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solitude

  • Chanter dans les forêts de Sibérie avec Jean-Baptiste Soulard

    Jean-Baptiste Soulard propose avec Le silence et l'eau un de ces bijoux qui capte l'intérêt dès les premières notes. Sois le dernier, qui ouvre cet opus tout en acoustique et voix, est un hymne au voyage et à la solitude apaisante mais aussi aux récits lointains : "Sois le premier à me raconter ces histoires /Sois la première à m'en parler / Soi-disant qu'il nous console/ Terre d'asile mystérieuse/ Soir-disant ivre d'alcool/ Loin de l'enfer loin de nos doutes." L'ailleurs de Jean-Baptiste Soulard est au cœur de ce magnifique premier album, véritable consolation pour nous, sédentaires : un authentique voyage du départ vers le Grand Baïkal dans sa "station Baïkonour."

    Qu'on se le dise : Sylvain Tesson a son pendant musical : Jean-Baptiste Soulard s’est inspiré de Dans les Forêts de Sibérie pour imaginer un opus folk nomade et aventurier. À l'instar de l'auteur de La Panthère des neiges (éd. Gallimard), il parle de la nature brute, des voyages à la rencontre de soi-même et de la fuite de l'hypermoderne solitude. Mais aussi chantre de la Russie des terres, "refuges de cœur." Pour l'accompagner, Jean-Baptiste Soulard a invité des artistes comme J.-P. Nataf, Luciole, Blick Bassy, Raphaël Personnaz qui a joué dans le film Dans Les Forêts de Sibérie... et Bessa que l'on retrouve sur le premier extrait Grand Baïkal.

    En écho aux mots de Sylvain Tesson

    L’ex fondateur du groupe Palatine fait de son opus le carnet de voyage d’un aventurier et artiste à la recherche d’un silence salvateur et d’une nature fondamentale : "Isba, isba / Cabane d'asile / Isba m'en tombent les bras / Calme-moi d'avril" (Isba).

    Derrière l'âpreté de cet album un magnifique album, faisant écho aux mots de Sylvain Tesson : "Si on me demande pourquoi je me suis enfermé ici je répondrais que j'avais de la lecture en retard..." (Dans Les Forêts de Sibérie). Le Silence et l'Eau de Jean-Baptiste Soulard est à la fois un opus à la facture pop-folk drakienne et un authentique champ expérimental pour "une vie ralentie" (Asile). Autrement dit, une forme d’utopie pour l’abandon de la vie moderne au profit d'une nature brute.

    Comble chevalier est un titre pop plus sophistiqué sur le thème d'un serment à l'exil : la fuite vers le silence et la nature, comme un "emblème" (Cerbère), devient un acte noble et un combat. Le voyage dans les grandes plaines sibériennes ne sont pas pour autant des parties de plaisir : "Brûler brûler au fer rouge / brûler brûler au fer bleu / Il nous faut un seau d'eau pour éteindre l'incendie…" les piqûres d'insectes, la souffrance, les aléa climatiques : la beauté de la nature sait se faire payer chère, mais lorsqu'elle s'offre, elle sait être généreuse et lumineuse (Débâcle) et peut aussi proposer des rencontres humaines incroyables (Leur peau).

    Au fur et à mesure que l'album se déroule, l'album devient souriant et moins grave, comme si l'auditeur se trouvait en terrain familier (Les vents contraires, Respirer) : "Parvenir à respirer sans forcer le combat / Partir / Parvenir à décoller sans écarter les bras / Réussir."

    Fondamental, unique et majestueux.

    Jean-Baptiste Soulard, Le Silence et l'Eau, Horizon / Un Plan Simple / Sony, 2020
    https://www.facebook.com/soulard.jeanbaptiste

    Voir aussi : "Le Grand Paon est un animal de nuit"
    Voir aussi : "Et au milieu coule le Rhin"

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  • Marie Noël, jour après jour

    marie noël,poésie,poèmes,religion,dieu,solitude,christianisme,colette nys-mazureC’est l’une des très grandes femmes de lettres du XXe siècle – à l’égal d’une Colette, selon Montherlant – mais dont la renommée peine à s’imposer. Marie Noël est oubliée, et c’est injuste. Il faut dire aussi que cette auteure bourguignonne (comme Colette, d’ailleurs), n’aura jamais bougé d’Auxerre et a cultivé une forme de discrétion tout au long de sa vie ("Et quand tu m’écouterais, / Quand tu suivrais à mesure / Tous mes gestes, tous mes pas, / Par le trou de la serrure… / Tu ne me connaîtrais pas"), discrétion qui lui a survécu, hélas.

    Il est temps sans doute, de découvrir ou, pourquoi pas, de redécouvrir Marie Noël (1883-1967), récompensée en son temps de prestigieux prix (Académie Française, Société des gens de lettres ou Société des Poètes). Le Chant des Jours que publient les éditions Desclée de Brouwer, et dont le titre renvoie à ses Chansons, est une manière d’entrée en douceur dans une œuvre à la tonalité incomparable, tour à tour sombre, lumineuse, désespérée et aux éclats de lumière incroyables.

    La romancière et essayiste Colette Nys-Mazure a compilé dans cet ouvrage une sélection de textes, toujours très brefs, pour rendre Marie Noël accessible au plus grand nombre : "Quoi de mieux qu’un livre de poche lu par bribes dans le métro, l’avion, à la pause-café ou dans un lit d’hôpital, glissé sous l’oreiller à la place du téléphone ?"

    Le Chant des Jours c’est 365 jours avec Marie Noël, donc. Chaque mois de l’année correspond à une thématique abordée : la difficulté de se connaître soi-même, l’amour espéré et redouté, le repli et l’envol, la détresse et la confiance, la nature, les exigences de la création, le chez-soi, la solitude, le temps et la croyance. Une sorte d’almanach, donc, qui n’est pas sans rappeler cet autre : Almanach pour une jeune fille triste (2011, posthume).

    Le choix éditorial a été de proposer des textes extraits de poèmes s’étalant sur plusieurs jours, à l’instar de Ronde : "Mon père me veut marier, / Sauvons-nous, sauvons-nous par les bois et la plaine, / Mon père me veut marier, / Petit oiseau, tout vif te laisseras-tu lier ?" (7-12 juillet).

    L’humour et l’autodérision ("Je ris… Je me moque un peu de moi") est présent, sans pour autant que Marie Noël ne doute que l’écriture est ce qui la fait avancer, avec toujours le regard d’une femme croyante, pieuse (un procès en béatification est d’ailleurs en cours), mais d’une grande humilité.

    Le regard noëlien d’une femme rejetée, rappel d’un amour de jeunesse déçu

    Cette grande solitaire ("Il se fait tard. Personne ne viendra plus maintenant…") se confie via des textes denses, qui chantent le dépouillement, les autres ou la nature, autant que le malheur, le désespoir ou la mort, "entre révolte et acquiescement", comme le souligne Colette Nys-Mazure. Et avec toujours une importance laissée au sacré et à la foi. Les passages choisis pour les premiers jours de février renvoient ainsi au Cantique des Cantiques ("Mon bien-aimé descend la colline fleurie / De blé noir, / Très lentement par les champs pâles… C’est le soir"), mais cette fois avec le regard noëlien d’une femme rejetée, rappel d’un amour de jeunesse déçu ("Mon bien-aimé passa, voilé de rêverie, / L’âme ailleurs, / Sans rien me dire hélas ! Sans me voir, et j’en meurs"). L’amour apparaît chez elle comme un Souverain Bien inaccessible, et en tout cas pour lequel elle ne semble pas être destiné ("Dans l’Amour, si grand, si grand, / Je me perdrai toute / Comme un agnelet / Dans un bois sans route").

    Cet amour inaccessible et finalement cette solitude qui l’a pesée toute sa vie ("J’ai tellement besoin d’un ami que je l’invente"), on le doit sans nul doute à une éducation rigide, tiraillée entre un père philosophe, agnostique et dur ("- Va prier le soleil pour que mon champ prospère. / C’est ta dot qui mûrit dans nos blés. / Oui, mon père") et une famille pétrie dans une culture catholique extrêmement rigide ("Sommes-nous au couvent ?" demande-t-elle avec une ironie mordante) : une éducation qui est pour beaucoup dans le parcours personnel et artistique de Marie Noël ("Famille d’autrefois en province, composée de gens qui retombent – les femmes surtout – indéfiniment les uns sur les autres"). L’auteure parle également d’une des grandes déchirures de sa vie : la mort prématurée de son jeune frère Eugène en 1904 ("Sœur, la chanson d’amour que tu savais naguère, / Celle où passe un oiseau, chante-la… / Oui, mon frère" fait-elle dire à cet enfant qu'elle ne cessera jamais de pleurer).

    Artistiquement, le lecteur trouvera dans Le Chant des Jours des textes consacrés à son travail littéraire. Marie Noël l'appréhende comme une artisane à la recherche de la phrase parfaite, sans fioriture ("Ce que tu as dit en dix mots, tâche de le dire en sept. En trois si tu peux") mais aussi comme une poétesse en recherche perpétuelle ("Je voudrais retrouver le pays natal de ma poésie, le nid perdu de ma chanson").

    Femme de lettres importante, mais aussi croyante tourmentée, Marie Noël résume elle-même ce qui pourrait définir son œuvre : "J’ai toujours pensé que pour découvrir dans un poète la source subconsciente de sa Poésie, il n’était que de noter les mots qui reviennent le plus fréquemment, les plus involontairement dans son incantation. Chez moi j’ai trouvé : chemin, noir, perdu, pâle, seul…" Il est à cet égard frappant que ce ne sont pas des termes ayant trait à la religion ou à Dieu qu'elle choisit. Profondément croyante, Marie Noël n’en retira finalement que peu de réconfort : "Dieu n’est pas un lieu tranquille," écrit-elle pleine d'amertume dans un texte que le lecteur trouvera singulièrement à la date du 25 décembre.

    Marie Noël, Le Chant des Jours, textes choisis par Colette Nys-Mazure
    Ed. Desclée de Brouwer, 2019, 141 p.

    http://www.marienoelsiteofficiel.fr
    http://www.marie-noel.asso.fr
    http://www.colettenysmazure.be

    Voir aussi : "Ça caille les belettes"
    "Dante, voyage au bout de l'enfer"

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