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• • Articles et blablas - Page 283

  • Jeune pape

    Le moins que l’on puisse dire est que Paolo Sorrentino (Il Divo, La Grande Bellezza, Youth), s’est attaqué à un morceau de choix avec The Young Pope. Croyants, non-croyants, chrétiens, traditionalistes et modernistes vont être égratignés par la série la plus en vue du moment, et chacun va en prendre pour son grade.

    Jude Law interprète Lenny Belardo, un pape originaire d’Amérique du nord qu’un collège de cardinaux a choisi d’élire à des fins politiques. En mettant sur la touche le favori du conclave, un cardinal conservateur, au profit d’un outsider jeune et inexpérimenté, la Curie croit parier sur le bon cheval, un ecclésiastique idéaliste qu’elle estime manipulable. Or, le nouveau pape, Pie XIII, s’avère bien plus retors que prévu et, contre toute attente, entend bien conduire une politique pontificale que personne n’avait pressenti.

    C’est peu dire que The Young Pope réserve son lot de surprises. À l’instar de cardinaux arroseurs arrosés, le spectateur est pris à rebrousse-poil par ce pape charismatique. La fiction télévisée est d’excellente facture et permet d'entrer dans l’intimité du Vatican. Avec un bel art du contre-pied, Paolo Sorrentino entretient longtemps le trouble autour du jeune pape et de ses motivations. Jude Law tient là un rôle inoubliable : séduisant, cabotin, secret, pieux, ambitieux, manipulateur politique et inspiré jusqu’à l’illumination. Son Pie XIII marquera longtemps les esprits. Mieux, il met dos à dos catholiques progressistes et traditionalistes en interrogeant le devenir de l’institution papale.

    Face à l’omniprésence de Jude Law, il convient de souligner que les seconds rôles parviennent à exister, que ce soit Silvio Orlando en cardinal rusé et opiniâtre, Diane Keaton en religieuse digne de Mazarin, Ludivine Sagnier en croyante pieuse ou Cécile de France en communicante conquise par un jeune pape diablement séduisant.

    Paolo Sorrentino confirme dans cette série son talent de réalisateur et impose sa patte artistique, dans la mise en scène baroque, la direction d’acteurs, les cadrages et la lumière. Somptueux, passionnant et déstabilisant.

    The Young Pope, série TV de Paolo Sorrentino avec Jude Law, Diane Keaton,
    Ludivine Sagnier, Javier Cámara et Silvio Orlando,
    10 épisodes, 2016, sur Canal+

  • Alex Varenne, peintre

    Alex Varenne expose en ce moment et jusqu’au 4 décembre à la galerie Art en Transe Gallery (Paris 3e) non pas un choix de planches de bandes dessinées mais une série de peintures, dévoilant une autre facette de cet artiste.

    Bla Bla Blog s’est intéressé ces derniers mois à la carrière d’Alex Varenne et à ses albums de BD les plus emblématiques. Mais le dessinateur est également peintre, un peintre influencé par les Américains Jackson Pollock, Franz Kline ou encore Robert Motherwell. Il présente en ce moment une partie de sa production dans l'exposition "Strip Art". Le strip art c’est ce mouvement issu du pop-art dont le représentant le plus célèbre est Roy Liechtenstein, une référence et une influence majeure pour Alex Varenne.

    Le strip art détourne et recycle la technique de la case utilisé en bandes dessinées. Alex Varenne s’en sert pour faire de plusieurs tableaux des saynètes sur grand format : L’Appel, La Professionnelle, Shanghai années folles, Sur le bund de Shanghai, Suite ou Yin et Yang. Le spectateur se trouve d’emblée dans un univers de la peinture contemporaine familier. Le style populaire de la bande dessinée est utilisé à des fins artistiques dans la droite mouvance du pop-art. En accrochant le 9e art sur cimaises, Alex Varenne interpelle le spectateur grâce à des scènes semblant sorties d’un album de bande dessinées (bien que les tableaux soient d’authentiques œuvres originales) et appelant une suite que chacun peut imaginer à sa convenance. La bulle de BD est également utilisée dans plusieurs de ses peintures (Couple endormi, La Femme double, Shanghai années folles ou Suite).

    Parmi les influences visibles, il y a le manga. Alex Varenne est un amoureux de la culture asiatique, ce que plusieurs toiles montrent, tour à tour avec tact, audace, humour ou nostalgie (Shanghai années folles, Sur le bund de Shanghai, Yin et Yang et Ri-Shu-Shi).

    alex varenneHéritier du pop-art, Alex Varenne prouve également son attachement au classicisme. L’artiste est un fin connaisseur de l’histoire de la peinture et parle avec goût et passion de la peinture renaissance, de l’expressionnisme américain ou du pop-art. Le spectateur trouvera dans l’exposition "Strip Art" des détournements d’oeuvres familières : Le Verrou de Jean-Honoré Fragonard est revisité à la mode BD dans Le Verrou de Fragonard et L’homme de Vitruve de Léonard de Vinci devient un vibrant plaidoyer féministe dans l’impressionnant Womanpower. Quant au Cri, dont le titre renvoie au chef d'oeuvre d'Edvard Munch, le spectateur pourra y voir l’influence évidente de la peinture religieuse et des Pietà, à ceci près que cette fois c’est sur les genoux d’un homme que repose "la mort de sa fille ou de la femme qu’il aime". Avec une économie de moyen, l’auteur de La Molécule du Désir se révèle un lointain héritier du classicisme. La défunte, portée à bout de bras, a la pose théâtrale des modèles baroques. Le visage de profil semble être en pâmoison et la main posée sur l’épaule de l’homme sans tête est dessinée avec une infinie délicatesse et semble être encore vivante. 

    Alex Varenne utilise ce qu’il sait le mieux faire : la bande dessinée érotique. À la galerie Art en Transe Gallery, Alex Varenne expose avec élégance "ses audacieuses", ces femmes blondes, brunes, rousses ou asiatiques, portraitisées en déesses (Vénus ouverte, Voyage de peintre), surprises dans leur intimité, déshabillées ou vivant sans fard leurs fantasmes : Irina, communiant "en cachette des boissons pas très catholiques" (Irina au Collier rouge), Manuella la danseuse et ses "partenaires" (Jambes de Tango), Olga la dominatrice et soumise (La femme double) et Gina, la prostituée encore illusionnée par l’amour (La Professionnelle). D’amour, il en est question dans ces scènes d’amour, qu’elles soient pudiques (Couple endormi), ludiques et équivoques (L’Appel) ou très osées (Jouissance). Les hommes sont peu présents dans la production exposée en ce moment. Ou, du moins, ils sont toujours placés au second plan (L’Appel), en voyeurs (Typologie de la femme), spectateurs et demandeurs (Suite) ou tout simplement désœuvrés si ce n'est désespérés (Erectum ergro sum et Le Cri).

    L’exposition Strip-Art d’Alex Varenne est à découvrir à la galerie Art en Transe Gallery jusqu’au 4 décembre.

    "Alex Varenne - Strip Art", du 8 novembre au 4 décembre 2016
    Art en Transe Gallery, 4 rue Roger Verlomme, Paris 3ème

    Remerciements particuliers à Alex Varenne et Mai-Loan Roque

    © Alex Varenne

    Bla Bla Blog est partenaire de cette exposition

     

  • L'entraîneur et le philosophe

    Fascinant et déstabilisant Leonardo Jardim : c’est lui que le journal Le Monde choisit de portraitiser ce week-end dans ses pages Sports.

    Arrivé comme entraîneur de l’AS Monaco en juin 2014, Jardim doit, à l'époque gérer une période compliquée pour une équipe de football que certains voyaient jusqu'alors comme un concurrent sérieux du PSG. Las, le club de la Principauté de Monaco est contraint de se serrer la ceinture sous peine d’être taclé par l’UEFA dans son programme de "fair play financier". Voilà donc Leonardo Jardim, successeur de l’emblématique Claudio Ranieri, obligé de gérer la nouvelle politique sportive de son club. Et on ne donne pas cher à l’époque de ce coach, ancien entraîneur à l’Olympiakos Le Pirée et au Sporting Lisbonne pour ses principaux faits d’arme.

    L’ambitieux projet de son Président, le milliardaire russe Dimitri Rybolovlev reposaient sur des joueurs clés, James Rodriguez Radamel Falcao en premier lieu, dont le club est obligé de se séparer. Jardim gère cette période de vaches maigres avec un aplomb et un savoir-faire étonnants. Grâce à une pépinière de jeunes joueurs talentueux (Anthony Martial, Djibril Sidibé ou Kylian Mbappé), l’obsession de la stabilité et surtout le travail sur le terrain, celui qui était surtout connu pour son accent français à couper au couteau - souvent, du reste, égratigné par Le Petit Journal - finit par ne plus faire rire personne.

    Son succès inespéré contre Arsenal en Ligue des Champions en février 2015 fait grincer quelques dents. Au début de la saison 2016-2017, le club du Rocher prend de l’assurance, parvient à battre le grandissime favori, le PSG, et se hisse à une troisième marche méritée du podium. En Ligue des Champions, le club de Jardim joue crânement sa chance au point d’être premier de son groupe devant Tottenham que le club retrouvera cette semaine.

    Rémi Dupré est l’auteur dans Le Monde de ce portrait attachant d’un entraîneur atypique. Modeste, déterminé, empathique avec ses joueurs et concepteur d’une "méthode écologique" : "Tu peux tuer tout le système de ton équipe avec trop de travail physique. C’est la même chose si tu veux changer le biotype d’un joueur de qualité… C’est comme si tu voulais changer le PH d’une rivière." Et le journaliste de s’arrêter sur celui qui demeure l’influence de l’entraîneur de football : le philosophe Edgar Morin. Dans l’intelligence du jeu et du coaching, nul doute que Leonardo Jardim a placé la barre très haut. Mardi, Tottenham pourrait bien faire les frais d’un entraîneur portugais longtemps moqué et d’un philosophe de 95 ans.

    Rémi Dupré, "Le football selon Jardim", Le Monde, 19 novembre 2016

  • Dans l’enfer du Taj Mahal

    Beaucoup d’entre nous sont passés à côté de Taj Mahal, sorti il y a un an peu après les attentats du 13 novembre, et qui mérite de figurer parmi les fleurons du suspense français. Nous avons droit à une séance de rattrapage en ce moment puisque Canal+ diffuse sur son bouquet de chaînes ce petit bijou.

    Aucune star pour le deuxième film de Nicolas Saada, auteur du remarqué Espion(s), aucun grand moyen et un film tourné ni en France ni aux États-Unis mais en Inde, une intrigue sèche comme un coup de trique et un sujet d’actualité – le terrorisme – traité avec minimalisme.

    Nous sommes en 2008. Louise (Stacy Martin), 18 ans, se trouve déracinée pour deux ans à Bombay avec sa mère et son père parti travailler en Inde. La famille est logée dans le froid et luxueux hôtel Taj Mahal. Un soir que Louise se trouve seule dans la suite familiale, une attaque terroriste a lieu dans l’établissement. La jeune fille n’a pour tout contact avec ses parents qu’un téléphone. Elle va devoir s’en sortir seule.

    Les films sur la survie sont pléthores (voir aussi cet article, "Flukt, alors !") mais on aurait tort de limiter Taj Mahal à l’histoire d’une adolescente terrorisée tentant d’échapper à l’enfer promis.

    Nicolas Saada se fait maître dans l’art d’instiller l’angoisse par petites touches. Dans le huis-clos d’une chambre d’hôtel, la peur surgit grâce à des détails, des bruits, des scènes suggérées, des coups de feu éclatant en échos. Pas d’effets spectaculaires mais tout se joue sur presque rien : le visage de Louise, la recherche d’un chargeur de portable, les progressions dangereuses à l’intérieur de la suite ou les effets d’ombres et de lumières.

    L’hyperréalisme est là, dans l’interprétation sans esbroufe, presque documentaire. Nicolas Saada prend à contre-pied le public habitué au sensationnel dans les films sur le terrorisme. Il y a par exemple cette scène où la mère – d’origine américaine – tente avec pathos de réconforter sa fille en lui chantant au téléphone une berceuse. Louise s’en étonne : "Maman, qu’est-ce que tu fais ? – J’essaye de te calmer. – Ça ne me calme pas du tout !"

    Taj Mahal fait monter la pression avec un réalisme acéré. Réaliste, Nicolas Saada l’est aussi lorsqu’il montre, dans la première partie du film, des rues de Bombay. Déracinée, la famille occidentale découvre un pays à la fois fascinant et inquiétant. Les habitants locaux adressent des regards accusateurs aux trois expatriés. Le spectateur devient témoin du malaise, annonciateur du drame qui va se jouer quelques minutes plus tard.

    Alors que la partie s’est jouée, Nicolas Saada ose une ultime scène, cette fois à Paris. Avec une clairvoyance rarement vue dans un film sur le terrorisme, le réalisateur affronte le problème de l’indicible et des survivants devant affronter leurs démons. Un ultime coup de maître, génial et poignant.

    Taj Mahal, de Nicolas Saada, avec Stacy Martin,
    Gina McKee et Louis-Do de Lencquesaing, France, 2015, 143 mn

     

  • Polina, de la danse au grand écran

    Bla Bla Blog s’était fait l’écho de la bande dessinée de Bastien Vivès, Polina ("Petite danseuse deviendra grande"). Cet auteur a fait l’objet de plusieurs chroniques et il semble bien qu’il soit passé dans une autre dimension cette semaine.

    Son album Polina fait en effet l’objet d’une adaptation cinéma déjà très séduisante sur le papier.

    En attendant de découvrir ce film, pourquoi ne pas découvrir ou redécouvrir sur papier le destin de cette danseuse russe follement douée ?

    "Petite danseuse deviendra grande"
    Bastien Vivès, Polina, éd. KSTR, 206 p.
    Blog de Bastien Vivès

  • Mell, on "Danse" ou on déprime ?

    Mell vient de sortir Déprime & Collation, son sixième album, un vrai concept album d’une belle audace musicale. Les influences de la chanteuse, née du côté de Nancy et vivant depuis deux ans à Montréal, sont à chercher tous azimuts : rock anglais des années 70/80, new wave, folk nord américaine ou électro. Les vingt titres de Déprime & Collation, d’une grande variété mais paradoxalement aussi d’une grande cohérence, dessinent le visage d’une artiste aux facettes multiples, bien décidée à s’affranchir des barrières et à faire entendre sa voix.

    L’album commence par un titre rock rugueux mâtiné d’électro, Ton corps j’ai crié. La voix androgyne de Mell parle sans artifice d’amour et de séparation : "Où est passé ton corps / Où est passé la mort / Que je frôlais chaque soir" dit la chanteuse dans ce titre brut et sans artifice, rude comme l’amour.

    Son et guitare rock encore avec Snack & Blues. Non sans nostalgie et avec le parti pris du lofi neighties, Mell nous parle encore d’amour, une nuit de déprime et de gueule de bois : "Tour du monde / All night long / Serre-moi encore jusqu’à ma mort / Tout le monde rentre chez soi / Moi je m’écroule à chaque pas / De quoi j’ai l’air à cette heure là".

    Mell puise aussi avec énergie dans les années 80 pour des chansons punk-rock coup de poing et enlevées. Hey, Mort de rire et Danse c’est The Clash ressuscité et dopé à l’électro par une musicienne qui n’a pas froid aux yeux. Mell carbure à la new wave dans Au cinéma, transportant l’auditeur dans une salle obscure pour une idylle sucrée et éphémère : "Emmène-moi au cinéma / Que je puisse te toucher dans le noir / Comme si c’était la première fois / Je tremblerai / Tu souriras" : injection de nostalgie garantie.

    Le titre de l’album parle de déprime. Disons, pour être juste, que c’est vers la mélancolie et la nostalgie que penche la majorité des titres. C’est She said, ballade électro, Mon enterrement, une mélodie folk à l’ironie mordante, ou encore Tes yeux verts, titre folk lumineux et minimaliste : "Dans tes yeux clairs / J’ai vu la mer / Dans tes yeux verts / J’ai vu l’enfer… / Non je n’ai pas peur des tempêtes".

    Où te caches-tu ? penche du côté de Nick Drake : "Où te caches-tu mon amour / Dans quel pays / Dans quel faubourg". Cette ballade folk, sur le thème de l’amour et de l’identité, est savamment mise en relief par petites touches, sans dénaturer une mélodie simple, une voix délicatement posée et une guitare sèche lofi.

    Au Louvre c’est encore du côté de la pop-folk qu’il faut chercher l’influence de l’artiste pour une chanson qui parle d’une absence, de la recherche de sens et de l’évidence d’un manque au milieu des galeries immenses du célèbre musée parisien : "Des chats sauvages me tombent dessus / Et puis ton corps à moitié nu / Au-dessus du vide sous les étoiles".

    Déprime & Collation est particulièrement riche de titres instrumentaux faisant la part belle aux synthétiseurs et à l’électronique, qui ne sont pas sans rappeler la mythique Trilogie berlinoise de David Bowie et Brian Eno ( Low, "Heroes" et Lodger). Comme aux plus belles heures des concept-albums, deux courts interludes viennent ponctuer l'album concept de la native de Lorraine: c’est Marécages invisibles et surtout Dot-111, formidable titre psychédélique pouvant faire penser à V-2 Schneider dans "Heroes".

    Mell n'est pas non plus avare en titres instrumentaux longs mais aussi exigeants : Les crocodiles qui somnolent, Absurdistan, I love u at five o’clock ou Poisson chat qui conclut l'album. Astronaute de son corps est une belle page électro tout en voyage, mêlant guitare aérienne et synthétiseurs. No barricade se révèle être un instrumental harmonieux et séduisant où les guitares décrochent un rôle de premier choix. Rarement des accords de cordes n’ont parus aussi évidents. Canaille mayonnaise mêle quant à lui des guitares rock rugueuses et un son électronique comme venu d’outre-tombe.

    Album audacieux, déstabilisant, et pas si déprimant que cela, Mell offre un diamant musical, riche de surprises mais aussi de promesses.

    Mell, Déprime & Collation, Art Disto / L’Autre Distribution
    sortie nationale le 10 novembre 2016

    Page Facebook de Mell
    Mell en tournée & promo en France tout le mois de novembre
    dont le Divan du Monde à Paris  le mardi 29 novembre
    (avec Katel, Céline Ollivier, Adrienne Pauly et Nicolas Jules)

  • "Tu dessines vachement bien les femmes"

    S'il est un domaine incompris dans le 9ème art, c'est celui de la bande dessinée érotique ; et s'il est un auteur qui a su tracer sa voie au mépris des conventions et des modes c'est Alex Varenne. Personnage marquant de la bande dessinée érotique, Alex Varenne fait en ce moment l'actualité avec une exposition marquante consacrée à sa peinture, toute entière dédiée au sexe et à la féminité, "Alex Varenne - Strip Art", du 8 novembre au 4 décembre 2016 à la galerie Art en Transe Gallery, 4 rue Roger Verlomme, Paris 3ème. Les familiers de Varenne découvriront deux nouveautés chez l'auteur des Larmes du Sexe : le (très) grand format et la couleur. Le bloggeur y reviendra plus longtemps sur ce site dans quelques jours. 

    Le noir et blanc est au départ la marque de fabrique d'Alex Varenne. Coloriser ses planches apporterait selon lui un réalisme vain et qui n'a pas lieu d'être. Il est vrai que le dessin et les grands aplats noirs se suffisent à eux-mêmes, a fortiori dans les scènes nocturnes et intimistes. Mieux, cela permet de magnifier les traits et les corps de ses personnages – des femmes essentiellement- sans l'apport de la couleur.

    Avant le Varenne de l'érotisme, il y eut le Varenne de la SF, auteur avec son frère Daniel, de l’impressionnant cycle de science-fiction Ardeur. Ce road-movie post-apocalyptique sombre et nihiliste est aux antipodes de ce que l'artiste montrera plus tard. Et pourtant, le dessinateur de l'époque révèle tout son talent dans les représentations des personnages féminins comme dans les scènes d'amour. Le cinquième tome, tout entier consacré à Ida Mauz, celle précisément qu'Ardeur n'a de cesse de rechercher à la fin de son voyage, paraît a posteriori écrit sur mesure pour Alex Varenne. Il suit cette beauté fatale, emprisonnée dans une cage dorée, et la dessine sous toutes les coutures avec une maîtrise et une finesse incomparable.

    Alex Varenne aime les femmes : c'est indéniable. Et la suite de sa carrière le prouve. Après sept années (1980-1987) et six volumes consacrés à Ardeur, Alex Varenne suit les conseils de Georges Wolinski, un soutien de la première heure qui lui a mis le pied à l'étrier : puisqu'il est doué pour dessiner des femmes, pourquoi ne se lancerait-il pas dans la bande dessinée érotique ? Alex Varenne avait déjà essayé sans succès de percer dans la BD érotique. Avant Ardeur, il y avait Dio (1969), sa première une bande dessinée inspirée par la mythologie… et mai 68 : l’histoire de la destruction de Thèbes par Dyonysos et ses Bacchantes sert de cadre pour un appel une révolution sexuelle et ludique. Ce livre ne parviendra pas à faire sa place. A l'époque de Charlie Mensuel, Geores Wolinski convainc Alex Varenne de persister : "Tu dessines vachement bien les femmes", remarque-t-il. Entre-temps, une ultime collaboration avec Daniel Varenne, Angoisse et Colère (1988), donne l'occasion au dessinateur et au scénariste de se plier à la contrainte de l'adaptation littéraire. Ils s'attaquent au dense et âpre récit Mars de l'auteur suisse Fritz Zorn. Cinq ans plus tard, c'est dans une veine tout aussi réaliste – mais cette fois seul au texte et au dessin – qu'il sort Gully Traver (1993), un autre roman graphique mêlant paysages du nord, misère sociale, scènes oniriques et érotisme.

    alex varenne,sexe,érotismeAprès Ardeur, Alex Varenne produit en solo sa première œuvre résolument érotique, Carré noir sur dames blanches. Nous sommes en 1984, époque polémique du carré blanc, symbole de la censure à la télévision. Toujours au sujet de ce titre, des critiques ont pu s’étonner que Varenne ne dessine pas de femmes noires. L’auteur s’en explique ainsi : "Parce que sur une BD en noir et blanc, il est compliqué de dessiner des corps noirs. C’est uniquement pour ça." CQFD.

    Suivent L’Affaire Landscape (une fantaisie érotique), Erotic Opera, Corps à Corps et surtout le cycle Erma Jaguar, qui s’étale sur 22 ans, de 1988 à 2010 ! Erma est cette femme libre, assouvissant ses fantasmes et ceux des hommes qu’elle croise. Dans des décors interlopes, des femmes et des hommes s’aiment et assouvissent leurs fantasmes dans de savoureuses mises en scènes, et non sans humour. En un sens, Alex Varenne se révèle un anti-sadien, d’abord intéressé par le désir féminin. Hédoniste et libertin moderne, l’auteur des Larmes du Sexe ne cache pas que ces histoires traduisent sa propre vie personnelle. L’artiste, à la recherche du plus grand réaliste, s’inspire de modèles pour "ces femmes de papier".

    1997 marque une collaboration éphémère mais marquante pour Varenne. La prestigieuse maison d’édition japonaise Kodansha fait appel à quelques dessinateurs français pour publier des "mangas à la française". Alex Varenne sort deux albums chez eux avant que l’éditeur ne mette fin à l’aventure : "Au bout de 5 ans, les japonais ont vu comment on faisait des mangas à la française, ils n’avaient plus besoin de moi", commente plus tard ironiquement Alex Varenne.

    De retour du Japon, il continue sur sa lancée érotique, mais rapportant de son aventure artistique une influence asiatique, avant que la mode du manga n’inonde la France. La sensualité orientale est déclinée dans des œuvres comme La Molécule du Désir (2014) ou Tondi (2015), mais également dans son œuvre picturale (nous en reparlerons sur ce blog dans quelques jours). La place centrale du sexe dans la philosophie chinoise est montrée en exemple par l’artiste : le sexe c’est la vie, dit-il en substance, et il n’est pas corseté par autant de tabous qu’en Occident.

    Les tabous, les héroïnes de Varenne n’en ont pas. Que ce soit Erma Jaguar, Ida Mauz, Yumi, Carlotta ou Lola, chacune d’entre elle est maître de sa vie, de ses passions et de ses pulsions. Regardez le visage d’Ida : il est peint avec grâce, volupté et délicatesse. L’intelligence et la sensualité sont les plus petits dénominateurs communs de ces femmes avides de liberté, quitte à aliéner leurs compagnons masculins.

    Alex Varenne vient de la peinture, comme il le rappelle. Disons aussi que ses influences viennent sans doute autant sinon plus du Caravage, de Liechtenstein (il en est même le fils spirituel comme le montre sa dernière exposition "Strip-Art" à Art en Transe Gallery), Hokusai ou Goya que de Crépax, Milo Manara ou Jean-Claude Forest. Cette passion pour la peinture a pu épisodiquement transparaître par exemple dans un tome d’Ardeur et dans plusieurs planches de Gully Traver. Derrière le Libertin des Lumières se cache un vrai connaisseur des beaux-arts qui rappelle toute l’importance de l’érotisme et de la représentation féminine dans la peinture classique, y compris (et surtout !) lorsqu’elle a une vocation religieuse. Il est vrai que la passion de Varenne d’lex Varenne pour l’érotisme et les femmes a quelque chose de sacré, comme le montre par exemple le visage de Madonne d’Isa Mauz.

    "Je ne peins pas des femmes mais mon amour pour les femmes", commente sobrement Alex Varenne.

    "Alex Varenne, libre et libertin"
    "Le Viagra, en plus efficace et plus drôle"
    "Varenne, cyberpunk"
    "Un Voyage de Gulliver"

    "Alex Varenne - Strip Art", du 8 novembre au 4 décembre 2016
    Art en Transe Gallery, 4 rue Roger Verlomme, Paris 3ème

    Remerciements particuliers à Alex Varenne et Mai-Loan Roque

    © Alex Varenne


    Culturetainment [S5E10] Alex Varenne sublime... par mensuptv

  • Un voyage de Gulliver

    Une femme nue sort de l’eau. Cette apparition divine, inspirée par La Naissance de Vénus de Boticelli, tombe dans les bras d’un sculptural plagiste, Gully Traver – que l’on retrouvera plus tard sous le prénom d’Antoine. Entre les deux amants commence une étreinte avant qu’ils ne soient agressés par un inconnu, un chômeur violent et désœuvré. Les deux hommes se battent et la femme s’enfuit.

    L’amour s’en étant allés, les deux hommes se retrouvent seuls, sympathisent et entament une déambulation le long d’une plage du nord. Ils croiseront sur leur route une femme qu’ils sauvent de la noyade, un avocat des causes perdues, la compagne voilée d’Antoine, un prêtre dont l’église est ensablé, un vieux couple ou un promeneur aux chiens. Tout ce petit monde , aux poursuit une route incertaine, avant un dans un décor à la fois familier et onirique. Gully Traver c’est Gulliver perdu sur la côte nordique, avant d’être englouti avec ses camarades dans une mer fantasmagorique. Au bout du voyage surréaliste, il y aura la mort puis la résurrection, surréaliste et fascinante.

    L’avenir rendra sans doute raison à Varenne pour Gully Traver, une bande dessinée à part dans son œuvre, mal aimée sinon boudée. Il est sans doute temps de réévaluer cette œuvre onirique et métaphysique. Après Ardeur, un cycle de science-fiction majeur, Alex Varenne prend le parti de prendre son public à contre-pied, avec malgré tout quelques planches érotiques d’une grande beauté visuelle. Le lecteur y trouvera des références picturales frappantes : Botticelli, Le Caravage mais aussi Escher pour les deux dernières planches.

    Gully Traver, commencé comme une bande dessinée noire et sociale, se termine en fable métaphysique et psychanalytique, aux scènes d’une grande puissance visuelle, comme ce taureau terrassé, ce couple empalé à une montagne ou cette danseuse sortant du sable.

    Alex Varenne, Gully Traver, éd. Casterman (à suivre), 1993, 87 p.
    "Alex Varenne - Strip Art", du 8 novembre au 4 décembre 2016
    Art en Transe Gallery, 4 rue Roger Verlomme, Paris 3ème