Essai & BD ••• Patrice Guérin, Hergé face à son Fétiche
Des bulles pour balancer
L’ouvrage collectif #Balance ta Bulle (éd. Massot) est d’abord paru aux États-Unis sous le titre complet : Drawing Power: Women's Stories of Sexual Violence, Harassment, and Survival. Il s’agit d’un livre engagé et de combat contre les violences faites aux femmes, avec une caractéristique fondamentale : les dessinatrices, qu’elles soient célèbres (Emil Ferris ou Aline Kominsky-Crumb) ou non, témoignent de leur propre vécu avec sincérité et douleur, à telle enseigne que plusieurs dessinatrices se représentent dans leur propre case ("Sur la roue" de Hila Noah).
Depuis le mouvement #Meetoo, la réalité du harcèlement sexuel, des agressions banalisées et des viols souvent commis dans le cercle privé, qu’il soit familial, professionnel ou amical, s’est dévoilé au grand jour. Une réalité qui est loin de l’histoire ancienne : dans sa préface Diane Noomin, elle-même auteure de la première planche de l’ouvrage ("Chope-les par la chatte"), raconte que depuis la conception de cette BD collective "une collaboratrice a été violée et une autre a abandonné le projet parce que l’auteur présumé de son viol l’a poursuivie en justice". Voilà qui fait de ce livre collectif une arme militante. Minnie Phan le résume à sa manière en expliquant que #MeToo ne se résume pas à la condamnation, "c’est aussi résister et être solidaire" ("Deux mots").
Grâce à des récits d’une à huit pages maximum, 62 dessinatrices – dont une seule Française, hélas, Soizick Jaffre ("Les chiens sont lâchés") –, ont participé à ce projet qui met en image de manière tour à tour dramatique ("Choucroute" de Marcela Trujillo), réaliste ("Un genou à terre" d’Avy Jetter), faussement naïf ("Toujours là" de Nicola Streeten ou "Dessins" de Liana Finck) ), caustiques ("Au Marriott Marquis" d’Ariel Schrag) ou poétique ("Verdict" de Marian Henley) de faits survenus à leurs auteures.
Harcèlements de rue ("Omniprésent" de Miss Lasko-Gross, "L’odeur de tes cheveux" de Cathrin Peterslund) ou en entreprise ("M. Stevenson" d’Ebony Flowers, "La fête de la saucisse" de Sarah Firth), agressions dans les lieux publics ("Alibi" de Bridget Meyne), viols ("Baulanta" de Powerpaola, "Viol consenti" de Mary Fleener), relations toxiques et malsaines ("Asian girkls" de Meg O’Shea) : ce sont autant de thèmes racontées, qui ont tous en commun ces violences sexuelles dont #MeToo a jeté un éclairage cru depuis 2017.
62 dessinatrices, dont une seule Française, Soizick Jaffre
Des sujets lourds sont évoqués : le viol homosexuel ("Blâmer" de Sarah Allen Reed ou "Prêt à péter" de Carta Monir), les violences au sein des communautés musulmanes, en l’occurrence pakistanaise pour Sabba Khan ("Frontières brisées"), sans oublier les agressions faites aux enfants ("Superglue" de Joamette Gil, "Elle se laisse pas faire" de Tyler Cohen ou "Instantanés de bêtes sauvages" de Kaylee Rowena). Il y a aussi ces zones grises, comme les manipulations mentales venues d’un être que l’on aime ("Tout détruire" de Rachel Ang) ou de relations voulues et dérapant subitement ("Toutes ces années" de Trinidad Escobar ou "Prends-moi tout de suite" d’Aline Kominsky-Crumb).
Certaines BD sont plus explicatives, à l’exemple d’"Illusions de sécurité" d’Ajuan Mance ou "Bourbiers" de Caitlin Cass.
Des trouées lumineuses apparaissent aussi, que ce soit dans ces histoires vraies à la conclusion étonnante ("Viol accidentel" de Joyce Farmer) ou dans les messages de résilience : "On gère les traumatismes différemment. Mais du moment que ça marche, hein ?" dit J. Gonzalez-Blitz dans Jouer du "« Blackie »". Le dessin sert alors pour beaucoup de ces auteures à avoir "le dernier mot" ("Non conforme" de Jennifer Camper). La soif d’en sortir ("Rage Queen" de Lenora Yerkes) passe très souvent donc par le dessin, comme thérapie, si bien que, comme le dit Una, "au bout du précipice, la lumière m’est apparue" ("Les mots me manquent").
Soulignons aussi la qualité des travaux graphiques, avec les formidables planches de Roberta Gregory ("BD pour adultes"), de Kelly Phillips ("Feu intérieur"), de Cathrin Peterslund ("L’odeur de tes cheveux"), d’Avy Jetter ("Un genou à terre" ), de Lee Marrs ("Passée à autre chose") ou de Carol Tyler ("Tous ces Tommy"), pour n’en choisir que quelques-unes. Emil Ferris clôt ce recueil avec un magnifique récit qui retrace son parcours d’artistes sous le prisme d’un traumatisme, qui explique son travail sur les monstres.
Pour terminer cette chronique, citons au moins la liste exhaustive des contributrices : Rachel Ang, Zoe Belsinger, Jennifer Camper, Caitlin Cass, Tyler Cohen, Marguerite Dabaie, Soumya Dhulekar, Wallis Eates, Trinidad Escobar, Kat Fajardo, Joyce Farmer, Emil Ferris, Liana Finck, Sarah Firth, Mary Fleener, Ebony Flowers, Claire Folkman, Noël Franklin, Katie Fricas, Siobhán Gallagher, Joamette Gil, J. Gonzalez-Blitz, Georgiana Goodwin, Roberta Gregory, Marian Henley, Soizick Jaffre, Avy Jetter, Sabba Khan, Kendra Josie Kirkpatrick, Aline Kominsky-Crumb, Nina Laden, Mlle Lasko-Gross, Carol Lay, Miriam Libicki, Sarah Lightman, LubaDalu, Ajuan Mance, MariNaomi, Lee Marrs, Liz Mayorga, Lena Merhej, Bridget Meyne, Carta Monir, Hila Noam, Diane Noomin, Breena Nuñez, Meg O’Shea, Corinne Pearlman, Cathrin Peterslund, Minnie Phan, Kelly Phillips, Powerpaola, Sarah Allen Reed, Kaylee Rowena, Ariel Schrag, Louise Stanley, Maria Stoian, Nicola Streeten, Marcela Trujillo, Carol Tyler, Una, Lenora Yerkes et Ilana Zeffren.
Preuve que cet ouvrage s'avère exemplaire et indispensable, il figure dans la liste des meilleures BD du New York Times.
Collectif, #Balance ta Bulle, traduit de l’anglais par Samuel Todd, éd. Massot, 2020, 248 p.
https://massot.com/collections/balance-ta-bulle
Voir aussi : "Rose McGowan, prix Nobel de la Paix"
"Comics-19"
© Maria Stoian
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