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Hors-série Littérature classique - Page 3

  • Dante, voyage au bout de l'enfer

    john freccero,dante,divine comédie,virgile,béatrice,boèce,platon,aristote,saint augustin,thomas d’aquin,clément d’alexandrie,philon d’alexandrie,homère,théologieQue nous reste-t-il à apprendre de Dante et de la Divine Comédie, cette œuvre phare de la littérature italienne, sinon mondiale ? Depuis sa parution au XIVe siècle, tout ou presque a été dit et commenté au sujet du récit poétique de Dante Alighieri, relatant son périple dans l’au-delà, guidé d’abord par Virgile, en partant de l’enfer ("Lasciate ogne speranza, voi ch'intrate", "Laissez toute espérance, vous qui entrez"), jusqu’au purgatoire, puis au paradis où l’attend Béatrice, la femme qu’il a aimé depuis son enfance, qu’il a perdu et à qui il vouera le reste de son œuvre.

    John Freccero, universitaire américain spécialiste de Dante, a écrit une série d’articles sur la Divine Comédie, et ce sont ces articles qui ont été compilés pour former cet essai très impressionnant, Dante, une poétique de la conversion (éd. Desclée de Brouwer). D’abord publié en 1986 aux États-Unis, l’étude de John Freccero arrive enfin en France. Assez logiquement, les textes ont été classés non par date de leur publication, mais en suivant l’ordre du poème, en 17 chapitres, de l’enfer au paradis. Voilà qui donne à l’ensemble une belle cohérence en même temps qu’une solide rigueur scientifique.

    Voyage imaginaire, sinon terrifiant vers l’au-delà, la Divine Comédie est étudiée grâce à l’universitaire émérite sous l’angle d’un voyage intérieur "vers la vérité", en somme une quête à la fois religieuse et poétique qui permet au lecteur de 2019 de se replacer dans le contexte de l’homme de lettres du XIVe siècle que fut Dante nourri aussi bien de sources antiques que chrétiennes qui font sens ici : "Le pèlerin doit luter pour parvenir dans la caverne, où Platon suppose que commence ce voyage."

    "Le voyage de la Divine Comédie commence par une conversion" commente John Freccero au sujet des premiers chants de l’Enfer. S’appuyant sur Platon (Timée), Aristote, s. Augustin, Clément d’Alexandrie, Philon d’Alexandrie ou Jean l’Évangéliste, l’universitaire américain montre toute la portée allégorique de ce voyage du corps qui est aussi celui de l’âme. Avec une rare érudition, John Freccero fait se répondre "cosmos aristotélicien", théories du désir chez Platon et Aristote, réflexions sur les péchés chrétiens et propos sur la chute originelle pour parler de ces limbes que doit traverser le pèlerin.

    Roman autobiographique

    Assez singulièrement pour un tel ouvrage, John Freccero parle de la Divine Comédie comme d’un "roman autobiographique". Dante, pèlerin de l’au-delà, entame un voyage imaginaire, une épopée homérique au sens premier du terme (chapitre 8), qui est aussi celui d’un homme nourri aux sources religieuses du Moyen Âge. Ce périple surnaturel – parlons aussi de "conversion" – suit un mouvement circulaire que le chercheur américain développe avec précision dans le chapitre 4 de l’essai, avec toujours une somme impressionnante de références littéraires : Boèce, Platon, s. Thomas d’Aquin, Aristote ou Virgile, le guide de Dante jusqu’aux portes du paradis. Ces références font d’autant plus sens que John Freccero parle de l’importance de l’itinéraire intellectuel, artistique et poétique – dit autrement, pour reprendre Virgile, de "l’analogie entre la créativité divine et l’industrie humaine".

    Finalement quel est le but du voyage de Dante ? Certainement "une sorte de Mont de Parnasse" répond l’universitaire, qui développe assez longuement la célèbre citation de l’entrée aux enfers. Pour ardue que soit l’exégèse de John Freccero, elle permet au moins d’éclairer l’explication du terme de "Comédie" (Commedia), à mettre en corrélation, si l’on veut, avec cette ironie dont parle l’auteur : "l’enfer [comme] imitation du réel."

    L’expérience personnelle de l’auteur ("roman autobiographique") est bien entendu au cœur de la Divine Comédie, notamment dans le chant de la méduse (Enfer, chant IX), qui est aussi un chant d’amour pour Béatrice : "le mot « Amour » est donc le lien qui unit le ciel à la terre et le poète à son auditoire, contenant en lui-même la substance du poème". "La regénération du pèlerin", qui passera par le purgatoire avant d’atteindre le paradis, est aussi une construction poétique indissociable de la recherche mystique. John Freccero parle de "maturité poétique atteinte par Dante" lorsqu’il écrit son chef d’œuvre. Un chef d’œuvre à la fois mystique, poétique et littéraire dans lequel le voyage vers l’au-delà est aussi celui, allégorique, de la poésie, de la métaphysique, du conte philosophique et de la recherche artistique : "L’histoire du pèlerin conduit au moment où il acquiert le statut de conteur, de sorte que l’histoire que raconte la Divine Comédie est en partie l’histoire de la façon dont cette histoire a été écrite." Avec, pour muse, son amour de toujours, Béatrice.

    John Freccero, Dante, une poétique de la conversion
    éd. Desclée de Brouwer, CNL, 546 p., 2019

    https://www.editionsddb.fr/auteur/fiche/54102-john-freccero

    Voir aussi : "Death is not the end"

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  • Heureux comme Sade en Italie

    marquis de sade,italie,rome,naples,florence,siècle des lumières,michel delon,vincennes,pierre leroy,carnet de voyageDurant l’été 1775, le marquis de Sade est pris à la gorge par trois sérieuses affaires de mœurs à Arcueil, Marseille puis Lacoste. Malgré le soutien de sa famille, dont sa femme Renée-Pélagie de Montreuil, marquise de Sade, le futur auteur des Cent Vingt Journées de Sodome fuit incognito pour l’Italie, sous le pseudonyme du comte de Mazan. Après un passage à Turin, Parme et Bologne, il parvient à Florence le 3 août 1775. Il est à Rome en octobre 1775. Il y reste jusqu’à la fin de l’année, avant de se rendre à Naples pour un séjour de janvier à mai 1776. Durant l’été, il est de retour en France. Six mois plus tard, il est arrêté et incarcéré à Vincennes. C’est le début d’une longue période de captivité, mais aussi d’écriture forcenée, sombre et explosive.

    De son excursion en Italie, le marquis de Sade ramène un journal de voyage, en réalité un véritable work in progress que les éditions Flammarion présentent dans une édition établie et commentée par l’universitaire et spécialiste du siècle des Lumières, Michel Delon. Il signe également une préface éclairante de ce Voyage d’Italie, indispensable pour entrer dans un ouvrage à la fois documenté, inachevé et essentiel dans l’œuvre de Sade. Un entretien avec le collectionneur Pierre Leroy vient compléter cet ouvrage.

    Critique sur les traditions comme sur les mœurs des habitants

    Avec le recul le périple du marquis de Sade organisé dans l’urgence afin d’échapper à la justice française est l’une de ses périodes les plus enthousiasmantes. Son séjour dans la péninsule italienne lui permet de découvrir un pays passionnant, aux trésors antiques et artistiques inestimables, ce qui ne l’empêche pas de se montrer critique sur les traditions comme sur les mœurs des habitants : "Il faut convenir (…) qu’on trouve des vertus au travers de tous les vices dont je viens de caractériser cette nation. Le peuple, sans doute, est rustique grossier, superstitieux et brutal, mais il a de la franchise et même quelque fois de l’aménité…"

    Sade est un voyageur avide de documentations comme d’expériences. Il y rencontre plusieurs femmes, connaît des relations parfois sulfureuses et croise quelques aventuriers comme lui. Le marquis ramène d’Italie de multiples cahiers, dossiers, feuilles et notes qu’il ne mettra jamais en forme de son vivant mais dont il se servira pour ses livres futurs, dont L’Histoire de Juliette (1799). Le lecteur trouvera quelques pages pittoresques sur des monuments qu’il découvre à Florence, Rome ou Naples. Il est par contre beaucoup plus dissert et caustique lorsqu’il est question de folklores et de traditions. Plus surprenant, le marquis de Sade se montre offusqué lorsqu’il est question de crimes et de mœurs qu’il juge choquants : "Les murs épais et reculés des vastes palais de la noblesse recèlent, dit-on, bien des horreurs. Et combien de jeunes malheureuses, conduites furtivement et de nuit dans ces criminelles enceintes, y ont-elles laissé leur honneur et la santé !"

    Le lecteur sera surpris par ces lignes écrites dix ans avant Les Cent Vingt Journées de Sodome ; il le sera moins par cette forme de confession : "Cette manie bizarre de faire le mal pour le seul plaisir est une des passions de l’homme la moins comprise et par conséquent la moins analysée."

    C’est en Italie que Sade se laisse porter par ses rêveries les plus lumineuses – nous sommes en plein Siècle des Lumières. Il y connaît le plaisir de l’aventure et des découvertes, et se montre même philosophe éclairé. Michel Delon conclue ainsi : "Imagine-t-on Sade heureux ? En Italie, pourquoi pas ?"

    Sade, Voyage d’Italie, préface et commentaires de Michel Delon
    éd. Flammarion, 2019, 305 p.

    http://www.sade-ecrivain.com

    Voir aussi : "Sade, celui que l'on aime détester"

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  • Zola à l’honneur

    Claude Sabatier présentera et dédicacera son livre Chroniques politiques de Zola (volume 1) [1863-1870] chez Classiques Garnier le samedi 1er décembre, de 17 h 30 à 18 h 30, au Hangar, 5 rue de la Forêt à Châlette, lors du festival "Autrement, Autres mots.

    Cet événement est organisé par un collectif d'associations (MRAP, Monde diplomatique, Collectif Immigrés, etc.) : Claude Sabatier évoquera l'engagement politique de Zola et ses combats humanistes, pour la patrie, la République, la laïcité, l'amnistie des Communards ou contre l'antisémitisme, avec l'Affaire Dreyfus.

    Sous la direction de Claude Sabatier, Emile Zola, Chroniques politiques. tome 1 (1863-1870)
    Avec Didier Alexandre, Philippe Hamon, Alain Pagès et Paolo Tortonese
    éd. Classiques Garnier, 669 p.
    Rencontre avec Claude Sabatier, le samedi 1er décembre, de 17 h 30 à 18 h 30, au Hangar, 5 rue de la Forêt à Châlette, lors du festival Autrement, Autres mots
    http://festivaldulivre.autrementautresmots.over-blog.com

    Voir aussi : "Zola, le journaliste politique"

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  • Zola, le journaliste politique

    claude sabatier,émile zola,tachan,essaiCoup de projecteur sur une aventure littéraire autant que scientifique autour d'Emile Zola, l'un des auteurs français les plus lus et les plus appréciés en France. 

    Le Montargois Claude Sabatier vient de sortir le premier volume des Chroniques politiques de Zola (éd. Classiques Garnier). Pour présenter cet ouvrage, la Librairie des écoles de Montargis (18 rue du Loing) organise une rencontre avec l'auteur le samedi 10 novembre 2018 à 17 h 00.

    Claude Sabatier, enseignant agrégé et docteur ès Lettres, avait sorti il y a quelques années un ouvrage sur Tachan (A propos de Tachan, éd. Arthemus, 2002), qui avait été le coup de cœur de l'Académie Charles Cros. Il sort aujourd'hui les Chroniques politiques (1863-1898) de Zola. Il en assure actuellement l’édition critique en tant que chercheur associé au Centre Zola dans le cadre de la publication par l’équipe de l’ITEM (Institut des Textes Et Manuscrits)-CNRS des Œuvres complètes de ce grand écrivain chez Classiques Garnier, collection Bibliothèque du XIXe siècle.

    Romancier célèbre pour les Rougon-Macquart, fresque sociale et politique d’une famille sous le Second Empire, Zola l’est un peu moins en tant que journaliste. Et pourtant, on redécouvre depuis peu sa vaste contribution à la presse de l’époque de 1863 à 1898 − point d’orgue avec le coup de tonnerre du « J’accuse » lançant l’Affaire Dreyfus. Le volume 1 évoque les débuts : Zola fait ses gammes et fourbit ses armes chez Hachette, s’essayant à la presse provinciale, populaire et mondaine, donnant sa pleine mesure dans les journaux républicains, où il répercute l’opposition croissante au Second Empire. Ses chroniques offrent une grande variété de thèmes – mondanité parisienne, flânerie méditative, vie politique – et déploient un large éventail de formes littéraires (récits, dialogues, lettres…) et de registres, du pamphlet à la satire. Le journaliste élabore des motifs et situations que le romancier développera ou transposera : la presse, alimentaire et polémique, annonce l’œuvre romanesque à venir.

    Je vous invite à découvrir cet ouvrage critique et à venir discuter avec Claude Sabatier à la Librairie des Ecoles de Montargis.

    Sous la direction de Claude Sabatier, Emile Zola, Chroniques politiques. tome 1 (1863-1870)
    Avec 
    Didier Alexandre, Philippe Hamon, Alain Pagès et Paolo Tortonese
    éd. Classiques Garnier, 669 p.
    Rencontre avec Claude Sabatier à la Librairie des écoles, 18 rue du Loing, Montargis

    Le samedi 10 novembre 2018 à 17 h 00
    https://www.lalibrairiedesecoles.com

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  • Bernanos, les robots et la jobsolescence

    Un spectre hante l'Europe et le monde : le spectre de l’intelligence artificielle. Voilà en substance – et en imitant l’introduction du Manifeste du Parti communiste de Karl Marx – les propos tenus le 20 juin dernier par le spécialiste de l’éducation Charles Fadel sur le site spécialisé CM Rubin World. Cette fondation s’est notamment donnée pour but de permettre à l’éducation de s’adapter à un monde de plus en plus mondialisé, pour le meilleur et pour le pire. Le site a donné la parole à Charles Fadel, fondateur et président du Center for Curriculum Redesign (CCR), également auteur d’un ouvrage de référence, Four-Dimensional Education: The Competencies Learners Need to Succeed (non-traduit en France).

    Charles Fadel ne fait pas preuve d’angélisme à l’égard de la révolution numérique et de son corollaire, l’intelligence artificielle (IA) : aux États-Unis, dit-il, dans les 15 ans, 38 % des emplois disparaîtront, annihilés par l’automatisation. La robotique atteindra des performances jamais atteintes, et qu’il sera impossible de freiner. Charles Fadel précise quels seront ces emplois en danger : ceux concernant les tâches routinières, qu’elles soient techniques ou non (comptabilité, centres d’appel, assistances basique, taxis ou sociétés de nettoyage). Autant dire qu’une pléthore de métiers est appelée à connaître une saignée dramatique.

    D’après l’auteur de Four-Dimensional Education, 9 à 50 % (sic) de la main-d'œuvre des pays développés est susceptible d'être automatisée au cours des prochaines décennies. Si le pronostic le plus optimiste laisse présager des troubles sociaux importants, le plus pessimiste fait figure de véritable cauchemar. L’automatisation des chaînes de productions automobiles avait envoyé en reconversion, au chômage ou à la retraite des millions d’ouvriers dans une relative indifférence ; qu’en sera-t-il lorsque les machines condamneront des centaines de milliers d’emplois à la "jobsolescence" ?

    La jobsolescence promise a, certes, son verso bénéfique : la création de nouveaux métiers. Charles Fadel prédit la naissance ou le développement de professions prometteuses : développeurs d’applications, ingénieurs de voitures autonomes, analystes en data, spécialistes en réseaux sociaux, opérateurs de drones ou designers écologiques. Le hic est que ces professions nécessitent un haut niveau d’expertise. Les places seront chères pour celles et ceux qui voudront être les acteurs de la révolution IA, comparable aux révolutions industrielles précédentes à ceci près que celle que nous sommes en train de connaître est lancée dans une course de vitesse effrénée. Contre cette roue infernale, notre atout majeur est l’éducation. Mais cette éducation devra faire sa mue pour donner des armes au plus grand nombre afin de s’adapter à cette mondialisation technique : "Nous avons besoin de courageux bâtisseurs de cathédrales! Nous devons également aborder les préjugés des experts traditionnels qui s'accrochent à leurs domaines étroits et aux vieilles expériences de nos parents."

    Il y a 70 ans, un auteur a prédit le mouvement technique et mondial de la robotique : Georges Bernanos, avec son essai polémique La France contre les Robots (éd. Castor Astral).

    Nous sommes en 1947. Dans un monde libéré du nazisme et tourné vers la lutte contre le communisme, l’auteur de Sous le Soleil de Satan lance un avertissement prophétique contre les machines et la technique : "La Civilisation des Machines est la civilisation de la quantité opposée à celles de la qualité. Les imbéciles y dominent donc par le nombre, ils y sont le nombre." En auteur catholique et engagé, Bernanos voit dans les robots la quintessence de l’inhumanité : "Dans la lutte plus ou moins sournoise contre la vie intérieure, la Civilisation des machines ne s’inspire, directement du moins, d’aucun plan idéologique, elle défend son principe essentiel, qui est celui de la primauté de l’action. La liberté d’action ne lui inspire aucune crainte, c’est la liberté de penser qu’elle redoute." Cette primauté de l’action et de l’efficacité nous renvoie à la réalité d’un monde libéral tourné vers la rentabilité à outrance. Bernanos a cette autre citation prophétique et ahurissante, écrite – rappelons-le – en 1947 : "Un jour, on plongera dans la ruine du jour au lendemain des familles entières parce qu'à des milliers de kilomètres pourra être produite la même chose pour deux centimes de moins à la tonne." Cela ne vous fait penser à rien ?

    70 ans plus tard, Charles Fadel fait écho à l’écrivain français grâce à cette alerte en forme de prière : "Nous devrons faire des efforts concertés entre les différents secteurs de l'éducation, des entreprises et des États pour s’adapter aux nouveaux emplois." Sans cela, il est fort probable que les robots et l’intelligence artificielle ne signent notre arrêt de mort : "Un monde gagné pour la Technique est perdu pour la Liberté", avertissait Bernanos en 1947. Nous voilà prévenus.

    CM Rubin World
    http://curriculumredesign.org
    www.twitter.com/@cmrubinworld
    Georges Bernanos, La France contre les Robots, éd. Le Castor Astral, 272 p.

  • Umberto Eco, un mélange

    Umberto Eco disait : "Celui qui ne lit pas, arrivé à soixante-dix ans, n’aura vécu qu’une vie : la sienne. Celui qui lit en aura vécu au moins cinq-mille". L'intellectuel, universitaire, essayiste, romancier et journaliste italien, décédé le 19 février 2016, vouait une vénération absolue pour la connaissance et la littérature. Jean-Christophe Buisson, du Figaro, était allé à sa rencontre il y a cinq ans, à Bologne, et parlait des rayonnages faramineux de sa bibliothèque personnelle de Bologne. Eco y conservait plusieurs dizaines de milliers d'ouvrages, conservés avec amour.

    Umbero Eco est mon auteur fétiche, et cela depuis des années. Il risque bien de le rester encore quelque temps. Pour ce billet, et parce que je tenais à parler de lui, j'ai choisi de compiler un mélange de critiques sur quelques-uns de ses principaux livres.

    L’Oeuvre ouverte

    eco,umberto eco,essai,roman,chroniquesAvec cet essai, paru en 1964, le jeune Umberto Eco s'ouvre les voies de la notoriété en s’intéressant à l'art d'avant-garde, au langage, à l'information, au signe et à la communication. Dans cette étude, austère et aride pour certains passages (notamment sur la différence entre information et communication), l'auteur italien s'avère passionnant dans sa vision de l'ouverture des œuvres d'art (modernes et contemporaines). Il est surtout convaincant dans son approche des romans de James Joyce : il parvient à montrer pourquoi les livres Ulysse et Finnegans Wake ont révolutionné la littérature en même temps qu'ils se situent dans la droite ligne de la culture occidentale. Il nous fait découvrir en quoi s. Thomas d'Aquin peut être considéré comme une référence capitale dans l'oeuvre de Joyce. Un essai lumineux.

    Umberto Eco, L’Oeuvre ouverte, éd. Seuil, Point, Essais, 314 p.

     

    Le Nom de la Rose

    eco,umberto eco,essai,roman,chroniquesLe Nom de la Rose, son premier roman (1982), qui est aussi son plus célèbre, a comme vampirisé le reste de sa production romanesque. Un moine franciscain et son jeune secrétaire sont chargés de résoudre les mystères de crimes qui ensanglantent un monastère. Il semble que ces meurtres ont pour origine l'imposante bibliothèque des lieux. Un polar médiéval devenu un classique qui est aussi un plaidoyer pour la tolérance et le savoir. Reste cette question que le lecteur peut se poser : qu'est-ce que la rose ? La bibliothèque de l'abbaye ? Un livre en grec tant convoité ? La jeune fille rencontrée et aimée par Adso de Melk ? Ou tout simplement la vie terrestre ? 

    Umberto Eco, Le Nom de la Rose, éd. Grasset, 543 p.

     

     

    Le Pendule de Foucault

    eco,umberto eco,essai,roman,chroniquesEn 1988, vingt ans avant Dan Brown et son Da Vinci Code (mais en plus subtil et plus ambitieux), le célèbre auteur italien proposait une relecture originale de la religion et des sciences occultes. L'histoire ? Trois amis italiens travaillant dans l'édition décident, par amusement, d'imaginer un vaste complot mené par une société secrète pour la domination du monde. Bientôt cette supercherie les dépasse complètement : et s'ils n'avaient pas réveillé des forces souterraines à force de les inventer ?  La lecture de ce livre est quelque chose d'assez unique, une vraie expérience en soi - pour peu que l'on dépasse les cinquante premières pages. Un must.

    Umberto Eco, Le Pendule de Foucault, éd. Grasset, 543 p.

     

     

    À reculons, comme une écrevisse

    eco,umberto eco,essai,roman,chroniquesSémiologue et romancier internationalement connu, Umberto Eco était également connu en Italie pour être un observateur attentif du monde contemporain. Ce livre est un recueil d'articles qu'il a publiés de 2000 à 2005. Avec un sens aigu de l'analyse, Ce spécialiste des signes, qui se fait aussi intellectuel engagé contre Berlusconi, interroge notre monde dit "post-moderne" : les néo guerres, le terrorisme, la paix mondiale, la dernière chance de l'Europe, l'intolérance ou la manipulation médiatique de Silvio Berlusconi. Un ouvrage intelligent et engagé qui appel au sursaut de l'intelligence et de la tolérance pour sortir des nouvelles barbaries.

    Umberto Eco, À reculons, comme une écrevisse, éd. Grasset, 420 p.

     

     

    La mystérieuse Flamme de la Reine Loana

    eco,umberto eco,essai,roman,chroniquesVoici un roman peu connu du maître italien mais qui mérite d'être redécouvert. La mystérieuse Flamme de la Reine Loana (2004) nous prouve qu'Umbero Eco n'était pas cantonné à la littérature scientifique. Nous suivons le personnage principak, Yambo, qui se trouve amnésique suite à un choc. Pour retrouver son passé, il part quelques jours dans la demeure de son grand-père où il a passé une partie de son enfance durant le fascisme italien et la seconde guerre mondiale. Là, Yambo découvre les lectures qui berçaient son enfance et son adolescence. Cette production d'Eco a été fraîchement accueilli à sa sortie. C'est injuste car voici un roman émouvant et érudit à la fois sur les thèmes de la culture populaire, des remords, des blessures de l'enfance, du sens de l'honneur et de l'idéal féminin. Seul regret : la fin du livre a tendance à tourner en rond.

    Umberto Eco, La mystérieuse Flamme de la Reine Loana, éd. Grasset, 489 p.

     

    Le Cimetière de Prague

    eco,umberto eco,essai,roman,chroniquesLe quatrième de couverture de ce livre paru en 2010 induit le lecteur en erreur en plaçant Le Cimetière de Prague dans la droite lignée du Nom de la Rose. En réalité, cette sixième production romanesque a bien plus de points communs avec Le Pendule de Foucault, fabuleux roman traitant avec maestria d'un complot universel des Templiers. Il est question dans Le Cimetière de Prague d'un complot imaginaire : celle de Juifs réunis un soir dans un cimetière de Prague et se mettant d'accord pour dominer le monde. Un thème hautement sulfureux qui a fait polémique en Italie. Le narrateur principal, Simon Simonini, brillant faussaire et antisémite notoire, raconte son travail de rédacteur qui aboutira à "l'évangile" antisémite des Protocoles des Sages de Sion. À la fois extraits de journaux intimes et de lettres, cette production littéraire s'apparente aux romans-feuilletons du XIXe siècle. Bien plus baroque que dans ses livres précédents, et non sans audace, Umberto Eco multiplie chausse-trappes, fausses pistes destinées à perdre le lecteur (qui est qui ?), conspirations fumeuses mettant en scène jésuites, franc-maçons, sectes diaboliques et d'authentiques personnages historiques (Alexandre Dumas, Garibaldi, Dreyfus ou le jeune Sigmund Freud). Un roman intéressant qui n'est sans doute pas le meilleur de notre plus brillant écrivain européen mais qui a le mérite de démonter avec talent la manière dont se créent des légendes comme celle des Protocoles de Sion.

    Umberto Eco, Le Cimetière de Prague, éd. Grasset, 551 p.

    Confessions d'un jeune Romancier

    eco,umberto eco,essai,roman,chroniquesLe quatrième couverture de ce nouvel essai d'Umberto Eco est trompeur et risque fort de conduire nombre de lecteurs dans l'erreur. Sans doute parce que c'est plus vendeur, l'éditeur présente Confessions d'un jeune Romancier (2013) comme d'une sorte de vade-mecum pour écrivain en herbe. C'est faire insulte à Umberto Eco, tant cet essai est moins un manuel pratique pour jeune écrivain en quête de succès, qu'une brillante présentation de la carrière de "jeune" romancier d'Umberto Eco (seulement sept romans à son actif, en comptant Le Cimetière de Prague publié après les conférences à l'origine de ce livre). Il y livre également sa vision du roman dans l'histoire de la littérature tout en répondant à quelques questions essentielles : comment lui vient son inspiration ? Quelles sont les contraintes de ses romans ? Quels sont les liens entre les intentions de l'auteur et les interprétations du(des) lecteur(s) ? Quelle est la réalité et la vérité des personnages romanesques (une question moins anodine qu'il n'y paraît) ? En quoi la sémiotique peut-elle s'intéresser aux personnages fictionnels ?  Eco termine cet essai par une partie étonnante et passionnante sur la place des listes dans son œuvre comme dans la littérature en général. Finalement, voilà un essai passionnant qui confirme qu'Umberto Eco reste l'un des plus passionnants intellectuel et artiste de notre époque.

    Umberto Eco, Confessions d'un jeune Romancier, éd. Grasset, 232 pages

    Site officiel d'Umberto Eco

  • L'apocalypse, c'est now !

    conrad,coppola,brando,roman,vietnam,afriqueDans l'histoire des adaptations cinématographiques, Apocalypse Now est remarquable à plus d'un titre. Un peu plus de cinq ans seulement après les deux premiers opus du Parrain – encore considérés aujourd'hui comme des films majeurs de l'histoire du cinéma – Francis Ford Coppola réussissait le tour de force de réaliser un autre chef-d'œuvre, majestueux, démesuré, ambitieux et inoubliable.

    L'autre exploit du réalisateur américain est d'avoir pu adapter un court roman (ou longue nouvelle) de Robert Conrad, Au Cœur des Ténèbres (1902). Cet ouvrage dense, lyrique et elliptique paraît a priori des plus éloigné de son adaptation cinématographique, Apocalypse Now. Une trahison de ce classique de la littérature anglaise, diront les esprits chagrins, tant semble avoir été oublié chez Coppola ce qui fait le centre du livre originel : la plongée dans l'Afrique coloniale du XIXe siècle, sous les yeux d'un officier de marine, Charles Marlowe, chargé par ses commanditaires belges de mettre hors d'état de nuire un dangereux directeur de comptoir, Kurtz. Cet homme, jusque-là bien noté et excellent collecteur d'ivoire, est devenu un responsable imprévisible et dangereux.

    Or, voilà justement le premier point commun avec Apocalypse Now qui se situe dans le Vietnam en pleine guerre de décolonisation : ce fameux Kurtz. Copolla, comme Conrad, en font ce personnage quasi divin, une sorte de prophète maléfique tombé dans une violence qu'il revendique, entouré d'une armée de disciples et de soldats prêts à donner leur vie pour lui obéir. En mettant à mal la logique banale de la violence, en en faisant le ressort d'une philosophie, Kurtz déclare la guerre à une société pas moins violente que lui – que ce soit dans un territoire colonisé (l'Afrique) ou un pays en voie de décolonisation (le Vietnam).

    Les thèmes de la violence, de son pouvoir de fascination, de la peur, du pouvoir de l'homme blanc et des dégâts du colonialisme sont au cœur des œuvres de Conrad et de Coppola. Mais là où l'auteur anglais (d'origine polonaise) utilise l'introspection d'un personnage s'exprimant à la première personne, narrateur lui-même introduit par un narrateur principal (une forme littéraire assez connue de "poupées gigognes"), le réalisateur américain déploie avec maestria une vision spectaculaire et démonstrative sur les ravages de la guerre et sur ses conséquences humaines. Comme dans Au Cœur des Ténèbres, un personnage (Martin Sheen, alias le capitaine Willard) fait figure de témoin autant que d'acteur dans cette quête vers le colonel Kurtz (Marlon Brando). Ce fou dangereux – aussi déifié dans le livre de Conrad qu'il n'est monstrueusement incarné dans le film de Coppola grâce au génie de Brando – n'apparaîtra qu'à la fin, au terme d'un long voyage apocalyptique.

    Le périple, justement, est l'épine dorsale du livre comme du film. Et dans les deux cas de figure, le moyen de locomotion – lent, facteur de danger mais aussi propice à la méditation – est le bateau. Fort opportunément, Coppola a choisi de ne pas faire voyager le capitaine Willard et son équipe sur les routes ou dans les airs, ce qui aurait pu être possible grâce à l'entremise d'un autre militaire devenu cinglé, le colonel Kilgore (Robert Duvall). Ce choix se serait avéré pour le coup une trahison de l'esprit de Conrad car c'est bien ce voyage au cœur des ténèbres (ou au bout de l'enfer, pour reprendre le titre d'un autre film sur la guerre du Vietnam) qui constitue la trame fondamentale de l'histoire. En remontant vers l'amont du cours d'eau, c'est aussi un périple vers la source du mal qui nous est présenté.

    La voix off de Martin Sheen décrit autant l'exploration d'un territoire en guerre, avec son cortège de violences (combats au napalm, mitraillages de civils innocents au son de la Chevauchée des Walkyries de Richard Wagner, viols, propagandes divertissantes via deux pin-ups aboutissant à rendre fous des soldats frustrés, etc.), que le dévoilement d'âmes humaines aliénées. Dans ce contexte, se demandent Conrad et Coppola, qui est Kurtz ? Ou plutôt : quel "autre" crime a-t-il pu faire pour devenir une cible à abattre, dans des territoires ravagés par l'inhumanité, la violence aveugle et le crime à grande échelle ? Cette question est posée par les narrateurs (Marlowe et Willard), une question si complexe qu'elle en vient presque à mettre entre parenthèse la mission d'élimination du "monstre" Kurtz. Que ce soit dans Au Cœur des Ténèbres ou dans Apocalypse Now, le dénouement tragique s'avère moins important que le voyage intérieur (mais aussi géographique) de ceux que l'on pourrait qualifier de messagers et qui ne sont rien d'autre que nos frères humains.

    Robert Conrad, Au Cœur des Ténèbres, éd. Gallimard, 198 p.
    Apocalypse Now (version Redux), de Francis Ford Coppola,
    avec Martin Sheen, Marlon Brando, Robert Duvall, Frederic Forrest,
    Albert Hall, Sam Bottoms, Larry Fishburne, Dennis Hopper, DG Spradlin
    et Harrison Ford, États-Unis, 1979, 3H35

  • Sade, celui que l'on aime détester

    jpg_4578613461_620f783cb1_z.jpgAlors que nous fêtons le bicentenaire de sa mort, qui connaît vraiment le Marquis de Sade ? Voilà une biographie passionnante qui permet de savoir "presque" tout sur l'une des figures les plus controversées de toute la littérature. Maurice Lever, grâce à une documentation importante (pas moins de 300 p. de notes, d'index et de bibliographie : le livre fait plus de 900 p.) ne cache aucun des aspects du "divin Sade", même les plus noirs.

    Car l'auteur des 120 Journées de Sodome, de Justine ou de La Philosophie dans le Boudoir a passé de nombreuses années en prison et terminé sa vie dans un asile. Né en 1740 sous l'Ancien Régime et mort sous la Restauration en 1814, Sade, n'a été épargné ni par les Royalistes, ni par les Révolutionnaires (dont il fut pourtant un militant engagé, malgré son statut aristocrate !) ni par Napoléon Ier. Coupable à plusieurs reprises de violences sexuelles et de détournements de mineur(e)s, le pouvoir ne lui a en fait jamais pardonné son libertinage et surtout ses écrits sulfureux.

    Personnage charismatique, tour à tour passionnant, pathétique ou insupportable, le marquis de Sade reste une figure majeure de la littérature. Maurice Lever parvient à nous rendre ce personnage très proche et finalement à mieux comprendre ses écrits.      

    Maurice Lever, Sade, éd. Fayard, Paris, 659 p.