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essai - Page 8

  • Un siècle risqué

    harari,joan tronto,société du risque,care,sapiens,essaiC’est un "monde vulnérable", une expression de Joan Tronto, qui lie la chronique de deux ouvrages, pourtant bien différents. Le premier, 21 Leçons pour le XXIe siècle (éd. Albin Michel), est le dernier livre de Yuval Noah Harari, l’auteur du best-seller Sapiens. Le second, Le Risque ou le Care ? (éd. PUF), beaucoup plus confidentiel, est une réflexion synthétique de Joan Tronto, professeure de sciences politiques à l’université de Minnesota. Ces deux auteurs ont pour point commun de mettre sur la table les risques de nos sociétés modernes en pleine mutation.

    Paru en 2015, Sapiens de Harari retraçait en 500 pages l’histoire de notre espèce, sapiens, de l’aube de l’humanité à l’ère actuelle des biotechnologies. Mêlant histoire, philosophie, sociologie, sciences dures ou psychologie, Harari entendait prendre de la hauteur et mettre en perspective l’histoire humaine. Deux ans plus tard, avec Homo Deus : Une brève Histoire de l’Avenir, c’est le développement des sciences et des technologies qui intéressait l’auteur de Sapiens, avec une question centrale : quel est l’avenir de l’homme ?

    Avec son dernier ouvrage, 21 Leçons pour le XXIe siècle, Harari poursuit son travail de prospective, avec toujours le souci de ne pas se limiter à un seul domaine scientifique, ce qui est à la fois la marque de fabrique et la qualité rare d’un intellectuel sur lequel il faut désormais compter. Sapiens mettait en avant le "miracle" de ce singe devenu en l’espace de quelques milliers d’années le maître d’une planète qu’il avait conquis et dompté. Cette constatation éloquente fait cette fois place à des interrogations sur les risques charriés par les progrès de sapiens depuis les révolutions industrielles et technologiques. Harari met en garde les dangers qui menacent l’humanité. On connaît les principaux : environnementaux, biotechnologiques, numériques et populistes. Mais il en est d’autres, sans doute moins évidents, qui sont décrits, dans des chapitres à la fois concis et clairs : les algorithmes menaçant notre libre-arbitre et nos libertés, l’intelligence artificielle et l’automatisation rendant insignifiant la valeur humaine du travail ou la menace des dictatures digitales. Dans le même temps, Harari explique pourquoi le terrorisme menace nos sociétés beaucoup plus insidieusement que les guerres meurtrières du passé et pourquoi il faut préférer le terme de "culturisme" à celui de "racisme". Immigration, religions, civilisations, laïcité, justice, égalité , méditation et même science-fiction sont mis à contribution dans un essai qui entend donner du sens à notre monde et à notre manière de relever les défis que nous propose un XXIe siècle risqué à bien des égards.

    Le Risque ou le care ?

    Le Risque ou le care ? De Joan Tronto est une autre manière d’aborder les risques contemporains. L’essai de Joan Tronto est plus ancien que celui de Yuval Noah Harari (2012 contre 2018). Il marque aussi la véritable arrivée en France de la théorie du care (les éditions PUF, qui ont publié Le Risque ou le Care ?, ont créé une collection spécifique). Ce mode de réflexion, apparu en Amérique du Nord, entend dépasser le rationalisme occidental au profit d’un regard plus sensible sur notre monde où se mêlent éthique, philosophie, féminisme, sociologie et éthique. Le care est encore largement méconnu en France, mais il entend apporter des réponses pertinentes dans des sociétés bien plus dépendantes et vulnérables que ce qui a été longtemps dit.

    Joan Tronto trace les lignes principales de cette société du risque qui se présente comme "la thématisation de questions importantes : la modernité, la postmodernité, le savoir et la science, les évolutions incessantes de la société occidentale. Ce qui change aujourd’hui dans notre vision du risque c’est leur caractère incalculable et imprévisible". Harari a eu beau, cinq ans plus tard, les identifier et esquisser des solutions, il n’en reste pas moins vrai que, comme le disent les penseurs du care (souvent des femmes, du reste), il y a aujourd’hui "une conscience plus importante que la maîtrise est impossible." L’auteure parle même "d’irresponsabilités" dans la manière dont la modernité et le progrès ont été pensées.

    Comment en sortir ? Par la théorie du care, justement.

    En réponse à ces risques et aux dangers post-modernes, des intellectuelles féministes ont choisi de revendiquer la valeur politique du "prendre soin" (en anglais, "care"). Plus qu’une réflexion, le care est devenu une éthique à part entière. "Le care n’est pas seulement un sentiment ou une disposition, et il n’est pas simplement un ensemble d’actions. C’est un ensemble complexe de pratiques, qui s’étendent depuis des sentiments très intimes comme « la pensée maternelle » jusqu’à des actions extrêmement larges, comme la conception de systèmes public d’éducation." Sans doute est-ce en prenant compte de notre vulnérabilité dans un monde du risque que nous pouvons faire du care une des solutions pour notre avenir.

    Yuval Noah Harari, 21 Leçons pour le XXIe siècle, éd. Albin Michel, 2018, 375 p.
    Joan Tronto, Le Risque ou le Care ?, éd. PUF, coll. Care Studies, 2012, 54 p.

    Voir aussi : "Nous, Sapiens"

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  • Zola, le journaliste politique

    claude sabatier,émile zola,tachan,essaiCoup de projecteur sur une aventure littéraire autant que scientifique autour d'Emile Zola, l'un des auteurs français les plus lus et les plus appréciés en France. 

    Le Montargois Claude Sabatier vient de sortir le premier volume des Chroniques politiques de Zola (éd. Classiques Garnier). Pour présenter cet ouvrage, la Librairie des écoles de Montargis (18 rue du Loing) organise une rencontre avec l'auteur le samedi 10 novembre 2018 à 17 h 00.

    Claude Sabatier, enseignant agrégé et docteur ès Lettres, avait sorti il y a quelques années un ouvrage sur Tachan (A propos de Tachan, éd. Arthemus, 2002), qui avait été le coup de cœur de l'Académie Charles Cros. Il sort aujourd'hui les Chroniques politiques (1863-1898) de Zola. Il en assure actuellement l’édition critique en tant que chercheur associé au Centre Zola dans le cadre de la publication par l’équipe de l’ITEM (Institut des Textes Et Manuscrits)-CNRS des Œuvres complètes de ce grand écrivain chez Classiques Garnier, collection Bibliothèque du XIXe siècle.

    Romancier célèbre pour les Rougon-Macquart, fresque sociale et politique d’une famille sous le Second Empire, Zola l’est un peu moins en tant que journaliste. Et pourtant, on redécouvre depuis peu sa vaste contribution à la presse de l’époque de 1863 à 1898 − point d’orgue avec le coup de tonnerre du « J’accuse » lançant l’Affaire Dreyfus. Le volume 1 évoque les débuts : Zola fait ses gammes et fourbit ses armes chez Hachette, s’essayant à la presse provinciale, populaire et mondaine, donnant sa pleine mesure dans les journaux républicains, où il répercute l’opposition croissante au Second Empire. Ses chroniques offrent une grande variété de thèmes – mondanité parisienne, flânerie méditative, vie politique – et déploient un large éventail de formes littéraires (récits, dialogues, lettres…) et de registres, du pamphlet à la satire. Le journaliste élabore des motifs et situations que le romancier développera ou transposera : la presse, alimentaire et polémique, annonce l’œuvre romanesque à venir.

    Je vous invite à découvrir cet ouvrage critique et à venir discuter avec Claude Sabatier à la Librairie des Ecoles de Montargis.

    Sous la direction de Claude Sabatier, Emile Zola, Chroniques politiques. tome 1 (1863-1870)
    Avec 
    Didier Alexandre, Philippe Hamon, Alain Pagès et Paolo Tortonese
    éd. Classiques Garnier, 669 p.
    Rencontre avec Claude Sabatier à la Librairie des écoles, 18 rue du Loing, Montargis

    Le samedi 10 novembre 2018 à 17 h 00
    https://www.lalibrairiedesecoles.com

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  • Tatiana de Rosnay sur les pas de Daphné du Maurier

    Qui mieux que Tatiana de Rosnay pouvait parler de Daphné du Maurier ? Manderley for ever (éd. Albin Michel / Héloïse d’Ormesson) est la biographie vivante de l’une des plus grandes auteures de la littérature anglaise, une femme passionnante qui a arpenté le XXe siècle, de 1907 à sa mort en 1989, qui a côtoyé l’aristocratie guindée anglaise avant de s’émanciper et de connaître la gloire grâce à son plus célèbre ouvrage, Rebecca (1938).

    Ce personnage de Rebecca va, du reste, accompagner Daphné du Maurier tout au long de sa vie, jusqu’à faire de l’ombre aux autres grands livres qu’elle publie et que pourtant le public de l’époque dévore (L'Auberge de la Jamaïque ou Ma cousine Rachel). L’adaptation cinéma de Rebecca par Alfred Hitchcock en 1940 (avec Joan Fontaine et Laurence Olivier dans les rôles titres) assoit la notoriété d’une auteure bien plus complexe que ce que les critiques veulent bien dire d’elle. L’écrivain populaire, considéré par les mauvaises langues comme "facile" et "sentimentale", influencé par le roman gothique et marqué par l’œuvre des sœurs Brontë, est aussi une maîtresse du thriller psychologique, comme elle le démontrera dans la nouvelle des Oiseaux, elle aussi adaptée par Hitchcock.

    Tatiana de Rosnay propose dans cette biographie de suivre les pas de Daphné du Maurier, si consciente du poids de Rebecca dans son œuvre qu’elle intitule son livre du nom de la propriété imaginaire de Mme de Winter. "J’ai rêvé la nuit dernière que je retournais à Manderlay." C’est ainsi que commence Rebecca, et c’est aussi de cette manière que Tatiana de Rosnay appréhende son travail sur Daphné du Maurier.

    Les cinq chapitres de Manderley for ever s’ouvrent sur des pérégrinations géographiques de l’auteure franco-anglaise, de Londres (période 1907-1925) à Kilmarth en Cornouailles (1969) en passant par Menabilly.

    Menabilly est le Manderley de Daphné du Maurier : une propriété magnétisante qu’elle va louer pendant vingt ans. Tatiana de Rosnay fait de ce manoir un endroit unique pour lequel l’auteure de Rebecca va avoir un coup de foudre dès sa découverte en 1928 : "Daphné ne parvient pas à chasser de son esprit les images de la maison. Pourquoi est-elle posséder à ce point par un passé qui n’est pas le sien, hantée par la mémoire des murs d’un manoir abandonné ?"

    Pérégrinations géographiques

    L’identification de Manderley à Menabilly conduit inévitablement à voir dans Rebecca un double de Daphné du Maurier, de la même manière que sa célèbre héroïne l’est de la seconde épouse de monsieur de Winter. La question de l’identité et du double est d’ailleurs ce qui rythme toute la vie de Daphné du Maurier. Identité familiale, avec la place considérable de son père Gerald, un comédien adulé en ville et un envahissant modèle à la maison, à la fois adoré et craint. Identité familiale toujours, avec une généalogie dont Daphné du Maurier est parvenue à dénouer le vrai du faux en retrouvant ses origines jusque dans la Sarthe et faire taire les légendes sur ses aïeux. Identité sexuelle aussi : dans une Grande-Bretagne rigoriste héritée de l’époque victorienne, la future Madame Browning, du nom son époux, ce commandant de terre britannique – et héros malgré lui d’Un Pont trop loin –, est une femme guidée d’abord par ses passions et par quelques grands amours secrets, la plupart des femmes : Fernande Yvon, la directrice du pensionnat de Meudon où la jeune londonienne part étudier, Ellen Doubleday, l’épouse de son éditeur new-yorkais ou bien l’actrice Gertrude Lawrence dont le décès soudain la marquera cruellement.

    Daphné du Maurier est une femme sans cesse tiraillée entre une vie paisible à Menabilly pendant laquelle l’écriture est son activité essentielle, et ses questionnements personnels qui l'obsèdent, de la même manière que Rebecca de Winter hantait la jeune épouse de son mari. "Quel ennui d’être une fille," lui fait dire Tatiana de Rosnay au début de sa vie. Un garçon croisé à Londres pendant sa jeunesse, Éric Avon, devient ainsi un modèle et son double masculin qui lui permettra de se battre contre les préjugés de son époque. Daphné du Maurier, bien en avance sur son temps, était une femme en guerre pour sa liberté, qui en a connu le goût grâce à la littérature mais qui a aussi dû se plier aux injonctions de son époque. De ce point de vue, les relations qu’elle a tissées avec ses grands amours que furent Fernande Yvon, Ellen Doubleday ou Gertrude Lawrence sont à la fois d’un romanesque et d’une cruauté implacable.

    Derrière une des œuvres les plus lues de la littérature anglaise se cachait un des plus beaux exemples de l’émancipation féminine. Comme le disait le Los Angeles Times après son décès : "Toute sa vie, Mlle Du Maurier batailla, en vain, pour ne pas être étiquetée comme écrivain ‘romantique.’" Sans nul doute, l’expression "en vain" n’a plus lieu d’être depuis la parution, il y a trois ans, de cette biographique exemplaire de Daphné du Maurier.

    Tatina de Rosnay, Manderley for ever, éd. Albin Michel / Héloïse d’Ormesson, 2015, 459 p.
    http://www.tatianaderosnay.com

    Voir aussi : "Tatiana de Rosnay, son œuvre"
    "Sous l’eau"

  • Et si l’on parlait de Tatiana de Rosnay ?

    Question : quelle personne de lettres françaises est aujourd’hui la plus lue en Europe et aux États-Unis, et peut se targuer d’être suivie en France par des fans de plus en plus nombreux ? Marc Levy ? Guillaume Musso ? Vous n’y êtes pas du tout : il s’agit de Tatiana de Rosnay. Ses admiratrices et admirateurs ne sont d’ailleurs sans doute pas passé à côté de la très belle interview qu’elle a accordé au magazine Flow, dans son édition de septembre.

    L’éclosion de cette auteure majeure a débuté avec Elle s’appelait Sarah, sorti en 2007, et vendu à plusieurs millions d’exemplaires dans le monde, traduit dans presque 40 langues et adapté au cinéma en 2010. Pour autant, l’œuvre de Tatiana de Rosnay ne doit pas se résumer à ce best-seller, aussi bouleversant soit-il. Aujourd’hui, la sortie de chacun de ses livres fait figure d’événements, à l’exemple de Sentinelle de la pluie, sorti cette année.

    Bla Bla Blog commence cette semaine un hors-série sur cette femme de lettre passionnante et attachante. Nous parlerons de l’ensemble des ouvrages qu’elle a publiés à ce jour. À L’Encre russe, la biographie de Daphné du Maurier, Manderley For Ever et bien entendu Elle s’appelait Sarah seront les premiers livres dont nous parlerons. D'autres ouvrages moins connus seront également chroniquées.

    Voici quelques mois passionnants en compagnie de Tatiana de Rosnay qui nous attendent...

    http://www.tatianaderosnay.com
    Flow, septembre 2018

  • Une bibliothèque contre la guerre

    delphine minoui,daraya,syrie,bibliothèque,guerre civile,daesh,terrorisme,bachar-el-hassad,damas,reportage,essaiLa journaliste Delphine Minoui a sorti il y a un an l’un des meilleurs reportages sur la guerre civile qui ravage la Syrie depuis 2011. Les Passeurs de Livres de Daraya (éd. Seuil) est une enquête passionnante autour de ce qui pourrait s’apparenter à un micro-événement au sein d’un des plus importants conflits du Proche-Orient : la création par des résistants syriens au régime de Bachar-el-Assad d’une bibliothèque à partir de livres récupérés dans les décombres de Daraya, dans la banlieue de Damas.

    À partir de 2013, sous un une apocalypse de feu, de bombes et de balles, quelques soldats rebelles récupèrent des milliers de livres abandonnés par leurs propriétaires. Drôle d’idée, et surtout initiative un peu vaine dans un pays qui ne parvient même pas à compter ses dizaines de milliers de morts. Et pourtant, rapidement, cette forme de résistance devient capitale pour ces hommes qui, pour la plupart, n’ont jamais eu d’intérêt particulier pour la lecture – et pour cause : le régime des Assad muselle depuis plusieurs dizaines d’années la vie intellectuelle du pays. Les ouvrages recueillis sont destinés à revenir à leurs propriétaires une fois la paix venue. Mais, en attendant, ils sont rassemblés dans une bibliothèque clandestine.

    Victor Hugo, Saint-Exupéry, la philosophie et des ouvrages de développement personnel

    Dans un lieu farouchement protégé, car symbole de la résistance syrienne, les lecteurs-soldats mènent une guerre idéologique – qui est aussi pour beaucoup d’entre-eux la découverte de la liberté d’expression. Et l’on découvre grâce Delphine Minoui, qui a interrogé ces résistants via Skype et WhatsApp, d’étonnants et émouvants témoignages. Ces jeunes hommes, que rien ne prédestinait ni aux armes ni à la lecture, parlent de leur bibliothèque et des ouvrages qu’ils protègent et lisent avec ardeur. La journaliste révèle les auteurs et les types de livres consultés, et souvent interdits par le régime de Bachar-el-Assad : Victor Hugo, Saint-Exupéry, de la philosophie, de la théologie, des sciences et, plus étonnant, des ouvrages de développement personnel.

    De chapitre en chapitre, Delphine Minoui retrace les vies minuscules d’Abou el-Ezz, Ahmad, Hussam ou Ustez, des destins brisés plongés malgré eux dans la grande histoire qui est en train de se faire. Au cœur du carnage syrien, ces hommes luttent pour retrouver des jours meilleurs, avec une bibliothèque qui leur indique des chemins en pointillé.

    Delphine Minoui, Les Passeurs de Livres de Daraya, éd. Seuil, 2018, 158 p.
    Le blog de Delphine Minoui

  • Cons et néocons

    michael wolff,donald trump,steve bannon,ivanka trump,jared kushne,états-unis,maison blanche,tea party,néoconservateurs,essai"Un idiot entouré de clowns" : c’est le punchline en quatrième de couverture de l’essai qui a déstabilisé la Maison Blanche de Donald Trump. C’est à Michael Wolff, écrivain et journaliste américain que l’on doit Le Feu et la Fureur (éd. Robert Laffont), véritable réquisitoire contre le Président américain populiste, arrivé au pouvoir il y a à peine deux ans, à la surprise générale.

    Parlons justement de cette prise de pouvoir. Le 8 novembre 2016, Trump et son équipe s’apprêtent à laisser la Maison Blanche à Hillary Clinton : "Il ne va pas gagner! Ou alors, perdre c’est gagner." Cette défaite annoncée jusque dans l’équipe du candidat républicain sonne en réalité comme un triomphe et un gage de futures victoires : Trump pourrait devenir un véritable martyr politique et asseoir une popularité mondiale, sa fille Ivanka et son gendre Jared Kushner deviendraient des célébrités et permettraient de développer la marque Trump, Steve Bannon, l’idéologue, prendrait la tête du Tea Party et des néoconservateurs et le Parti Républicain retournerait à son fonctionnement habituel après cette parenthèse électorale – un véritable cauchemar pour leurs augustes représentants.

    Sauf que rien ne se passe comme prévu : lorsque après 20 heures les résultats tombent, les témoins croisent le futur Président désigné fantomatique. Quant à sa femme, Melania, elle est en larmes, "et ce ne sont pas des larmes de joie." Seul Banon semble être amusé par ce coup de poker incroyable qui voit accéder le plus improbable des candidats à la tête de la plus grande démocratie du monde.

    Steve Bannon est paradoxalement le personnage principal du récit vrai de l’accession au pouvoir du néocon "idiot" et arriviste qu'est Trump. Des chapitres entiers sont consacrés à ce véritable aventurier de la politique américaine qui a fait du Président son instrument pour faire triompher ses thèses d’extrême-droite et faire "crever la bulle du ‘gauchisme internationaliste...’"

    "Jarvanka"

    Un drôle d’instrument en vérité, car Trump se révèle, sans surprise, comme particulièrement retors à comprendre, voire à maîtriser lorsque la diplomatie exige du sang-froid. Le 45e Président américain s’avère être tout aussi atypique dans le paysage politique outre-atlantique que Bannon : capricieux, rancunier, insaisissable et atterrissant dans une Maison Blanche dont il ne comprend pas le fonctionnement.

    Autres personnages de cette saga présidentielle : le couple Ivanka-Jared, dénommés "Jarvanka, telle une entité unique. La fille et le gendre de Trump c’est la famille au pouvoir. Ils bénéficient d’un statut à part et de responsabilités étendues. Trump confie même à son beau-fils le dossier du proche-Orient. Vaste défi pour un tel néophyte ; mais Trump ne l’est-il pas lui-même ?

    Michael Wolff consacre de longues pages, bien documentées, à l’affaire russe, qui continue d’empoisonner la vie politique américaine. La question brûlante est posée : l’équipe Trump a-t-elle truqué les élections à l’aide des Russes ? La justice et les médias s’engouffrent dans cette affaire d’État. Le scandale pousse Trump à surréagir à coup de colères, de limogeages et de fake news.

    Le lecteur français a droit, dans Le Feu et la Fureur, à une véritable plongée dans l’Amérique politique américaine, au point parfois de se perdre au milieu de personnages publics ou médiatiques inconnus de ce côté-ci de l’Amérique. Un index permet, heureusement, de s’y retrouver, et l’on découvre un pays devenu comme fou et sans boussole depuis qu’un con et un néocon a pris la main sur la plus grande démocratie du monde, pour quatre ans – sinon plus.

    Au secours : les populistes sont au pouvoir !

    Michael Wolff, Le Feu et la Fureur, Trump à la Maison Blanche,
    éd. Robert Laffont, 2018, 370 p.

  • Péripatéticiennes et péripatéticiens à Paris

    On connaissait le Paris intime et onirique de Patrick Modiano. On connaissait le Paris historique de Lorànt Deutsch. Voici aujourd’hui le Paris philosophique de Jean Lacoste, un ex de Normale Sup, rue d’Ulm, agrégé en philosophie, spécialiste de Goethe, Nietzsche et Walter Benjamin, mais aussi arpenteur des rues de la capitale, en digne héritier des péripatéticiens de l’école fondée au IVe siècle av. JC par Aristote.

    Paris philosophe (éd. Bartillat) propose une déambulation chez les pas de ces grandes et ces grands de la philosophie, amoureux – ou non – d’une ville qui a pu les inspirer, les enthousiasmer, les décevoir et, en tout cas, certainement, inspiré leur pensée.

    Écrites entre 2013 et 2017 pour le journal web En Attendant Nadeau et pour La Quinzaine Littéraire, ces chroniques sont un vrai divertissement intelligent.

    Et qui dit divertissement, dit Blaise Pascal, qui est le premier philosophe abordé dans l’ouvrage de Jean Lacoste. Un philosophe qui fait pas moins l’objet de deux chapitres, tant la géographie parisienne a marqué son existence : que l’on pense à son expérience sur la pression atmosphérique à la Tour Saint-Jacques, à sa nuit mystique rue de Beaubourg puis à son exil religieux à Port-Royal.

    L'appartement mythique et "fou" de Michel Foucault

    Jean Lacoste nous rappelle aussi l’attachement viscéral à Paris – mais aussi à la banlieue parisienne – de quelques figures célèbres : Paul Ricœur et la villa des "Murs blancs" de Châtenay-Malabry, Vladimir Jankélévitch et son appartement sur l’Île de la Cité (1, quai aux Fleurs), d’où le philosophe juif sera chassé pendant l’Occupation, avant d’y revenir à la fin de la guerre et d’en faire un foyer, Gilles Deleuze et ses liens Vincennes où il fera ses cours "avec passion", Michel Foucault et son appartement mythique et "fou" de Michel Foucault rue de Vaugirard, ou bien encore Simone de Beauvoir qui découvre l’existentialisme autant que l’émancipation féministe entre Saint-Germain-des-Prés et Montparnasse.

    L’histoire philosophique de Paris, ce sont aussi ces salons courus avec passion : celui de la Société d’Auteuil par Madame Helvétius au XVIIIe siècle, la société positiviste d’Auguste Comte rue Monsieur-le-Prince (6e arrondissement) ou encore les rencontres du vendredi, entre 1934 et 1972, chez Gabriel Marcel au 21 rue de Tournon (toujours le 6e arrondissement).

    Le livre de Jean Lacoste est un voyage à la fois géographique, historique et philosophique dans un Paris qui abrite des événements connus ou non : la naissance de la Sorbonne et de la philosophie médiévale à partir du XIIe siècle, les déambulations de Diderot avant la publication de l’Encyclopédie, les voyages de Heidegger dans la capitale à partir de 1955 et celui de Hegel en 1827 ou le crime de Louis Althusser contre sa femme en 1980.

    Ces déambulations permettent une lecture inédite et malicieuse de la philosophie dans une ville hors du commun.

    Jean Lacoste, Paris philosophe, éd. Bartillat, 2018, 211 p.

  • C’est pas de la télé, c’est HBO

    Oz, Les Soprano, Sex and the City, The Wire, True Blood, True Detective, Game of Thrones : le point commun de ces séries, outre leur succès et leurs qualités plébiscitées, est d’avoir été créées par HBO, une chaîne du câble américain, devenue une référence télévisuelle.

    Pourtant, que de chemins parcourus depuis la naissance, en novembre 1972, de Home Box Office, modeste canal de télé payante dont la programmation se limitait à des petits films indépendants, des matchs de boxe et des documentaires…

    Un livre d'Axel Cadieux, Jean-Vic Chapus et Mathieu Rostac, La Saga HBO (éd. Capricci) retrace l’itinéraire exceptionnel d’une chaîne pas comme les autres qui a lancé une véritable révolution culturelle et artistique : celle des séries, après les premières expérimentations télévisuelles que furent Twin Peaks, X-Files, Buffy contre les Vampires ou Ally McBeal.

    Les auteurs s’omettent pas de mettre un coup de projecteur sur quelques-uns des responsables de HBO : son créateur d’abord, Charles Dolan, mais aussi ces autres responsables que sont Chris Albrecht, Michael Fuchs, Jeff Bewkes, Carolyn Strauss, sans oublier quelques-uns des showrunners qui ont fait le succès de la chaîne.

    La Saga HBO ouvre d’ailleurs largement ses pages à ces scénaristes-producteurs hors du commun que sont David Chase (Les Soprano), David Milch (Deadwood), David Simon (The Wire) ou Tom Fontana (Oz). Certains sont d’ailleurs interviewés pour les besoins du livre.

    Rétrospectivement, la réussite de HBO tient dans une alchimie impeccable mêlant liberté de création, confiance réciproque entre showrunners et responsables de HBO, mais aussi efficacité commerciale acceptée et assumée par tous les maillons de la chaîne.

    Les auteurs de ce passionnant essai retrouveront exposés la genèse et les secrets de fabrication de quelques-unes des plus emblématiques séries estampillées HBO : les chefs-d’œuvres The Wire, Les Soprano ou Six Feet Under, le western métaphysique Deadwood, la série de fantasy True Blood, devenue phénomène de la pop culture et, bien entendu, le raz-de-marée Game of Thrones.

    Axel Cadieux, Jean-Vic Chapus et Mathieu Rostac ne cachent pas les échecs qui ont jalonné l’histoire de la chaîne du câble, souvent en pointe, du reste, pour sentir, voire devancer, les goûts du public. Il y a eu l’arrêt du péplum Rome après deux saisons et 100 millions de dollars engloutis dans une fresque impressionnante, ou encore la déception de Carnivàle (La caravane de l’Étrange). Mais HBO a aussi dû subir la concurrence d’autres chaînes, bien décidées à ne pas lui laisser le monopole de séries ambitieuses, engagées, voire décalées : AMC (Mad Men, The Walking Dead ou Breaking Bad), Showtime (Dexter, Weeds ou The L World) et Fx (Californication, The Shield ou Damages).

    Pour autant, HBO parvient à se redynamiser après 2008, grâce à quelques-uns de ses succès les plus marquants : True Blood, True Detective, Girls, Game of Thrones ou Wesworld pour ne citer qu'eux. Une santé insolente qui lui permet de voir l’avenir en rose : une deuxième saison de Westworld pour 2018, une troisième de True Detective et même une adaptation possible de Fondation d’Isaac Asimov, avec, aux manettes, le showrunner Nic Pizzolatto, le comédien Robert Downy Jr et le réalisateur Roland Emmerich.

    Le terme de chefs-d’œuvres n’est pas galvaudé pour plusieurs séries, pourtant fortement dépendantes des contraintes commerciales de HBO et du couperet de l’arrêt de la saison. Les auteurs, mais aussi journalistes de la revue spécialisée SoFilm, citent des épisodes considérés comme des musts artistiques : l’épisode 11 de la saison 3 des Soprano (Pine Barrens), l’épisode 9 de la deuxième saison de Deadwood (Amalgamation and Capital) ou l’épisode 13 de la saison 4 de The Wire (Final Grades).

    Contre toute attente, HBO a su faire de la série télé une authentique matière artistique. Richard Ellenson, le publicitaire qui a proposé, en 1995, à la petite chaîne du câble son slogan qui lui colle à la peau, "It’s not TV, it’s HBO", a dit ceci : "Surtout ne culpabilisez pas, cher(e)s abonné(e)s. Quand vous passez sur notre canal, vous ne regardez pas la télé. Trop vulgaire. En fait, vous ne le savez pas encore, mais vous regardez des programmes qui pourraient tout à faire faire de l’ombre au cinéma."

    Axel Cadieux, Jean-Vic Chapus et Mathieu Rostac, La Saga HBO, éd. Capricci, 2017, 207 p.
    Myriam Perfetti, "Le double looping des séries", in Marianne, 25-31 août 2017, pp. 62-65
    http://www.hbo.com