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classique - Page 8

  • Erik Satie : pourquoi tant de haine ?

    hannigan,satie,de leeuw,classiqueErik Satie (1866-1925), dont nous célébrons en ce moment les 150 ans de sa naissance, aurait sans nul doute goûté avec son goût légendaire de l’autodérision, au discours absurde et provocateur de Denis Truffaut, conseiller municipal FN de la ville d'Arcueil où le compositeur français a vécu les dernières années de sa vie. Le quotidien Le Monde, dans son édition du 31 mai 2016, nous apprend quelques-unes des piques assénées en direction d'un compositeur d'avant-garde, véritable précurseur du contemporain. L'auteur des Gymnopédies est qualifié tour à tour par l'élu de la République de type "médiocre", "illuminé", "ivrogne" et... "communiste" ! Des insultes qui sont à contre-courant des hommages internationaux à l’artiste.

    Il est vrai qu'Erik Satie, artiste indépendant, farfelu et surtout antimilitarisme, colle assez peu avec la ligne dure du parti d'extrême-droite. Mais enfin ! Pourquoi tant de haine ?

    L'apport d'Erik Satie dans l'histoire de la musique du XXe siècle est capital. Les Gymnopédies sont devenues un must, archiécoutées et récupérées jusque dans les spots publicitaires. La valse Je te veux devrait, quant à elle, figurer dans tout bon rayon de disques qui se respecte.

    Le bloggeur avoue mettre tout en haut de la discographie de Satie, une autre création moins connue : La Mort de Socrate, le troisième mouvement de Socrate, une œuvre pour orchestre ou piano et voix composée en 1918. Cette pièce musicale en trois mouvements est basée sur des extraits d’œuvres de Platon (L’Apologie de Socrate, Phèdre et Phédon), d’après des traductions de Victor Cousin.

    Depuis la condamnation de Socrate,
    Nous ne manquions pas un seul jour d’aller le voir.
    Comme la place publique, où le jugement avait été rendu,
    Était tout près de la prison, nous nous y rassemblions le matin,
    Et là nous attendions, en nous entretenant ensemble,
    Que la prison fût ouverte…

    Avec une grande audace musicale, Satie s'est accaparé un texte abrupt, à la traduction sans relief, et l'a magnifié avec une musique sans fioriture, où chaque note colle à chaque mot. Un leitmotiv vient éclairer une composition rigoureuse. La voix de Platon reprend une vie humaine, grâce à la musique de Satie. Barbara Hannigan (dont j'avais déjà parlé au sujet de son interprétation légendaire de Lulu de Berg) vient de sortir un album consacré au compositeur français et s'empare avec délicatesse d'une œuvre à découvrir ou redécouvrir.

    Le chapelet d’insultes adressées par un obscur conseiller municipal en direction d’un compositeur majeur ne mérite aucune réponse autre qu’écouter ou réécouter Erik Satie, avec la géniale soprano Barbara Hannigan et le pianiste inspiré Reinbert de Leeuw.

    Barbara Hannigan et Reinbert de Leeuw, Socrate Erik Satie, Winter & Winter, 2016 
    http://www.barbarahannigan.com

    Francis Gouge, "Un élu FN d'Arcueil incendie Satie, "ivrogne communiste",
    Le Monde, 31 mai 2016
    "Barbara Hannigan est Lulu", Bla Bla Blog, 11 octobre 2015
    Hannigan–Leeuw_bw ©Elmer-de-Haas

  • Annulation du Carmen de la Fabrique Opéra Toulouse

    1706276907.JPGJ'avais parlé il y a peu du joli projet de la Fabrique Opéra de Toulouse.

    Les 3, 4, 8 et 9 mai 2016 le Zénith de Toulouse devait accueillir pour la première fois Carmen par La Fabrique Opéra Toulouse. Malheureusement, les organisateurs toulousains sont dans l’obligation d’annuler pour des rasions économiques le spectacle à la suite de la décision de La Fabrique Opéra nationale de rompre unilatéralement la convention qui les unissait depuis 2015.

    Les organisateurs toulousains communiquent et remercient l’ensemble des élèves et des établissements qui étaient impliqués depuis plusieurs mois à leurs côtés pour créer un spectacle hors du commun ainsi que tous les partenaires et mécènes qui les soutenaient.

    "Carmen ou Comment fabriquer un opéra"

  • Carmen ou comment fabriquer un opéra

    carmen.JPGRendre l’opéra accessible à tous est la petite ritournelle qui ne mange pas de pain et qui semble faire l’unanimité. Par contre, dès qu’il s’agit de la mettre en application…

    Depuis 2006, sous la houlette de Jacques Attali, La Fabrique Opéra a retroussé ses manches et s’est attelée à un projet qui mérite d’être salué. Le principe ? Monter un opéra de A à Z grâce à l’économie participative, au maillage associatif et à toutes les bonnes volontés. L’objectif est également de populariser un genre n’ayant – hélas ! – pas les faveurs des jeunes générations.

    Ce projet a démarré à Grenoble et entend bien essaimer partout en France et encourager la production d’opéras. En entendant Orléans courant 2016, La Fabrique Opéra Toulouse proposera quatre représentations de Carmen de Georges Bizet au Zénith de Toulouse les 3, 4, 8 et 9 mai 2016.

    Parler d’opéra collaboratif et populaire n’est pas un vain mot. Le concept de La Fabrique Opéra est d’ouvrir la création d’un opéra de A à Z à tous. Puisque le spectacle lyrique est souvent impuissant à faire venir de nouveaux publics, c’est ce nouveau public qui est invité à investir et gérer un domaine considéré – à tort ou à raison – comme élitiste.

    Monter un opéra : ce projet fou est désormais accessible à tous. Ainsi, à Toulouse près de 400 élèves issus de filières professionnelles, répartis sur 10 établissements de la région, sont chargés de créer de toute pièce un spectacle de Carmen : décors, costumes, coiffures, communication, selon leurs domaines de prédilection. La Fabrique Opéra peut s’enorgueillir d’accueillir parmi ses publics 50 % de néophytes et 30 % de moins de 40 ans (et 62 % viennent en famille) : des chiffres qui feraient pâlir les opéras Garnier, Bastille et consort.

    À cela s’ajoute un mode de financement original : 65 % du budget repose sur la billetterie. Le reste vient d’un mécénat très large – grands groupes, fondations, ministère de l’Éducation nationale, associations – mais aussi du crowdfunding. "Le modèle économique de La Fabrique Opéra permet de proposer des places au tarif moyen raisonnable (autour de 37€), soit moitié moins qu’un opéra traditionnel", apprend-on également sur le site de La Fabrique Opéra.

    Côté spectacle maintenant, les créateurs du Carmen qui sera produit à Toulouse, n’entendent pas mégoter sur la qualité. Stéphane Roche, du Capitole, de Toulouse, est chargé de la mise en scène l’opéra de Bizet. Stanislas de Monredon, chef d’orchestre de La Philharmonie de Toulouse, sera à la direction. Giuseppina Piunti endossera le rôle redoutable et sulfureux de Carmen. Elle côtoiera notamment Luca Lombardo (Don José), Julia Kogan (Micaëla) et Yann Toussaint (Escamillo).

    Une jolie distribution pour un projet ambitieux. Rarement l’expression "rendre l’opéra accessible" n’a paru aussi adéquate.

    Carmen de Georges Bizet, Zénith de Toulouse, 3, 4, 8 et 9 mai 2016
    http://www.lafabriqueopera.com

     

  • Harnoncourt, le baroque mais pas que

    Lisez ou écoutez ce qui se dit sur Nikolaus Harnoncourt depuis aujourd'hui, date de l'annonce de son décès : chef d’orchestre révolutionnaire, ré-inventeur du baroque avec Gustav Leonhardt (décédé trois ans plus tôt), référence dans la musique ancienne, musicologue et pédagogue exceptionnel. Dire que Nikolaus Harnoncourt demeure un must pour les œuvres de Jean-Sébastien Bach est un euphémisme : que l’on pense à l’intégrale de ses cantates enregistrées de 1971 à 1990 ou à ses passions (sa troisième version de la Passion selon Mathieu a obtenu un Grammy Awards en 2001).

    Pour autant, limiter Harnoncourt au baroque serait lui faire offense. C’est oublier que le chef allemand a choisi, après avoir voyagé dans les chemins du baroque, de s’aventurer dans d’autres répertoires.

    Nous sommes au milieu des années 80. Après avoir proposé des relectures de Bach mais aussi Haendel, Monteverdi ou Telemann, c’est vers d’autres compositeurs que se tourne Harnoncourt. Ce seront Mozart, Franz Schubert et ses symphonies (la 8e Inachevée en 1985) et les valses de Johann Strauss.

    Les années 90 sont celles des grands classiques de la fin du XVIIIe et du XIXe siècle, essentiellement des symphonies : Mozart, bien sûr, mais aussi Beethoven, Haydn, Mendelssohn, Schumann, Brahms et encore Schubert.

    La fin du millénaire et le début des années 2000 voit Nikolaus Harnoncourt poursuivre son voyage dans le répertoire occidental. Avec constance, rigueur et goût de la découverte, le chef d’orchestre poursuit son grand dépoussiérage. En 1999, c’est à Antonin Dvorak qu’il s’attaque, puis Anton Bruckner (respectivement les symphonies 7 et 8), sans oublier Johann Strauss.

    Les années 2000 voient Harnoncourt poursuivre son travail de titan à la découverte de "l’interprétation authentique". Après Verdi, Smetlana ou Dvorak, quelques compositeurs du XXe siècle ont les faveurs du chef : Bela Bartok, Franz Schmidt ou George Gerwhwin.

    Avec le décès de Nikolaus Harnoncourt disparaît un révolutionnaire de la musique.

    http://www.harnoncourt.info

  • Coupez le son

    L'affaire des prises de position pro-russe de la pianiste ukrainienne Valentina Lisitsa (voir l'article que je consacrais à ce sujet) a des conséquences inattendues. 

    Les compagnies aériennes KLM et Lufthansa ont retiré les enregistrements de l'artiste des playlists proposés dans leurs avions.

    Cette décision fait suite aux protestations de voyageurs (combien ? mystère...), ulcérés, semble-t-il, par les positions engagées (même si elles peuvent être critiquables) de Valentina Lisitsa. 

    Où il est encore question de liberté d'expression.

    "Lorsqu'une pianiste parle politique internationale"
    "Concerto pour piano seul"

     

  • Scott Ross, la rock-star du clavecin

    Scott Ross, je l'ai découvert il y a quelques années, à la faveur d'une pièce d'Antoine Forqueray, Jupiter. Un choc inoubliable ! Dès la première écoute, l'auditeur est happé par la puissance de cette interprétation. 

    Scott Ross, claveciniste américain décédé en France du VIH à l'âge de 38 ans, détonnait par son look de rock-star et a contribué à populariser le clavecin. Oublions deux secondes son allure vestimentaire. Comme pour Glenn Gould, décédé six ans plus tôt (voir aussi cet article), c'est autant ses postures qui ont séduit ses contemporains que ses interprétations inspirées du répertoire baroque. Des interprétations colorées et dépoussiérant un genre considéré à tort comme élitiste et ringard. Grâce à Scott Ross, le clavecin n'était plus cet objet  intimidant et vieillot mais un instrument moderne, plein de fougue et de couleurs. 

    Un disque paru chez Erato, un enregistrement compilant des œuvres de Bach, Scarlatti, Haendel et Soler (mais pas Forqueray) permet de se faire une idée du génie de Scott Ross, l'homme qui est parvenu à faire du clavecin un instrument tour à tour divin et démoniaque. 

    L'album rassemble des pièces peu connues du grand public, à l'exception peut-être du Concerto italien de Bach. Scott Ross y étale sa virtuosité, son sens du rythme et sa fougue. La Sonate en ré mineur K9 de Domenico Scarlatti invite à découvrir le compositeur fétiche de Scott Ross, qui enregistra ses 555 sonates pour clavecin (en 1984, Ross en écrivit et en interpréta une 556e, un pastiche qui mystifia le public de l'époque). Alors que la passacaille de la Septième Suite de Haendel propose un moment contemplatif, l'air de la Cinquième Suite allie l'assurance à la vivacité. Cet album de compilation de Scott Ross, une excellente introduction à cette "rock-star du clavecin", se termine par deux pièces enlevées et mélodieuses d'Antonio Soler, un compositeur classique espagnol redécouvert par Scott Ross. 

    Fermez les yeux, plongez dans ce disque et redécouvrez celui qui reste le plus Français des interprètes américains. 

    L'Art de Scott Ross: Bach-Scarlatti-Handel–Soler, Erato, 2002
    http://scott.ross.voila.net

  • Lorsqu'une pianiste parle politique internationale

    J'avais parlé il y plusieurs mois de la pianiste ukrainienne Valentina Lisitsa, géniale interprète du 2ème concerto pour piano de Rachmaninov, retranscrit pour piano seul ("Concerto pour piano seul"). 

    C'est sur le terrain de la politique internationale que l'on retrouve cette artiste. 

    En affichant sur Twitter sa défiance à l'égard du pouvoir ukrainien en place, alors que ce pays est en guerre civile contre les russophones ukrainiens, Valentina Lisitsa s'est attirée les foudres de toute part. Le Toronto Symphony Orchestra (TSO) a même annulé un concert en avril 2015, nous apprend la revue Diapason.   

    En se frottant à un sujet particulièrement chaud (le conflit entre la Russie et l'Ukraine), la pianiste a découvert ce qu'il lui en coûtait d'afficher des opinions n'allant pas dans le sens de la diplomatie internationale. "Je pensais que ce genre de chose n'arrivait qu'en Turquie, à Fazil Say", a-t-elle remarqué, en référence aux déboires du pianiste turc, condamné pour blasphème dans son pays. Valentina Lisitsa pose en même temps la question de la liberté d'expression. Et Diapason de s'interroger : "Quelle liberté pour les artistes s'exprimant publiquement ?

    Valentina Lisitsa n'a pourtant pas rendu les armes et poursuit son engagement aux côtés des russophones ukrainiens.

  • Deux chanteurs d’exception parmi les victimes de l’A320

    Le monde de l’opéra est en deuil. Parmi les 150 victimes de l’Airbus A320 de la Germanwings, figurent deux artistes lyriques, Oleg Bryjak et Maria Radner, ajoutant un cran supplémentaire  à cette tragédie aérienne.

    Né au Kazakhstan en 1960, Oleg Bryjak fait le début de sa carrière de baryton-basse dans son pays avant de rejoindre l’Ukraine puis l’Allemagne.  En 1990, il obtient le 2e Prix du Concours international Sylvia-Gesty à Stuttgart. Il est engagé l’année suivante dans l’opéra de Karlsruhe puis à Düsseldorf depuis 1996. Son site nous apprend l’éventail des rôles qu’il a pu tenir au cours de sa carrière : Falstaff, Rigoletto, Leporello (Don Giovanni), Scarpia (Tosca), Warlaam (Boris Godounov), Boris Ismailov (Lady Macbeth de Mtsensk) et surtout dans le rôle d’Alberich dans la Tétralogie de Wagner (l’Or du Rhin, Siegfried et Le Crépuscule des Dieux). Il s’est produit dans toutes les grandes scènes internationales : le Staatsoper de Vienne, le Chicago Lyric Opera, le Royal Albert Hall à Londres ou le Covent Garden. 

    Maria Radner, contralto allemande, était née en 1981. Après une formation brillante à Düsseldorf, c’est en 2008 que sa carrière explose, sous la direction du chef Zubin Mehta. La même année, elle impressionne déjà les critiques par son interprétation de Solomon dans l’opéra éponyme d’Haendel ("elle éclipse les autres chanteurs", est-il dit). Les années suivantes, elle multiplie les opéras majeurs, souvent de Richard Wagner, comme les directions prestigieuses : Parsifal par Lorin Maazel, Jeanne d’Arc au Bûcher (Honnegger) par Antonio Pappano, Le Crépuscule des Dieux par Simon Rattle, Elektra (Richard Strauss) par Daniele Gatti, qui la dirige également dans la 2e Symphonie de Gustav Mahler en 2010. À partir de 2012, Maria Radner chante pour le Metropolitan Opera à New-York, notamment dans Le Crépuscule des Dieux, toujours de Richard Wagner, un compositeur qu'elle affectionnait. 

    Les deux artistes étaient de retour de Barcelone où ils venaient de terminer une représentation de Siegfried au Gran Teatre del Liceu. Maria Radner était pour l’occasion accompagnée de son mari et de son bébé. Tous ont été victimes (comme les 146 autres passagers) de la folie meurtrière du copilote Andreas Lubitz, aujourd'hui l'homme le plus détesté d'Europe.  

    "Crash de l'A320: le monde de l'opéra en deuil", Lefigaro.fr, 25 mars 2015
    http://www.olegbryjak.com
    Page Wikipedia sur Maria_Radner