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De Charles Bbukowski, on retient habituellement les sulfureux Contes de la Folie ordinaire ou Women. Mais son œuvre est aussi celle d’un poète, sans doute le plus percutant, le plus outrancier et le plus déconcertant de la littérature américaine.
Après la publication remarquée il y a deux ans d’une partie de sa correspondance (Sur l’Écriture), les éditions Au Diable Vauvert proposent, avec Tempête pour les Morts et les Vivants, une sélection de ses poèmes rares et souvent inédits.
Le titre de cette anthologie (Storm for the Living and the Dead) est celui d’un texte tardif – en 1993, soit tout juste un an avant son décès –, dans lequel l’écrivain fait d’une scène quotidienne chez lui un moment à la fois trivial, tragique et plein de grâce ("Je suis un vieil écrivain. / un facture de téléphone me nargue / la tête à l’envers. / la fête est finie. / san Pedro, / en l’an de grâce / 1993. / assis là").
Plus de trente ans de créations poétiques sont réunies dans cette précieuse compilation qui est souvent l’autoportrait d’un artiste en proie à ses dérives – l’alcool, la dépression, la solitude ou la dèche – ou à ses passions – les courses de chevaux, les femmes et bien sûr la littérature. "Pourquoi est-ce que tous les poèmes sont personnels ?" écrit en avril 1961.
Ses mots sont des "flèches", comme il l’écrit dans "Dans celui-là —" (1960), avant, quelques années plus tard, de revendiquer sa filiation avec quelques grands noms : Hemingway ("Je pense à Hemingway", 1962) ou Walt Whitman ("Corrections d'ego, principalement d'après Whitman"), jusqu’à écrire un panégyrique grinçant… sur lui-même : "Charles Bukowski est une figure de l’underground / Charles Bukowski pionce jusqu’à midi et se réveille toujours avec une gueule de bois / Charles Bukowski a été encensé par Genet et Henry Miller" ("Un poème pour moi-même", vers 1970).
Les vers explosent, la langue s’affranchit des conventions et la voix du poète utilise d’innombrables registres
Les textes de Bukowski, tranchants, provocateurs et rythmées, frappent par leur liberté formelle : les vers explosent, la langue s’affranchit des conventions et la voix du poète utilise d’innombrables registres, parfois étonnants. Certains poèmes s’apparentent à des micro-nouvelles ("Clones", février 1982), des extraits de journal intime ("Ai bossé dans le train" été 1985), des chroniques ("La lesbienne", 1970), voire de la correspondance ("Un lecteur m’écrit", 25 mars 1991).
Charles Bukowski se fait sarcastique lorsqu’il parle d’une époque et d’un pays qui a fini par le rendre célèbre après des années de misère. L’auteur du Journal d'un vieux Dégueulasse est le poète d’une certaine Amérique cynique, cruelle, violente et impitoyable pour les marginaux et les pauvres ("Mon Amérique, 1936", octobre 1992).
Finalement, il trouve son salut dans la poésie et la littérature ("2 poèmes immortels", 1970). À côté de textes sombres, l’homme de lettres propose des instants lumineux : la confession d'un père ("Conversation téléphonique avec ma fille de 5 ans à Garden Grove", 1970), une chanson d’amour (mars 1971), un poème sur sa grand-mère ("Verrues", 1973), le tableau d’un couple de hippies attendrissants ("Bob Dylan", 1975), sans oublier ces portraits de femmes ("Les femmes de l’après-midi", 1976).
Le recueil se termine avec ce qui est certainement son tout dernier texte ("Chanson pour ce chagrin doucement dévastateur") : une sorte de confession en forme de singulière leçon de vie et de sagesse : "Laissons la lumière nous éclairer / souffrons en grande pompe – / le cure-dent aux lèvres, tout sourire. / on peut y arriver. / on est né fort et on mourra / fort… / ça été très / plaisant. / nos os / tels des tiges dressés vers le ciel / crieront victoire / jusqu’à la fin des temps."
Avant de commencer notre hors-série sur David Foenkinos et la publication de chroniques sur ses livres, il paraissait logique de lister ses publications :
Outre ces romans, s’ajoutent des recueils de nouvelles, de la littérature jeunesse et du théâtre :
Vu de la Lune, recueil de nouvelles, Gallimard, 2005 Des nouvelles de La Fontaine, recueil de nouvelles, Gallimard, 2007 Ici et Là, ou bien ailleurs, recueil de nouvelles, illustrations de Sroop Sunar, Gallimard, 2014 Collectif, Bonnes Vacances, recueil de nouvelles, Scripto, Gallimard Jeunesse, 2003 Le petit garçon qui disait toujours Non, Albin Michel Jeunesse, 2011 Le Saule pleureur de bonne Humeur, Albin Michel Jeunesse, 2012 Célibataires, théâtre, Flammarion, 2008 Le plus beau Jour, théâtre, 2016
À la lecture de La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert de Joël Dicker, un autre roman vient immédiatement en tête : Lolita de Vladimir Nabokov. Un professeur de littérature tombe amoureux d’une adolescente dans une petite ville américaine de l’est américain : le clin d’œil de l’écrivain suisse est flagrant jusque dans le prénom de la jeune fille et dans certains passages qui font écho à l’auteur russe : "Nola. Nola. N-O-L-A. N-O-L-A. N-O-L-A. Quatre lettre qui avaient bouleversé son monde. Nola, petit bout de femme qui lui faisait tourner la tête depuis qu’il l’avait vue."
Pour autant, Joël Dicker ne fait pas de cette histoire d’amour scandaleuse un roman social mais un polar ambitieux et passionnant de bout en bout.
Harry Quebert est au cœur d’une enquête menée par le personnage principal du roman, Marcus Godman, auteur à succès qui peine à sortir du syndrome de la page blanche. Nous sommes en 2008 et l’Amérique se passionne pour l’élection nationale qui s’apprête à envoyer Barack Obama à la Maison Blanche. Harry Quebert a été le professeur de Goldman mais aussi son mentor et ami. Ce charismatique homme de lettres, et auteur plusieurs années plus tôt d’un ouvrage majeur de la littérature, Les Origines du Mal, lui apprend qu’il est accusé d'un double meurtre durant l'été 1975, dont celui de Nola Kerrigan. Ce nom n'est pas inconnu pour le jeune écrivain qui a découvert quelques années plus tôt qu’Harry Quebert a entretenu une relation sulfureuse avec cette toute jeune femme. Une relation qui s'est terminée par la disparition.suspectecte de Nola en 1975. Sauf que, durant cet été 2008, c’est bien son corps qui est découvert, enterré dans la propriété du professeur.
Une contre-enquête dans laquelle les questions sont aussi nombreuses que les dissimulations
Circonstances atténuantes : On découvre à côté du cadavre un manuscrit original du livre à succès de Quebert avec un mot d’adieu écrit à la main. Et lorsque les enquêteurs, dont l’imposant sergent Gahalowood, découvrent qu’en 1975 une voiture suspecte a été filée la nuit du drame et qu’Harry Quebert conduisait une voiture de ce type, il semble que la messe soit dite pour l'intellectuel.
Mais Marcus Goldman ne veut pas croire à la culpabilité de son ami et se lance dans une contre-enquête dans laquelle les questions sont aussi nombreuses que les dissimulations. Au fil des 670 pages du roman, tout est remis en question, jusqu’au passé de Harry Quebert. Qui est-il ? Qui était au courant de sa relation secrète avec Nola ? Quels secrets elle-même cachait-elle ? Que s’est-il réellement passé la nuit du 30 août 1975 ? Le livre de Harry Quebert pourrait-il apporter des clés à ce crime ? En revenant sur les lieux de sa jeunesse, Marcus Goldman ne veut pas seulement percer les mystères d’un fait divers vieux de plus de trente ans : il entend bien aussi écrire le livre basé sur son enquête, d’autant plus que son éditeur se fait de plus en plus pressant.
Le roman de Joël Dicker peut se lire sur plusieurs niveaux. Il s’agit bien évidemment d'un policier dont la clé se dévoile dans les dernières pages. Que du classique a priori : un coupable parfait, des preuves accablantes, une victime bouleversante et aux lourds secrets et un meurtre sordide. Marcus Goldman, romancier tête à claque mais surtout pugnace est bien décidé à laver l’honneur de son ami. Un ami qui passe en quelques jours du statut de notable et d’intellectuel admiré à celui de criminel. Joël Dicker n’oublie pas d’épingler les travers de l’Amérique, de son puritanisme et de la toute puissance des médias comme de la vox populi. Mais La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert est aussi un grand roman sur la création littéraire, à travers une astucieuse mise en abîme, et sur les grands mensonges qui font aussi les chefs-d’œuvre : "Deux choses donnent du sens à la vie : les livres et l'amour."
La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, sorti il y a déjà sept ans, n'a pas perdu de sa maestria. Le roman a fait cette année l'objet d'une adaptation en série télé, réalisée par Jean-Jacques Annaud avec Patrick Dempsey, Ben Schnetzer et Kristine Froseth.
Joël Dicker, La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, éd. De Fallois / L’Âge d’Homme, 2012, 670 p. https://joeldicker.com
Après le dossier spécial Tatiana de Rosnay qui s’était étalé sur plusieurs mois, c’est David Foenkinos qui fera bientôt l’objet d’un hors-série sur Bla Bla Blog.
Premiers ouvrages chroniqués ouvriront ce nouveau dossier spécial : Le Mystère Henri Pick et Vers la Beauté.
Que nous reste-t-il à apprendre de Dante et de la Divine Comédie, cette œuvre phare de la littérature italienne, sinon mondiale ? Depuis sa parution au XIVe siècle, tout ou presque a été dit et commenté au sujet du récit poétique de Dante Alighieri, relatant son périple dans l’au-delà, guidé d’abord par Virgile, en partant de l’enfer ("Lasciate ogne speranza, voi ch'intrate", "Laissez toute espérance, vous qui entrez"), jusqu’au purgatoire, puis au paradis où l’attend Béatrice, la femme qu’il a aimé depuis son enfance, qu’il a perdu et à qui il vouera le reste de son œuvre.
John Freccero, universitaire américain spécialiste de Dante, a écrit une série d’articles sur la Divine Comédie, et ce sont ces articles qui ont été compilés pour former cet essai très impressionnant, Dante, une poétique de la conversion (éd. Desclée de Brouwer). D’abord publié en 1986 aux États-Unis, l’étude de John Freccero arrive enfin en France. Assez logiquement, les textes ont été classés non par date de leur publication, mais en suivant l’ordre du poème, en 17 chapitres, de l’enfer au paradis. Voilà qui donne à l’ensemble une belle cohérence en même temps qu’une solide rigueur scientifique.
Voyage imaginaire, sinon terrifiant vers l’au-delà, la Divine Comédie est étudiée grâce à l’universitaire émérite sous l’angle d’un voyage intérieur "vers la vérité", en somme une quête à la fois religieuse et poétique qui permet au lecteur de 2019 de se replacer dans le contexte de l’homme de lettres du XIVe siècle que fut Dante nourri aussi bien de sources antiques que chrétiennes qui font sens ici : "Le pèlerin doit luter pour parvenir dans la caverne, où Platon suppose que commence ce voyage."
"Le voyage de la Divine Comédie commence par une conversion" commente John Freccero au sujet des premiers chants de l’Enfer. S’appuyant sur Platon (Timée), Aristote, s. Augustin, Clément d’Alexandrie, Philon d’Alexandrie ou Jean l’Évangéliste, l’universitaire américain montre toute la portée allégorique de ce voyage du corps qui est aussi celui de l’âme. Avec une rare érudition, John Freccero fait se répondre "cosmos aristotélicien", théories du désir chez Platon et Aristote, réflexions sur les péchés chrétiens et propos sur la chute originelle pour parler de ces limbes que doit traverser le pèlerin.
Roman autobiographique
Assez singulièrement pour un tel ouvrage, John Freccero parle de la Divine Comédie comme d’un "roman autobiographique". Dante, pèlerin de l’au-delà, entame un voyage imaginaire, une épopée homérique au sens premier du terme (chapitre 8), qui est aussi celui d’un homme nourri aux sources religieuses du Moyen Âge. Ce périple surnaturel – parlons aussi de "conversion" – suit un mouvement circulaire que le chercheur américain développe avec précision dans le chapitre 4 de l’essai, avec toujours une somme impressionnante de références littéraires : Boèce, Platon, s. Thomas d’Aquin, Aristote ou Virgile, le guide de Dante jusqu’aux portes du paradis. Ces références font d’autant plus sens que John Freccero parle de l’importance de l’itinéraire intellectuel, artistique et poétique – dit autrement, pour reprendre Virgile, de "l’analogie entre la créativité divine et l’industrie humaine".
Finalement quel est le but du voyage de Dante ? Certainement "une sorte de Mont de Parnasse" répond l’universitaire, qui développe assez longuement la célèbre citation de l’entrée aux enfers. Pour ardue que soit l’exégèse de John Freccero, elle permet au moins d’éclairer l’explication du terme de "Comédie" (Commedia), à mettre en corrélation, si l’on veut, avec cette ironie dont parle l’auteur : "l’enfer [comme] imitation du réel."
L’expérience personnelle de l’auteur ("roman autobiographique") est bien entendu au cœur de la Divine Comédie, notamment dans le chant de la méduse (Enfer, chant IX), qui est aussi un chant d’amour pour Béatrice : "le mot « Amour » est donc le lien qui unit le ciel à la terre et le poète à son auditoire, contenant en lui-même la substance du poème". "La regénération du pèlerin", qui passera par le purgatoire avant d’atteindre le paradis, est aussi une construction poétique indissociable de la recherche mystique. John Freccero parle de "maturité poétique atteinte par Dante" lorsqu’il écrit son chef d’œuvre. Un chef d’œuvre à la fois mystique, poétique et littéraire dans lequel le voyage vers l’au-delà est aussi celui, allégorique, de la poésie, de la métaphysique, du conte philosophique et de la recherche artistique : "L’histoire du pèlerin conduit au moment où il acquiert le statut de conteur, de sorte que l’histoire que raconte la Divine Comédie est en partie l’histoire de la façon dont cette histoire a été écrite." Avec, pour muse, son amour de toujours, Béatrice.
Vous qui entrez dans la lecture du dernier ouvrage d’Alain Joseph Bellet, Écoutez ce que les défunts nous disent (Presses du Châtelet), abandonnez toutes vos certitudes. À la suite de son précédent ouvrage, Les Morts sont parmi nous, le médium breton répond aux questions "devons-nous avoir peur de la mort ?" et "l’être humain est-il préparé à ce qui l’attend dans l’autre monde ?" grâce à une série de témoignages et d’expériences qui devraient en troubler plus d’un.
La mort est notre lot commun. Pourquoi ne pas s’y intéresser et ne pas s’intéresser à un homme, Alain Joseph Bellet, qui nous assure que les morts lui transmettent des informations ? Au scepticisme et au doute qui peut saisir le lecteur, le médium répond moins par des discours et des explications que par des témoignages et ces psychographies assez incroyables.
Les témoignages en question constituent la première partie de l’ouvrage ("La mort fait partie de la vie"). Dans cette partie, la parole est laissée aux proches ayant consulté en conférence ou en consultation le médium. Les témoins détaillent les "conversations" avec ces défunts qu’ils ont connu et qui font d’Alain Joseph Bellet leur médiateur post mortem. Que racontent ces hommes, ces femmes, ces adolescents ou ces enfants comme revenus parmi les vivants le temps d’un échange avec ce médium ? D’abord des scènes de la vie quotidienne, des faits méconnus, des souvenirs qu’eux seuls savaient ou des sobriquets qu’Alain Joseph Bellet ne pouvaient pas connaître. Comment cet homme peut-il raconter de manière aussi précise ces détails de la vie quotidienne (un bijou, des prénoms précis, des descriptions précises ou des récits personnels) ? Au sujet de son frère mort, une femme s’étonne d’entendre ces "détails tous plus vrais les uns que les autres."
Une pratique dangereuse
La deuxième partie du livre, la plus importante puisqu’elle en occupe les deux tiers, est consacrée à ces psychographies, un néologisme qui désigne la transcription de textes via l’écriture automatique. Une pratique dangereuse, comme le reconnaît Alain Joseph Bellet qui a consacré des pages importantes à ces exercices dans son précédent livre, Les Morts sont parmi nous. "L’écriture est pour moi un moyen de dialoguer et d’analyser plus en profondeur mes échanges avec le monde spirituel" dit-il encore.
Les psychographies relèvent de nombreux points communs : le détachement du corps, l’absence de souffrance, la sensation de flotter dans les airs, un tunnel, des visions de lumières. Mais il existe aussi des différences au fur et à mesure que s’affinent les "témoignages", avec des "points d’études essentiels à la compréhension des étapes qui entourent la mort physique." Le lecteur découvrira des visions assez incroyables mais aussi des paroles plus vraies que natures venant de ces âmes perdues – puisqu’il faut les appeler ainsi –, attendant une forme de délivrance ou au contraire libérées après une période plus ou moins longue. Alain Joseph Bellet accompagne ces récits de psychographies de réflexions sur cette mort à la fois inéluctable, redoutée et aussi plus mystérieuse que jamais.
Les morts peuvent-ils nous parler ? Le médium breton y répond par une série de textes éloquents destinées à nous éclairer sur cette étape. Mais il est vrai que, comme le chantait Bob Dylan, "death is not the end."
Alain Joseph Bellet, Écoutez ce que les défunts nous disent, éd. Presses du Châtelet, 2019, 362 p. Alain Joseph Bellet, Les Morts sont parmi nous, éd. France Loisirs Poche, 2016, 341 p. https://www.medium-bretagne.com
Le Temps d’un Abrazo, le dernier roman d’Isabelle Vouin, commence par des confidences singulières : celles d’un mas dans le sud de la France. Et c’est du reste cette maison, ce Moulin, qui vient conclure le livre et révéler les derniers secrets d’une histoire liant indéfectiblement amour et tango : "Les pierres ont une mémoire et nous observent. Elles enregistrent dans nos atomes les images et les émotions de nos vies."
Ce témoin silencieux porte le récit d’un deuil impossible et d’une reconstruction de deux êtres cabossés par l’existence, ne semblant s’ouvrir au monde et à la vie qu’à travers la danse et l’abrazo, cet art de l’étreinte et de se prendre dans les bras, moment essentiel dans la pratique du tango.
Nina a vécu heureux avec Ivan, danseur de tango doué mais décédé subitement, laissant sa compagne inconsolable. Elle choisit de se débarrasser de son passé et de vendre la maison qu’elle rénovait avec passion. Deux ans plus tard, elle y revient cependant, comme en pèlerinage : le mas est devenu, à la faveur de Salomé, sa nouvelle propriétaire, un lieu dédié au tango. Contre toute attente, un danseur accoste Nina et lui propose une danse. Elle accepte à contrecœur. L’homme se nomme Jean, et il a lui aussi derrière lui un lourd passé. Le tango et leur abrazo scelle bientôt une rencontre amoureuse.
Scandé de références musicales
Le Temps d’un Abrazo est scandé de références musicales – Alfredo de Angelis, Osvaldo Pugliese ou John Powell – avec en postlude les paroles d’Adios Corazón d’Héctor Sapelli et Lalo Etchegoncelay. Le tango, l’étreinte, les pas à deux : Isabelle Vouin fait de la plus sensuelle des danses et de ces instants sur une piste une métaphore de la séduction, de l’amour et de la vie en couple. Pour Nina, le tango est à la fois le catalyseur de souvenirs la ramenant à Ivan, mais aussi ce moment d’abandon qui lui permet d’oublier : "M’oublier dans ses bras, ce corps, cette musique, cette moiteur, le sang qui pulse, cette énergie, n’être plus que tournoiements, effleurement, dialogues, abandons."
Dans cette histoire de passion et de tango, c’est bien de vie dont il est question. Les deux protagonistes, Nina et Jean, tentent chacun à leur manière de cicatriser et de renaître, l’une d’un décès brutal, l’autre d’un traumatisme survenu sur un champ de bataille. Quelques pas de danse pourraient-ils illustrer ce qu’est la difficulté de vivre ? Isabelle Vouin semble répondre par l’affirmatif, lorsqu’elle fait dire ceci à son héroïne : "Il faut m'éloigner du buste, des pupilles, des mains, de la peau, de l'odeur, de la transpiration, de cette vie qui m'aspire. Reculer pour ne pas se coller à nouveau." Jean, de son côté, expérimente aussi cette attraction irrésistible autant que tétanisante pour cette future partenaire : "Une sale sensation de manque, soudain. Et cette impression de trou dans l’estomac qui revient. Sa noirceur me manque. Oui c’est ça, sa noirceur. Sa fragilité. Son désintérêt de la vie."
Le tango, ce moment où se jouent le désir, l’art et la vie en mouvement, est l’autre personnage de ce récit amoureux. Isabelle Vouin en parle avec la même passion que ses personnages danseurs – Nina, Jean, Ivan ou Salomé : "Les danseurs évoluent dans le sens inverse des aiguilles du temps. Les dos se redressent, les genoux s’assouplissent, les traits se détendent, les joues se remplissent, les fronts se lissent et les rides disparaissent."
Le temps d’un abrazo et d’un tango, la vie reprend ses droits, sans doute.
Nathalie Cougny fait partie des artistes que Bla Bla Blog suit avec intérêt : peinture, romans, théâtre, poésie, engagement. Cette artiste est partout et toujours avec passion. Sa dernière actualité est un roman, Paris Rome, qui imagine la rencontre de nos jours d'une jeune peintre médiatique avec Nietzsche. Rencontre improbable et incroyable qui méritait bien qu'on pose quelques questions à l'auteure.
Bla Bla Blog - Bonjour Nathalie. Tu as sorti ce printemps un nouveau roman : Paris-Rome. Derrière ce titre singulièrement simple se cache une histoire étonnante : celle de la rencontre de nos jours d’une artiste-peintre talentueuse et d’un philosophe bien connu, Friedrich Nietzsche. Finalement, de quoi s’agit-il ? D’une uchronie, d’un conte philosophique ou d’un roman surréaliste?
Nathalie Cougny - Certainement un peu des trois, mais avant tout un roman qui n’a de surréaliste que la présence de Nietzsche à notre époque et qui replace un personnage historique, réel, dans une fiction philosophique. Mais en fait, tout est vrai, même si tout n’est pas réel (sourire).
BBB - L’image de Nietzsche est encore aujourd’hui entachée de nombreux a priori qui n’ont rien à voir avec le personnage comme avec ses idées. Qu’est-ce que Nietzsche a encore à nous apprendre et que pourrait-il dire de nos sociétés?
NC - Je pense que les détracteurs de Nietzsche ne le connaissent pas, ne l’ont pas vraiment lu et se sont arrêtés sur des a priori colportés et une déformation de sa pensée initiale par ceux qui ne pouvaient pas faire mieux. En même temps, c’est difficile et c’est ce qui fait son génie, de comprendre une pensée que lui-même pouvait déconstruire pour montrer que rien n’est fixe. C’est ce que j’aime chez lui car, en effet, rien n’est établi et nous sommes en perpétuelle évolution. Par exemple on lui a prêté une accointance avec le régime nazi alors qu’il était antiantisémite. Mais sans doute que sa sœur y est pour beaucoup, elle qui s’est mariée à un nazi et qui a tenté de falsifier ses écrits après sa mort. La philosophie en général a plus que jamais à nous apprendre ou plutôt à nous replacer au centre de nous-même, dans une société ultra violente qui nous isole, nous rend dépendants, nous empêche de réfléchir à travers une surconsommation toujours plus grandissante et tente à nous faire perdre notre identité, je veux dire par là, qui nous lisse. La peur et la défiance sont des leviers majeurs pour parvenir à éteindre les âmes et en faire ce que l’on veut. Toutes sortes de peurs sont entretenues aujourd’hui pour nous empêcher de faire surface : le chômage, le terrorisme, la montée de l’extrême droite, répondre par une pulsion instantanée, des lois pour tout et n’importe quoi qui nous enferment, alors qu’il suffit parfois de bons sens, de remettre des valeurs en place, de se tenir aux choses, d’être ouvert à la différence et surtout d’éduquer en ce sens. Quand est-ce qu’on nous parle de réussite, de beau, d’amour ? On devrait d’ailleurs introduire la philosophie à l’école dès le plus jeune âge avec des méthodes adaptées. Aujourd’hui, nous avons oublié le sens réel du désir, du courage, du discernement, de la réflexion et donc de la philosophie. Nietzsche pourrait nous dire de ne pas nous laisser prendre à ce piège et de nous dépasser pour combattre ce qui nous tue à petit feu, l’Homme de pouvoir, et devenir ce changement, ce "surhomme", pour construire une autre société, plus juste, plus vraie, sans faux semblants, se départir de la morale chrétienne, notamment, qui est encore bien présente et qu’il tenait pour responsable de notre malheur, de cette négation de soi car elle n’est que souffrance pour l’Homme. De nous fier davantage à notre instinct plus qu’à la connaissance qui reste une interrogation, car nous vivons sur des schémas de représentation de l’Histoire, de ne pas nous laisser aveugler par ces marionnettes qui s’agitent constamment sur la place publique, d’être ami de notre solitude, d’être des créateurs, des bâtisseurs.
BBB - La philosophie est au centre de ce roman. Mais aussi la peinture, car l’autre personnage de ce roman est Charlotte K, une peintre. Toi-même tu es peintre, d’ailleurs. Jusqu’à quel point ce roman est un dialogue entre toi-même et Nietzsche ?
NC - Jusqu’à un point ultime (sourire) de réalité, de projections et de fantasmes. N’ayant pu, et pour cause d’époque, rencontrer Nietzsche, comme d’autres visionnaires ou révolutionnaires dans les codes, je pense à Klimt, Darwin ou George Sand, qui pour moi sont de réelles personnalités qui repoussent nos limites, font avancer les mentalités ou la compréhension du monde, j’ai tenté ce huis clos amoureux, car l’amour, sous plusieurs formes, est le fil conducteur de tout le livre, avec ma pensée aussi, en toute modestie. D’ailleurs, je pense que je n’aurais pas fui, comme Lou Salomé, un peu lâchement, je ne me serais sans doute pas mariée, mais je serais restée avec Nietzsche (sourire). Après, il me semblait essentiel d’amener l’art comme vecteur pour faire face à ce monde, pour nous sauver quelque part de cet engrenage. L’art nous ramène à nous-même tout en éclairant le monde. De plus, Nietzsche aimait l’art et défendait, comme aujourd’hui Boris Cyrulnik que j’ai eu la chance de rencontrer, au moins un (sourire), l’art comme "outil" de contradiction face à l’enfermement de la société, ses travers et ses abus. Les artistes sont essentiels pour, non seulement nous faire prendre conscience de la réalité à travers leurs œuvres, nous toucher, nous donner du bonheur, nous faire réfléchir et c’est valable pour tous les arts, mais leur liberté doit leur permettre aussi d’être des porte-voix, de faire tomber les préjugés et de défendre des causes ouvertement. Pour moi l’artiste est hors monde et en plein dedans, il n’est pas cet être naïf, perché sur son nuage et indifférent à tout, pour moi il est en plein dans la vie et son rôle est de premier plan.
J’aime les auteurs troubles et les personnages forts
BBB - Une question me taraude : plutôt qu’un nom de famille pour Charlotte, tu as choisi l’initiale K. C’est un hommage à Kafka ?
NC - Ça aurait pu être une Métamorphose à la Kafka, que j’ai pas mal lu aussi il y a longtemps, j’aime les auteurs troubles et les personnages forts, marquants, à la psychologie intrigante, à la limite entre la raison et la folie. Mais c’est un pur hasard, je trouvais que ça sonnait bien et j’avais envie de laisser planer un mystère, dont je n’ai pas tiré profit d’ailleurs dans le livre.
BBB - Paris-Rome se lit comme un roman véritablement engagé, âpre et en un sens provocateur comme beaucoup de tes livres. On sent chez toi la femme toujours en mouvement. Quel est ton moteur ?
Plus la société veut nous "enfermer", plus elle nous pousse à être engagé. J’estime que nous vivons des régressions, notamment pour les droits des femmes dans le monde, mais pour les personnes elles-mêmes, la multiplication des violences en tout genre, la liberté d’expression, le droit à la différence. J’ai le sentiment qu’on cherche à nous étouffer dans une société où le jugement gratuit est devenu la norme, notamment à travers les réseaux sociaux. J’avoue ne pas le subir personnellement, mais je le vois tous les jours. Mon moteur c’est la vie, peut-être parce que je suis athée et que je ne crois pas à la vie après la mort, alors c’est ici et maintenant. C’est ce que j’ai appris de Nietzsche notamment, le grand "oui" à la vie et dépasser toute chose, toute souffrance pour en faire quelque chose de positif, ne pas être dans le ressentiment, dans la jalousie, dans tous ces sentiments qui sont des freins à la vie et nous empêchent d’avancer. Ma vie a commencé sans père et a continué à mettre sur ma route des épreuves, encore récemment le décès de ma mère, que je surmonte par la création, l’amour, le partage, le soutien aux autres aussi et par ce sentiment que la vie, qui est gratuite et nous offre tous les possibles, doit être respectée, défendue et surtout vécue. Après, c’est à nous de la rendre acceptable et belle, nous en avons les moyens en nous, mais nous subissons tellement de choses de toute part que nous nous laissons enfermer. Ce roman est engagé car il déconditionne l’amour, pas seulement par l’histoire de Paris-Rome, mais aussi avec Rencontre à risque, à la fin du livre. Il montre différents aspects de l’amour et balaie un peu le schéma classique de la vie à deux sous le même toit, qui pour moi n’est pas une condition au bonheur. C’est déjà ce que j’avais fait dans mon premier roman Amour et confusions, en plus érotique. Il est engagé aussi pour la condition des femmes et c’est récurrent dans mes livres. La société doit accepter que des femmes fassent le choix de rester libres, ce qui ne veut pas dire forcément seules, dominantes ou je ne sais quoi, mais vivre leur vie et leur sexualité comme elles l’entendent, sans jugement. Ces femmes font peur, à tort et à raison (sourire), à tort pour les hommes qui voudraient partager leur vie et à raison pour ceux, qui que ce soit, qui voudraient les diriger.
BBB - Un de tes combats est pour la violence faite aux enfants. Peux-tu nous dire où en est aujourd’hui ton combat ?
NC - C’est un long combat difficile pour plusieurs raisons et il suffit de voir ce que font les associations depuis des années, sans toujours parvenir à leur fin en ce qui concerne la prévention, les lois et l’application des lois. Le plus dur est encore à faire je pense, car il faut absolument remettre de l’éducation, mais le refus de la société à ouvrir les yeux et le renoncement des politiques à mettre en place des actions fortes font que rien ne change ou très peu de choses. D’un côté on a allongé le délai de prescription de 20 à 30 ans, ce qui est très bien et de l’autre les victimes ont toujours du mal à porter plainte parce qu’elles sont seules et peu considérées. On ne veut pas croire la difficulté à entamer une action en justice et tout ce que cela implique personnellement et psychologiquement, par exemple. Comme on ne veut pas croire que des parents maltraitent leurs enfants, jusqu’à la barbarie parfois. Les formations promises auprès des professionnels sont rares ou inexistantes, il n’y a pas assez de moyens à tous les niveaux, alors que les violences sexuelles, par exemple, coûtent 8 milliards d’euros à la sécurité sociale chaque année. Mais il n’y a aucune prévention en France. Donc il faut faire avec. Si je suis arrivée sur ce sujet, c’est d’abord parce que des femmes que je faisais témoigner avaient presque toutes subi une agression sexuelle étant jeune. Je me suis dit alors qu’il fallait commencer par là. Ensuite pour des raisons personnelles de proches qui avaient subi l’inceste et en découvrant dans mon entourage, au cours de discussion même anodines, de nombreuses personnes, des femmes, qui avaient subi un viol étant enfant, et il y en a beaucoup trop. Mon implication contre la maltraitance des enfants est plus récente que celle pour les violences faites aux femmes, même si j’ai, tout au long de ma vie, fait des choses pour les enfants. Elle commence en 2017 avec une pétition qui interpelle les politiques, le clip de prévention des agressions sexuelles sur mineur : C’est mon corps, c’est ma vie !, également visible sur le site de France TV éducation et le projet d’un album jeunesse à destination des enfants du primaire. Je suis en discussion depuis plus d’un an et demi avec le ministère de l’éducation nationale, notamment, pour faire de la prévention dans les écoles via cet album. Mais je ne perds pas espoir, je cherche toujours une maison d’édition pour cet album, car je suis persuadée qu’il faut s’adresser directement aux enfants, qui sont les principaux concernés, pour faire changer les mentalités et libérer la parole. Je suis également membre de l’association StopVeo enfance sans violence, dont la présidente, Céline Quelen, déploie des actions essentielles, notamment via un Kit de prévention intitulé : “Les violences éducatives, c’est grave Docteur ?”. Un outil composé d’une affiche et de dépliants, lesquels sont mis à disposition des familles chez les médecins et les professionnels de santé, et ainsi font prendre conscience des conséquences des violences éducatives ordinaires et que l’on peut/doit élever un enfant sans violence. J’invite d’ailleurs tous les professionnels de santé à se rendre sur le site et à commander ce kit.
BBB - Parlons poésie. Car la poésie fait aussi partie de ton parcours. J’ai l’impression d’ailleurs que c’est quelque chose d’important, que tu y reviens régulièrement et que tu fais de la poésie un moment de respiration. Est-ce que c’est ainsi que l’on pourrait qualifier ton rapport avec ta démarche artistique?
NC - Oui, la poésie est très importante pour moi et oui c’est une grande respiration. Même si c’est une part de moi liée aux hommes et donc avec des souffrances aussi. D’abord, c’est la poésie sensuelle qui m’a fait connaître, à ma grande surprise. Je me suis aperçue qu’elle touchait beaucoup de monde, touchait dans le sens des émotions, du vécu, de l’intime, femmes comme hommes pour des raisons différentes et je reçois quantité de messages pour me dire merci et que ça fait du bien. Quel bonheur ! Ma démarche artistique est une démarche humaniste, qui rassemble. La poésie, c’est mon vent de liberté, un vrai plaisir de partage, alors que la peinture est plus introspective encore. La peinture touche à l’inconscient pour moi et reflète mon ressenti, un besoin urgent d’exprimer souvent une douleur pour m’en libérer. La poésie exprime mes émotions et mes sentiments, jusqu’au plaisir sexuel, dans une grande liberté. C’est sa force d’ailleurs, la liberté. Je crois aussi que tout mon travail a un grand rapport au temps, au temps qui passe trop vite, à l’instant que je veux saisir, à toutes ses minutes qui nous échappent et que je veux figer par les mots ou sur la toile, comme des instants de vie à ne jamais oublier.
BBB - La surprise est toujours au rendez-vous lorsque l’on suit ton parcours. Sur quoi travailles-tu? Un nouveau roman, de la poésie, du théâtre ? Ou bien vas-tu t’essayer à une nouvelle expérience artistique?
NC - Oui, j’aime bien surprendre, sinon c’est pas drôle (sourire) ! Alors, je travaille actuellement en tant que co-auteur sur l’écriture de livres pour deux personnalités avec des sujets qui ont du sens et qui devraient faire parler, c’est un gros travail qui va me prendre beaucoup de temps. Le one-woman-show Sex&love.com qui s’est joué près de 100 fois est actuellement revisité en pièce de théâtre. Nous sommes en train de faire la bande annonce pour une montée sur scène dans les mois qui viennent, avec deux comédiennes vraiment superbes et talentueuses. Je poursuis mon projet sur la maltraitance des enfants avec la recherche d’éditeur pour l’album et je suis invitée par la mairie de Nice pour 3 jours de conférence/débat et d’intervention devant des classes de primaire en novembre prochain. Et puis, il y a toujours une place pour les projets imprévus. C’est ce qui fait aussi tout le charme de ma vie d’artiste …
BBB - Merci, Nathalie.
NC - Merci, Bla Bla Blog.
Nathalie Cougny, Paris-Rome, Et Nietzsche rencontre Charlotte suivi de Rencontre à risque éd. Publilivre, 2019, 234 p. https://www.nathaliecougny.fr