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stravinsky

  • Basson, toi mon ami

    Nous avions déjà parlé du basson dans une chronique consacrée à Rui Lopes. Cet instrument discret – et même trop discret – est une nouvelle fois mis en valeur dans un formidable album de compilations d’œuvres classiques et contemporaines. C’est Lola Descours qui mène le bal dans son formidable album Hommage à Nadia Boulanger.

    Au programme de la bassoniste, Stravinsky, Sains-Saëns, Nadia Boulanger (bien sûr), Lili Boulanger, Poulenc, Fauré, mais aussi Philipp Glass, Aaron Copland ou encore Piazzola. Autant de compositeurs qui ont entouré la musicienne, cheffe d’orchestre et pédagogue. Saluons aussi la présence de compositeurs souvent cantonnés à la musique de films mais qui sont réellement entrés dans le répertoire classique contemporain. Ce sont Michel Legrand, Jean Françaix, Leonard Bernstein et Vladimir Cosma.

    Une seule œuvre de Nadia Boulanger est proposée. Il s’agit du lumineux "La mer" qui s’écoute comme un hommage à Debussy. Lili Boulanger, décédée dans sa 24e année ne pouvait pas ne pas apparaître non plus dans cet hommage à sa sœur. Elle qui se savait tôt gravement malade, a laissé une œuvre évidemment incomplète mais en tout cas marquante. Lola Descours propose un "Nocturne" d’elle à la facture classique et aux délicats reflets que vient épouser le basson.  

    C’est une vraie gourmandise que d’écouter et de découvrir des œuvres et surtout un instrument au son rond et profondément humain. L’album commence par la Suite italienne sur Pulcinella d’Igor Stravinsky. Cette œuvre, au départ un ballet écrit en 1919 d’après des emprunts au compositeur baroque Pergolese, est devenu une suite orchestrale en 1932. Le basson de Lola Descours se fait tour à tout joueur ("Overture", "Tocata"), mélancolique ("Serenata"), amoureux ("Gavotte con due variazioni") et sombre en forme d’adieu ("Minuetto e Finale").

    Une influence de Nadia Boulanger ? Gageons que oui

    On a dit que cet album constitue un hommage et, mieux, un cercle d’amis et de proches de Nadia Boulanger. Parlons à ce sujet du "Maria de Buenos Aires" d’Astor Piazzolla que Nadia Boulanger, est-il dit dans le livret, encouragea, avec l’intuition que le musicien argentin devait assumer le choix du tango. On sait ce qu’il advint par la suite. Il y a une autre "Maria" dans l’opus. Il s’agit de l’héroïne légendaire de West Side Story. Lola Descours en propose une version pour basson à la toute fin de l’album. Leonard Bernstein a qualifié Nadia Boulanger de "Reine de la musique". La bassoniste propose une version épurée du classique de la comédie musicale new-yorkaise avec accordéon, rendant le titre plus bouleversant encore.

    C’est avec le morceau "Old Poem" que s’est concrétisée une autre relation artistique, cette fois entre Aaron Copland et la musicienne et pédagogue française. Le compositeur américain propose dans ce court morceau une essence à la fois moderne et une création aux sources anciennes. Le basson caresse chaque note, donnant à ce poème musical une teinte tout en romanesque.

    Il est naturel de trouver dans cet album la Sonate op. 168 pour basson et piano de Camille Saint-Saëns. Ce dernier l’a composé en 1921, peu avant sa mort. Il s’agit d’une des œuvres majeures du répertoire pour cet instrument mal-aimé. Lola Descours propose cette sonate en sachant que Saint-Saëns, un ami de la famille Boulanger, fut quelque peu misogyne pour Nadia Boulanger, sans doute un peu trop libre à son goût et pour son époque.      

    D’autres grands classiques de la musique française rejoignent cet enregistrement, à commencer par Francis Poulenc et trois courts morceaux élégants, "Fiançailles pour le rire", un extrait de La Courte Paille et un autre de Léocadia, le fameux air "Les chemins de l’amour", rendu célèbre à par Yvonne Printemps. Le basson est parfait pour rendre à cette chanson toute sa douceur. Gabriel Fauré est également présent la mélodie "Les berceaux", interprété là aussi avec piano et basson.

    L’auditeur découvrira avec bonheur le titre phare du film Le Jouet, avec un Vladimir Cosma plus inspiré que jamais et qui a fait de la BO de cette célèbre comédie une œuvre désormais classique. Autre compositeur pour le cinéma, Michel Legrand est présent avec le morceau "Watch What Happens". Le titre dira sans doute moins que l’œuvre dont il est tiré : Les Parapluies de Cherbourg.    

    Parmi les grandes figures de la musique contemporaine américaine, et outre Aaron Copland, Lola Descours a la bonne idée de proposer le passionnant "Love Divided Bye" de Philipp Glass. Le minimalisme est bien là mais le compositeur américain le mâtine de cet esprit français. Une influence de Nadia Boulanger ? Gageons que oui.

    La musicienne française vouait une tendresse et une admiration particulière pour Jean Françaix qu’elle a formé dès son enfance. Il est présent ici avec son "Divertissement pour basson et quintettes à cordes". Sérieux, légèreté, gravité, insouciance, classicisme et modernisme se marient avec bonheur dans cette œuvre de 1959 que l’on découvre grâce à Lola Descours. Le basson se fait plus discret, tout en restant central et capital. Un instrument roi, assurément.   

    Hommage à Nadia Boulanger, Lola Descours (basson), Paloma Kouider (piano),
    Trio ABC, Octuor de France, Indésens Calliope Records, 2024
    https://loladescours.com
    https://www.facebook.com/p/Lola-Descours-Bassoon

    https://indesenscalliope.com

    Voir aussi : "Rui Lopes, le basson peut lui dire merci"

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  • Je m'en irai à Guéthary

    Étrange et magnétique projet musical que ce Guéthary, album en forme de mélange thématique, autour de la ville basque d’où vient le pianiste Aurèle Marthan. Le musicien y a même créé un festival.  

    À la première écoute, il est impossible de voir le point commun qui relie des artistes aussi différents que Camille Saint-Saëns ("Le Carnaval des Animaux"), Philip Glass, François Couperin (la pièce pour clavecin "La Basque"), les Eagles ("Hotel California") ou le groupe pop français La Femme ("Sur la planche"). Voilà un choix éclectique pour ce répertoire qui a tout pour décontenancer l’auditeur. Le résultat est pourtant un opus cohérent et envoûtant.

    Guéthary est un voyage géographique et musical dans cette petite ville de la côte basque située non loin de Biarritz. Le pianiste en fait un album fait de sensations et d’impressions aux mille teintes. Aurèle Marthan impose lui-même la signature et la marque de cet opus avec une de ses compositions. Le bien nommé morceau "Guéthary" se veut une déambulation magique dans son pays, non sans des teintes raveliennes. Ravel, justement, a une place de choix. Le natif de Ciboure, à quelques encablures de la modeste cité balnéaire, est présent grâce à son "Concerto en sol M.83". Aurèle Marthan exprime dans son interprétation la puissance maritime et les contrastes envoûtants. 

    Les familiers de cette région de la côte basque ont une place de choix dans l’album

    Les familiers de cette région de la côte basque ont une place de choix dans l’album, à l’image de l’Espagnol Esteban Sánchez Herrero ("Recuerdos de viaje"). Citons aussi Alberto Iglesias et son "O Night Divine", d’après la bande originale du film de Luca Guadagnino (O Night Divine) mais aussi l’hispanique "Piano Bar y coro infantil" tiré d’une autre BO, celle de Dolor y Gloria de Pedro Almodóvar. Pablo de Sarasate, originaire de Pamplune a tout autant sa place, lui qui a posé ses bagages dans le Pays Basque français. Aurèle Marthan propose une délicate version de sa "Prière et berceuse, Op. 17".  

    Igor Stravinsky s’est exilé à Biarritz entre 1921 et 1924, d’où sa présence avec la "Danse russe" tirée de Petrushka, qu’il écrivit en partie là-bas. Rameau connaissait bien lui aussi cette région et sans doute a-t-il déambulé dans Guéthary. Le jeune pianiste ne l’oublie pas et propose le formidable extrait de la suite n° 14 "Les Sauvages".

    Un vent océanique et atlantique souffle sur ce très bel album qui emballera autant les amateurs de classique que les autres, à l’image des inratables versions d’"Hotel California" des Eagles et leurs plages océaniques? Parlons enfin du tube pop "Sur la planche" de La Femme. Un groupe dont les deux membres fondateurs sont originaire de Biarritz – bien entendu. 

    Aurèle Marthan, Guéthary, Alpha Classics, 2022
    http://www.aurelemarthan.com
    https://www.facebook.com/FestivalClassicAGuethary

    Voir aussi : "Klaudia Kudelko, à la bonne heure"

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  • Boulez, le maître au marteau

    Le 26 mars 2015 marque l'anniversaire d'une des plus grandes figures de la musique actuelle. Pierre Boulez, né le 26 mars 1925, sera mis à l'honneur à la toute nouvelle Philharmonie de Paris, après une intégrale publiée il y a deux ans.

    La musique contemporaine est oubliée dans notre paysage sonore. On a paré le contemporain de tous les maux : un répertoire intellectuelle et " inécoutable" ; une musique réservée à une élite ; un genre dont les ruptures révolutionnaires successives ont été menées jusqu'à la sclérose. Les critiques sur Pierre Boulez ont été à l'aune de ces feux nourris, souvent avec mauvaise foi, parfois non sans raison. Le journal Le Monde rappelle dans son édition du 23 mars 2015 que les fréquentations de Boulez avec l'Etat et les gouvernements successifs lui ont permis "de créer ses propres institutions, à l'instar de l'Ircam" (Institut de Recherche et de Coordination Acoustique/Musique).

    Pierre Boulez a en tout cas marqué le XXe siècle et le début du XXIe siècle. Né dans l'entre-deux guerres, c'est auprès de l'autre grande figure musicale, Olivier Messiaen, qu'il se forme en harmonie. L'élève est doué. Très doué. Pour autant, la rupture entre les deux hommes survient vite, Boulez revendiquant la rupture perpétuelle et reprochant à son professeur son académisme. Rapidement, le jeune musicien trouve ses modèles : Schoenberg, Varèse, Berg mais aussi Stravinsky, "le néo-classique", comme il le dit lui-même. 

    A ce sujet une anecdote existe : en 1955, le jeune Boulez aborde le mythique auteur du Sacre du Printemps pour lui signaler une erreur de mesure sur sa partition de Noces (1914-1917). Le Maître écoute et, docile, reconnaît l’erreur du jeune homme et la corrige immédiatement au crayon. Tout Boulez est là : le talent, la rigueur et l'audace. 

    C'est au "marteau" que Pierre Boulez impose son empreinte, dès 1955, avec, justement, Le Marteau sans Maître. Cette œuvre pour voix et six instruments, s'appuie sur des textes de René Char et constitue une pièce maîtresse dans la discographie de l'ancien élève de Messiaen. Elle marque profondément les esprits et installe durablement le compositeur au centre de la vie musicale de son époque. 

    La carrière de Boulez navigue entre des créations pointues et sans cesse retravaillées (Pli selon Pli, Éclats/Multiples, Structures, Incises, Anthèmes, Répons), un engagement dans la vie musicale de son pays (ses rapports étroits avec l'Etat subventionneur ont été commentés et critiqués à de multiples reprises), le soutien au répertoire contemporain (à travers l'Ircam, nous l'avons dit), la pédagogie et l'orchestration.

    Sur ce dernier point, il n'est sans doute pas assez dit que Pierre Boulez reste un de nos meilleurs chefs d'orchestre. S'appuyant sur une technique pointue et une oreille absolue, ses versions de Mahler, Berg et, bien entendu Stravinsky, frappent par leur précision, leur respect et - n’en déplaisent à, ceux qui accusent le Maître d’être (trop) "analytique" - leurs couleurs !

    Il a été assez dit que Boulez était un technicien hors pair de la composition contemporaine ; redisons, en ce jour anniversaire, qu'il est aussi un magicien du son.     

    "Pierre Boulez", exposition jusqu'au 28 juin 2015 à la Philharmonie de Paris
    Pierre Boulez, Intégrale, 13 CD, 
    Deutsche Grammophon, juin 2013
    "Entretien avec Pierre Boulez : Les années d'apprentissages (1942-1946)", par François Meïmoun