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daniel varenne

  • Z comme Zorg

    "Nous n’avions pas l’intention, Alex et moi, de faire une véritable adaptation de Mars. Nous souhaitions surtout, avant que le temps n’estompe tout, fixer ce qui subsistait encore des années Zorn dans Zurich et le souvenir de ses proches." C’est ainsi que Daniel Varenne commente, dans la préface "Zurich… Zorn… Z", Angoisse et Colère, qu’il a créée avec son frère Alex Varenne.

    Œuvre OVNI dans la carrière de ce dernier, cette bande dessinée, scénarisée par Daniel Varenne, est sortie en 1988. Rétrospectivement, elle marque un point d’arrêt dans la collaboration de ce duo. Les deux frères s’étaient fait connaître au début de cette décennie avec l’emblématique cycle de science-fiction Ardeur. En réalité, quoi de plus différent que ces deux albums, en tout point opposés ? D’un côté, une saga post-apocalyptique de près de 500 pages que le bloggeur a qualifié de cyberpunk ; de l’autre, une dense et sobre adaptation littéraire du récit Mars, écrite par Friz Zorn, écrivain suisse malade et dépressif, décédé avant la publication de son texte devenu culte.

    Les 28 planches éclairent, sondent et documentent un texte exigeant, lucide et à l’humour grinçant d’un Zurichois devenu malade – au sens propre comme au sens figuré – de son existence. Alex et Daniel Varenne travaillent une nouvelle fois en dehors des sentiers battus grâce à une relecture en bande dessinée de Mars. En documentalistes rigoureux, les deux auteurs ont visité les lieux où a vécu, jusqu’à sa mort en 1976, Fritz Zorn, ou Fritz Angst dans l’état civil. Les noms de l’auteur, Zorn (ou "colère" en allemand) et Angst ("angoisse") sont bien entendu les clés du titre de l’album. Tableau d’une ville bourgeoise autant que portrait d’un artiste malade, les Varenne offrent une déambulation terrible au cœur d’une ville occidentale, Zurich, prison argentée d’un homme, Zorn, qui avoue vivre dans un enfer feutré. Le salut viendra paradoxalement du cancer : "La chose la plus intelligente que j'aie jamais faite, c'est d'attraper le cancer" écrit-il dans son récit.

    Daniel Varenne s’étend, dans la préface de ce "roman graphique" avant l’heure, sur les lieux de l’auteur de Mars : l’université, l’appartement du jeune professeur dans la Frankengasse, la villa de son psychanalyste (33 rue de la Freiestrasse) et la rive de la Goldküste. Ce sont ces lieux qui forment la trame de la bande dessinée, tel le décor de théâtre d’un monologue tragique. Méditation sur la dépression, dénonciation d’une société bourgeoise zurichoise (cela vaut aussi bien entendu pour beaucoup de sociétés dans le monde), Angoisse et Colère peut se lire aussi comme l’hagiographie d’un martyr biberonné au lait d’une éducation faussement harmonieuse, sans aspérité, morte et sans amour : "Je n’avais pas d’amis et je n’avais pas d’amour… La sexualité ne faisait pas partie de mon univers car la sexualité incarne la vie" proclame le narrateur. Un propos que ne renierait pas Alex Varenne.

    L’album est complété par Bobby Lynn, portrait a priori très éloigné du Zurichois dépressif mais aux similitudes frappantes. Au contraire de Fritz Zorn, Bobby Lynn est l’homme de tous les excès. Cet acteur renommé, en réalité un enfant gâté et dépressif, finira par brûler la vie par les deux bouts, car il "n’avait pas eu le courage de regarder la vie en face."

    Fritz Zorn laissait le témoignage lumineux d’un désespoir qu’il révéla post-mortem au monde entier ; Bobby Lynn, lui, fit le vide autour de lui, après une carrière sous les projecteurs.

    Alex et Daniel Varenne, Angoisse et Colère, éd. Casterman, À Suivre, 1988, 69 p.
    Fritz Zorn, Mars, éd. Gallimard, Folio, 1982, 315 p.

  • "Tu dessines vachement bien les femmes"

    S'il est un domaine incompris dans le 9ème art, c'est celui de la bande dessinée érotique ; et s'il est un auteur qui a su tracer sa voie au mépris des conventions et des modes c'est Alex Varenne. Personnage marquant de la bande dessinée érotique, Alex Varenne fait en ce moment l'actualité avec une exposition marquante consacrée à sa peinture, toute entière dédiée au sexe et à la féminité, "Alex Varenne - Strip Art", du 8 novembre au 4 décembre 2016 à la galerie Art en Transe Gallery, 4 rue Roger Verlomme, Paris 3ème. Les familiers de Varenne découvriront deux nouveautés chez l'auteur des Larmes du Sexe : le (très) grand format et la couleur. Le bloggeur y reviendra plus longtemps sur ce site dans quelques jours. 

    Le noir et blanc est au départ la marque de fabrique d'Alex Varenne. Coloriser ses planches apporterait selon lui un réalisme vain et qui n'a pas lieu d'être. Il est vrai que le dessin et les grands aplats noirs se suffisent à eux-mêmes, a fortiori dans les scènes nocturnes et intimistes. Mieux, cela permet de magnifier les traits et les corps de ses personnages – des femmes essentiellement- sans l'apport de la couleur.

    Avant le Varenne de l'érotisme, il y eut le Varenne de la SF, auteur avec son frère Daniel, de l’impressionnant cycle de science-fiction Ardeur. Ce road-movie post-apocalyptique sombre et nihiliste est aux antipodes de ce que l'artiste montrera plus tard. Et pourtant, le dessinateur de l'époque révèle tout son talent dans les représentations des personnages féminins comme dans les scènes d'amour. Le cinquième tome, tout entier consacré à Ida Mauz, celle précisément qu'Ardeur n'a de cesse de rechercher à la fin de son voyage, paraît a posteriori écrit sur mesure pour Alex Varenne. Il suit cette beauté fatale, emprisonnée dans une cage dorée, et la dessine sous toutes les coutures avec une maîtrise et une finesse incomparable.

    Alex Varenne aime les femmes : c'est indéniable. Et la suite de sa carrière le prouve. Après sept années (1980-1987) et six volumes consacrés à Ardeur, Alex Varenne suit les conseils de Georges Wolinski, un soutien de la première heure qui lui a mis le pied à l'étrier : puisqu'il est doué pour dessiner des femmes, pourquoi ne se lancerait-il pas dans la bande dessinée érotique ? Alex Varenne avait déjà essayé sans succès de percer dans la BD érotique. Avant Ardeur, il y avait Dio (1969), sa première une bande dessinée inspirée par la mythologie… et mai 68 : l’histoire de la destruction de Thèbes par Dyonysos et ses Bacchantes sert de cadre pour un appel une révolution sexuelle et ludique. Ce livre ne parviendra pas à faire sa place. A l'époque de Charlie Mensuel, Geores Wolinski convainc Alex Varenne de persister : "Tu dessines vachement bien les femmes", remarque-t-il. Entre-temps, une ultime collaboration avec Daniel Varenne, Angoisse et Colère (1988), donne l'occasion au dessinateur et au scénariste de se plier à la contrainte de l'adaptation littéraire. Ils s'attaquent au dense et âpre récit Mars de l'auteur suisse Fritz Zorn. Cinq ans plus tard, c'est dans une veine tout aussi réaliste – mais cette fois seul au texte et au dessin – qu'il sort Gully Traver (1993), un autre roman graphique mêlant paysages du nord, misère sociale, scènes oniriques et érotisme.

    alex varenne,sexe,érotismeAprès Ardeur, Alex Varenne produit en solo sa première œuvre résolument érotique, Carré noir sur dames blanches. Nous sommes en 1984, époque polémique du carré blanc, symbole de la censure à la télévision. Toujours au sujet de ce titre, des critiques ont pu s’étonner que Varenne ne dessine pas de femmes noires. L’auteur s’en explique ainsi : "Parce que sur une BD en noir et blanc, il est compliqué de dessiner des corps noirs. C’est uniquement pour ça." CQFD.

    Suivent L’Affaire Landscape (une fantaisie érotique), Erotic Opera, Corps à Corps et surtout le cycle Erma Jaguar, qui s’étale sur 22 ans, de 1988 à 2010 ! Erma est cette femme libre, assouvissant ses fantasmes et ceux des hommes qu’elle croise. Dans des décors interlopes, des femmes et des hommes s’aiment et assouvissent leurs fantasmes dans de savoureuses mises en scènes, et non sans humour. En un sens, Alex Varenne se révèle un anti-sadien, d’abord intéressé par le désir féminin. Hédoniste et libertin moderne, l’auteur des Larmes du Sexe ne cache pas que ces histoires traduisent sa propre vie personnelle. L’artiste, à la recherche du plus grand réaliste, s’inspire de modèles pour "ces femmes de papier".

    1997 marque une collaboration éphémère mais marquante pour Varenne. La prestigieuse maison d’édition japonaise Kodansha fait appel à quelques dessinateurs français pour publier des "mangas à la française". Alex Varenne sort deux albums chez eux avant que l’éditeur ne mette fin à l’aventure : "Au bout de 5 ans, les japonais ont vu comment on faisait des mangas à la française, ils n’avaient plus besoin de moi", commente plus tard ironiquement Alex Varenne.

    De retour du Japon, il continue sur sa lancée érotique, mais rapportant de son aventure artistique une influence asiatique, avant que la mode du manga n’inonde la France. La sensualité orientale est déclinée dans des œuvres comme La Molécule du Désir (2014) ou Tondi (2015), mais également dans son œuvre picturale (nous en reparlerons sur ce blog dans quelques jours). La place centrale du sexe dans la philosophie chinoise est montrée en exemple par l’artiste : le sexe c’est la vie, dit-il en substance, et il n’est pas corseté par autant de tabous qu’en Occident.

    Les tabous, les héroïnes de Varenne n’en ont pas. Que ce soit Erma Jaguar, Ida Mauz, Yumi, Carlotta ou Lola, chacune d’entre elle est maître de sa vie, de ses passions et de ses pulsions. Regardez le visage d’Ida : il est peint avec grâce, volupté et délicatesse. L’intelligence et la sensualité sont les plus petits dénominateurs communs de ces femmes avides de liberté, quitte à aliéner leurs compagnons masculins.

    Alex Varenne vient de la peinture, comme il le rappelle. Disons aussi que ses influences viennent sans doute autant sinon plus du Caravage, de Liechtenstein (il en est même le fils spirituel comme le montre sa dernière exposition "Strip-Art" à Art en Transe Gallery), Hokusai ou Goya que de Crépax, Milo Manara ou Jean-Claude Forest. Cette passion pour la peinture a pu épisodiquement transparaître par exemple dans un tome d’Ardeur et dans plusieurs planches de Gully Traver. Derrière le Libertin des Lumières se cache un vrai connaisseur des beaux-arts qui rappelle toute l’importance de l’érotisme et de la représentation féminine dans la peinture classique, y compris (et surtout !) lorsqu’elle a une vocation religieuse. Il est vrai que la passion de Varenne d’lex Varenne pour l’érotisme et les femmes a quelque chose de sacré, comme le montre par exemple le visage de Madonne d’Isa Mauz.

    "Je ne peins pas des femmes mais mon amour pour les femmes", commente sobrement Alex Varenne.

    "Alex Varenne, libre et libertin"
    "Le Viagra, en plus efficace et plus drôle"
    "Varenne, cyberpunk"
    "Un Voyage de Gulliver"

    "Alex Varenne - Strip Art", du 8 novembre au 4 décembre 2016
    Art en Transe Gallery, 4 rue Roger Verlomme, Paris 3ème

    Remerciements particuliers à Alex Varenne et Mai-Loan Roque

    © Alex Varenne


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