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louis xiv

  • À la cour du Roi Soleil

    Attention, choc musical avec cet album consacré au Te Deum de Jean-Baptiste Lully. L’enregistrement que nous propose le Château de Versailles, dans sa collection des Grands Motets, commence par la plus singulière des manières, avec une œuvre d’un presque inconnu, Jacques Danican Philidor (1657-1708) et sa puissante Marche de timballes, avant une (très) courte Marche Royalle de son frère André Danican Philidor, dit "L’aîné" (1652-1730).  

    Avec cette entrée en matière, nous voilà à plein dans la cour du Roi Soleil. Idéal pour ouvrir l’un le fameux Te Deum de Jean-Baptiste Lully (1637-1687), né Giovanni Battista Lulli. Stéphane Fuget et son ensemble baroque Les Épopées prend à bras le corps cette œuvre composée en 1686 pour le baptême de Louis, le fils aîné du souverain français. La première exécution a lieu le 9 septembre 1677 à Fontainebleau.

    Il faut se laisser imprégner par les vagues orchestrales et les chœurs ( les Pages et les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles) pour entrer à la cour du Roi Soleil. C’est là que la musique baroque a connu sa plus étonnante manifestation. Elle a su, grâce notamment à Lully, important surintendant de la Musique de la Chambre du roi, allier luxuriance, magnificence et retenue, souvent dans un objectif politique – disons-le – ce qui a sans doute contribué à la rendre moins visible – ou plutôt moins audible – dans les siècles suivants. 
    On doit au Château de Versailles de rendre hommage à Lully qui fut au XVIIe siècle sans doute l’un des plus grands compositeurs de son temps.       

    La petite et la grande histoire racontent que ce Te Deum fut tragique pour Lully

    Stéphane Fuget et son ensemble des Épopées mettent en valeur l’essence de ce Te Deum, œuvre sacrée autant que profane, avec sa part de pompe (le "Te deum" à l’ouverture) mais aussi de spiritualité ("Pleni sunt caeli et terra", "Quos pretioso sanguine redemisti"). Il y a aussi ces moments de respirations ("Te ergo quaesumus", "Dignare Domine die isto"). Les chroniqueurs de l’époque racontent que le roi fut si ravi de cette œuvre qu’il exigea de "l’entendre plus d’une fois".

    La petite et la grande histoire racontent que ce Te Deum fut tragique pour Lully. Il choisit de le remonter en septembre 1687 pour retrouver les bonnes grâces du roi, agacé par les mœurs dissolues du compositeur. Hélas, lors du concert, c’est en dirigeant ses musiciens et chanteurs que Lully se blesse gravement à l’aide de sa lourde canne. La gangrène gagne rapidement son pied et Lully décède quelques semaines plus tôt.

    Le motet Exaudiat te Dominus de Lully suit habituellement son Te Deum, et c’est tout naturellement qu’on le retrouve dans cet enregistrement du Château de Versailles. Il a été composé en 1687 pour le roi – bien évidemment – à l’occasion d’une bonne nouvelle : la santé recouvrée du souverain après de sérieux pépins de santé.

    Il est vrai que l’allégresse est le terme qui caractérise le mieux l’ouverture du motet, en forme d’action de grâce : "Exaudiat te Dominus in die tribulationis". L’orchestre et les chœurs dirigés par Stéphane Fuget ne sont pas en reste. A l’instar du te Deum, moments d’exaltations et recueillement ("Domine, salvum fac regem") ponctuent régulièrement cette œuvre vraiment attachante. Que l’on pense au bref, délicieux et enlevé "Laetabimur in salutari tuo" ou à l’enflammé "Hi in curribus, et hi in equis".  Avec en prime une action de grâce ("Gloria Patri et Filio"). Louis XIV et Lully le valaient bien, sans doute.

    Et dire que tout s’est terminé avec une vilaine et stupide gangrène au pied !

    Jean-Baptiste Lully, Te Deum, Stéphane Fuget, Les Épopées, Lully – Grands motets, vol. 4, Château de Versailles Spectacles, 2024
    https://boutique.cmbv.fr/fr/lully-te-deum-vol4
    https://www.lesepopees.org/fr

    Voir aussi : "Brahms doublement suisse (et même triplement)"

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  • Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière 

    2022 marque les 400 ans de Molière. Cet auteur phare de la littérature française, chacun croit bien le connaître : son vrai nom, Jean-Baptise Poquelin, son choix de ne pas suivre la tradition familiale de tapissier, ses premières armes dans une troupe de théâtre, L’Illustre Théâtre, le soutien du roi Louis XIV, le succès de ses comédies (L'Avare, Le Misanthrope ou Les Femmes savantes), le scandale de Tartuffe et sa mort après la représentation du Malade imaginaire.

    Voilà ce que la légende a conservé de la vie d’un artiste hors du commun. La bande dessinée Molière, le théâtre de sa vie (éd. Petit à Petit) propose de retracer sa carrière en 64 pages et 9 actes (en plus d'une dixième partie nous parlant de son héritage). Entre chaque séquence, deux pages de textes illustrés de Suzie Sordi font un focus sur tel ou tel aspect de son existence ou de la vie de l’époque : le Paris du XVIIe siècle, "l’aventure de l’Illustre théâtre", une courte biographie de Madeleine Béjart, sans oublier des éclairages sur quelques pièces essentielles de Molière.

    Cette BD est idéale pour découvrir et redécouvrir Molière et lui souhaiter son anniversaire comme il le mérite. 

    Molière apparaît comme un homme issu de la bonne société, bien intégré dans l’aristocratie

    Que l’on soit scolaire ou adulte, connaisseur ou non de Molière, le lecteur lira avec grand intérêt ce biopic dessiné bien documenté. Au scénario, saluons le travail de Dobbs qui dépoussière l’auteur du Misanthrope autant qu’il rétablit quelques vérités.

    Certes, les historiens regrettent que les archives sur Molière soient fragmentaires, à commencer par le choix de son pseudonyme, Molière. Cela n’empêche toutefois pas que l’existence de l’écrivain et acteur soit dépoussiérée et éclairée.

    Prenez cette charge de tapissier que lui léguait son père. Jean-Baptiste Poquelin a certes choisi une profession mal-aimée, celle de comédien. Pour autant, il est bien entré comme tapissier auprès du roi en 1660, une charge qui lui conférait la place de valet de chambre de Louis XIV. Et qui lui a permis d’exercer comme homme de théâtre.

    Molière apparaît comme un homme issu de la bonne société, bien intégré dans l’aristocratie. Sa famille était riche, ses protecteurs puissants et son père, loin de rejeter son fils, l’a aidé. Voilà qui fait de Molière un artiste beaucoup moins maudit qu’on a bien voulu le dire.

    Les planches de Thomas Balard, assez classiques dans leur facture, permettent au lecteur de rentrer avec plaisir dans la vie de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, le rendant plus proche et moins académique. 

    Thomas Balard, Dobbs, Suzie Sordi et Delphine, Molière, le théâtre de sa vie,
    éd. Petit à Petit, 2022, 64 p. 

    https://www.petitapetit.fr/produit/moliere-le-theatre-de-sa-vie
    https://balardnews.blogspot.com
    https://dobremelolivier.wixsite.com/dobbscorp
    https://www.moliere2022.org

    Voir aussi : "Monstrueusement sexy"

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  • Du couvent à la Régence

    L’Histoire de France est riche de personnages secondaires ayant contribué à leur manière à écrire des périodes particulièrement agitées. Claudine Alexandrine de Tencin est indubitablement l’une de ces figures. Madeleine Mansiet-Berthaud conte le récit de sa vie dans son roman historique, La Défroquée (éd. Ramsay).

    Cette fille de cinq enfants, née d’une famille grenobloise de la noblesse de robe durant le règne de Louis XIV a, dès son enfance, l’assurance de faire partie de ses grandes oubliées. Femme dans une culture patriarcale, avec un frère aîné qui est promis à un riche héritage et un autre frère poussé vers une carrière dans le clergé, la jeune fille est envoyé au couvent de Montfleury pour une vie de prière. Son existence est promise au silence, ce qu’elle ne peut admettre. Madeleine Mansiet-Berthaud la fait s’exprimer ainsi, alors qu’elle se morfond dans un couvent où son père l’a enfermé : "Si je quitte un jour ce voile et le monastère pour la vie civile, j’emploierai mon temps à bâtir une fortune." Une promesse de reprendre en main sa vie et de s’échapper d’une véritable prison, mais qui est aussi la marque d’une défiance envers les hommes : "Si Alexandrine ne tuait pas son père, elle tuerait tous les hommes qui l’approcheraient."

    En fait de meurtre, c’est plutôt de revanche et de vengeance dont elle va user. Cela va d’abord passer par une manœuvre juridique de longue haleine : obtenir du pape la fin des ordres et retourner à la vie civile. Sa bataille va durer onze ans et se terminer par sa libération : un cas "unique dans les annales de l’Église". Contre toute attente, dans une France où la religion catholique pèse de tout son poids sur la vie, Madame de Tencin devient celle que l’on surnomme "la défroquée" : "Ne serait-je jamais qu’une nonne / A qui faux pas l’on ne pardonne ?", versifie-t-elle lors des derniers jours du Roi Soleil.

    Ce n’est qu’une première étape vers son destin exceptionnel dans une époque traditionnelle et patriarchale. La jeune femme ne veut pas se contenter d’une existence régie par le mariage et une famille traditionnelle. S’occuper d’un enfant ? Au risque qu’il "vienne anéantir des rêves de gloire" ? Jamais ! Car si elle a bien eu un enfant, elle ne le reconnaît pas, et c’est finalement son amant de l’époque qui s’occupe de lui – qui deviendra plus tard le philosophe et encyclopédiste D’Alembert.

    Une féministe avant l’heure

    C’est d’abord auprès de sa sœur Marie-Angélique, devenue Madame de Ferriol, que l’ancienne nonne se frotte au grand monde, via un salon littéraire où les plus brillants esprits sont invités : Fontenelle, la tragédienne Mademoiselle Duclos, le jeune Voltaire, mais aussi toutes ces figures politiques qui, après la mort de Louis XIV, allaient être les têtes pensantes de la Régence. Mme de Tencin devient même la maîtresse de Dubois, le second en France après le Duc d’Orléans. Puisque la société interdit aux femmes tout pouvoir, elle multiplie les intrigues pour placer tel ou tel au plus haut sommet, souvent ses amants, et sans oublier les membres de sa famille. Alexandrine continuerait à fabriquer des candidats à l’immortalité dans son usine à idées, tout simplement parce que c’était sa vocation, sa vie, d’élever les grands esprits aux plus hauts sommets, comme de moquer ceux qu’elle estimait médiocres." Vers la fin de sa vie, elle se lance également en littérature, avec des romans qui auront un succès certain à l'époque.

    En suivant le destin incroyable de la Défroquée, l’auteure fait un tableau passionnant de la France du début du XVIIIe siècle : les luttes d’influence pour la succession de Louis XIV, les troubles anglais, le miracle économique du système de Law puis la crise qui s’en suivit, sans oublier l’arrivée au pouvoir du jeune Louis XV. Madeleine Mansiet-Berthaud fait de Madame de Tencin une brillante et insatiable manipulatrice qui s’appuie aussi sur sa propre famille. L’auteure capte bien cette époque, tout en glissant quelques pages d’une écriture classique, voire sensuelle, lorsqu’elle entre par exemple dans les intérieurs bourgeois de cette fille de noble provinciale devenue une aristocrate influente : "Le taffetas glissa sur le parquet ; la jupe étalée restait gonflée, comme toujours habitée. Les dessous de coton blanc échouèrent sur une méridienne. La chambre baignait dans une demie-pénombre."

    Car la famille est l’autre pierre saillante de son existence, avec un frère dont elle est éprise et qu’elle aidera sans faille dans sa quête de pouvoir ecclésiastique car "garder des relations avec les hauts personnages susceptibles de servir la carrière de son frère passait avant une aléatoire gloire personnelle". La quête de reconnaissance n’est pas absente des motivations de l’ancienne religieuse, jamais épargnée par son passé de nonne.

    L'auteure ne cache pas la grande part d’ombre d’Alexandrine de Tencin qu’est sa relation avec d’Alembert. On peut dire qu’elle s’avère être une féministe avant l’heure, qui a assumé ses choix privés jusque dans ses excès, en refusant "d’être l’esclave d’un homme" : "Quand la femme serait-elle l’égale de l’homme ?". C’est sa sœur qui a sans doute eu la réflexion la plus définitive sur elle : "Votre génie pour le calcul et l’intrigue me stupéfie." Ce que l’auteur résume de cette manière : "Quelle revanche prise sur le destin qui aurait dû être le sien !"

    Madeleine Mansiet-Berthaud, La Défroquée, éd. Ramsay,2020, 430 p.
    https://ramsay.fr/dd-product/la-defroquee

    Voir aussi : "Héros, salauds et intellos sous l’Occupation"

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  • Versailles ferme bientôt ses portes

    La troisième saison de Versailles vint tout juste de débarquer sur Canal+, une saison qui sera aussi la dernière.
    Après avoir parlé de l’accession au pouvoir de Louis XIV, des amours du Roi Soleil, la domestication de la cour ou l’Affaire des Poisons, les créateurs ont choisi d’aborder l’histoire du Masque de Fer (qui avait été chroniqué sur le lien), le protestantisme et toujours les luttes d’influence feutrées et impitoyables au cœur du somptueux château de Versailles.

    Le spectateur retrouvera quelques personnages marquants de la série française : le Roi Soleil (George Blagden) bien entendu, mais aussi son frère Philippe d'Orléans (Alexander Vlahos) et la coriace Madame de Montespan (Anna Brewster).

    Il reste encore 10 épisodes pour suivre Louis XIV, comme sorti des manuels scolaires, pour prendre vie de la plus belle des manières – mais non sans approximations historiques. Un bien moindre mal.

    Versailles, saison 3, de Simon Mirren et David Wolstencroft, avec George Blagden,
    Alexander Vlahos,Tygh Runyan, Evan Williams, Stuart Bowman
    et Anna Brewster, France et Canada, 2018, en ce moment sur Canal+

    "Galerie glaçante"

  • Galerie glaçante

    Les lecteurs de Saint-Simon, François Bluche ou Pierre Goubert (Louis XIV et 20 millions de Français) peuvent bien faire la fine bouche devant la série Versailles : il n’en reste pas moins vrai que cette création française au casting international remet au goût du jour un personnage historique capital, et jusque-là souvent réservé aux manuels scolaires ou aux essais spécialisés.

    Avec Versailles, le Roi Soleil (Georges Blagden) a droit à un sérieux dépoussiérage. On est loin du téléfilm académique L’Allée du Roi de Nina Companeez (1995). Ici, la cour de Louis XIV est un lieu somptueux autant qu’un nid de vipères, où la duplicité et la cruauté le disputent au crime : luttes de pouvoir, exécutions, meurtres, manipulations, maîtresses ambitieuses ou mariages arrangés sont le quotidien d’une cour que le roi tente tant bien que mal de domestiquer.

    La galerie des glaces n’a jamais aussi bien porté son nom. Le roi est au centre des luttes intestines comme des ambitions de nobles, après la période de la Fronde (1648-1653). La galerie de personnages glaçants, orgueilleux et cyniques fait toute l’épaisseur de cette série. Et tant pis pour les approximations et autres raccourcis historiques.

    Parmi les protagonistes de Versailles, le frère du roi Philippe (Alexander Vlahos) continue de tenir une place importante. On le découvre marié contre sa volonté à un personnage étonnant et passionnant, la princesse Palatine (Jessica Clark). Quant à madame de Montespan (Anna Brewster), elle continue de tisser sa toile pour manipuler un roi plus vrai que nature.

    La saison 2 commence par l’épilogue d’un kidnapping dont nous éviterons de spoiler l’histoire et les enjeux. La cour évolue dans un château en pleine construction, fastueux mais aussi empoisonné, dans tous les sens du terme. Les dagues sont remisées au profit d’armes invisibles mais tout aussi redoutables. Pour ne rien arranger, la France de Louis XIV se démène dans une Europe en guerre. La mort n’a jamais été aussi séduisante et spectaculaire dans ce palais de marbres et de dorures.

    Versailles, série créée par Simon Mirren et David Wolstencroft, avec Georges Blagden, Alexander Vlahos, Tygh Runyan, Stuart Bowman, Anna Brewster, Evan Williams, Suzanne Clément, Catherine Walker, Elisa Lasowski, Maddison Jaizani, Jessica Clark, Pip Torrens, Harry Hadden-Paton et Greta Scacchi, France, 2017, en ce moment sur Canal+

  • Et si l'on discutait du Masque de Fer ?

    1540-1.jpgJe sais ce que vous allez dire : le Masque de Fer a été un sujet archi traité. Il pourrait même que cela soit "le" sujet favori des amoureux de la petite histoire, au point de rendre chèvre pas mal d'historiens dits "sérieux". Pierre Dumez propose pourtant de se replonger dans cette énigme dans son roman historique Louis XIV le Fils de ? Que savait le Masque de Fer ?

    Une courte présentation nous entraîne dans la rédaction (imaginaire) d'une revue d'histoire, L'Histoire et ses grandes énigmes. C'est une manière habile d'introduire la suite de dialogues entre des protagonistes passionnés et vulgarisateurs. Il y a un côté suranné dans ces conversations qui sentent bon l'odeur des archives, de la poussière et des vieilles reliures. L'ambition de Pierre Dumez est de remettre à plat, à travers ses protagonistes, les secrets du Masque de fer et de proposer une explication à une détention classée secret d’État.

    Les cinquante premières pages de ce livre reviennent sur les faits : en 1669, une lettre de Louis XIV, au pouvoir depuis 1661, ordonne l'arrestation d'un certain Eustache Danger. Ce dernier est emprisonné à la forteresse de Pignerol, avec comme unique geôlier – pendant 34 ans – l'ancien mousquetaire Saint-Mars. C'est aussi Saint-Mars, gouverneur de cette bastille, qui a "accueilli" quatre ans plus tôt l'ancien surintendant des finances Fouquet après son arrestation et jugement sur ordre du roi. Certains ont d'ailleurs vu dans Fouquet le Masque de fer himself.

    Pendant sa détention à vie, jusqu'à sa mort à La Bastille en 1703 – preuve de l'importance de ce mystérieux personnage – le prisonnier est interdit de tout contact extérieur, même visuel. Il doit porter par moment un masque de velours noir, nous disent les sources, voire un masque d'acier pendant certains transports (car il changea de lieux de détention plusieurs fois), afin de ne pas être reconnu.

    Mais reconnu de qui et pour quelles raisons ? Et pourquoi autant de mystères sur un prisonnier qui semble avoir marqué les esprits jusque chez les soldats qui gardaient la Bastille ? Un traité paru en 1769 rapporte que les affaires personnelles d'Eustache Danger furent consciencieusement brûlées afin de faire disparaître toute trace de lui.
    L'historiographie a échafaudé plusieurs dizaines d'hypothèses pour mettre une identité sur le Masque de Fer : Nicolas Fouquet (une option unanimement rejetée), un frère jumeau de Louis XIV, un de ses fils (qu'il aurait eu avec Louise de la Vallière), le duc de Beaufort, un fils illégitime de Charles II d'Angleterre, Henri II de Guise duc de Joinville... ou Molière ? Les imaginations d'historiens et romanciers (dont Voltaire et Alexandre Dumas) ont été sans limite pour dissiper ce mystère.

    Pierre Dumez propose à son tour de "démasquer" ce prisonnier dans un livre hybride, à la fois clair, agréable à lire et synthétisant les différents travaux passés. Loin des romans historiques classiques, Louis XIV le Fils de ? se présente comme un savant mélange de dialogues romancés, de focus pédagogiques, de compilation de sources brutes régulièrement référencées (mais étrangement pas en bas de page) et aussi de scènes théâtrales. Avec passion, conviction et assurance, l'auteur dévoile en effet, grâce à trois scénettes mettant en scène Louis XIV, Anne d'Autriche, Richelieu, Mazarin, Le Tellier, les motivations qui ont conduit à la mise au secret d'un homme qui dérangeait le pouvoir royal. 

    Au terme de l'enquête de Pierre Dumez, le lecteur découvre des conclusions qui ne sont pas si absurdes que cela et qui permettent de situer la petite histoire du Masque de Fer dans la grande histoire.

    Pierre Dumez, Louis XIV le Fils de ? Que savait le Masque de Fer ?
    Enquête sur un Secret d'Etat bien gardé
    , éd. Persée, 312 p.