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  • Cher maître, doux élève

    Le baroque. Voici un genre musical qui était, dans les années 80, très populaire dans la musique classique – et même populaire dans la musique tout court. C’est avec un bonheur évident que l’on retrouve, dans l’album Dolce Pupillo, mené par Sonia Prina, Luan Góes et l’ensemble Les Furiosi Galantes, une compilation d’œuvres pour l’essentiel italiennes – et vocales.

    Tout d’abord, un mot sur le titre donné à cette compilation d’airs baroques. "Dolce pupillo", littéralement "doux élève",  rend hommage à la transmission maître-disciple, chaque morceau constituant une sorte de fil parental entre des compositeurs européens, qu’ils soient connus – Händel, Vivaldi, Scarlatti – ou plus au contraire confidentiels – Porpora, Bononcini ou Lotti.

    Dans la présentation du disque (on ne saurait, au passage, que conseiller aux auditeurs de se procurer l’album au format physique), Luan Góes explique que "chaque plage [du] disque est consacré à un compositeur successivement en lien (maître-élève) avec le suivant". Ainsi, le premier compositeur Nicola Porpora est suivi d’Alessandro Scarlatti, un de ses élèves, pareillement pour Händel suivi de  Vivaldi. Quant à Vivaldi, il a son pendant et élève en la personne de Johann Kaspar Kerll. Voilà qui est une idée à la fois géniale et pertinente, pour ne pas dire unique dans l’histoire de l’édition musicale.  Pour mener ce projet artistique passionnant, il y a deux artistes, le contre-ténor et chef d’orchestre Luan Góes – justement – et l’excellente contralto italienne Sonia Prina.  

    Nous voici dans un voyage baroque entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, période capitale dans le développement et le mûrissement de la musique classique. On ne saura jamais exprimer l’étonnement et l’admiration pour cette relative période qui a su faire émerger tant de génies – parfois méconnues – et d’œuvres éclatantes, colorées et au rythme parfois infernal l’aria "Empi se mai disciolgo" de Nicola Porpora dans l’opéra Germanico in Germania). Voilà qui tranche singulièrement avec son élève Scarlatti et son paisible "Dormi o fulmine di guerra" dans l’oratorio La giuditta (Nutrice). 

    Une idée à la fois géniale et pertinente, unique dans l’histoire de l’édition musicale

    Sonia Prina et Luan Góes se succèdent quand ils ne chantent pas en duo avec bonheur, que ce soit avec le "Son nata a lagrimar" de l’opéra Giulio Cesare de Händel ou le duetto "Pur ch’il and’io m’infiammo" de Giovanni Legrenzi. L’auditeur se plongera avec curiosité et sans aucun doute émerveillement sur des morceaux vocaux typiques du baroque : instruments anciens, timbres angéliques de contre-ténor (masculin) et contralto (féminin), sans compter l’expressivité des airs, si typiques de ce mouvement musical.

    Quelques morceaux sont certes purement instrumentaux, à l’instar de la Sinfonia Dorilla in Tempe de Vivaldi, la Sinfonia de l’oratori  Mosè de Giovanni Paolo Colonna, celle de l’opéra Alcina d’Händel, la Sonate XII pour deux violons solistes de Johannn Kaspar Kerll, très admiré en son temps par ses contemporains et un extrait du Concerto d’Henrico Albicastro. On retrouvera pareillement les "stars" du classique que sont Vivaldi (l’énergique et très vivaldien "Gelido in Ogni Vena", extrait de son opéra Farnace ou Händel, avec des extraits de ses opéras Giulio Cesare, Partenope et Alcina.  

    L’auditeur ira de découverte en découverte dans cet album au parfum onctueux et sucré qui va si bien au répertoire baroque. Pensons au magnifique et bouleversant aria "l’Augeletto finché stretto nel suo carcere" de Giovanni Bononcini interprété avec délicatesse par Sonia Prina ou, de la même chanteuse, le délicat "Discordi Pensieri" d’Antonio Lotti, l’un des maîtres du plus célèbres Carissimi. Parlons justement de Giacomo Carissimi, à l’honneur et interprété en duo par Sonia Prina et Luan Góes. A ce sujet, l’auditeur s’arrêtera sur le relativement court aria – un peu plus de deux minutes – "Rimanti in pace omai". Carissimi est resté comme l’inventeur de l’oratorio et est devenu un personnage capital dans la musique baroque – l’un des plus grands compositeurs italiens d’après certains.

    Le compositeur Agostino Steffani, l’un des élèves de Johann Kaspar Kell a droit à deux morceaux, dont un court récitatif de l’opéra Tassilone, suivi d’un aria, "Deh, non far colle tue lagrime al moi cor la morte amara". Luan Góes met toute son expressivité dans cet air bouleversant. Steffani est encore présent plus loin dans l’album avec un autre aria, le "Lumi, potete piangere". On est là dans une œuvre dont la retenue sied parfaitement bien au contre-ténor brésilien. Pouvons-nous dire que nous découvrons là une des plus belles voix baroques masculines actuelles ?

    On saluera la puissance, l’énergie, les couleurs et la sensualité des deux interprètes vedettes de l’album. Il n’y a qu’à écouter le "Furibondo spira il vento" de l’opéra d’Händel, Partenope, sans aucun doute l’un des plus beaux moments de l’opus. Sonia Prina, incroyable de maîtrise et de virtuosité, propose un morceau qui restera longtemps dans les mémoires.

    Le duo maître-élève Händel-Bononcini viennent clore un album fort bien conçu qui nous parle finalement de la transmission du Baroque, un genre musical entré dans la postérité et qui est l’une des meilleurs portes d’entrée vers la musique classique.

    Dolce Pupillo, Sonia Prina & Luan Góes, Les Furiosi Galantes, Indesens Calliope Records, 2024
    https://indesenscalliope.com/boutique/dolce-pupillo
    https://www.facebook.com/luangoescontretenor
    https://www.instagram.com/soniaprina13

    Voir aussi : "Pour l’amour de Clara"

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  • En suivant le fil de Khatia Buniatishvili

    Dans l’univers du classique, Khatia Buniatishvili fait partie des très grandes stars, à côté de figures comme Lang Lang ou Yuja Wang, pianistes comme elle.

    Aussi française que géorgienne, son pays d’origine, Khatia Buniatishvili a sorti il y a quelques semaines sa compilation, Labyrinth, que la musicienne décrit ainsi : "Le labyrinthe est notre esprit, souvenirs de notre enfance dans une perspective d’adulte… Le labyrinthe est notre destin et notre création."

    La pianiste laisse de côté les grands incontournables de cet instrument – si l’on excepte la première Gymnopédie de Satie, la Badinerie enlevée et jazzy de Bach et le Prélude op. 28/4 de Chopin – au profit de morceaux choisis avec soin pour illustrer les aspirations de l’instrumentiste dont le public d’admirateurs ne cesse de croître : "les rêves brisés" ("Le thème de Deborah"), "la Mère Nature" (la "Suite Orchestrale" de Bach), les émois adolescents (une "Vocalise" de Rachmaninoff), l’amour ("La Javanaise") ou la consolation (Liszt).

    Dans une pérégrination mêlant romantisme, classicisme, modernisme, audace, revisites et clins d’œil, Khatia Buniatishvili s’amuse à sauter à pieds joints d’un siècle et d’une époque à l’autre, sans se soucier des époques et des styles : sa version funèbre du "Thème de Deborah" d’Ennio Morricone côtoie "La Sicilienne" de Vivaldi et Bach, un "Intermezzo" de Brahms, une sonate de Scarlatti mais aussi les somptueuses "Barricades mystérieuses" de François Couperin.

    Une pérégrination mêlant romantisme, classicisme, modernisme, audace, revisites et clins d’œil

    Le contemporain a une place de choix avec Philip Glass ("I’m Going To Make A Cake"), Heitor Villa-Lobos ("Valsa da dor"), Arvo Pärt ("Pari intervallo") ou l’étude "Arc-en-ciel" de György Ligeti, un morceau aux envolées cosmiques, ponctuées de trouées sombres et de perles de pluie.

    Serge Gainsbourg a même les honneurs de la pianiste : l’admirateur de Chopin et Sibelius apprécierait certainement. À ce sujet, les fans de Gainsbourg et de Jane Birkin auront très certainement deviné derrière le "Prélude en mi mineur" de Chopin le thème de "Jane B." Plus étonnant encore, Khatia Buniatishvili propose une 17e piste intitulée 4’33’’ : l’auditeur n’entendra aucun son de ce morceau de John Cage qui propose 4 minutes 33 de silence métaphysique !

    La pianiste franco-géorgienne cache décidément bien son jeu : elle se fait également arrangeuse pour "La Sicilienne" de Vivaldi et Bach ou la célèbre "Badinerie" du Cantor de Leipzig, et même joueuse de jazz dans son adaptation de "La Javanaise" de Gainsbourg.

    Khatia Buniatishvili sort indéniablement des sentiers battus avec cet album classique mais aussi très personnel, à l’image de son interprétation bouleversante et de son commentaire sur l’Adagio de Bach réarrangé par Alessandro Marcello, qu'elle commente ainsi : "Si elle n’avait pas été absente, elle aurait marché pieds nus sur la terre chaude, elle aurait pensé : « Le printemps d’un autre est agréable regarder aussi. »"

    Khatia Buniatishvili, Labyrinth, Sony Classical, 2020
    https://www.facebook.com/khatiabuniatishvili
    http://www.khatiabuniatishvili.com

    Voir aussi : "Le trio Sōra vous souhaite un joyeux anniversaire, M. Beethoven"

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  • Scott Ross, la rock-star du clavecin

    Scott Ross, je l'ai découvert il y a quelques années, à la faveur d'une pièce d'Antoine Forqueray, Jupiter. Un choc inoubliable ! Dès la première écoute, l'auditeur est happé par la puissance de cette interprétation. 

    Scott Ross, claveciniste américain décédé en France du VIH à l'âge de 38 ans, détonnait par son look de rock-star et a contribué à populariser le clavecin. Oublions deux secondes son allure vestimentaire. Comme pour Glenn Gould, décédé six ans plus tôt (voir aussi cet article), c'est autant ses postures qui ont séduit ses contemporains que ses interprétations inspirées du répertoire baroque. Des interprétations colorées et dépoussiérant un genre considéré à tort comme élitiste et ringard. Grâce à Scott Ross, le clavecin n'était plus cet objet  intimidant et vieillot mais un instrument moderne, plein de fougue et de couleurs. 

    Un disque paru chez Erato, un enregistrement compilant des œuvres de Bach, Scarlatti, Haendel et Soler (mais pas Forqueray) permet de se faire une idée du génie de Scott Ross, l'homme qui est parvenu à faire du clavecin un instrument tour à tour divin et démoniaque. 

    L'album rassemble des pièces peu connues du grand public, à l'exception peut-être du Concerto italien de Bach. Scott Ross y étale sa virtuosité, son sens du rythme et sa fougue. La Sonate en ré mineur K9 de Domenico Scarlatti invite à découvrir le compositeur fétiche de Scott Ross, qui enregistra ses 555 sonates pour clavecin (en 1984, Ross en écrivit et en interpréta une 556e, un pastiche qui mystifia le public de l'époque). Alors que la passacaille de la Septième Suite de Haendel propose un moment contemplatif, l'air de la Cinquième Suite allie l'assurance à la vivacité. Cet album de compilation de Scott Ross, une excellente introduction à cette "rock-star du clavecin", se termine par deux pièces enlevées et mélodieuses d'Antonio Soler, un compositeur classique espagnol redécouvert par Scott Ross. 

    Fermez les yeux, plongez dans ce disque et redécouvrez celui qui reste le plus Français des interprètes américains. 

    L'Art de Scott Ross: Bach-Scarlatti-Handel–Soler, Erato, 2002
    http://scott.ross.voila.net