pureté contenu dans nos cœurs. Et nous sommes deux fous qui, croyant être sages, se gorgent d’un passé qui lentement se meure." Dans Qui, c’est la sobriété qui guide une chanson tout en retenue et en maîtrise sur le thème de la jalousie : "Qui / Frôlera tes lèvres / Et vibrant de fièvres / Surprenant ton corps / Deviendra ton maître / En y faisant naître / Un nouveau bien-être / Un nouveau bonheur."

    Aznavour, auteur littéraire et classique ? Cela mérite d’être nuancé. S’il est indéniable que de nombreux standards sont entrés dans les programmes scolaires (La Bohême, Comme ils disent ou Les Comédiens), ce fils de migrants arméniens montre qu’il a d’abord été bercé dans le parler populaire et l’argot parisien. Robert Belleret rappelle, dans son interview au Figaro, qu’il n’a pas ouvert de livres avant l’âge de 35 ans. Il faut aussi ajouter que la critique du milieu du XXe siècle a toisé cet artiste : trop petit, mauvais chanteur et doté en plus d’un gros nez ! Ce qui a conduit Charles Aznavour à se mettre à l’écart de cette élite et à puiser son inspiration dans des sources étonnantes.

    Trop petit, mauvais chanteur et doté en plus d’un gros nez

    Que l’on pense à cet usage du franglais dans le titre décalé et très crooner For Me For Me, Formidable : "You are the one for me, for me, for me formidable / You are my love very very very véritable / Et je voudrais pouvoir un jour enfin te le dire / te l’écrire / Dans la langue de Shakespeare." Tout aussi américain, mais aussi naturaliste, le nerveux Poker nous fait entrer dans une salle de jeu sordide au fond d’un tripot : "On prend les cartes / On brasse les cartes / On coupe les cartes / On donne les cartes / C’est merveilleux on va jouer au poker / On r’prend ses cartes / On r’garde ses gardes / On s’écrit cartes / Et puis on écarte / J’en jette trois / Car j’ai déjà une paire." Dans Je Bois, c’est dans la peau d’un alcoolique déprimé qu’il se glisse : "Je bois pour me donner l’illusion que j’existe puisque trop égoïste pour me péter la gueule."

    Auteur populaire, Aznavour parlait particulièrement à son public lorsqu’il osait utiliser un vocabulaire trivial et peu usé dans la musique : "Mes amis mes amours mes emmerdes", clame-t-il avec acidité dans un retour sur lui-même, sur sa carrière au "sommet" et sur sa "course contre le temps." Shocking ! Voilà qui fait sans doute la singularité d’un artiste sans doute plus en marge dans la chanson française que sont Brel, Brassens ou Ferré – des génies ayant cultivé leur indépendance, sans s'écarter pour autant d’une forme de classicisme. Mais Aznavour, auteur insatiable de ces "émouvants amours," a su, à l’instar de Gainsbourg – singulièrement un autre fils d’immigré de l’Europe de l'est ! –, nourrir ses textes dans le parler de la rue ou un franglais décomplexé.

    Un véritable tour de force pour un artiste qui a su imprégner la culture française de quelques textes tombés dans le langage courant, lorsqu’ils ne sont pas fredonnés. Sans aucun doute, les phrases "La misère sera moins triste au soleil" (Emmenez-moi), "J'ai un numéro très spécial qui finit en numéro intégral" (Comme ils disent) ou "Ils sont venus ils sont tous là" (La Mamma) sont devenus en eux-mêmes quelques morceaux d’anthologie.

    Au terme de cette chronique, l’on ne peut que sourire à l’écoute de son premier grand succès, J’m voyais déjà. Ce chant d’un artiste du show-business mal-aimé sonne comme un grand pied de nez aux critiques de son époque : "On ne m’a jamais accordé ma chance. D’autres ont réussi avec peu de voix et beaucoup d’argent. Moi j’étais trop pur ou trop en avance, mais un jour viendra où je leur montrerai que j’ai du talent."

    Charles Aznavour, Platinum Collection, 3 CD, Parlophone, 2004
    "Le pays de Charles Aznavour était la langue française" in Le Figaro, 2 octobre 2018

    Voir aussi : "Gainsbourg, un enfant de la chance"

     

  • Où es-tu, Berry ?

    On avait quitté Berry en 2012, avec l’album Les Passagers. La chanteuse avait choisi le fil conducteur du voyage pour des chansons délicates et pudiques, portées par une voix caressante, l’une des plus belle sans doute de la scène française. Est-elle revenue de ses voyages ? Où est-elle aujourd’hui et quelle est son actualité ?

    Il convient au préalable de faire quelques rappels sur la carrière de Berry, commencée en 2008 avec un premier album, Mademoiselle, remarqué par la critique et le grand public. Disque d'or, il a été suivi de plusieurs centaines de concerts en France comme à l'étranger (Brésil, Corée du Sud ou Serbie). Mademoiselle ce sont 10 joyaux musicaux que la chanteuse a sculpté avec ses acolytes Manou et Lionel Dudognon.

    L’univers de celle qui a commencé sur les planches de théâtre est déjà là, dans des chansons intimistes, mélancoliques et non sans noirceur, portées par une orchestration soignée et une voix claire et chaleureuse.

    Le disque s’ouvre sur le morceau qui donne son titre à l’album : Mademoiselle c’est le portrait d’une jeune femme d’aujourd’hui, plus tout à fait adolescente, pas encore adulte ("Mademoiselle / J’ai des secrets / Des choses que je sais / Que je tais / Un vieux bubble gum / Qui colle à la peau / Comme un homme"). Ce premier album allie la grâce à une sombre mélancolie. La musicienne sait transformer une balade amoureuse en déchirant chant d’adieu (Plus Loin), nous faire voyager avec Las Vegas dans un road-movie dans l’Amérique fantasmée du cinéma de Martin Scorcese, Terry Gillian (Las Vegas Parano) ou des frères Cohen. Berry sait jouer avec l’impudeur et impudeur (Belle comme Tout), toiser et mépriser avec élégance (Enfant de Salaud) et parler du bonheur éphémère (Le Bonheur) comme des combats quotidiens (Demain ou Chéri).

    Qautre ans plus tard, le deuxième disque de Berry, Les Passagers, a pris contre-pied son public. Avec le même raffinement et la même fragilité, l’artiste a construit un album sur le thème du départ et du voyage. Cette cohérence, assure l’artiste, n’est qu’une succession d’heureux hasards et d’intuitions. Pour Les Passagers, Berry a embarqué ses deux musiciens complices de Mademoiselle jusqu'à New York puis Paris, après une série d'enregistrements dans le Centre de la France (le Berry ?).

    International, ce deuxième disque l’est jusque dans les influences et les collaborations artistiques : l’arrangeur brésilien Eumir Deodato, Johan Dalgaard pour les claviers, l’ex Taxi Girl Daniel Darc ou l'auteur et compositeur hawaïen Troy Von Balthazar (Chokebore). Ces collaborations tous azimuts apportent des couleurs incomparables à un album qui n’a pourtant pas eu le même succès que Mademoiselle.

    Les Passagers mérite d’être redécouvert et réévalué pour sa richesse et son souffle : l’ouverture pop de Si Souvent, les guitares acoustiques des Mouchoirs blancs, le piano sobre de Ce Matin ou la touche country de Like A River, l’orchestration dense et bouleversante de Partir Léger ou la facture brésilienne de Voir du Pays. La chanteuse française assume tout autant l’influence de Serge Gainsbourg, notamment avec le parler-chanter du titre Brune, aux accents de You’re Under Arrest. Birkinienne, Berry l’est dans l’envoûtant For Ever, l’un des meilleurs tires de l’album, porté par une guitare easy-listening, des paroles mâtinées de franglais et toujours cette voix irrésistible.

    L'artiste a construit un deuxième album dépaysant, à la fois sombre et lumineux. La voix cristalline et délicate de Berry nous parle de départs, de voyages éphémères ou définitifs, de ruptures amoureuses (Les Mouchoirs blancs), de besoin de fuites (Non Ne Le Dis Plus) et de cette mort qui nous attend au tournant (Partir Léger). L’auditeur devient voyageur, sur les traces d’une Berry, plus américaine que jamais.

    Aujourd’hui, où est-elle, alors qu’aucun nouvel album ne se profile à l’horizon ? La réponse à cette question est dans le calendrier de ses tournées, en France comme à l’étranger. Berry se produira en effet les 12 et 13 juin 2017 à l'Européen, avant de s’envoler aux États-Unis au Nouveau Mexique (Taos) et à Chicago. Nous voilà rassurés.

    Berry, en concert à l'Européen, les 12 et 13 juin 2017
    Berry, Mademoiselle, Casablanca Records, 2008
    Berry, Les Passagers, Casablanca Records, 2012

    http://www.casadeberry.com

  • Pas si arrogants que ça

    Non, les quatre Parisiens d’Arrogant Criminals ne sont pas, comme leur nom ne l’indique pas, ces sales gosses venus piétiner les canons du rock. Depuis 2010, ils sont parvenus à se faire un nom dans la Grande-Bretagne d’Oasis, les États-Unis des Strokes et jusqu’au Japon. L’histoire du rock retiendra sans doute dans quelques années qu’après avoir été choisi pour le générique du dessins animé Les Dalton chez Xilam, les Arrogant Criminal ont vu en 2014, ironie du sort, l’enregistrement de leur premier album gâché par un braquage armé du studio Octopus (Pontoise). Leurs pistes d’enregistrements détruites, les Parisiens se sont malgré tout remis au travail, et ont sorti en 2017 leur deuxième EP, Boys Get Around. Six ans après ces déboires "criminels", les voici avec leur premier album, Fine & Dandy.

    Ce premier opus démarre sur les chapeaux de roue avec son titre phare, Fine & Dandy. Les riffs de guitares sont poussés à plein régime pour ce morceau que l’on sera prié d’écouter à plein volume, confinement ou non. On est bien avec les Arrogant Criminals dans du pop-rock assumé : la preuve avec I’m A Fool For You, dont les influences sont à voir de l’autre côté de la Manche, du côté de chez Arctic Monkeys ou de Franz Ferdinand.

    Saying Goodbye a ce goût de Beatlemania comme si la patine du temps était passée dessus : les guitares laissent place aux voix feutrés des quatre garçons dans vent, nostalgiques comme il se doit.

    Un vrai cri d’amour

    Voilà qui fait de l’opus Fine & Dandy un vrai retour aux sources, autant qu’une vaste revisite de la pop-rock. Ainsi, I Wanna Be Your Man adresse des clins d’œil appuyés en direction d’un blues rock aux guitares aussi musclées que les légendes de ZZ Top. Un vrai cri d’amour.

    Long Ago (part I et II) revendique sa facture rock vintage : c’est diablement bien écrit et délicieusement régressif. Démarrant presque avec langueur, la partie I enchaîne sur un rythme rockabilly comme si la bande des Gallagher avait fusionné avec les Baseballs. La partie II prend singulièrement à contre-pied l’auditeur avec cette fois une pop californienne très seventies, dans laquelle les guitares se marient à des claviers planants, avant une orgie de riffs. Dans Fallin’ et Ending, il semble que cette fois plane au-dessus des Arrogant Criminals les mânes de Jim Morrisson.

    Mais les Arrogant Criminals savent aussi dépasser la nostalgie et l’hommage au passé, comme le prouvent La tempête, fascinante envolée instrumentale faite de percussions, de machines et de rythmiques tribaux ou le Midnight Revelation, moins indus et plus pop. Là, nous voilà transporté du côté de l’Amérique des eighties, à bord d’une Buick se traînant sur les trottoirs humides de Brooklyn. Parce que la critique musicale n’est souvent qu’affaire d’interprétations, ne pourrions-nous pas voir derrière le morceau Time traveler et son funk talk-over un hommage au You’re Under Arrest de Serge Gainsbourg ? De nouveau une question d’hommage : on revient toujours à nos racines.

    Arrogant Criminals, Fine & Dandy, Octopus, 2020
    https://www.facebook.com/ArrogantCriminals
    https://www.instagram.com/arrogantcriminals

    Voir aussi : "Comme un air de Motown

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  • Sarah Lancman amoureuse

    "Mélancolie souriante et insolente / Amant-ami / Ainsi va la vie" : l’essence de Parisienne, le nouvel album de Sarah Lancman est tout entier dans ces trois vers de son premier titre (Et ainsi va la vie). La jazzwoman s’y livre avec un plaisir manifeste, avec aussi insouciance, liberté, mais aussi une forme de douce gravité.

    Nous avions parlé d’elle sur Bla Bla Blog comme d’une héritière convaincante de Michel Legrand. C’est particulièrement vrai notamment pour le morceau qui ouvre Parisienne. Un album qui revient vers la France après son escapade italienne (Intermezzzo, Jazz Eleven, 2019). A l'image de l'ensemble de l'opus, Et ainsi va la vie est éclatant, mélancolique, doux-amer et coloré comme une bande original de Jacques Demy.

    Sarah Lancman, à la composition et au chant (et toujours avec son complice et ami Giovanni Mirabassi), se pose en évidente disciple de l’auteur des Demoiselles de Rochefort (Dis-le-moi) et propose un album bien plus fécond et varié qu’il n’y paraît a priori.

    Ainsi, Tokyo Song, déambulation romantique dans une ville qu’elle connaît bien (elle a travaillé et joué à plusieurs reprises avec le trompettiste et chanteur Toku) a des accents jazz américains, et un esprit très européen lorsque la chanteuse use d’acrostiches pour rendre hommage à la capitale nippone : "Take me / Over land and over sea / Keep my heart in Tokyo / You know how to read my mind and feelings / Only you, I love you so /  So you see, I come to you my love / On my way to know you’re / Near tome, I feel your eyes above / Gazing at me if I’m true."

    "J’ai du mal à écrire autre chose que des chansons d’amour", confie Sarah Lancman

    C’est l’amour qui guide la Parisienne (Love You More Than I Can Sing jazzy). "J’ai du mal à écrire autre chose que des chansons d’amour", confie-t-elle d’ailleurs. Dans Parisienne, l’amour est dans tous ses états : parfois évanescent, parfois fuyant, mais omniprésent : "J’avais espoir / Tout ce que j’aimais / C’était en toi" (C’était pour toi).

    Sarah Lancman ne craint pas de voyager entre jazz et chansons. Elle ne craint pas plus de se frotter aux standards, à l’exemple d'une chanson de Charles Aznavour, une des plus belles rencontres du début de sa carrière. La chanson Parce que, que Serge Gainsbourg avait repris avec une rare élégance en 1985, devient chez elle un titre jazzy, servi merveilleusement par l’accordéon de Marc Berthoumieux. Sarah Lancman choisit singulièrement la légèreté pour un titre qui sonne comme l’aveu d’un échec sentimental ("Tu joues avec mon cœur comme un enfant gâté / Qui réclame un joujou pour le réduire en miettes").

    Dans The Moon And I ou A New Star, Sarah Lancman s’affirme avec une belle audace comme une grande crooneuse. Elle semble nous entraîner au Carnegie Hall de New York pour ce qui s'apparente à un bel hommage aux classiques américains des années 50. Et l’amour, toujours : "My love is real for you dear / I want to share all / Your smiles and all your tears."

    L’auditeur s’arrêtera sans doute plus longuement sur le titre Ton silence, par sa manière d’interpréter tout en douceur des sentiments indicibles : "Ton silence en dit long / Ton silence est bien là / Posé, ancré au sol / Telle une statue."

    La reprise de l’Hymne à l'amour est sans doute l’un des gros morceaux du nouvel album de Sarah Lancman. La chanteuse ose un exercice périlleux avec l’adaptation de ce classique indémodable. Elle fait le choix d’un Hymne à l’amour jazzy et tout en retenue, même si la fin de la chanson fait souffler un vent de tragédie : "Et si un jour la vie t'arrache à moi / Si tu meurs, que tu sois loin de moi / Peu m'importe si tu m'aimes / Car moi je mourrai aussi."

    Sarah Lancman, Parisienne, Jazz Eleven, 2020
    https://www.sarahlancman.com
    https://www.facebook.com/sarahlancmanjazz
    https://www.instagram.com/sarahlancman

    Voir aussi : "Retour et parenthèse italienne avec Sarah Lancman et Giovanni Mirabassi"
    "Les bonnes fées de Sarah Lancman"

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  • Au-delà du miroir

    Peut-être serait-il bon de définir ce qu’est d’abord l’ouvrage de Nicolas Le Bault, La Fille-Miroir (éd. Réseau Tu dois) : un très bel objet d’art, le genre de livres gardé amoureusement dans sa bibliothèque et dont ont ne se séparerait pour rien au monde.

    Dans un format traditionnel, avec couverture cartonnée toilée et impression sur papier épais (mais sans numérotation de pages), Nicolas Le Bault a produit un roman graphique d’une belle audace, publié par une maison d’édition parisienne, Réseau Tu Dois, spécialisée dans "la fabrication du livre d’artiste du XXIe siècle".

    Sur environ 120 pages, l’écrivain et graphiste a construit un petit bijou artisanal : texte reproduit patiemment à la main d’une écriture cursive enfantines, aquarelles naïves, feuilles de classeurs scolaires insérées telles des pièces à conviction, reproductions de clichés photographiques, de pages de magazines, de coupures de presse ou de publicités kitsch.

    La Fille-Miroir est littérairement à la croisée des chemins entre le conte pour adultes, le journal intime et le roman graphique. Le lecteur pourra être déstabilisé par un texte débordant d’imagination et s’enfonçant loin dans les labyrinthiques questions de l’identité, du genre, du fantasme et de la recherche amoureuse.

    Hygiène Rose est un garçon que Pierre, dont il est épris, invite à un rendez-vous "dans la clairière aux secrets." Cette idylle se pare de tous les mystères et des jeux les plus étranges où le crime et la perversion ne sont jamais loin. Hygiène Rose est à la fois témoin et victime de scènes dignes de faits divers : "Avait-elle vu des horreur dans le bois creux ?" Les personnages charrient leurs lots de secrets, d’ambiguïtés (y compris sexuelle) et d’équivoques.

    Le lecteur – comme le personnage principal – balance entre le rêve et la réalité ("Cela me semblait tellement… vrai…"). Il y a aussi du David Cronenberg dans cette manière qu’a Nicolas Le Bault de s’intéresser aux corps, de les malmener et d’en faire des artefacts inquiétants, tel le visage transfiguré de Léna dévoilant "sa nature perverse" : "Le visage de chairs, de pollutions et d’organes me disait tout ce qu’elle était, tout ce qu’elle nous cachait, et tout ce qu’elle étouffait en elle. Ou bien n’était-ce que le miroir de mon désordre, de ce que je m’éprouvais que trop moi-même… ?"

    C’est sans doute cela aussi, cette "fille-miroir" : un voyage dans le mystère du genre et des règles sociales et morales enfreintes, les transgressions pouvant s’avérer fatales. Hygiène-Rose est au fil du conte une victime expiatoire, tourmentée tour à tout par Pierre (surnommé aussi "Pierre le Chien-Loup"), Léna ou l’inquiétant Léopold : "Hygiène était un être doux, sensible, et quelque peu erratique, d’une nature passive et gaie qui excitait à la cruauté. Il semblait souvent se perdre dans ses pensées ou se noyer dans ses émotions, et le mystère de ses sensations avait la profondeur d’un océan ou l’obscurité de la nuit. Insaisissable, il paraissait flotter, lui qui aimait tant le contact de l’eau sur sa peau, sombrer, s’immerger, mais dans quoi ?"

    Dans La Fille-Miroir, les lieux les plus paisibles et les plus anodins deviennent des endroits inquiétants où peuvent sévir des maniaques et des tueurs en série : "Et c’est ainsi qu’Hygiène Rose, n’écoutant que ses passions, s’enfuyait vers son destin sous l’affreux rire des dieux. La bête immonde ricane dans ses entrailles et lui grignote le cerveau, mais les rumeurs de la ville qui l’appellent au loin derrière la brume, ne sont-elles pas chargées d’espoir ?"

    Telle une Alice traversant le miroir, Hygiène Rose serait une lointaine héritière du célèbre personnage de Lewis Caroll, une créature nourrie par les influences d’Alfred Jarry, du surréalisme, de la culture punk, de l’androgyne Ziggy Stardust, de William Burroughs, de Serge Gainsbourg et des univers à la fois inquiétants et somptueux de Cronenberg et de David Lynch.

    Aussi beau, onirique et inquiétant que le titre de Nike Cave et Kylie Minogue, Where The Wild Roses Grow, La Fille-Miroir est une des surprises artistique et littéraire les plus étonnantes de cette fin d’année. On y entre curieux et séduit et on en sort sonné et remué, preuve que ce livre OVNI a pleinement rempli son rôle.

    Nicolas Le Bault, La Fille-Miroir, éd. Réseau Tu dois, 2016, 128 p.
    http://nicolaslebault.com
    http://www.reseautudois.com

  • Herenger, bourlingueur

    Dreamers faux rêveurs, c’est d’abord l’album d’un musicien, Herenger, qui s’est enrichi de mille voyages et rencontres (Eeels, Maurice Jarre ou Beck). Le premier titre, "La nostalgie", peut du reste se comprendre comme le message d’un artiste sans cesse en mouvement : "Bourlingueur du temps passé / Souvenirs au fond des poches / Amour en papier délavé / Au creux d’un Jeans / De la musique dans les passions / De la musique en lingerie fine / Amour en papier délavé / Au creux d’un Jeans." Nostalgie aussi jusque dans la facture musicale renvoyant à une pop-rock aux accents à la Bashung.

    Je vous fais un aveu : j’ai ouvert un dictionnaire pour comprendre le sens du deuxième titre de l’album de Herenger, "Paréidolie ordinaire". Une paréidolie est un phénomène visuel identifiant une forme à une autre (par exemple un nuage apparaîtra sous la forme d’un mouton et une tâche d’encre ressemblera à un papillon. Sur cette idée, Herenger a écrit un joli morceau convoquant avec délicatesse des rêveries et des souvenirs d’enfance : "Paréidolie dans les yeux de mon père / Regarde, tu vois, là-haut, un corps de lion."

    Avec "Le gardien du phare", dans une folk cabrélienne, l’auteur-compositeur-interprète propose le portrait d’un rugueux, taiseux mais sensible homme de la côte en train de faire sa "dernière ronde" : "Ça peut paraître dérisoire / Mais dans mes rêves de gardien de phare / J’avais des voiles et des dérives / J’ai même été un bateau ivre / Aujourd’hui un peu rouillé / Je me réveille du mauvais pied / A terre, saurais-je encore aimer ?"

    Herenger sait cacher derrière des titres légers, joueurs et romantiques ("Fais-moi") des morceaux aux accents plus sombres, à l’instar de "Vole" ("Vivre au bout du fil / Vivre comme un chien / A toutes fins utiles / Lui manger dans la main… Tu t’envoles enfin."), du très pop "Limoncello Moon", la seule chanson anglaise de l’opus qui parle de perte d’un être cher ("Bathe us in your beauty / Bathe us in your gold / Bathe us till the blues wears off our souls") ou encore de "Je ne sais pas", un morceau pop-folk au talk-over sensible sur une séparation indigérable ("Rester là si tu me quittes / Et vivre si tu t’en vas / Oui vivre si tu t’en vas / Je ne sais pas").

    Herenger se pique également d’engagement avec son titre plus électro-world "Aux étoiles du nord", en featuring avec Kyekyeku. Il s’agit d’un hommage et un message à destination des migrants fuyant leur pays en guerre ("Fuir la ville / Ou mourir au combat / Perdre racine")

    Les "Affreux de la création"

    Outre ce titre mêlant chanson français et world music, Herenger teinte "Les muses sauvages"  de sons jazzy, pour cette interprétation mythologique sur les "affreux de la création" comme le disait Serge Gainsbourg : "Il n’est plus de nuit ni de jour / Que des hordes de mots qui rendent fou / Et courent dans ma tête comme des chevaux sauvages".

    Nous parlions d’engagement. Il en est aussi question dans "La banquise". Évidemment, la lutte pour l’environnement est une source intarissable d’inspiration, parfois de manière plus ou moins adroite (les bons sentiments n’ont jamais forcément faits les meilleures créations, n’est-ce pas ?). Herenger, lucide et "faux-rêveur", préfère parler de ce sujet avec minimalisme, finesse et poésie, au plus près de l’être humain que nous sommes : "Dans mon verre tournent les ombres / Monochromes… Hémisphères / A deux doigts menacés / Mais je bois pour oublier le nombre de deux doigts et deux mains / Nos demains menacés."

    L’auditeur écoutera avec un plaisir communicatif le morceau qui a inspiré le titre de l’album. "Dreamers faux rêveurs" est un formidable titre folk sur l’enfance et les rêves que Herenger interprète avec Daguerre ("On a connu les doutes, on a connu les peurs / Et la rouille solitaire quand se fanent les fleurs / Dans des verres de partage on a noyé l’ennui / et peut-être pris de l’âge mais n’avons pas grandi / N’avons jamais grandi"). Ce duo pop-rock enlevé parle de rêves, de liberté mais aussi de voyages. De bourlingues, de nouveau. On ne se refait pas. 

    Herenger, Dreamer faux rêveur, Label Ancre Production / Inouïe Distribution, 2021
    https://www.facebook.com/Herenger
    https://lebureaudelilith.com/playlist/dreamer-faux-reveur

    Voir aussi : "Bande d’Idiots"

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