Musique ••• Contemporain ••• Claudia Chan, Toccare
Rock in Nantes
Quel est le point commun entre Dominique A, Christine and The Queens, Jeanne Cherhal, Elmer Food Beat ou Philippe Katerine ? Leur lien indéfectible avec Nantes qui a été la ville qui les a fait naître, ou du moins reconnaître. Cette histoire nantaise du rock (on pourrait même ajouté de la pop-rock électro) est relatée dans une exposition exceptionnelle et qui s’annonce passionnante : le Château des Ducs de Bretagne, à Nantes, accueille en effet à partir d’aujourd’hui et jusqu’au 10 novembre 2019 (sic) l’exposition "Rock ! Une histoire nantaise."
Les organisateurs de cet événement ont donc choisi de mettre la lumière sur un phénomène autant artistique que social ou politique. Loin du prestigieux lieu institutionnel qui vient reconnaître un genre musical longtemps décrié, le rock s’est d’abord construit et transformé dans les locaux de répétition, les studios, les bars et les salles, sur les radios locales ou chez les disquaires, par des activistes et artistes de l’ombre.
Par le prisme de la scène nantaise, et grâce à de nombreux prêts, l’exposition permet de suivre l’évolution des styles musicaux depuis les années 1960, d’écouter et de comprendre les influences et interactions entre les styles, les groupes, les artistes, etc. Comment une ville comme Nantes s’est transformée en un véritable vivier favorisant les groupes émergents qui composent la scène musicale française. Neuf grandes sections chrono-thématiques dessinent le parcours de l’exposition des années 1960 à nos jours, dans une scénographie immersive tout en musique, avec plus de 120 titres en écoute, grâce à un système auditif original de gobelets de festival. Une programmation éclectique est proposée durant toute la durée de l’exposition à Nantes.
Les organisateurs rappellent les origines du rock à Nantes : un concours d’accordéons organisé par le magasin d’instruments Simon Musique… Ce 20 avril 1962, six groupes nantais avec leurs guitares amplifiées montent sur scène pour la première fois pour un concours : les Rockers, les Atomic Boys, les Padgells, les Djets, Willy Spring Day et les Rapaces. Ce sont ces derniers, pour l’anecdote, qui remportent l’épreuve. Deux ans plus tard, l’ancienne capitale bretonne accueille les Championnats nationaux de guitare électrique au cinéma Le Paris.
Le rock investit la ville et ne la quittera désormais plus. Les dix années suivantes voient ces jeunes artistes s’essayer à de nouveaux répertoires, signer quelques contrats et surtout sillonner la ville, dans une période où s’affirment le disco, les sonos... mais aussi le mythique groupe Tri Yann. En 1976, le public découvre les premiers pas du guitariste Philippe Ménard au sein de Carol, puis de Tequila. Une formation qui ne vivra que peu de temps mais qui signe la naissance du "rock nantais."
Un concours d’accordéons à l'origine du rock nantais
À la fin des années 70 et début des années 80, la France découvre le rock made in France, et le chef-lieu de Loire-Atlantique n’est pas en reste : concerts dans les bars et au Cinéma de l’Atlantique (quartier Sainte-Thérèse), le festival "Les Affreux s’éclatent" à l’Université de Nantes, celui de Carquefou (12 000 personnes en 1978), et même la fête du Parti Socialiste à Saint-Herblain en 1979... Une nouvelle génération d’artiste est bien décidée à montrer que ce genre musical ne saurait se limiter aux groupes britanniques ou américains. À l’aube des années 80, un concert intitulé "Derniers cris du rock nantais", regroupant les tout nouveaux groupes que sont Mickeynstein, Premier Poil et Algue, attire 800 personnes. "Derniers cris du rock nantais" ? En réalité, ce n’est qu’un début.
Si le terme "rock nantais" commence à fleurir dans la presse et semble annoncer une cohésion entre artistes, cette tradition encore très "années 60" de faire s’affronter les groupes en "concours" contribue à entretenir un esprit de compétition. En réalité, deux clans s’affrontent : les rockeurs purs et durs comme Tequila ou Dangers, et les petits nouveaux, comme Ticket et Mickeynstein, qui ont troqué le blouson de cuir contre le costard, les cheveux longs contre la coupe courte.
Si Rennes a fait largement cavalier seul dans les années 1980 avec ses Marquis de Sade, Niagara, Ubik, Sax Pustuls et autres Daho, la ville qui inspira tant Barbara place en ce début de nouvelle décennie pas mal de ses poulains au sommet de la scène française.
Sans imposer sa marque sur un son particulier, la ville est le témoin privilégié d’un phénomène rassurant ; la façon dont une génération bercée de culture anglo-saxonne impose sa langue à des références assumées sans complexes. Peu de rapport en effet, de prime abord, entre les frasques d’Elmer Food Beat, la pop intimiste de Dominique A et Françoiz Breut, le easy listening de Philippe Katerine et les guitares brûlantes de Dolly, si ce n’est cette volonté d’user et de jouer de la langue de Molière, là où beaucoup ont auparavant échoué.
Revenons justement sur Dominique A, l’une des figures majeures du rock français. Le 9 mars, l’auteur de La Mémoire Neuve sort son nouvel opus, Toute Latitude, un album mêlant rock, pop et électronique. L'exposition du Château des Ducs de Bretagne revient sur le parcours de Dominique Ané et présentera notamment sa chambre d'adolescent, lieu intime qui a vu naître un artiste aux multiples facettes. En 1991, l'artiste romantique, ténébreux et fan de new wave auto-produit son premier 33 tours, Un disque sourd, qu'il vend à la sortie de ses concerts nantais. L'année suivante sort La Fossette, premier album officiel produit par le label nantais Lithium. Aujourd'hui, la discographie de Dominique A compte 11 albums. Il a reçu en 2013 la Victoire de la musique de l'artiste interprète masculin de l'année.
Aujourd’hui, nous rappelle l’exposition, La scène nantaise est bouillonnante. On y croise aussi bien des phénomènes qui s’exportent comme C2C, Madeon ou Christine and The Queens, des stars montantes de l’électro (Elephanz, Pegase), des groupes pop pleins de promesses (Pony Pony Run Run, Von Pariahs, Marquees, Al Von Stramm), des pionniers du rock expérimental (Papier Tigre, Percevalmusic) ou des producteurs électro en plein revival 80’s (Anoraak, College). Elle est devenue une scène exigeante et vit un nouvel âge d’or. Qu’un lieu institutionnel comme le Château des Ducs de Bretagne s’intéresse à cette lame de fond artistique sonne comme une reconnaissance.
Tous à Nantes, donc. Et en musique.
"Rock ! Une histoire nantaise", Château des Ducs de Bretagne,
du 24 février 2018 au 10 novembre 2019
Catalogue de l’exposition, Rock ! Une histoire nantaise, de Laurent Charliot, Iéna Editions, 192 p., sortie le 24 février 2018
http://www.chateaunantes.fr/fr/evenement/rock
Dominique A, Toute Latitude, Wagram, sortie le 9 mars 2018
https://www.dominiquea.com
"La reine Christine"
Krondstadt Disorder © Nicolas de La Casinière
Orchestre Henri VanHuffel et les Roller - Auteur inconnu © DR
Les groupes ensemble magazine Best © Michel Embareck