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Histoire - Page 7

  • Toutânkhamon, de l’obscurité à la lumière

    Il y a un peu moins de cent ans de cela, après plusieurs campagnes égyptiennes infructueuses à la recherche de la tombe du pharaon Toutânkhamon (v. 1340 av. JC - 1326 av. JC), l’archéologue Howard Carter convainc le richissime mécène Lord Carnarvon de financer une dernière prospection dans un périmètre qu’il estime n’avoir été jamais fouillé. Son intuition est la bonne puisque le 4 novembre 1922, une première marche est découverte puis dégagée. Elle donne accès à une tombe jamais visitée : celle de Toutânkhamon, fils d’Akhenaton, onzième pharaon de la XVIIIe dynastie. Son court règne est tombée dans l’oubli depuis que Toutânkhamon a été frappé d’une damnatio memoriae prononcée par ses successeurs. Son nom a disparu de la liste des pharaons, ce qui va paradoxalement assurer sa postérité. En tombant sur une sépulture quasi intacte car oubliée des pilleurs, Toutânkhamon passe des ténèbres à la lumière.

    Rarement le terme de "trésor" n’a paru aussi bien indiqué pour une telle découverte. Les organisateurs de l’exposition de La Villette ont véritablement travaillé la mise en scène pour proposer un ensemble d’espaces destinés à rendre toute la richesse, la splendeur et l’attrait historique de cette sépulture. Comme le dit Tarel El Awady, commissaire de l’exposition, "[En 1922], les scientifiques et les universitaires furent étonnés à la fois par l’importance du trésor de Toutânkhamon, mais également par la quantité d’information qu’il recelait, et qui permit une compréhension plus profonde de l’histoire de l’Égypte ancienne. Mais la découverte du tombeau de Toutânkhamon permit surtout de réfuter la croyance solidement installée chez les égyptologues de l’époque selon laquelle « tout avait déjà été découvert dans la Vallée des Rois. »"

    Une découverte presque miraculeuse et entrée dans la légende

    150 objets remarquables, tant pour leur valeur artistique que pour leur apports historiques et scientifiques, sont présentés : le cercueil miniature canope à l’effigie de Toutânkhamon en or, verre coloré et cornaline (mais sans la momie du prestigieux souverain !), la spectaculaire statue de Ka à taille réelle et à l’effigie du pharaon, le lit funéraire en bois doré, une magnifique statue en bois et feuille d’or représentant le roi coiffé de la couronne blanche, des mains incrustées d’or tenant la crosse et le fléau, un somptueux pectoral en or, argent, cornaline, turquoise et lapis-lazuli ou un étonnant modèle de barque solaire en bois. Une statue du dieu Amon protégeant Toutânkhamon, prêtée par Le Louvre, est également exposée. Coffres, bijoux, objets de la vie quotidienne, armes ou statues font pénétrer le visiteur dans une civilisation qui continue de fasciner et de surprendre.

    Mais cette exposition nous fait aussi comprendre l’histoire de cette découverte presque miraculeuse et entrée dans la légende. 3200 ans après sa mort, et alors que ses successeurs ont cherché à effacer les traces de ce pharaon qu’ils estimaient trop lié au règne de son père, le révolutionnaire Akhenaton, Toutânkhamon devient singulièrement une véritable célébrité, pour ne pas dire une icône pop – ce que montre le dernier espace de l’exposition. Passé de l’ombre d’une sépulture à la lumière des médias, le jeune pharaon incarne sans doute plus que n’importe quel souverain la magnificence d’une civilisation que l’on ne finit pas de découvrir.

    Il ne reste plus que quelques semaines pour découvrir l’un des trésors archéologiques les plus spectaculaires qui soit, avant son retour définitif en Égypte.

    Toutânkhamon, Le Trésor du Pharaon
    Du 23 mars au 22 septembre 2019
    Grande Halle de la Villette
    https://expo-toutankhamon.fr

    Voir aussi : "Twilight Zone chez Castel"

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  • Beau comme Apollo

    Le cinquantième anniversaire du plus grand événement de l’histoire humaine valait bien une commémoration digne de ce nom. Anthony Philipson propose de revenir sur la mission d’Apollo 11 en juillet 1969 qui permit aux premiers hommes de quitter le berceau terrestre pour visiter notre astre le plus proche, la lune.

    Ce voyage exceptionnel de huit jours, trois heures, dix-huit minutes et trente-cinq secondes, dont deux heures seulement sur notre satellite naturel, est relaté dans le documentaire de la BBC au titre très "Jules Verne" : 8 jours de la Terre à la Lune.

    C’est à partir d’un mélange d’images d’archives, pour beaucoup inédites, et de reconstitutions fidèles basées sur des enregistrements sonores de l’époque – car l’intégralité du voyage a été captée par la NASA – que le film suit les trois astronautes dans ce périple, depuis les derniers préparatifs jusqu’à leur minuscule vaisseau spatial de moins de 5 m², propulsée par la fusée Saturn V, un monstre de technologie haut de 36 étages et propulsé par des moteurs d’une puissance prochaine d’une bombe nucléaire.

    L’aspect technique n’est en effet pas éludé dans ce film qui rappelle l’exploit scientifique de ces missions inédites par leur ampleur : il n’y a qu’à penser à ces reconfigurations qui ont permis la transformation de la fusée gigantesque en un module lunaire à plus de 16 000 kilomètres heures. Des quelques jours de voyage dans un vaisseau à peine plus grand qu’une petite automobile, les astronautes Neil Armstrong, Buzz Aldrin et Michael Collins se sont cependant montrés discrets en révélations : la recherche d’une caméra, quelques exercices sportifs et l’écoute d’actualités pour rester en contact avec la terre constituent les seules anecdotes.

    "Ce que c’est beau !" dit un de ces trois voyageurs de l’impossible

    Le moment le plus attendu de ce documentaire est bien entendu celui de la cinquième journée, le 20 juillet 1969, qui est celui de l’alunissage d’Eagle, le module lunaire, un appareil qu’Armstrong et Aldrin n’ont utilisé qu’en simulateur de vol. L’alunissement du minuscule engin n’a pas été si simple que prévu, avec un ordinateur de bord (bien moins puissant que le plus modeste de nos smartphones) finissant par saturer en raison du nombre élevé d’informations à traiter et des astronautes ayant de peu échappé au pire. "C’est un petit pas pour l’homme mais un bond de géant pour l’humanité" prononce Armstrong au moment où il pose le premier pas sur le sol poussiéreux du désert lunaire. Les petites deux heures de ces hommes sur la lune ont marqué à jamais l’histoire de l’humanité et constituent encore aujourd'hui l'une des aventures les plus prodigieuses qui soit.

    On ressort fasciné par la magie des photos et des films à la qualité médiocre pris à 385 000 kilomètres au-dessus de nous. "Ce que c’est beau !" dit un de ces trois voyageurs de l’impossible au moment du voyage spatial le plus ahurissant qui ait jamais été fait. Cinquante ans plus tard, à défaut de viser les étoiles, la beauté de la mission d’Apollo 11 reste intacte et inédite.

    8 jours de la Terre à la Lune, documentaire d’Anthony Philipson,
    Grande-Bretagne, BBC, 2019, 98 mn, actuellement sur Canal+

    https://www.bbc.co.uk/mediacentre/mediapacks/8-days

    Voir aussi : "Si vous avez tout compris à cet article c’est que je me suis mal exprimé"

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  • La connerie, l'autre chose la mieux partagée au monde

    À quelques mois d’intervalles, deux livres nous parlent chacun à leur manière d’un sujet universel : l’état de la connerie humaine. Le recueil Psychologie de la Connerie, dirigé par Jean-François Marmion (éd. Sciences Humaines) et l’essai de Tom Phillips, Et Merde ! (La Librairie Vuibert) proposent de revenir, comme le dit Jean-François Marmion en reprenant une citation de Descartes, sur cette "chose du monde la mieux partagée" - avec le bons sens - qu'est la connerie : cette "promesse non tenue, promesse d’intelligence et de confiance trahie par le con, traître à l’humanité." Vaste programme !" aurait dit le Général de Gaulle. Il fallait bien le travail de trente philosophes, psychologues, intellectuels, sociologues et historiens pour décortiquer ce triste et universel comportement humain. C’est ce que propose justement Jean-François Marmion, à la direction de l'ouvrage de référence qu’est Psychologie de la Connerie.

    Le con n’y est pas caricaturé en "animal" ou être insondable impossible à raisonner. Jean-François Marmion rappelle avec humilité "qu’on est toujours le con de quelqu’un", ajoutant : "Moi-même, je ne me sens pas très bien." L’objectif de Psychologie de la Connerie est bien de décortiquer cette tare humaine et d’en faire une radio la plus précise et la plus sérieuse possible. Le premier article du livre est d’ailleurs consacré à la pertinence d’une étude scientifique sur la connerie, avec quelques questions posées par son auteur Serge Ciccotti ("Le con est-il de mauvaise fou ?", "Qu’est ce que le con-con ?", "Pourquoi le con s’appuie-t-il sur des croyances ?" ou "Pourquoi quand tu pleures y’a toujours un con pour te dire : Ça va ?"). Plus loin, Jean-François Dortier s’attache à faire consciencieusement une typologie du con (beauf, con universel, arriéré ou crédule), une réflexion poussée par Pascal Engel dans son article "De la bêtise à la foutaise".

    Le recueil devient plus pointu lorsqu’il entre dans la sphère psychologique ("Connerie et biais cognitifs" d’Ewa Drozda-Senkowska, "La pensée à deux vitesses" de Daniel Kahneman), voire des neurosciences ("De la connerie dans le cerveau" de Pierre Lemarquis). L’ouvrage de Jean-François Marmion se fait particulièrement actuel et engagé lorsqu’elle parle de post-vérité, des réseaux sociaux et des dérives politiques et historiques, aboutissant à des erreurs politiques et historiques monumentales.

    Tom Migdeley remporte la palme toute catégorie

    Et c’est là qu’on en vient au second ouvrage de cette chronique : l’essai à la fois éloquent, savoureux et drôle de Tom Phillips. Et Merde ! propose de balayer l’histoire universel des conneries, des bourdes et des quiproquos, prouvant par l’exemple que l’erreur est bien humaine.

    De la chute de l’australopithèque Lucy tombée de son arbre au plantage de la sonde spatiale Mars Climate Observer à cause d’une erreur élémentaire de calcul, en passant par le colonialisme ou la guerre du foot entre le Salvador et le Honduras en 1969, Tom Phillips multiplie les exemples de ces merdes qui ont pu avoir des conséquences dramatiques. L’auteur britannique s’arrête ainsi longuement sur l’accumulation de bourdes diplomatiques du shah khwarezm Muhammad II, qui, au début du XIIIe siècle, a réussi en moins de cinq ans à faire stupidement disparaître l’un des plus grands empires du monde en s’étant mis à dos sans raison Genghis Khan. L’auteur s’intéresse aussi à des événements et des personnages plus connus : l’erreur stratégique de Diên Biên Phuen 1953, le désastreux plan d’invasion de la Baie des Cochons ou la catastrophe que fut Adolf Hitler, en réalité "un égocentrique paresseux et incompétent, et son gouvernement une bande de clowns." Tom Phillips rappelle que le chef nazi est arrivé au pouvoir à cause de la légèreté d’électeurs allemands et que des politiques, pas moins cons, pensaient pouvoir manipuler les doigts dans le nez "ce crétin pathétique…"

    Les exemples de chefs d’état incompétents, de souverains "merdiques" (l’auteur s’arrête longuement sur trois spécimens ayant régné sur l’empire ottoman au XVIIe siècle), de guerres inutiles, de batailles foireuses (à l'exemple éloquent de la bataille de Karansebes en 1788 qui vit une armée s’auto-décimer sans ennemis), de responsables politiques improbables, de campagnes coloniales irréfléchies ou de choix stratégiques et diplomatiques vraiment très, très hasardeux.

    Mais paradoxalement, la science a su largement prouver qu’en matière de conneries elle n’était pas en reste. De ce point de vue, Tom Migdeley remporte la palme toute catégorie, et ce n’est pas en raison de sa mort stupide – étranglé avec les câbles de son lit qu’il avait perfectionné à l’aide de poulies. On doit à Tom Migdeley deux inventions désastreuses. La première est l’essence au plomb, qui permit de développer l’automobile – et par la même d’enrichir quelques industriels – mais aussi et surtout d’empoisonner la planète puisque des études scientifiques ont mis à jour le lien entre l’essence au plomb et la hausse de la criminalité dans le monde. Mais Tom Migdeley n’en resta pas là. Au début des années 30, il mit au point une autre de ces affligeantes découvertes : les CFC (les tristement célèbres chlorofluorocarbures) qui étaient destinés à la réfrigération encore balbutiante. Malgré son intérêt certain, cette deuxième invention s’avéra désastreuse pour la planète : "Dans les années 1970, alors qu’on commençait à vouloir abandonner par étapes l’essence au plomb, on découvrait l’existence du trou croissant de la couche d’ozone", trou provoqué par les CFC.

    Voici deux ouvrages qui font descendre l’intelligence humaine de son piédestal. Jean-François Marmion et Tom Phillips nous rappellent au devoir d’humilité, ne serait-ce que pour se rappeler des erreurs de l’historie humaine et éviter d’en refaire d’autres. Peut-être finirons-nous un jour par ne plus merder. On peut toujours rêver.

    Sous la direction de Jean-François Marmion, Psychologie de la Connerie
    éd. Sciences Humaines, 2018, 378 p.

    Tom Phillips, Et Merde ! (Humans: A Brief History of How We Fucked It All Up)
    éd. La Librairie Vuibert, 2019, 282 p.

    https://www.jfmarmion.com
    https://fullfact.org

    Voir aussi : "Un siècle risqué"

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  • Zola à l’honneur

    Claude Sabatier présentera et dédicacera son livre Chroniques politiques de Zola (volume 1) [1863-1870] chez Classiques Garnier le samedi 1er décembre, de 17 h 30 à 18 h 30, au Hangar, 5 rue de la Forêt à Châlette, lors du festival "Autrement, Autres mots.

    Cet événement est organisé par un collectif d'associations (MRAP, Monde diplomatique, Collectif Immigrés, etc.) : Claude Sabatier évoquera l'engagement politique de Zola et ses combats humanistes, pour la patrie, la République, la laïcité, l'amnistie des Communards ou contre l'antisémitisme, avec l'Affaire Dreyfus.

    Sous la direction de Claude Sabatier, Emile Zola, Chroniques politiques. tome 1 (1863-1870)
    Avec Didier Alexandre, Philippe Hamon, Alain Pagès et Paolo Tortonese
    éd. Classiques Garnier, 669 p.
    Rencontre avec Claude Sabatier, le samedi 1er décembre, de 17 h 30 à 18 h 30, au Hangar, 5 rue de la Forêt à Châlette, lors du festival Autrement, Autres mots
    http://festivaldulivre.autrementautresmots.over-blog.com

    Voir aussi : "Zola, le journaliste politique"

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  • Le commerce des vivants

    première guerre mondiale,grande guerre,années folles,gueules cassées,pierre lemaitre,albert dupontel,laurent lafitte,nahuel pérez biscayart,niels arestrup,émilie dequenne,mélanie thierry,heloïse balster,jean blanchard,fusillés pour l'exemple,cécile kretschmar,romanGrand roman sur la guerre, cinglante satire sociale et portraits croisés d’anti-héros flamboyants, Au revoir Là-haut a réussi le tour de force de réconcilier grand public, critiques et milieu littéraire, qui ne s’est pas trompé en lui décernant le Prix Goncourt.

    Nous étions en 2013 à la sortie du livre de Pierre Lemaitre et les commémorations du centenaire de la Grande Guerre n’avaient pas commencé. Quatre ans plus tard, à quelques mois de la célébration du centenaire de l’armistice du 11 novembre, il n’est pas trop tard pour lire ou relire Au revoir Là-haut, d’autant plus que l’adaptation de et avec Albert Dupontel nous rappelle la force d’une histoire aussi simple que géniale.

    Le 2 novembre 2018, à quelques jours de la fin des hostilités, le capitaine Henri d’Aulnay-Pradelle, un être "à la fois terriblement civilisé et foncièrement brutal," lance une charge aussi inutile que dangereuse contre les tranchées allemandes, moins pour son utilité tactique que pour sa gloriole personnelle. Parmi les victimes de l’attaque figurent Albert Maillard, un brave gars gentil, "de tempérament légèrement lymphatique," enterré vivant dans un trou d’obus avant d’en sortit miraculé, et surtout Édouard Péricourt qui deviendra une gueule cassée après avoir perdu la moitié de son visage. Une fois revenus parmi les vivants, le mutilé convainc Maillard de ne pas dévoiler son infirmité à sa sœur Madeleine et surtout à son père, l’homme d’affaire et millionnaire Marcel Péricourt. Aux yeux de tous, il doit figurer parmi les morts du conflit et tomber dans l’anonymat.

    La guerre terminée, plus rien n’est comme avant. Fort de sa carrière d’officier, Henri d’Aulnay-Pradelle s’est enrichi grâce à l’appel d’offres de l’État sur les inhumations des poilus et les immenses cimetières. Il s’est également marié avec Madeleine Péricourt, ce qui ne m’empêche pas de la tromper sans vergogne. Pour Albert et Édouard, l’avenir est plus sombre : ils vivent dans une modeste pension, sans croire au lendemain. Alors qu’Albert traficote pour récupérer des fioles de morphine destinées à son ami, celui-ci s’évertue à cacher son visage défiguré à l’aide de masques aussi fantasmagoriques les uns que les autres. Un jour, Édouard dévoile à son ami un projet d’escroquerie qui doit les tirer d’affaire. Il met à profit ses talents de dessinateur pour mettre au point une supercherie sur le dos des morts de la Grande Guerre. Et contre toute attente, ce projet, aussi amoral et improbable soit-il, fonctionne au-delà de toutes les espérances.

    Ces fameux masques, dadaïstes et surréalistes...

    Pierre Lemaitre a écrit un roman brillant, facétieux et tragique. C’est en transportant le lecteur au tout début des années folles qu’il se fait le pourfendeur de toutes les guerres et tous les nationalismes. À y regarder de près, il n’y avait qu’Albert Dupontel pour rendre sur écran toute la verve de l’auteur et en faire une fresque grinçante et sombre. L’auteur de 9 Mois ferme a pris à bras le corps le pavé de 620 pages de Pierre Lemaitre, a resserré l’intrigue avec justesse sans trahir l’auteur – qui a d’ailleurs participé au scénario – et a enrichi l’histoire de cette escroquerie et de ces anciens soldats perdus de la Grande Guerre.

    Qui d’autres que Dupontel pouvait interpréter le soldat Maillard, cet homme frustre, naïf mais courageux ? Laurent Lafitte, lui, excelle dans le rôle de cette fripouille qu’est Henri d’Aulnay-Pradelle. Quant à Nahuel Pérez-Biscayart, il campe un Édouard Péricourt brisé, muet mais capable de comportements audacieux. Gueule cassée condamnée à vivre en marge de son époque, et désireux de se couper de son père (Niels Arestrup), il devient paradoxalement la représentation vivante des années folles, cachant son visage cabossé et ses illusions tout autant détruites derrière des masques.

    Parlons justement de ces fameux masques, dadaïstes et surréalistes... Cécile Kretschmar est la créatrice de ces accessoires à l’importance considérable. "Édouard ne les portait jamais deux fois, le nouveau chassait l’ancien qui était alors accroché avec ses congénères, sur les murs de l’appartement, comme des trophées de chasse ou la présentation de déguisements dans un magasin de travestis."

    Citons enfin le personnage de Louise (la magnétique et toute jeune actrice Heloïse Balster) : celle qui devient la voix, les oreilles et l’assistante aux masques du fils Péricourt est intelligemment utilisée dans le film, jusqu’à devenir une protagoniste pleinement utilisée dans cette histoire de commerce des vivants sur les morts.

    Roman proche de la perfection, Au revoir Là-haut – dont le titre est un hommage à la dernière phrase de Jean Blanchard, fusillé le 4 décembre 1914 – est aussi l’exemple d’une adaptation réussie à montrer dans toutes les écoles de cinéma. Un grand livre et un grand film. À voir et à lire, ou inversement.

    Pierre Lemaitre, Au Revoir Là-haut, éd. Albin Michel, 2013, 620 p.
    Au Revoir Là-haut, d’Albert Dupontel, avec Albert Dupontel, Laurent Lafitte, Nahuel Pérez Biscayart, Niels Arestrup, Émilie Dequenne, Mélanie Thierry et Heloïse Balster,
    2017, 115 mn

    Voir aussi : "Aussies au front"

  • Hommage à Claude Lanzmann

  • Aussies au front

    Ce mois d’avril, s’ouvre à Villers-Bretonneux le Centre Sir John Monash, un nouveau historique consacré à la première guerre mondiale. Celui-ci lève le voile sur une contribution peu connue dans l’histoire de la Grande Guerre : celle des soldats australiens engagés sur le front occidental

    L’Australie a été un allié fondamental durant la Première Guerre mondiale, jouant un rôle clé dans les batailles européennes. Son histoire est peu connue en France, contrairement à celle des autres forces alliées. Or, pas moins de 295 000 Australiens ont servi au sein de l’Australian Imperial Force (AIF) en France et en Belgique, entre mars 1916 et novembre 1918. C’est dire l’apport de ces soldats dans l’histoire de la première guerre mondiale, un apport rappelé par le Centre Sir John Monash, financé pour 60 millions d’euros par le gouvernement australien, et situé à proximité de Villers-Bretonneux.

    110 000 attendus visiteurs chaque année

    Le Général John Monash était le chef des forces australiennes sur le front occidental en 1918. Le centre, conçu par l’agence COX Architects (Sydney), qui porte son nom est un rappel de cette période sanglante, un hommage aux Aussies engagées en France et en Belgique, mais aussi un moyen de rappeler au visiteur du XXIe siècle la réalité du conflit dont nous fêterons cette année les cent ans de l’Armistice.

    Le Centre Sir John Monash prévoit d’accueillir près de 110 000 visiteurs chaque année. Une application SJMC, téléchargeable sur les téléphones et tablettes des visiteurs, servira de "guide touristique virtuel" dans le cimetière militaire de Villers-Bretonneux, le Mémorial National australien et le Centre Sir John Monash.

    Le visiteur du centre sera plongé dans une expérience immersive à travers une technologie multimédia de pointe présentée comme inédite. Elle générera une expérience sensorielle et instructive en anglais, français et allemand.
    Le parcours interactif sera complété par la présentation d’objets d’époque ayant une résonance particulière pour les australiens, ainsi que par certains objets trouvés sur le site avant la construction du Centre. Il permettra aux visiteurs de mieux comprendre le rôle joué par l’Australie sur le front occidental ainsi que l’impact de la guerre et les lourdes pertes subies par cette nation encore émergente.

    Centre Sir John Monash, Australian National Memorial
    Route de Villers-Bretonneux, Fouilloy (80)
    Inauguration le 24 avril 2018
    https://sjmc.gov.au

    © Sir John Monash

  • La bête doit mourir

    C’est le fait d’arme le plus important et le plus spectaculaire de la Résistance pendant la seconde guerre mondiale : l’assassinat du haut-dignitaire nazi, Reinhard Heydrich, le 4 juin 1942 à Prague. Celui que l’on surnomme toujours HhhH, "Himmlers Hirn heisst Heydrich" (en français : "Le cerveau de Himmler s'appelle Heydrich") avait un rôle central dans l’appareil nazi : directeur de la RSHA (Reichssicherheitshauptamt), vice-protecteur de la Bohême-Moravie à sa mort (surnommé à ce titre "le bourreau de Prague"), il fut aussi responsable de la Gestapo, créateur des sinistres Einsatzgruppen chargés des tueries de masse en Europe de l’Est et en Union soviétique (la Shoah par balles), avant de planifier à partir de la conférence de Wannsee, le 20 janvier 1942, la Solution finale contre les juifs. C’est dire l’importance d’un homme fanatisé, violent ("L’homme au cœur de fer") et capital dans la machinerie de mort nazie.

    Début 1942, Londres envoie à Prague deux agents, le slovaque Jozef Gabčík et le tchèque Jan Kubiš, afin de mettre en place l’opération Anthropoid. Les deux hommes ont la difficile mission d’assassiner Heydrich. Dans un pays mis sous coupe réglée par les dignitaires nazis, la mission réussit, non sans des conséquences désastreuses : les villages de Lidice et de Lezaky sont rayés de la carte et des milliers de victimes tchécoslovaques sont tués en guise de représailles.

    Sur cet événement important mais mal connu en France, Laurent Binet en a tiré un livre en 2010, HhhH (éd. Grasset). Contre toute attente, ce premier roman reçoit un accueil enthousiaste, public et critique. Le jeune écrivain a fait de ce récit historique une matière littéraire passionnante, dans laquelle le narrateur – et l’auteur – parle de la difficulté à relater une histoire hors-norme. À la fois essai, roman historique et autofiction, HHhH est plus que convainquant : un premier roman magistral et passionnant de bout en bout.

    L’homme au cœur de fer

    L’an dernier, ce livre a fait l’objet d’une adaptation qui était très attendue. Cédric Jimenez s’est attelé à cette tâche, avec Rosamund Pike dans le rôle convaincant de l’épouse d’Heydrich. Las, le parti-pris de Laurent Binet – allier la grande histoire et les questionnements sur l’indicible – sont passés à la trappe. HHhH suit de manière efficace le parcours du dignitaire nazi dans une première partie, avant de s’intéresser aux deux résistants tchèque et slovaque. Le réalisateur ne nous épargne par les exactions après l’assassinat de la tête pensante de la Solution Finale, notamment lors de la destruction de Lidice, "l’Oradour-sur-Glane tchèque."

    En 2016, un autre film, plus confidentiel, a traité de cet événement. Opération Anthropoid, de Sean Ellis, se concentre cette fois sur les six mois qui ont précédé l’attentat contre Heydrich, en suivant la préparation, les atermoiements et la vie quotidienne de Gabčík et Kubiš. Tourné sans grand moyen, avec cependant la présence à l’écran de la lumineuse Charlotte Le Bon dans le rôle d’une complice investie, Opération Anthropoid a les qualités du film d’espionnage. Heydrich n’apparaît que fugacement, lors de l’attentat. Ce long-métrage a des accents hagiographiques en ce qu’il suit deux résistants pugnaces, héroïques et lancés dans une opération désespérée.

    On peut se féliciter que ce fait d’arme exceptionnel de la résistance tchèque soit revenu au-devant de l’actualité. Cependant, les deux films, très différents dans leur facture – mais tous deux dominés par deux actrices exceptionnelles, Rosamund Pike et Charlotte Le Bon – ne sont sans doute pas à la hauteur de l’événement raconté, et ce malgré les qualités de ces deux œuvres. Il reste le roman de Laurent Binet, traduit dans le monde entier, notamment en Tchéquie, et qui demeure l’œuvre de référence pour comprendre l’assassinat de Reinhard Heydrich par Jozef Gabčík et Jan Kubiš.

    Laurent Binet, HHhH, éd. Grasset, 441 p., 2010
    HHhH, de Cédric Jimenez, avec Jason Clarke, Rosamund Pike, Jack O'Connell, Jack Reynor, Mia Wasikowska et Thomas M. Wright, France, 2017, 120 mn
    Opération Anthropoid, de Sean Ellis, avec Jamie Dornan, Cillian Murphy, Charlotte Le Bon et Toby Jones, Grande-Bretagne – France – Tchéquie, 2016, 120 mn