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Elles causent des femmes
C’est de deux livres dont il sera question ici : deux livres bien différents, écrits à trois ans d’intervalle mais qui parlent chacun à leur manière de la cause des femmes. Le premier, le témoignage de Vanessa Springora, Le Consentement (éd. Grasset), a fait la une de l’actualité en mettant sous le feu des projecteurs un récit de détournement de mineure et de pédophilie, habillé au départ sous les beaux atours d’une romance improbable entre un écrivain reconnu et une adolescente de plus de trente ans sa cadette. Le second ouvrage, un témoignage lui aussi, est celui d’Adeline Fleury. Femme absolument (éd. JC Lattès). Écrit en 2017, quelques mois avant le raz de marée de l’Affaire Weinstein – une autre sordide affaire de mœurs – il est certes moins spectaculaire que le best-seller de Vanessa Springora, mais il parvient cependant à apporter sa contribution à un féminisme assumé mais apaisé.
Ce dont Vanessa Springora parle est une plongée sordide au cœur d’un secret de polichinelle. Le Consentement met en accusation les mœurs d’un autre auteur, Gabriel Mazzneff, dont les goûts pour les jeunes adolescents ont toujours été revendiquées par lui-même. D’ailleurs, au moment de son récit, Vanessa Springora est jeune. Très jeune même. Tout juste adolescente, elle ne connaît de l’amour que quelques flirts. G. (c’est cette initiale qui sera utilisée tout au long de son livre) a, à l’époque 50 ans, et jette son dévolu sur celle qui n’est au départ que la fille d’une connaissance. Il convient de préciser que si l’auteure est impitoyable pour cet ancien amant de trente-cinq ans son aîné, elle se montre aussi implacable pour sa mère. Celle-ci, non content de lui donner sa bénédiction à cette relation improbable (elle-même semble regretter de ne pas avoir été "choisie" par cet écrivain réputé dans le petit milieu littéraire),va en plus marquer son étonnement au moment où la jeune fille rompt finalement avec celui qu’elle considère comme un "vampire" : "Le pauvre, tu es sûre ? Il t’adore !"
Sur les quelques mois d’une relation sulfureuse, Vanessa Springora ne cache rien : ni ses émois amoureux, ni sa fascination pour cet homme brillant, ni le choc de la première fois, ni la manière dont ce couple a vécu, ni les conséquences sur la santé qu’a eu cette relation, ni la découverte des secrets d’un homme qui ne dédaignait pas se rendre en Thaïlande pour avoir des relations sexuelles avec de jeunes garçons. Leur rupture ne sera pas simple non plus : en faisant le choix professionnel de travailler dans une maison d’édition, d’abord comme stagiaire, V. se place en position de croiser G.
Le lecteur sort secoué de ce témoignage qui est aussi une violente diatribe contre l’impunité d’un écrivain qui n’a jamais caché son attirance pour les mineurs, filles ou garçons :"En dehors des artistes, il n’y a guère que chez les prêtres qu’on ait assisté à une telle impunité. La littérature excuse-t-elle tout ?" Mais plus largement, le récit de celle qui utilise des abréviations (Vanessa S., G.) ou de simples prénoms (Emil pour Emil Cioran), s’en prend aussi à la société toute entière et à une époque pas si lointaine : "Pourquoi tous ces intellectuels de gauche ont-ils défendu avec tant d'ardeur des positions qui semblent aujourd'hui si choquantes ? Notamment l'assouplissement du code pénal concernant les relations sexuelles entre adultes et mineures, ainsi que l'abolition de la majorité sexuelle ? C'est que dans les années soixante-dix, au nom de la libération des mœurs et de la révolution sexuelle, on se doit de défendre la libre jouissance de tous les corps."
"Nous ne sommes pas là pour vous émasculer"
Dans Femme absolument, Adeline Fleury, de la même génération que Vanessa Springora, délivre, de son côté, autant un récit personnel qu’un essai féministe, dans lequel sa propre existence sert de matériau vivant. Qu’est-ce qu’être femme ? Sommes-nous prédisposés à un rôle social ? Simone de Beauvoir est-elle ringarde ? Sur ces questions, et bien d’autres, Adeline Fleury apporte moins des réponses que des réflexions. "J’aime être femme avec tout ce que cela comporte de force et de fragilité, d’audace et de prise de risque, j’aime être femme avec tout ce que cela comporte de remises en question, d’échecs, de doutes, d’avancées," dit-elle dans son très beau livre qui est une ode à la féminité au coeur d'une société encore très patriarcale et où, justement, la place de la femme est insuffisamment reconnue. Alternant souvenirs personnels (notamment sur le viol dont elle a été victime), focus sur l’actualité et réflexions sur les genres masculin et féminin, l’auteure esquisse ce qui pourrait être le féminisme au XXIe siècle, sans oublier des références à des intellectuelles, et en premier lieu Simone de Beauvoir.
Ajoutons tout de suite que Femme absolument est sorti quelques mois avant l’éclatement de l’affaire Weinstein. Réécrit aujourd’hui, il est probable que cet essai serait être différent, bien que pas fondamentalement bouleversé. Adeline Fleury, qui se décit comme "célibatante", s’inscrit dans un féminisme de combat pour les libertés, en assumant sa propre liberté, professionnelle, privée ou sexuelle. Elle parle des hommes, souvent avec bienveillance, et aborde des faits sociaux sous l’angle féminin (le monde du travail, le prono mainstream, les scums, la maternité, le harcèlement de rue, la culture du viol ou les injonctions religieuses au sujet du voile par exemple). La coexistence et la compréhension entre hommes et femmes sont-elles possibles ? Oui, répond-elle : ce qui se joue, dit-elle en substance, est une manière de vivre avec les hommes et, non pas les affronter, mais les convaincre que le féminisme est une chance pour la société : "Amis, amoureux, amants masculins, nous ne sommes pas là pour vous émasculer, au contraire pour vous aider à sublimer plus que votre virilité, votre masculinité. C’est peut-être cela le féminisme de la quatrième génération, une sublimation de la féminité et de la masculinité conjuguée."
BC
Vanessa Springora, Le Consentement , éd. Grasset, 2020, 216 p.
https://www.grasset.fr
Adeline Fleury, Femme absolument, éd. Jean-Claude Lattès, 2017, 221 p.
@AdelineFleury https://twitter.com/adelinefleury?lang=fr
https://www.hachette.fr
Voir aussi : "Deborah de Robertis l’ouvre"
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