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mémoire des lieux

  • Taisez-vous, Mrs Dalloway

    Sorti un an avant Célestine du Bac, un ouvrage de jeunesse de Tatiana de Rosnay, son roman Les Fleurs de l’Ombre (éd. Robert Laffont/ Héloïse d’Ormesson) est en réalité le dernier qu’elle ait écrit à ce jour. Il est sorti en librairie en mars 2020, quelques jours seulement avant le début du Grand Confinement. Autant dire qu’éditorialement, ce livre a une histoire compliquée pour le faire simple. Mais c’est aussi un roman qui mérite d’être lu à la lumière des bouleversements environnementaux et sanitaires de notre société.

    Après une séparation tumultueuse avec son mari François, séparation dont le lecteur connaîtra les détails sordides en fin de roman, Clarissa Katsef, une auteure franco-britannique dont le succès est plus ou moins derrière elle, trouve un nouveau logement dans un appartement flambant neuf au cœur du 8e arrondissement d’un Paris traumatisé par un attentat. C’est une opportunité unique pour l’artiste qui a été choisie au terme d’une sélection rigoureuse menée par CASA, une obscure organisation.

    Voilà donc Clarissa, fraîchement célibataire, se retrouve entre les murs d’un appartement pourvu d’une domotique dernier cri, avec notamment une voix synthétique portant le nom de Mrs Dalloway (en référence à Virginia Wolf), chargée de veiller à ses moindres souhaits. Mais la vie de Clarissa devient assez rapidement angoissante. Elle sent dans ce lieu aseptisé que quelque chose ne tourne pas rond. Sauf que personne ne semble la croire, hormis sa petite-fille, Andy. Et ce n’est pas l’intervention régulière de Mrs Dalloway, son assistante personnelle, qui la rassure. En prenant contact avec quelques résidents de l’immeuble, Clarissa remarque que tous sont, comme elle, des artistes. Troublant. Au même moment, une mystérieuse étudiante, Mia White, la contacte. Elle se présente comme une admiratrice de son œuvre et souhaite la rencontrer.

    Tatiana de Rosnay avait déjà, dans un de ses précédents livres, Sentinelle de la Pluie (2018) fait de Paris une ville apocalyptique. Après la pluie et les inondations, c’est le soleil et la chaleur qui s’abattent impitoyablement sur la capitale des Fleurs de l’Ombre. Le monde subit les conséquences du dérèglement climatique et la nature est en train d’agoniser. La nouvelle thébaïde de Clarissa fait donc figure de havre sécurisant – en apparence cependant.

    Virginité mémorielle et artificielle

    Tatiana de Rosnay revient au thème central de son œuvre : la mémoire des lieux, d’autant plus qu’il s’agit également d’un sujet intéressant la protagoniste principale des Fleurs de l’Ombre. Sauf que l’appartement qu’occupe Clarissa n’a précisément pas de mémoire car il est neuf, et c’est justement cette virginité mémorielle et artificielle (artificielle comme Mrs Dalloway) qui perturbe l’occupante.

    Dans cette intrigue hitchcockien que Tatiana de Rosnay a bâti comme un roman de science-fiction à la Philip K. Dick, la romancière se fait encore plus sombre que dans ses livres précédents : dérèglement climatique, destructions de la nature, menaces technologiques, sociétés de surveillance et dangers planant sur les artistes. Il est singulier que ces sujets de préoccupation sont portés par une héroïne qui apparaît comme le double de l’auteure : "Élevée par un père britannique et une mère française, elle [Clarissa] était parfaitement bilingue. Elle avait deux langues d’écriture, et n’avait pu choisir l’une au dépend de l’autre". Cela ne vous rappelle personne ? 

    Il faut enfin mentionner que Tatiana de Rosnay a écrit Les Fleurs de l'Ombre simultanément en français et en anglais. Un roman qui est sorti peu de jours avant le déclenchement apocalyptique de la crise sanitaire. Un signe, sans aucun doute.

    Tatiana de Rosnay, Les Fleurs de l’Ombre,
    éd. Robert Laffont Héloïse d’Ormesson, 2020, 336 p.

    http://www.tatianaderosnay.com
    https://www.lisez.com

    Voir aussi : "Tatiana de Rosnay, son œuvre"
    "Des hommes, des eaux et des arbres"
    "Célestine et Martin"

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  • Au cœur d’une femme

    Paru chez Plon en 1998, avant de faire l’objet d’une réédition dix ans plus tard, Le Cœur d’une Autre est le troisième roman de Tatiana de Rosnay. Tout comme L’Appartement témoin, l’auteure s’intéresse à la quête d’un homme paumé, un anti-héros que le destin fait basculer dans une histoire hors-norme.

    Bruce Boutard est un antipathique et fieffé misanthrope, divorcé et à la vie sans aspérité autre que son fils Mathieu : "J'avais les habitudes lugubres d'une vieille fille ; ces vieilles filles velues à bouillottes qui se parlent seules à voix basse, qui portent des chaussettes de laine pour dormir et leur Damart même quand il fait chaud. Rien de tragique, pourrait-on dire. Rien d'extraordinaire. Cependant - hélas ! -, il s'avère que je suis un homme." Un être franchement antipathique que le lecteur va pourtant suivre avec passion.

    Suite à un malaise, Bruce apprend qu’il souffre d’une maladie du cœur et qu’il doit être greffé en urgence. Au bout d’une attente interminable, une bonne nouvelle arrive et Bruce reçoit un nouvel organe. De retour de l’hôpital, l’ancien homme acariâtre et misogyne se trouve changé, tant dans le caractère, que la sensibilité et les goûts. Un voyage en Italie avec son fils le convainc que son nouveau cœur l’a profondément transformé. Il parvient à connaître l’identité de la donneuse, décédée la veille de sa greffe. Elle se nommait Constance Delambre et semble maintenant revivre "à travers ce cœur transplanté." La vie du greffé est transformée à jamais. Bruce n’a désormais qu’une obsession : savoir qui est cette femme à qui appartenait son nouveau cœur, un cœur qui semble être possédé d’une mémoire.

    Une quête impossible

    C’est une quête de la vérité qui est au centre de l’histoire, une quête au départ impossible car, comme le rappelle l’auteure, le don d’organe est anonyme. Il fallait une astuce de romancière pour permettre à Bruce de se mettre en piste : la rencontre avec Joséphine – de nouveau une histoire de cœur – va s’avérer décisive.

    Comme pour L’Appartement témoin, c’est en Italie que se déroule l’enquête sur la piste de Constance, mais qui est aussi celle du peintre Paolo Ucello et d’un mystérieux tableau. C’est l’occasion pour Tatiana de Rosnay de proposer de belles pages sur l’artiste florentin, notamment cette description de La Bataille de San Romano : "C’était un grand tableau sombre aux teintes ocre et bistre, peint avec une vigueur candide et une rigueur des lignes qui me fascina. Intrigué par le tumulte discipliné de l’œuvre, la symétrie parfaite des lances et des plumes plantées dans les armets, il me semblait que je me trouvais transporté au milieu d’une bataille. J’entendais la clameur sourde d’une lutte, le choc de boucliers contre armures, les bruits métalliques des cuirasses, des épées, des glaives, les hennissements des chevaux enchevêtrés, harnachés de pourpre et d’or, dont deux gisaient au sol, l’un agonisant, l’autre figé par la mort… Derrière la violence de la bataille s’étirait un paysage tranquille; des vendangeurs travaillaient dans les vignes, et un chien poursuivait des lièvres à travers champs."

    Comme l’explique Tatiana de Rosnay dans la préface écrite en 2011 de ce roman, ce n’est pas un lieu qui déclenche l’intrigue mais "un cœur qui, en changeant de corps, va se remettre à palpiter dans une nouvelle poitrine, encore empreint d’émotions antérieures." La seconde préface de cette édition, de Joël de Rosnay, aborde le thème de la greffe sous le regard du scientifique : "Une greffe de cœur peut-elle changer la psychologie et le comportement d’une personne ?" se demande-t-il. Un début de réponse est donnée par l’épigénétique, poursuit-il : une discipline récente qui tendrait à montrer que la base du livre de sa fille Tatiana est loin d’être absurde.

    Le lecteur oublie rapidement les doutes sur les effets de ce nouvel organe et se laisse porter par cette histoire de "mémoire neuve" – pour reprendre un titre de Dominique A. Il suit les pas d’un Bruce transformé en vrai beau personnage romanesque, grâce à une mystérieuse donneuse qu’il n’aurait jamais dû connaître et qui lui a fait pourtant don du plus grand des cadeaux  : "Je lui dois la vie, et le goût de la vie. Comment lui dire merci, puisqu'elle n'est plus sur terre ?"

    Tatiana de Rosnay, Le Cœur d’une Autre
    éd. Le Livre de Poche, 1998, éd. Héloïse d’Ormesson, 2009, 282 p.

    http://www.tatianaderosnay.com

    Voir aussi : "Tatiana de Rosnay, son œuvre"
    "Premiers fantômes"

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  • Ça restera entre nous

    Je vous avais parlé, il y a quelques mois, de Spirales, le roman hitchcockien de Tatiana de Rosnay sorti en 2004. À partir de cette semaine, Arte propose l’adaptation de ce thriller psychologique, feutré et cruel à souhait, sous le titre de Tout contre Elle.

    Hélène Dewallon (Astrid Whettnall), l’épouse enviée d’un notable et homme politique lyonnais quitte précipitamment l’appartement de son amant Sven après une rencontre amoureuse qui vient de se terminer dans le drame. Sven vient de mourir brutalement, terrassé par une attaque. Mais Hélène, dans sa fuite, a laissé ses papiers d’identité que récupère Alice Mercier (Sophie Quinton), la femme de ménage de Sven. Elle prend contact avec sa maîtresse pour les lui rendre. S’engage entre les deux femmes un jeu du chat et de la souris, sur fond de chantage, car Alice a des pièces compromettantes qui menacent de tout détruire dans la vie rangée et impeccable d’Hélène Dewallon. Voilà qui est d’autant plus fâcheux qu’Henri, son époux, se lance dans une ambitieuse campagne électorale.

    Relations empoisonnées, lutte des classes et un véritable supplice chinois

    Pour l’adaptation du roman de Tatiana de Rosnay, Gilles Tauran et Gabriel Le Bomin ont choisi de déplacer l’histoire de Paris à Lyon. On perd la ville familière de l’auteure franco-britannique au profit de lieux plus modernes, plus aseptisés et plus lumineux. Les personnages déambulent dans des maisons, des appartements ou des galeries moins claustrophobiques que dans le roman, à facture simonienne, mais tout aussi inquiétants. Couloirs, escaliers et jeux de miroirs concourent à accentuer le climat de malaise dans ce thriller psychologique.

    L’adaptation s’étend assez peu sur l’adultère d’Hélène. Je parlais dans ma chronique sur Spirales d’"accouplement sauvage" pour ce qui n’était qu’un one shot, un "moment d’égarement" dans un lieu sordide. Ici, la personnage principale est dans une relation adultère suivie, comme elle le confie à son amie Lucie (Aurélia Petit). Autre entorse au livre : il n’est plus question d’immigrés roumains ou d’un simple chantage financier mais de relations empoisonnées, de lutte des classes et d’un véritable supplice chinois entre une femme de la grande bourgeoisie et une modeste femme de ménage.

    Sophie Quinton est parfaite dans ce rôle de petite souris timide se transformant en véritable vampire mental. Impossible de ne pas parler non plus des deux piliers de ce film : Astrid Whettnall et le prodigieux Patrick Timsit jouent à merveille les notables bourgeois pris dans un drame prêt à tout faire exploser, y compris leur famille – l’autre thème cher à Tatiana de Rosnay. Celles et ceux qui auront lu Spirales découvriront une autre fin pour cette adaptation. Une raison de plus de découvrir Tout contre Elle film que propose Arte en replay jusqu’au 14 mai 2019.

    Tout contre Elle, thriller psychologique de Gabriel Le Bomin, avec Astrid Whettnall, Sophie Quinton, Patrick Timsit et Aurélia Petit
    Calt Production / Belga Productions / Noon / Arte, France, 2018, 88 mn

    Disponible en replay sur Arte du 9 avril 2019 au 14 mai 2019
    https://www.arte.tv/fr/videos/077293-000-A/tout-contre-elle

    Voir aussi : "Juste un moment d’égarement"

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  • Des nouvelles de Tatiana

    Pour cette chronique, il ne sera pas question d’un mais de deux livres de Tatiana de Rosnay. Explication : Café Lowendal est la version enrichie d’Amsterdamnation (éd. Livre de Poche), deux recueils de nouvelles écrites entre 2009 et 2014. Par rapport à Amsterdamnation, Café Lowendal a été enrichi de quatre histoires : Un Bien fou, La Méthode « K », La Femme de la Chambre d’Amour et Café Lowendal, qui a donné son nom à la dernière version du recueil.

    Avec plus de 70 pages, Café Lowendal pourrait être qualifié de court roman, tant par sa longueur que par sa manière de laisser l’intrigue lentement infuser, en cinq chapitres aussi amers et addictifs que du café. Gabrielle Célas est une romancière qui voit débarquer dans sa vie Victoria. Elles ne se connaissent pas mais ont un point commun : un homme qu’elles ont aimé toutes les deux, Diego, mort accidentellement quelques années plus tôt. Au moment de leur rencontre, Victoria demande à Gabrielle des conseils au sujet d’un livre qu’elle s’apprête à écrire au sujet de leur amour commun. La romancière accepte, fascinée de pouvoir se replonger dans un passé encore frais. Mais en découvrant les brouillons et les notes plutôt médiocres de celle qui a partagé la vie de son ex, Gabrielle retrouve le goût de l’écriture et se décide elle aussi à s’inspirer de Diego pour son nouveau roman, qui va, contre toute attente, connaître un très grand succès. Un piège finit par se refermer sur elle.

    Cette première nouvelle porte en elle les gènes de Tatiana de Rosnay : l’importance des lieux – ce Café Lowendal, bien entendu, mais aussi la maison de village où Gabrielle Célas s’est isolée pour écrire son histoire –, les secrets indicibles et les morts toujours présents. L’auteure franco-britannique va jusqu’à inclure dans cette histoire de vengeance et de trahison un de ses personnages de roman, Nicolas Kolt, l’écrivain à succès d’À l’Encre russe (2013).

    Cette histoire sensible et romancée est somme toute moins personnelle qu'un texte singulier et biographique, traitant lui aussi de disparus et de lieux signifiants : La Tentation de Bel Ombre traite d’une aïeule, Amélie, une Rosnay installée à l’Île Maurice. L’obligation administrative de devoir "prouver" sa nationalité française oblige Tatiana de Rosnay à partir à la recherche de ses origines. Elle en vient à trouver la trace de cette Amélie, née en 1777 place des Vosges à Paris. La vie romancée de cette femme est décrite en quelques pages, avec son lot de questions et aussi la sensation que Tatiana de Rosnay pourrait bien en faire un roman dans les prochaines années, comme elle le dit elle-même dans les dernières lignes.

    Aussi amers et addictifs que du café

    Les recueils Café Lowendal, et dans une moindre mesure Amsterdamnation, proposent des histoires resserrées, pour ne pas dire minimalistes : le récit Amsterdamnation et cette escapade morne en Hollande qui vire au drame ordinaire, un autre séjour raté en vacances qui s’avérera beaucoup moins idyllique que prévu (Un Bien fou) ou cette histoire de drague sur fond de réseaux sociaux (Sur ton Mur).

    Ozalide est une histoire d’obsession d’une fan pour un écrivain, chez qui elle décroche un job de baby-sitter : un emploi rêvé qui lui permet d’ourdir un plan machiavélique et particulièrement décontenançant.

    Le lecteur s’arrêtera plus longuement sur ces histoires d’amour et de sexe qui font tout le sel des deux recueils sortis à un an d’intervalle. Il y a d’abord cette rencontre improbable, dans un lieu glauque, entre un veilleur de nuit et une femme de ménage, une rencontre soudainement éclairée par la grâce de la danse et de la musique (Dancing Queeen). On en viendrait d’ailleurs presque à rêver d’une adaptation ciné et télé. Tatiana de Rosnay nous étonne également avec La Méthode « K » : l’auteure de Boomerang propose une audacieuse nouvelle érotique mâtinée de science-fiction. Tout aussi inattendu est Constat d’adultère. Cette fois, la romancière se fait froide chroniqueuse en se mettant dans la peau d’une détective chargée de reportée fidèlement à un client, un romancier célèbre, la filature de sa femme adultère. Le constat d’adultère s’étale sur plus de quarante pages, quarante pages qui ne laissent planer aucun doute sur les secrets les plus inavouables de cette influente épouse : "Nous nous permettons de vous rappeler que certains textes provenant des SMS et des courriels sont dans un langage cru, voire ordurier, qui ne fait pas partie de notre vocabulaire habituel." Voilà qui a le mérite d’être clair.

    Café Lowendal se termine sur une nouvelle à la forte densité romanesque. La Femme de la Chambre d’Amour parle d’un lieu et surtout d’une rencontre sur fond de contrat littéraire. Mais l’intérêt de cette nouvelle réside d’abord dans la forme d’un récit construit comme une poupée russe. Pour résumer, Tatiana de Rosnay y raconte l’histoire de Roxane, minée par une séparation, parlant d’un client romancier ayant lui-même écrit sur cette femme de la Chambre d’Amour. Ces récits imbriquées apportent le lot de mystère et de romance dans un recueil aux mille nuances.

    Tatiana de Rosnay, Café Lowendal & autres Nouvelles, éd. Livre de Poche, 2014, 275 p.
    Tatiana de Rosnay, Amsterdamnation & autres Nouvelles, éd. Livre de Poche, 2013, 126 p.
    http://www.tatianaderosnay.com

    Voir aussi : "Tatiana de Rosnay, son œuvre"
    "Méfiez-vous des hommes"
    "Trahisons et cachotteries"
    "Sous l’eau"

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  • Premiers fantômes

    Avec le recul, et au regard du parcours de Tatiana de Rosnay, il y a une certaine excitation à se pencher sur le tout premier livre de l’auteure franco-britannique, L’Appartement témoin (éd. Livre de Poche).

    Nous sommes en 1992 et le public découvre le roman d’une certaine Tatiana de Rosnay : un nom qui n’est pas inconnu et qui renvoie à son oncle Arnaud de Rosnay, figure légendaire de la planche à voile disparu en mer à l’âge de 38 ans, à l’épouse de ce dernier, Jenna de Rosnay, championne de planche à voile mais également mannequin, et surtout à Joël de Rosnay, scientifique et chroniqueur radio. Voilà donc la petite dernière, Tatiana de Rosnay, émergeant dans le milieu des lettres. Son premier roman contient en germe l’essentiel des thèmes que développera l’auteure par la suite : la mémoire des lieux, les disparus, la famille et ses secrets.

    L’Appartement témoin suit, dans des chapitres alternant le "il" et le "je", un homme approchant de la soixantaine. Divorcé et père de Camille, une jeune fille sur le point de s’émanciper, il porte un regard amer sur ses échecs passés et sur un avenir peu reluisant. Il choisit de déménager dans le lieu le plus impersonnel qui soit : un appartement témoin. "Il semblait fait sur mesure pour ceux qui vivent seuls, par choix, par nécessité ou destinée, et qui ne comptent qu’une brosse à dents au-dessus du lavabo."

    Un récit qui n’est pas tant celui d’une chasse aux fantômes que d'une reconstruction de soi

    C’est pourtant dans cet endroit, a priori sans passé, que le nouveau locataire voir surgir à plusieurs reprises deux fantômes : une jeune femme jouant du piano et une fillette à ses pieds. Abasourdi puis curieux, l’homme entreprend des recherches et découvre qu’à l’emplacement de son immeuble, une bâtisse plus ancienne abritait une pianiste, une certaine Adrienne Duval, disparue depuis. Par contre, sa fille pourrait bien être toujours vivante. Il découvre son prénom, Pamina – comme la personnage de La Flûte enchantée de Mozart. Une première piste conduit le locataire de l’appartement témoin jusqu’à New York, puis à Venise. L’homme décide de poursuivre son enquête, certain qu’elle changera sa vie.

    Est-il possible que des morts puissent vous donner des clés pour vivre ? Tatiana de Rosnay répond par l’affirmatif dans un récit qui n’est pas tant celui d’une chasse aux fantômes que d’une découverte de secrets enfouis et d’une reconstruction de soi.

    Cette reconstruction passe dans le roman par des rencontres inattendues, dont la sculpturale Iris Gapine, l’influente rédactrice en chef new-yorkaise Sharon Elizabeth Gardiner, l’ancienne mannequin Jessica Parker, Adrian Hunter, le fils de Pamina, la gouvernante Véronique Barbey, mais aussi Camille, la propre fille du locataire de l’appartement témoin qu'il semble redécouvrir.

    Nous parlions de l’importance des lieux. Outre cet appartement, l’enquête menée par notre homme le conduit dans des lieux que Tatiana de Rosnay prend plaisir à nous faire découvrir en nous prenant par la main : Paris, New York et surtout Venise. Car c’est dans cette cité italienne que s’achève cette quête improbable. Une quête complètement folle, faite de découvertes - dont celle de Mozart, qui n’est pas la plus anodine.

    Tatiana de Rosnay, L’Appartement témoin, éd. Livre de Poche, éd. Fayard, 1992, 313 p.
    http://www.tatianaderosnay.com

    Voir aussi : "Tatiana de Rosnay, son œuvre"
    "Elle s’appelait Anna"

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  • Méfiez-vous des hommes

    tatiana de rosnay,nouvelles,adultère,infidélité,maris,épouses,plonIl a été question dans notre hors-série sur Tatiana de Rosnay de son recueil de nouvelles Le Carnet rouge. J’ai choisi de m’intéresser à la première version de son livre, paru en 1995 sous le titre Mariés et Pères de Famille (éd. Plon). Il s’agit du deuxième ouvrage publié par Tatiana de Rosnay après L'Appartement témoin, dont je vous parlerai très bientôt. L’auteure n’en est qu’au début de sa carrière. La consécration viendra douze ans plus tard, avec Elle s’appelait Sarah, faisant d’elle l’auteure de best-sellers que l’on connaît.

    Mariés et Pères de Famille contient neuf histoires qui seront repris dans Le Carnet Rouge, dans un ordre différent. Si je parle d’ordre, ce n’est pas anodin. Plon sous-titre ce recueil : Roman d’adultères. Un roman, vraiment ? D’emblée, la question se pose si ce choix ne vient pas d’un éditeur, plus désireux de présenter ce livre comme un "roman", un genre plus vendeur, que comme un "recueil de nouvelles" – ce que Mariés et Pères de Famille est.

    Mais passons. Il y a bien entendu le fil conducteur de l’infidélité qui relie ces onze histoires : des femmes trompées ou soupçonnées d’être trompées, et même parfois adultères elles-mêmes : un mari fréquentant des prostituées dans Le Bois, qui ouvre le livre, le fameux Carnet rouge, le journal d’une femme infidèle ou La jeune Fille au pair, une conversation entre deux amies à propos de leur mari respectif. Le lecteur du Carnet Rouge, paru en 2014, retrouvera ces autres nouvelles : La Lettre, Le Répondeur, Le Cheveu, Le Mot de Passe et Le "Toki-Baby". La Cassette vidéo a été remaniée jusqu’au titre pour devenir, neuf ans plus tard, La Clé USB – une concession à la modernité, dans un recueil assez classique dans la facture, si l’on pense par exemple au choix des prénoms utilisés (Jeanne, Marie, Eugénie, François ou Thérèse).

    Deux nouvelles rares

    Deux nouvelles rares sont présentes dans Mariés et Pères de Famille : L’Odeur et La Jalouse. Ces deux textes peu connus méritent que l’on s’y arrêtent. Le premier, L’Odeur, a la particularité d’être une courte pièce de théâtre en un acte et quatre scènes, réduit à trois personnages, un couple, Anne et François et leur fille Gabrielle. En rangeant les vêtements de son mari, souvent en voyage d’affaire, une femme y découvre une odeur étrange : celle d’un sexe de femme. C’est le début d’une scène de ménage acide, violente et non teintée d’humour noir. La deuxième nouvelle, La Jalouse, est la correspondance d’un homme singulièrement d’une fidélité à toute épreuve. Sans doute est-ce d’ailleurs la raison de la disparition de ce texte pour l’édition 2014 du Carnet rouge. Il s’agit d’une lettre d’adieu à sa femme, Eugénie, que ce mari s’apprête à quitter en raison de la jalousie maladive de cette dernière. Il raconte avec amertume le flicage quotidien d’une épouse persuadée qu’il la trompe à torts et à travers : avec une voisine, avec des amies communs, avec une ex ou avec des inconnues croisées par hasard.

    Les fans de Tatiana de Rosnay seront très certainement heureux d’avoir dans leur bibliothèque ce Mariés et Pères de Famille, un recueil de nouvelles, donc (et pas un roman comme l’indique faussement la couverture du livre), à la fois moderne dans son écriture et la thématique classique – l’adultère. Classique et diablement romanesque.

    Tatiana de Rosnay, Mariés, pères de Famille, Roman d’adultères
    éd. Plon, 1995, 182 p.

    http://www.tatianaderosnay.com

    Voir aussi : "Trahisons et cachotteries"
    "Juste un moment d’égarement"

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  • Tatiana de Rosnay engagée et attablée

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    Le premier article de cette année portera sur sa plus récente création, qui est aussi une nouvelle, Trouble-Fête. Elle a été publiée dans le recueil collectif 13 à Table (éd. Pocket).

    Pour la quatrième année, Les Restaurants du Cœur et les éditions Pocket ont demandé à des écrivains de participer à un ouvrage dont les recettes sont reversées à l’association caritative. L’an dernier, de 3 à 4 millions de repas ("Un livre = 4 repas" est-il écrit en couverture) ont pu être distribués grâce au précédent opus. Cette saison, outre Tatiana de Rosnay, Philippe Besson, Françoise Bourdin, Maxime Chattam, François d’Epenoux, Eric Giacometti, Karine Giebel, Philippe Jaenada, Alexandra Lapierre, Agnès Martin-Lugand, Véronique Ovaldé, Romain Puértolas, Jacques Ravenne, Leïla Slimani et Alice Zeniter se sont attablés et mis au travail pour ce beau projet.

    Pour l'édition 2019 de cet ouvrage à vocation littéraire autant que caritatif, c’est sur le thème de la fête qu’ont planché ces 13 auteurs au grand cœur. Tatiana de Rosnay en fait le centre de sa nouvelle, dont les premières phrases semblent faire écho aux préparatifs de Mrs Dalloway dans le roman de Virginia Woolf.

    Un écho aux préparatifs de Mrs Dalloway

    Avec Trouble-Fête, nous sommes dans une histoire à l’atmosphère toute british. Margaux Smythe, une élégante et tyrannique quadra, prépare l’anniversaire de son mari anglais, Toby. Pour leur réception, tout doit être parfait et Margaux entend faire de cette fête un moment mémorable. Ces préparatifs sont aussi l’occasion d’un monologue intérieur au cours duquel cette bourgeoise se repasse quelques faits marquants de son existence, à commencer par sa rencontre avec son mari. mais elle revient aussi sur des secrets cruels qu’elle garde cachés derrière un vernis impeccable. Mais ce vernis va finir par craquer au cours de cette fête d’anniversaire.

    Les dissimulations, les secrets, la famille : Tatiana de Rosnay reprend ses thèmes favoris dans son texte court et cinglant. Margaux Smythe est insupportable. Le lecteur la suit dans sa course à la réussite d’une fête qui va signer finalement son échec. On la voit courir, s’agiter, serrer les mâchoires, se plaindre et singer la femme parfaite qui ne veut recevoir chez elle que pour paraître. Cette comédie sociale se termine en conte cruel. Quelques lignes suffisent à Tatiana de Rosnay pour ouvrir sous les pieds de cette bourgeoise a priori impeccable un gouffre vertigineux : celui de la culpabilité. Impitoyable, terrible et cruel. Superbement cruel.

    Tatiana de Rosnay, Trouble-fête, in 13 à Table, éd. Pocket, 2018, 284 p.
    http://www.tatianaderosnay.com
    Les Restaurants du Cœur
    Pocket

    Voir aussi : "Tatiana de Rosnay, son œuvre"
    "Trahisons et cachotteries"

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  • Couleur café

    Un accident de circulation en plein cœur de Paris : voilà l’élément déclencheur de Moka, un roman que Tatiana de Rosnay a publié environ un an avant son best-seller Elle s’appelait Sarah. Moka a, par la suite, été republié chez Héloïse d’Ormesson.

    La victime est Malcom, un garçon d’une douzaine d’années qui, de retour chez lui un après-midi, se fait faucher par une voiture. Heureusement, des témoins étaient là et le véhicule est vite identifié : il s’agit d’une Mercedes d’une couleur café, moka, facilement identifiable : "J'ai écouté tout cela, cette voix inconnue qui grésillait dans mon oreille. Un accident. Malcolm. Délit de fuite. Je n'arrivais pas à poser les bonnes questions."

    La police apprend à Justine, la mère de l’enfant, qu’un couple était dans cette voiture et qu’une femme la conduisait. Pourtant, quelques jours après l’accident, l’enquête patine et Justine décide seule, puis avec le soutien de sa belle-mère anglaise, de partir à la recherche de cette automobile. Grâce au concours d’un policier, ses pas la mènent à Biarritz, alors même que Malcom est entre la vie et la mort.

    Avec Moka, Tatiana de Rosnay faisait une dernière incursion dans l’univers du roman policier : un drame, un ou des coupables, une enquête et une héroïne prête à tout pour découvrir la vérité, "comme un Petit Poucet désespéré, égaré sur un chemin de larmes." Les éléments sont bien là, tout autant que le rythme : il n’y a qu’à lire à ce sujet ces pages décrivant la traque de Justine au cœur de Biarritz ou encore la scène tendue dans le salon d’esthétique.

    Un état des lieux

    Moka échappe pourtant aux conventions du thriller, en dépit de l’écriture sèche et précise de l’auteure : l’enquête fait en effet rapidement place à l’introspection d’une femme passant en revue son existence : son couple, son mari, les grands secrets et les petites cachotteries, ses désillusions, son travail sa famille et sa belle-famille anglaise. Et puis, il y a la douleur d’une mère de famille, sur le point de perdre son enfant : "Être « en vie » : je comprenais à présent ce que cela voulait dire. Mais maintenant je savais que c’était la peur, la terreur, et les sensations les plus dures, les plus extrêmes, les plus aigües, les plus douloureuses qui véhiculaient cette vitalité inédite. Pas la joie. Pas l’amour. Pas la douceur. Pas la sérénité d’avant. Rien de ce que j’avais connu avant." Dans un roman aussi tendu, Tatiana de Rosnay ouvre des parenthèses lumineuses, voire cocasses, à l’exemple de la scène du parfum, d'autant plus absurde que Justine est à mille lieues de s’intéresser aux fragrances d’un parfum hors de prix.

    L’accident devient l’occasion pour cette femme de se transformer en enquêtrice mais aussi de faire un état des lieux de sa vie, au risque de remettre toutes les pendules à l’heure. "Comment les gens faisaient-ils pour tourner la page ? Les gens qui vivaient un malheur ? Les gens qui connaissaient le pire ? Comment faisaient-ils ? Peut-être qu'ils ne tournaient jamais la page. Peut-être que ces pages-là, les plus lourdes, les plus terribles, on ne les tournait pas. On devait apprendre à vivre avec. Comment ?" 

    Le voyage à Biarritz a tout d’un pèlerinage loin de Paris. C’est là aussi que cette mère de famille, anéantie par l’accident contre son fils, se lance dans une chasse, à la recherche de cette mystérieuse conductrice que des témoins ont vue. Sans dévoiler la fin ni l’issue de l’enquête, Justine dénouera l’histoire de cette voiture couleur café. Cette découverte sera aussi celle d’une autre femme, si différente et si semblable.

    Tatiana de Rosnay, Moka, éd. Héloïse d’Ormesson, 2016, 288 p.
    http://www.tatianaderosnay.com

    Voir aussi : "Tatiana de Rosnay, son œuvre" 
    "Je reviendrai te chercher"
    "Ne dors pas, ma belle"

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