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alice zeniter

  • Tatiana de Rosnay engagée et attablée

    tatiana de rosnay,restaurants du coeur,coluche,pocket,philippe besson,françoise bourdin,maxime chattam,françois d’epenoux,éric giacometti,karine giebel,philippe jaenada,alexandra lapierre,agnès martin-lugand,véronique ovaldé,romain puértolas,jacques ravenne,leïla slimani,alice zeniter,fête,anniversaire,virginia woolf,mrs dalloway2019 commence comme s’est terminée 2018 : avec notre grand dossier sur Tatiana de Rosnay. Depuis septembre, Bla Bla Blog a en effet choisi de chroniquer l’ensemble de l’œuvre de l’auteure franco-britannique.

    Le premier article de cette année portera sur sa plus récente création, qui est aussi une nouvelle, Trouble-Fête. Elle a été publiée dans le recueil collectif 13 à Table (éd. Pocket).

    Pour la quatrième année, Les Restaurants du Cœur et les éditions Pocket ont demandé à des écrivains de participer à un ouvrage dont les recettes sont reversées à l’association caritative. L’an dernier, de 3 à 4 millions de repas ("Un livre = 4 repas" est-il écrit en couverture) ont pu être distribués grâce au précédent opus. Cette saison, outre Tatiana de Rosnay, Philippe Besson, Françoise Bourdin, Maxime Chattam, François d’Epenoux, Eric Giacometti, Karine Giebel, Philippe Jaenada, Alexandra Lapierre, Agnès Martin-Lugand, Véronique Ovaldé, Romain Puértolas, Jacques Ravenne, Leïla Slimani et Alice Zeniter se sont attablés et mis au travail pour ce beau projet.

    Pour l'édition 2019 de cet ouvrage à vocation littéraire autant que caritatif, c’est sur le thème de la fête qu’ont planché ces 13 auteurs au grand cœur. Tatiana de Rosnay en fait le centre de sa nouvelle, dont les premières phrases semblent faire écho aux préparatifs de Mrs Dalloway dans le roman de Virginia Woolf.

    Un écho aux préparatifs de Mrs Dalloway

    Avec Trouble-Fête, nous sommes dans une histoire à l’atmosphère toute british. Margaux Smythe, une élégante et tyrannique quadra, prépare l’anniversaire de son mari anglais, Toby. Pour leur réception, tout doit être parfait et Margaux entend faire de cette fête un moment mémorable. Ces préparatifs sont aussi l’occasion d’un monologue intérieur au cours duquel cette bourgeoise se repasse quelques faits marquants de son existence, à commencer par sa rencontre avec son mari. mais elle revient aussi sur des secrets cruels qu’elle garde cachés derrière un vernis impeccable. Mais ce vernis va finir par craquer au cours de cette fête d’anniversaire.

    Les dissimulations, les secrets, la famille : Tatiana de Rosnay reprend ses thèmes favoris dans son texte court et cinglant. Margaux Smythe est insupportable. Le lecteur la suit dans sa course à la réussite d’une fête qui va signer finalement son échec. On la voit courir, s’agiter, serrer les mâchoires, se plaindre et singer la femme parfaite qui ne veut recevoir chez elle que pour paraître. Cette comédie sociale se termine en conte cruel. Quelques lignes suffisent à Tatiana de Rosnay pour ouvrir sous les pieds de cette bourgeoise a priori impeccable un gouffre vertigineux : celui de la culpabilité. Impitoyable, terrible et cruel. Superbement cruel.

    Tatiana de Rosnay, Trouble-fête, in 13 à Table, éd. Pocket, 2018, 284 p.
    http://www.tatianaderosnay.com
    Les Restaurants du Cœur
    Pocket

    Voir aussi : "Tatiana de Rosnay, son œuvre"
    "Trahisons et cachotteries"

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  • Alice Zeniter et les trois âges de la vie

    alice zeniter,harkis,algérie,guerre d’algérie,immigration,racines,rivesaltes,joncquesFresque familiale, roman somptueux qui se lit d’une traite et autopsie contemporaine sur le thème du déracinement, L’Art de perdre d’Alice Zeniter (éd. Flammarion) est à placer parmi les très grands livres français de ces dernières années, un livre qui pourrait d’ailleurs sous peu devenir un classique.

    Classique est du reste l’agencement de L’Art de perdre, un agencement qui arrive paradoxalement à désarçonner le lecteur : en structurant son roman en trois parties, correspondant aux trois personnages de son récit – le grand-père Ali, le père Hamid puis sa fille Naïma – Alice Zeniter compose une histoire à trois voix, dans trois époques et avec trois membres d’une même famille, les Zekkar. Cette composition adroite donne une épaisseur et une vie indéniables à l’histoire d’une famille ballottée par l’Histoire.

    Ali est le patriarche de cette saga familiale, un ancien journalier misérable devenu, par un coup du destin incroyable, propriétaire terrien, exploitant fortuné et notable respecté. Cela se passe dans l’Algérie française des années 40 et 50. Autour de lui, tournent une famille soudée et un village hors du temps. Lorsque les premiers soubresauts de la guerre d’indépendance algériennes éclatent, Ali, qui a porté les armes du côté des Forces Françaises Libres pendant la seconde guerre mondiale, hésite sur la conduite à tenir. Le FLN pousse la population à rejeter l’occupant français. Sauf que le respectable dignitaire kabyle est tiraillé entre son statut d’ancien combattant, "la conservation de ce qu’il a acquis," son mépris pour les résistants du FLN (des "bandits"), les histoires de rivalités entre clans du village et aussi la pression de l’Histoire. Pour Ali, il est dit que la France ne laissera pas tomber l’Algérie, si bien que c’est moins par conviction que par pragmatisme qu’il devient "harki," un harki finalement moins engagé que pris au piège d’une guerre sale. À la fin du conflit algérien, cette posture et ce refus de s’aligner du bon côté lui vaut d’être un paria dans son pays, menacé de mort, et de devoir émigrer en France.

    "Le racisme, cette forme avilie et dégradée de la lutte des classes"

    La partie suivante du roman ("La France froide") est écrite sous l’angle d’Hamid. Elle est consacrée à ces déracinés de l’Algérie française, d’abord au camp de Rivesaltes, puis celui de Jouques dans les Bouches-du-Rhône, avant une installation qui sera définitive dans la froide et humide Orne. Alice Zeniter fait du fils d’Ali celui qui se détache de ses racines, les rejette loin de lui, établit une coupure avec sa famille et se marie avec Clarisse, une attachante et douce Française. Le silence, les non-dits et la souffrance muette ("C’est facile pour vous, les épargnés,"écrit l’auteure, reprenant un dialogue d’Arnaud Desplechin) constituent le cœur de son expérience d’enfant immigré. Hamid est le portrait admirable de densité de fils de harki intégré, communiste et incapable de penser au retour vers l’Algérie : "Il se dit parfois que s'échapper prend plus de temps que prévu, et que s'il n'a pas fui aussi loin de son enfance qu'il le souhaiterait, la génération suivante pourra reprendre là où il s'est arrêté." Dans les années 70 et 80, Hamid, comme son père d’ailleurs, font également l’expérience du racisme, cette "bêtise crasse [qui] est la forme avilie et dégradée de la lutte des classes [et] est l'impasse idiote de la révolte."

    Le retour vers le pays des origines sera finalement fait lors de la génération suivante, avec Naïma. C’est l’objet de la troisième partie du livre, "Paris est une fête." La Guerre d’Algérie est lointaine et ce pays est une contrée à la fois étrangère et magnétique pour la petite-fille d’Ali. Que faire de ses racines ? La jeune Parisienne bobo travaille dans une galerie d’art contemporain et vit une relation très indépendante avec un homme marié. Que de chemin familial depuis Ali, le grand-père et patriarche qu’elle a connu toute petite et qui n’a rien voulu dire de son passé ! À cela s’ajoute l’histoire qui resurgit, via cette fois les attentats terroristes en France. La route vers ses racines, Naïma le fera à travers un voyage professionnel, inattendu et bouleversant. Elle y trouvera des réponses, des questions mais aussi des visages, semblant boucler, contre toute attente, la boucle de son histoire familiale.
    Alice Zeniter, loin de faire un récit de harkis, a écrit une fresque passionnante sur ces hommes et ces femmes coincées entre deux pays.

    L’Art de perdre a été couronné par un très mérité Prix Goncourt des Lycéens en 2017. Le titre du roman, choc et énigmatique, s’éclaire grâce aux vers de la poétesse américaine Elisabeth Bishop : "Dans l'art de perdre il n'est pas dur de passer maître. / J'ai perdu deux villes, de jolies villes. Et, plus vastes, / des royaumes que j'avais, deux rivières, tout un pays. / Ils me manquent, mais il n'y eut pas là de désastre." Naïma, l’extraordinaire personnage féminin de L’Art de perdre, l’expérimentera dans sa chair après son premier voyage en Algérie : "Elle ne veut plus partir d’ici. Elle veut absolument rentrer chez elle."

    Alice Zeniter, L’Art de perdre, éd. Flammarion, 2017, 507 p.
    Page Facebook d'Alice Zeniter

    Voir aussi :"L'été avec Albert Camus"