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Histoire - Page 6

  • Du couvent à la Régence

    L’Histoire de France est riche de personnages secondaires ayant contribué à leur manière à écrire des périodes particulièrement agitées. Claudine Alexandrine de Tencin est indubitablement l’une de ces figures. Madeleine Mansiet-Berthaud conte le récit de sa vie dans son roman historique, La Défroquée (éd. Ramsay).

    Cette fille de cinq enfants, née d’une famille grenobloise de la noblesse de robe durant le règne de Louis XIV a, dès son enfance, l’assurance de faire partie de ses grandes oubliées. Femme dans une culture patriarcale, avec un frère aîné qui est promis à un riche héritage et un autre frère poussé vers une carrière dans le clergé, la jeune fille est envoyé au couvent de Montfleury pour une vie de prière. Son existence est promise au silence, ce qu’elle ne peut admettre. Madeleine Mansiet-Berthaud la fait s’exprimer ainsi, alors qu’elle se morfond dans un couvent où son père l’a enfermé : "Si je quitte un jour ce voile et le monastère pour la vie civile, j’emploierai mon temps à bâtir une fortune." Une promesse de reprendre en main sa vie et de s’échapper d’une véritable prison, mais qui est aussi la marque d’une défiance envers les hommes : "Si Alexandrine ne tuait pas son père, elle tuerait tous les hommes qui l’approcheraient."

    En fait de meurtre, c’est plutôt de revanche et de vengeance dont elle va user. Cela va d’abord passer par une manœuvre juridique de longue haleine : obtenir du pape la fin des ordres et retourner à la vie civile. Sa bataille va durer onze ans et se terminer par sa libération : un cas "unique dans les annales de l’Église". Contre toute attente, dans une France où la religion catholique pèse de tout son poids sur la vie, Madame de Tencin devient celle que l’on surnomme "la défroquée" : "Ne serait-je jamais qu’une nonne / A qui faux pas l’on ne pardonne ?", versifie-t-elle lors des derniers jours du Roi Soleil.

    Ce n’est qu’une première étape vers son destin exceptionnel dans une époque traditionnelle et patriarchale. La jeune femme ne veut pas se contenter d’une existence régie par le mariage et une famille traditionnelle. S’occuper d’un enfant ? Au risque qu’il "vienne anéantir des rêves de gloire" ? Jamais ! Car si elle a bien eu un enfant, elle ne le reconnaît pas, et c’est finalement son amant de l’époque qui s’occupe de lui – qui deviendra plus tard le philosophe et encyclopédiste D’Alembert.

    Une féministe avant l’heure

    C’est d’abord auprès de sa sœur Marie-Angélique, devenue Madame de Ferriol, que l’ancienne nonne se frotte au grand monde, via un salon littéraire où les plus brillants esprits sont invités : Fontenelle, la tragédienne Mademoiselle Duclos, le jeune Voltaire, mais aussi toutes ces figures politiques qui, après la mort de Louis XIV, allaient être les têtes pensantes de la Régence. Mme de Tencin devient même la maîtresse de Dubois, le second en France après le Duc d’Orléans. Puisque la société interdit aux femmes tout pouvoir, elle multiplie les intrigues pour placer tel ou tel au plus haut sommet, souvent ses amants, et sans oublier les membres de sa famille. Alexandrine continuerait à fabriquer des candidats à l’immortalité dans son usine à idées, tout simplement parce que c’était sa vocation, sa vie, d’élever les grands esprits aux plus hauts sommets, comme de moquer ceux qu’elle estimait médiocres." Vers la fin de sa vie, elle se lance également en littérature, avec des romans qui auront un succès certain à l'époque.

    En suivant le destin incroyable de la Défroquée, l’auteure fait un tableau passionnant de la France du début du XVIIIe siècle : les luttes d’influence pour la succession de Louis XIV, les troubles anglais, le miracle économique du système de Law puis la crise qui s’en suivit, sans oublier l’arrivée au pouvoir du jeune Louis XV. Madeleine Mansiet-Berthaud fait de Madame de Tencin une brillante et insatiable manipulatrice qui s’appuie aussi sur sa propre famille. L’auteure capte bien cette époque, tout en glissant quelques pages d’une écriture classique, voire sensuelle, lorsqu’elle entre par exemple dans les intérieurs bourgeois de cette fille de noble provinciale devenue une aristocrate influente : "Le taffetas glissa sur le parquet ; la jupe étalée restait gonflée, comme toujours habitée. Les dessous de coton blanc échouèrent sur une méridienne. La chambre baignait dans une demie-pénombre."

    Car la famille est l’autre pierre saillante de son existence, avec un frère dont elle est éprise et qu’elle aidera sans faille dans sa quête de pouvoir ecclésiastique car "garder des relations avec les hauts personnages susceptibles de servir la carrière de son frère passait avant une aléatoire gloire personnelle". La quête de reconnaissance n’est pas absente des motivations de l’ancienne religieuse, jamais épargnée par son passé de nonne.

    L'auteure ne cache pas la grande part d’ombre d’Alexandrine de Tencin qu’est sa relation avec d’Alembert. On peut dire qu’elle s’avère être une féministe avant l’heure, qui a assumé ses choix privés jusque dans ses excès, en refusant "d’être l’esclave d’un homme" : "Quand la femme serait-elle l’égale de l’homme ?". C’est sa sœur qui a sans doute eu la réflexion la plus définitive sur elle : "Votre génie pour le calcul et l’intrigue me stupéfie." Ce que l’auteur résume de cette manière : "Quelle revanche prise sur le destin qui aurait dû être le sien !"

    Madeleine Mansiet-Berthaud, La Défroquée, éd. Ramsay,2020, 430 p.
    https://ramsay.fr/dd-product/la-defroquee

    Voir aussi : "Héros, salauds et intellos sous l’Occupation"

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  • Héros, salauds et intellos sous l’Occupation

    Dans son essai Vingt intellectuels sous l’Occupation (éd. du Rocher), Laurent Wetzel cite le Général de Gaulle qui dit ceci dans ses Mémoires de Guerre : "Les écrivains, du fait de leur vocation de connaître et exprimer l’homme, s’étaient trouvés au premier chef sollicités par cette guerre où se heurtaient doctrines et passions. Il faut dire que la plupart et, souvent, les plus grands d’entre eux avaient pris le parti de la France, parfois d’une manière magnifique. Mais d’autres s’étaient, hélas ! Rangés dans le campo opposé avec toute la puissance de leurs idées et de leur style." Cet extrait se trouve dans le chapitre consacré à Robert Brasillach, le plus célèbre de ces intellos engagés dans le camp de Pétain, et aussi la seule de ces figures à avoir été exécutée après la Libération.

    De Gaulle et Pétain : voilà bien la ligne de fracture fondamentale entre les deux camps dont parle Laurent Wetzel, bien qu’elle ne soit pas la seule. Car, outre les désaccords au sujet d’une paix signée avec l’Allemagne, c’est aussi l’antisémitisme qui distinct Résistants et Collaborationnistes.

    Laurent Wetzel a fait le choix de portraits synthétiques pour retracer cette grande histoire qu’a été la vie intellectuelle en France pendant la seconde guerre mondiale. Une grande histoire avec ces héros, ces lâches, ces salauds mais aussi ces figures équivoques. Pour cela, l’auteur, intellectuel lui-même (normalien, maître de conférence d’histoire contemporaine à Sciences Po et professeur d’histoire politiques à Sup de Co), a divisé son livre en trois parties : les deux premières, "Figures d’intellectuels résistants" et "Figures d’intellectuels collabos", retracent chacune le parcours de huit personnalités. La dernière, "Figures d’intellectuels ambivalents", est singulièrement la moins développée, bien qu’elle reste passionnante puisque les quatre célébrités évoquées sont ni plus ni moins que Raymond Aron, Jean-Paul Sartre, Georges Pompidou et François Mitterrand. Que du gros calibre.

    Laurent Wetzel s’attache à décrire des parcours hors du commun dans une France déchirée et en guerre. Quelques figures parlerons très certainement au lecteur.

    Parmi les Résistants, il y a, pour commencer, Marc Bloch et Pierre Brossolette, tous deux tués en 1944. On retiendra aussi René Cassin, en raison des conséquences qu’eurent son engagement. L’auteur rappelle que ce dernier, condamné à mort par contumace du fait de ses responsabilités dans la France Libre, a vu 27 membres de sa famille disparus en déportation, dont sa mère, sa sœur et son beau-frère. Laurent Wetzel relate également ses distensions avec le Général de Gaulle pendant et après la guerre, comme les engagements français et internationaux de René Cassin : création de l’Unesco, élaboration de la déclaration des droits de l’Homme et Prix Nobel de la Paix. Le fascinant Jean Prévost, l’homme d’Eglise Jules Saliège et Jacques Soustelle font l’objet eux aussi de portraits passionnants, avec parfois, comme pour l’archevêque de Toulouse, des positions réservées au sujet du Général De Gaulle. Jacques Soustelle, lui aussi, se détournera du chef de la France Libre. Il regretta, par exemple, "l’épuration… ratée". Deux figures féminines, les seules de cet ouvrage, complètent ce tableau de la Résistance intellectuelle : il s’agit de Germaine Tillion et de l’exceptionnelle Simone Weil (à ne pas confondre avec la femme politique et ancienne déportée Simone Veil).

    Les angles morts de l’épuration

    De l’autre côté de la barrière, il y a ces écrivains, philosophes, essayistes et professeurs d’université qui ont choisi le camp de Vichy. À ce sujet, Laurent Wetzel n’hésite pas à parler dans le chapitre consacré à Claude Jamet (le père d’Alain Jamet, vice-président du Front National et Dominique Jamet, journaliste et Président de la BnF), de ce qu’il appelle un "paradoxe" de cette époque : "L’alliance des pacifistes les plus ardents avec les soldats d’une société guerrière."

    Il y a ces figures proprement sulfureuses : Robert Brasillach, nous l’avons dit, qui a payé de sa vie des engagements qu’il n’a jamais reniés. Marcel Déat, "un ami de la Waffen SS", fait lui aussi partie de cette inconditionnels de la Collaboration, "avec d’autant plus de désintéressement qu’il croyait que sa réussite personnelle serait bienfaisante pour son pays" (cette citation est extraite de la biographie que lui a consacrée Georges Albertini). Laurent Wetzel n’oublie par Pierre Drieu La Rochelle, homme de lettres souvent cité et décrié, antisémite convaincu mais aussi "hitlérien déçu" qui, nous apprend l’auteur, "se convertit sur le tard au communisme et au stalinisme". Le cardinal Alfred Baudrillart a eu lui aussi des positions antinomiques : antinazi proclamé avant la guerre, adversaire de Hitler, le cardinal et membre de l’Académie française fait un virage à 180 degrés après le déclenchement de la guerre et l'Exode, montrant son aversion pour "le traître de Gaule", son accord pour la paix signée par Pétain, son adhésion à l’ordre vichyste et même sa fascination pour "la personnalité et l’éloquence d’Hitler". Autant d’attitudes qui lui vaudront bien des inimitiés.

    Parmi les portraits consacrés à ces figures noires de la vie intellectuelle française, il y a ceux qui sont singulièrement passés à côté de l’épuration, dont Jacques Benoist-Méchin, Claude Jamet ("J’espère l’avenir sous le visage nazi") ou Georges Soulès ("fanatiquement collaborationniste"). Un autre de ces intellos fourvoyés se détache, et pas forcément le plus connu : Jean-Paul Hüter, un "intellectuel parmi les plus remarquables de sa génération" comme l’écrit Laurent Wetzel. Cet hitlérien convaincu meurt en 1944 en Lituanie, sous l’uniforme de la Wehrmacht.

    En consacrant la dernière partie de son essai à deux Présidents de la République, Pompidou et Mitterrand, Laurent Wetzel montre aussi en filigrane les échecs de l’épuration, ou du moins ses angles morts. Raymond Aron, qui s’est mis à distance et du Général de Gaulle et du Maréchal Pétain, disait d’ailleurs ceci : "Si l’épuration avait été mieux conduite, si les principaux responsables avaient été rapidement et solennellement châtiés, il eût été plus facile de se désintéresser des lampistes…" Peu touché par la Libération, Jean-Paul Sartre n’en reste pas moins un intellectuel – et pas des moindres ! – dont les positions sont encore très discutées et critiquées.

    Voir Georges Pompidou présent dans cette dernière partie peut surprendre. Le futur gaulliste, "attentiste" pendant l’Occupation, n’a jamais nié que ses engagements dans la Résistance ont été très limitées. Pour autant, il fit circuler quelques tracts : des "actions isolées et sans portée". Il montra également une certaine indulgence envers d’autres intellectuels aux positions critiquables, comme Jean Guitton.

    Plus troublante est la carrière du jeune François Mitterrand pendant cette période noire : proche de l’extrême-droite dans l’entre-deux-guerres, puis prisonnier en 1940 et évadé d’un stalag avant de devenir haut-fonctionnaire pétainiste, il a été décoré de la Francisque. Le futur Président socialiste "entretenait de bons rapports avec l’entourage du maréchal Pétain et approuvait les principes de la Révolution nationale". Mais il bascule en 1943 dans la Résistance, non sans un certain courage. Il créa même son propre réseau. S’il y a un homme controversée qui a bien sa place dans cette partie, c’est bien lui.

    En s’arrêtant sur ces personnalités du monde intellectuel au milieu de la seconde guerre mondiale, Laurent Wetzel montre bien la manière dont les têtes les mieux faites peuvent se fourvoyer dangereusement, et souvent avec la meilleure foi du monde. Pierre Drieu La Rochelle l’exprime à sa manière : "Si l’intellectuel garde son iondépendance et sa pureté de pensée, il est considéré par les politiciens comme un homme de paille d’autant plus utilisable à l’égard des foules aveugles qu’il est lui-même aveugle."

    Laurent Wetzel, Vingt intellectuels sous l’Occupation, éd. du Rocher, 2020, 233 p.
    https://www.editionsdurocher.fr
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Laurent_Wetzel

    Voir aussi : "Parisiennes et Parisiens dans l'exode"

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  • Maurice Genevoix au Panthéon et à la BnF

    maurice genevoix,bnf,panthéon,première guerre mondiale,grande guerreMaurice Genevoix, le grand écrivain de la Grande Guerre fait son entrée aujourd’hui au Panthéon, cent ans jour pour jour après l’inhumation du soldat inconnu. Simultanément, le manuscrit autographe de Ceux de 14 rejoint les collections de la Bibliothèque nationale de France grâce à un don de sa famille. Il sera exceptionnellement exposé lors de la cérémonie d’hommage à Maurice Genevoix au Panthéon.

    "Il s’agit du premier manuscrit de Maurice Genevoix à entrer dans les collections de la Bibliothèque nationale de France. Maurice Genevoix avait voué son travail à la transmission d’une mémoire. Recevoir aujourd’hui le manuscrit de Ceux de 14 est un grand honneur pour la BnF, et c’est aussi une façon de poursuivre cette œuvre de transmission. C’est donner à la Bibliothèque toute la mesure de son rôle au XXIe siècle : conserver et faire vivre auprès du plus grand nombre les œuvres littéraires qui forment notre mémoire collective", se félicite Laurence Engel, présidente de la BnF.

    Mobilisé en 1914 alors qu’il est étudiant à l’École normale supérieure, Maurice Genevoix (1890-1980) est envoyé sur le front de Meuse. Grièvement blessé en avril 1915, Maurice Genevoix tire de son expérience de la guerre des tranchées la matière d’un des plus grands témoignages sur la Première Guerre mondiale. De 1916 à 1923, cinq volumes se succèdent : Sous Verdun (1916), Nuits de guerre (1917), Au seuil des guitounes (1918), La Boue (1921) et Les Éparges (1923), qu’il choisira de réunir, après quelques remaniements, sous le titre de Ceux de 14. le livre sort en 1949.

    Ce manuscrit de la version originale du texte donne à voir le travail de l’écrivain voué "à la mémoire des morts et au passé des survivants".

    Décédé en 1980, l’écrivain, prix Goncourt en 1925 pour Raboliot et secrétaire perpétuel de l’Académie française de 1958 à 1973, fut un acteur majeur de la vie littéraire du XXe siècle. Il a contribué à entretenir le souvenir des combattants de la Grande Guerre.

    Don du manuscrit de Ceux de 14 de Maurice Genevoix
    à la Bibliothèque nationale de France
    Maurice Genevoix, Ceux de 14, éd. Omnibus, 2009, 1090 p.

    https://www.bnf.fr

    Voir aussi : "La fleur au fusil"

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  • Parisiennes et Parisiens dans l'exode

    Le jeune Musée de la Libération de Paris – musée du général Leclerc – musée Jean Moulin, propose jusqu'à la fin de l'année sa première exposition temporaire consacrée à l'exode des Parisiens, lors de la Guerre Eclair de juin 1940. Un événement tragique dont nous fêtons cette année le 80e anniversaire. En déclenchant sa conquête européenne, l'armée allemande pousse sur les routes 6 millions d'hommes, de femmes, d'enfants et de vieillards sur les routes. Il y a des Belges, des Luxembourgeois et des Français. Parmi ceux-ci, 2 millions de Parisiennes et Parisiens se déplacent en masse vers le sud ou l'ouest de la France. Un nom biblique est donné à cet événement : l'Exode.

    Sylvie Zaidman, directrice du musée et co-commissaire de l’exposition, nous éclaire au sujet de cette période : "Ces quelques jours de bouleversement, parfois de panique lorsque surviennent des mitraillages par des avions allemands, prennent fin peu à peu après l’annonce par le maréchal Pétain de la demande d’armistice. Il faut alors composer avec une nouvelle réalité, celle de l’Occupation. Le traumatisme de l’exode est donc lié à celui de la défaite française. Nous parlons là d’une histoire d’humiliation nationale, car la fuite militaire et civile devant l’ennemi n’est pas un souvenir glorieux. Si l’exode se révèle peut-être un moment de solidarité pour certains, pour d’autres c’est un temps dramatique de perte de repères, de disparition de proches, de confusion."

    Un vrai traumatisme

    Entre le 3 et le 14 juin 1940, la panique gagne rapidement les Parisiens dont les trois quarts décident de s’éloigner au plus vite de la capitale. Les photographies et les témoignages montrent les routes encombrées de voitures, de vélos, de brouettes où sont entassées quelques affaires rassemblées à la hâte. La panique se répand dans la population, depuis les notables jusqu’aux commerçants, laissant une ville presque désertée.

    Le 14 juin 1940, les Allemands entrent dans Paris. Le 17, le nouveau chef du gouvernement, le maréchal Pétain, annonce qu’il va demander l’armistice. Cette déclaration laisse entrevoir la fin de la guerre et rassure de  nombreux Français. Cependant en quelques semaines, les structures politiques et sociales de la France ont volé en éclat.

    L'objet de cette expo est d'expliquer, mettre en perspective et montrer l'importance considérable de cet événement. L’accent est mis ici sur une expérience collective faite de millions d’histoires individuelles, mêlant les Parisiens aux autres Français, aux Belges ou aux Luxembourgeois. En s’appuyant sur des films d’époque, des témoignages, des dessins - d’enfants notamment - et des archives, les commissaires ont choisi de plonger le visiteur dans cette période singulière de l’histoire. Il découvre peu à peu le sentiment d’urgence qui saisit les Parisiens et leur départ en catastrophe pour se retrouver dans la masse de réfugiés qui déferle sur les routes. L’exposition apporte un éclairage sur le sort des réfugiés et la fragilité des institutions. Un vrai traumatisme.

    "Ce qui subsiste massivement de ce moment, en revanche, c’est une mémoire extraordinaire. À l’histoire collective des Parisiens et des Français, partagée par les Belges et les Hollandais, s’ajoutent en effet de multiples histoires intimes", ajoute encore Sylvie Zaidman.

    Il ne reste plus que quelques semaines avant de découvrir cette exposition temporaire mémorable à plus d'un titre.

    Exposition "1940 : des Parisiens dans l’exode"
    Musée de la Libération de Paris – musée du général Leclerc – musée Jean Moulin
    Jusqu'au 13 décembre 2020
    4, avenue du Colonel Rol Tanguy
    Place Denfert Rochereau
    75014 Paris
    https://www.museeliberation-leclerc-moulin.paris.fr

    Voir aussi : "Au 21 rue la Boétie"

    Fuite, mai-juin 1940 © LAPI, Roget Viollet

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  • Grandes et petites histoires des Invalides

    Pour les 350 ans de la fondation des Invalides par Louis XIV, le Musée de l’Armée s’est associé avec Artips pour lancer un cours en ligne, gratuit et accessible à tous sur l’Hôtel des Invalides.

    Un moyen de savoir tout ou presque sur ce lieu exceptionnel, depuis sa fondation par Louis XIV en 1670 à nos jours jusqu’à son rôle joué pour la Résistance pendant la seconde guerre mondiale, en passant bien sûr par son choix comme sépulture de Napoléon Ier. Le choix pédagogique ? Des leçons courtes et accessibles, des anecdotes et des storytellings.

    Le parcours virtuel proposé par "Grandes et petites histoires des Invalides" est destiné à toutes celles et tous ceux qui souhaitent prolonger leur visite des Invalides. Un simple téléphone portable permet d’accéder à ce cours proposé par Artips, une startup considérée comme le premier média culturel en ligne regroupant une communauté de plus d’un million d’abonnés.

    Le parcours "Grandes et petites histoires des Invalides" est la deuxième collaboration entre Artips et le musée de l’Armée, après "L’uniforme sous toutes ses coutures". Pour célébrer le bicentenaire de la mort de Napoléon Ier en 2021, le musée de l’Armée et Artips ont pour projet un nouveau parcours où l’on découvrirait les conquêtes et les ambitions du résident permanent des Invalides.

    "Grandes et petites histoires des Invalides"
    Musée de l’Armée
    Hôtel national des Invalides
    129, rue de Grenelle 75007 Paris
    Musee-armee.artips.fr
    https://www.musee-armee.fr

    Voir aussi : "Le festival de Cannes annulé cette année mais tout de même en ligne"

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  • RIP URSS

    En 2005, Poutine annonçait que la chute de le l’URSS avait été la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle. On peut être, comme Christian Mégrelis, sceptique sur ce jugement. Il n’en reste pas moins vrai que la fin de l’Union soviétique au début des années 90 ne s’est pas accompagnée de "gigantesques holocaustes" ni d’un chaos meurtrier : l’empire le plus vaste de l’histoire couvrant 15% des terres émergées (45 fois la France) a sombré "sans qu’un seul coup de feu ait été tiré." Mais non sans mal, comme nous l’explique l’écrivain et ancien businessman.

    Pour conter ce virage géopolitique autant qu’idéologique, Christian Mégrelis a fait le choix de chroniques, de témoignages (ces "choses vues" du sous-titre), d’articles (les "intermèdes") et même d’une correspondance privée, avec cependant des lacunes, notamment sur la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, d’étonnants clashs ("Chirac et Mitterrand, vieux complices qui avaient franchi ensemble les marches du pouvoir en éliminant les plus compétents") ou des raccourcis critiquables ("[03/10/90] : Anschluss de la RDA par la RFA").

    Ce mélange classé par ordre chronologique constitue le récit plus vrai que nature de Naufrage de l'Union soviétique (Transcontinentale d'éditions) par un homme, amoureux de la Russie, qui se trouvait au bon endroit au bon moment, comme il le dit lui-même. Cet homme d’affaire français au CV long comme le bras commence la première partie de son livre ("Le voyage") par nous faire entrer dans ce qu’il appelle le "barnum", chargé dès 1989 de convertir en profondeur l’Union soviétique à l’économie occidentale et à la privatisation de pans entiers d’un pays moribond.

    La Perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev (qui est cette réforme socialiste de l’URSS) a rapidement son pendant économique : le fameux "Plan des 500 jours", auquel a participé Christian Mégrelis et qui a été accepté en août 1990 non sans difficulté par le parti communiste de l’époque : moins d’un an après la chute du Mur de Berlin, on acte donc dans l’empire soviétique le retour au capitalisme et une assistance technique européenne, qui va rapidement se transformer en une version "hard" téléguidée par les États-Unis et par un véritable apprenti-sorcier économique, Jeffrey Sachs.

    La suite, c’est un désastre à l’échelle d’un continent ("Tout le monde avait oublié le plan des 500 jours !") : le coup d’État manqué d’apparatchiks communistes à l’été 1991, l’arrivée au pouvoir de Boris Eltsine, la réforme ambitieuse de "l’économie soviétique en 500 jours" qui se transforme en dépravation à grande échelle et le règne des oligarques (Roman Abramovitch ou Mikhaïl Khodorkovski), mais aussi la pléthore de profiteurs prenant à leur compte la privatisation de pans entiers de l’économie du pays.

    Période grise

    Le rappel de cette période grise est l’occasion pour l’ancien homme d’affaire de brosser une histoire de la Russie mais aussi de la longue période communiste, "Aujourd’hui, les Russes sont unanimes pour dire que le communisme a été la pire imposture du XXe siècle." Christian Mégrelis en parle grâce au récit de ses voyages comme dans ces portraits hallucinants de hiérarques communistes se débattant dans une URSS crépusculaire dont ils sentent la fin. L’auteur se fait cinglant lorsqu’il parle de la manière dont le régime communiste a pu exister ("La grande illusion") et se construire grâce au Goulag et à ce qu’il convient de nommer "l’esclavagisme" à grande échelle. Sans parler des absurdités d’un régime que l’auteur décrit avec une ironie cinglante lorsqu’il décrit une série de voyages en Sibérie à Saint-Pétersbourg, dans l’Oural ("L’URSS construisait des routes pour les interdire au trafic…") ou dans ces anciennes républiques soviétiques se battant pour exister à l’ombre de la Russie.

    Plus que des récits de voyages ou d’expériences, Le Naufrage de l'Union soviétique peut se lire comme un plaidoyer pour une Russie que l’auteur appelle à respecter. Et le lecteur sera sans doute surpris de lire une défense plutôt rare de Vladimir Poutine : "Le premier dirigeant russe à se préoccuper du bien-être de ses concitoyens et du partage des fruits de la croissance depuis Alexandre II", après une présidence de Boris Eltsine jugée inepte. Christian Mégrelis rappelle qu’à contre-courant des démocraties occidentales, le pouvoir est jugé de manière plutôt positive par l’ensemble des citoyens, mais très sévèrement par les hommes et les femmes d’affaire, ce qui pose bien sûr des problèmes d’investissement dans le pays et de confiance dans son économie.

    Le Naufrage de l'Union soviétique fait partie de ces documents bruts d’un témoin et acteur de l’ombre qui est aussi un message en direction de la France et des Français, afin que la Russie ne serve plus de "punching-ball", malgré ses faiblesses. Respect donc : l’URSS est morte, vive la Russie !

    Christian Mégrelis, Le Naufrage de l'Union soviétique : Choses vues,
    éd. Transcontinentale d'éditions, 2020, 261 p.
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Christian_M%C3%A9grelis

    Voir aussi : "Tintin, back in the USSR"

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  • Notez-bien Nota Bene

    Je vais vous avouer un truc : de mes cours d’histoire en fac, j’ai le souvenir assez précis de professeurs poussiéreux et de véritables antiquité vivantes qui rendaient cette matière rébarbative, même pour les plus passionné.e.s. C’est dire. En gros, plus c’était chiant, plus c’était sensé être sérieux et inattaquable.

    Telle n’est pas la vision de l’histoire de Nota Bene, la chaîne Youtube de Benjamin Brillaud, qui propose un sérieux coup de rajeunissement, prouvant aussi que vulgarisation, sciences historiques et sérieux peuvent faire bon ménage.

    Avec son physique de geek, sa voix radiophonique grave et bien placée et son vocabulaire cool, Benjamin Brillaud propose, grâce à des épisodes d’une vingtaine de minutes, de revenir sur des périodes et des thématiques parfois pointues : les invasions barbares, les complots historiques ratés ou non, les morts épiques (Étienne II de Blois, Constantin XI), le Commando Kieffer, la 2e DB, les Guerres de Vendée, Robespierre ("Robespierre était-il méchant ?") et plusieurs épisodes sur la Résistance.

    L’auditeur pourra découvrir des sujets plus inattendues comme le personnage de berserkr, le guerrier-ours viking, les épées magiques et légendaire ou Saturne, l’alligator de Hitler…

    De l’histoire dépoussiérée et décomplexée que je vous invite à découvrir, comme un peu plus d’un million d’abonné.e.s de cette excellente chaîne Youtube.

    Nota Bene, Youtube
    https://www.facebook.com/notabenemovies

    Voir aussi : "Gros big up pour Clémence Pouletty"
    "Une histoire, une histoire, une histoire…"

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  • Aung San Suu Kyi et les bouddhistes extrémistes

    Carnet de voyage autant qu’enquête d’investigation sur la Birmanie, l’ouvrage de Frédéric Debomy et Benoît Guillaume, Aung San Suu Kyi, Rohingya et extrémistes bouddhistes, (éd. Massot) jette un coup de projecteur sans concession sur l’un des pays les plus fermés d’Asie du Sud-Est et sur l’une des figures les plus mystérieuses de la politique internationale. Les 30 premières pages de ette BD ont paru dans le numéro d'automne 2018 de la revue XXI, sous le titre : La haine des cieux.

    Comme le rappellent les deux reporters français, il n’y a pas si longtemps que cela, Aung San suu Kyi, la fille du Père de l’indépendance birmane, était une dissidente vénérée, récompensée d’un Prix Nobel de la Paix (en 1991) dans un pays sous le joug de l’armée. Réhabilitée par ceux-là même qu’elle combattait, elle devient députée en 2012, puis Présidente trois ans plus tard.

    Mais ce qui devait être un renouveau démocratique et pacifique se révèle rapidement décevant. Et la clé de cette déception réside sans doute autant dans la place de l’institution militaire, toujours puissante, que dans celle des Bouddhistes extrémistes : "Avant les émeutes [en 2013], les moines prêchaient l'amour entre les communautés. Maintenant il y a certains moines qui font partie de Ma Ba Tha, même si ce n'est pas le cas de tous." Ma Ba Tha est un mouvement extrémiste bouddhiste dont le bonze Wirathu est la figure la plus connue. Ces moines se disent "nationalistes".

    Parmi les ennemis désignés de ces bouddhistes extrémistes figurent les musulmans, dont ceux de l’ethnie des Rohingya ("des bouddhistes essayaient de monter les leurs contre les musulmans"). "Wirathu est un moine influent. Au point d'avoir été surnommé « le visage de la terreur bouddhiste » par le magazine Time," est-il écrit dans la bande dessinée d’investigation.

    Frédéric Debomy et Benoît Guillaume parcourent le pays pour rencontrer dissidents, victimes, défenseurs des droits de l’homme et membres d’ONG qui, tous, à leur manière, parlent de la situation explosive dans un pays riche de plus de 130 ethnies. Et aux différences ethniques vient se confondre les différences religieuses, ce qui complique tout dans ce pays soumisà toutes les violences.

    La question de la nationalité, du fédéralisme – qui serait logique dans un État pourtant très centralisé – et de la manière dans des groupes manipulent la société, est au centre de l’enquête. Elle est mise en images et en couleurs avec une économie de moyens, comme si elle était guidée par l’urgence. Ce qui rend le livre d’autant plus passionnant.

    "Une dictatrice démocratiquement élue"

    Un musulman birman résume toutes les tensions que vivent son pays : "Ce qui n'existait pas avant, c'est que si je perds ma carte d'identité et que j'en demande une nouvelle, il n'y aura plus écrit « Bamar » [l'ethnie birmane] et « musulman » comme sur l'actuelle, mais « Indien » ou « Bengali » et « musulman ». On fait de nous des étrangers." "Les moines sont les marionnettes de l'armée" commente encore un des reporters. Des "marionnettes" qui manipulent à leur tour une population d’autant plus perméable aux discours intolérants qu’ils ont été facilités par des décennies de dictature.

    Les droits de l’homme ont encore un long chemin à faire en Birmanie. Un dissident d’origine musulman a une réflexion éloquente : "Il y a un problème de traduction aussi : les « droits » de « droits de l’homme » se traduit en birman par « opportunités »… Les gens se disent : « Pourquoi donnerait-on des opportunités particulières aux musulmans ?" No comment.

    Et c’est là qu’on en vient à Aung San Suu Kyi, l’ancienne dissidente et défenseuse des droits de l’homme. Comment cette Présidente a pu décevoir à ce point ? C’est "une dictatrice démocratiquement élue" assène Thet Swe Win, une des figures politiques de la jeune génération.

    Les journalistes français esquissent des explications au laisser-faire d’Aung San Suu Kyi, prise en tenaille entre l’armée birmane, les extrémistes bouddhistes et ses anciens soutiens frustrés par son inaction après les exactions contre les Rohingya. Peut-on la taxer de femme hautaine, trop prudente ou influencée par Wirathu et ses sbires ? Une chose est sûre : l’ancienne dissidente auréolée d’un Prix Nobel de la Paix a laissé de côté ses anciens soutiens comme les organisations de la société civile. Les plus magnanimes diront qu’elle "sacrifie sa dignité [pour le pays]", les autres qu’elle est une politicienne nationaliste et refusant toute critique. Elle "s’enferme dans un tête à tête avec l’armée", comme si son parti, la LND, n’avait besoin de personne. Et pendant ce temps là, les Birmans, et en particulier les femmes birmanes, souffrent.

    On n'a pas fini d'entendre reparler de la Birmanie, hélas. 

    Frédéric Debomy et Benoît Guillaume,
    Aung San Suu Kyi, Rohingya et extrémistes bouddhistes,
    Massot Editions. 2020, 103 p.

    https://massot.com/auteurs/frederic-debomy

    Voir aussi : "Habibi, mon amour"

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