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homosexualité

  • Pauline Paris,  parle-nous de Renée Vivien

    Il y a des découvertes comme ça qui sont à la fois bienvenues et de véritables plaisirs.  

    Renée Vivien (1877-1909) sera sans doute une étonnante révélation pour beaucoup. Femme de lettres de la fin du XIXe et du XXe siècle, elle a laissé l’image d’une artiste en marge, poétesse, féministe et figure du saphisme. Elle fut entre autres amante de Natalie Barney et proche amie de Colette ou de Pierre Louÿs. Il faut lire, et en l’occurrence écouter dans la version musicale de Pauline Paris, le poème "Avril" pour comprendre pourquoi la redécouverte de cette poétesse est indispensable.

    L’enregistrement de Pauline Paris, sobrement intitulé Treize poèmes de Renée Vivien, est un excellent moyen de découvrir cette formidable femme de lettres de la Belle Époque, victime d’une "dépression suicidaire" à l’âge de 32 ans. Nicole G. Albert souligne dans le texte de présentation que Renée Vivien se disait mauvaise musicienne, ajoutant aussitôt que "chaque grand poète est un musicien". Voilà qui rend pertinent l’opus présenté par Pauline Paris.

    Dans les 13 titres de l’album, la Parisienne a choisi avec soin des textes exprimant tous à leur manière le désir, dans une langue baudelairienne et parnassienne ("La pleureuse"). Hélène Hazera commente ainsi : "À l’écoute, on remarque à quel point la versification de Renée Vivien est parfaite. Vers de huit ou douze pieds, alternance de rimes féminines et de rimes masculines".

    Odes amoureuses, chants de ruptures, déclarations enflammées : Pauline Paris s’approprie des textes mélancoliques, voire sombres, pour en faire des adaptations délicates ("Sans fleurs à votre front"), légères ("Fraîcheur éteinte") ou gourmandes ("Violettes d’automne"), comme autant de bouquets de renoncules. Pour autant, l’opus est traversé de vagues sombres ("Mon ombre suit comme un reproche… comme un remords", "Chanson pour mon ombre"). Pour faire vivre les Treize poèmes de Renée Vivien, Pauline Paris n’hésite pas à utiliser la pop-folk ("Sans fleurs à votre front"), le rock ("À l’amie"), le talk-over ("Chanson pour mon ombre"), le jazz ("Lassitude") et même la  pop tahitienne ("L’éternelle tentatrice").

    Surnommée "Sapho 1900", Renée Vivien propose des textes saphiques à la sophistication parnassienne : "Je t’aime d’être, ô sœur des reines de jadis, / Exilée au milieu des splendeurs de jadis, / Plus blanche qu’un reflet de lune sur un lys…"

    "Car j’osai concevoir / Qu’une vierge amoureuse est plus belle qu’un homme, / Et je cherchai des yeux de femme au fond du soir"

    "Parle-moi", à la facture parisienne période début XXe siècle, voit surgir des épines derrière un splendide texte au désespoir naissant et inéluctable : "Parle-moi, de ta voix pareille à l’eau courante, / Lorsque s’est ralenti le souffle des aveux. / Dis-moi des mots railleurs et cruels si tu veux, / Mais berce-moi de la mélopée enivrante."

    Dans "À l’amie", c’est une ode à une amante dont il est question, cette fois sur un rythme rock : "Ainsi nous troublerons longtemps la paix des cendres. / Je te dirai des mots de passion, et toi, / Le rêve ailleurs, longtemps, de tes vagues yeux tendres, / Tu suivras ton passé de souffrance et d’effroi."

    "Sans fleurs à votre front", l’un des plus brillants titre de cet album, se comprend autant comme le regret d’une amoureuse éconduite que comme une revendication assumée pour les amours saphiques : "Je ne suis point de ceux que la foule renomme, / Mais de ceux qu’elle hait… Car j’osai concevoir / Qu’une vierge amoureuse est plus belle qu’un homme, / Et je cherchai des yeux de femme au fond du soir".

    Née à Londres en 1877 (Pauline Mary Tarn dans le civil), Renée Vivien a proposé un poème en anglais, "The Fjord Undine" : Pauline Paris s’empare courageusement de ce conte gothique et romantique consacré à une ondine, dans un esprit très fin de siècle : "By one far-off autumn evening, beheld I the long-dreamed-of water-maiden, Undine..."

    Tout aussi lyrique et parnassienne, "Prolonge la nuit" est proposée par Pauline Paris dans une interprétation scandée, sombre et très contemporaine : "Prolonge la nuit, Déesse qui nous brûles ! / Éloigne de nous l'aube aux sandales d'or ! / Déjà, sur la mer, les premiers crépuscules / Ont pris leur essor".

    Impossible enfin de ne pas parler de l’album de Pauline Paris sans parler de ce très bel objet littéraire, éditorial, musical et graphique, car ces "Treize poèmes" se présentent comme une œuvre totale mêlant le CD de la chanteuse française, les textes de Renée Vivien, des textes de présentation et les magnifiques dessins à l’encre d’Élisa Frantz. Pour ce très bel album, Pauline Paris s’est vue décernée le Coup de Cœur de l’Académie Charles Cros 2020. Voilà qui est mérité. 

    Pauline Paris, Treize poèmes de Renée Vivien, Quart de Lune / ErosOnyx, 2021
    http://www.paulineparis.com
    https://www.instagram.com/paulineparisofficiel
    https://madeinfrantz.com

    http://www.renee-vivien.com

    Voir aussi : "Claire Gimatt, libre"

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  • Des hommes, des eaux et des arbres

    Sentinelle de la Pluie (éd. Héloïse d’Ormesson), le dernier roman paru de Tatiana de Rosnay, n’est pas le moins étonnant de l’auteure d’Elle s’appelait Sarah ou de Boomerang. Pourquoi étonnant ? Le lecteur trouvera certes quelques-uns des thèmes traversant son œuvre : les liens de sang, les secrets de famille ou les lieux imprégnés de souvenirs ; mais là où Tatiana de Rosnay a surpris ses lecteurs c’est le parti-pris de situer son histoire dans un futur proche, proposant un roman d’anticipation et le récit d’une catastrophe apocalyptique en même temps qu’un thriller psychologique et un drame familial.

    Linden Malegarde est l’un des plus célèbres photographes de son époque. Sa vie se passe dans les studios de shooting, entre son agent, des clients prestigieux, des mannequins célèbres et surtout son petit ami Sacha qu’il a laissé en Californie, le temps d’une réunion familiale dans un palace à Paris. Il doit y retrouver sa sœur Tilia et ses parents, Oriel et Paul à qui ses enfants ont décidé de fêter son soixante-dixième anniversaire. "Ce n’est peut-être pas le week-end idéal pour être à Paris" s’interroge la mère de Linden au début du roman, car la capitale est sujette à des pluies diluviennes, qui vont devenir l’une des clés de l’histoire. Il est vrai aussi que le vieux couple a accepté de quitter le paisible arboretum familial situé près de Nyons, dans la Drôme, pour un événement qui doit être l’occasion de réunir la famille. Les retrouvailles paisibles se transforment en un drame lorsque Paul s’écroule au beau milieu d’un dîner. Le père est conduit dans un hôpital pour y être soigné, alors que le déluge s’intensifie dans la capitale : la grande crue de 1910 risque bien d’être dépassée.

    Un livre sur les hommes – mais aussi sur les arbres

    Qui est-cette sentinelle dont nous parle le titre du livre ? Une première réponse se trouve dans une scène au cours de laquelle Linden veille sur son père hospitalisé, un père avec qui il n’a jamais pu discuter, ni parler de son coming-out et de Sacha : "Linden regarde à travers le carreau ruisselant, et il lui semble être devenu une sentinelle qui guette l’inévitable submersion aquatique, qui surveille son père, la pluie, la cité entière." Mais la sentinelle pourrait aussi être ce témoin muet et protecteur dont parle Paul au cours de sa propre histoire.

    Dans ce roman, aussi atypique soit-il, Tatiana de Rosnay est au cœur de ses sujets de prédilection : les liens familiaux, la difficulté à être soi lorsque des normes sociales vous contraignent, les secrets qui traversent les années voire les générations et les lieux qui peuvent être aussi bien des points de repère que des chaînes dont on veut se défaire. En apparence, Linden, artiste reconnu suscitant l’admiration de sa sœur et de ses parents, fait partie de ces personnages émancipés. En réalité, même s’il assume sa liberté en tant qu’homme et en tant qu’artiste, il lui reste une dernière barrière à franchir : celle du dialogue avec un père, dialogue qui, paradoxalement, finira par venir alors que ce dernier, dans un état grave, ne parvient pas à s’exprimer.

    C’est bien d’un échange entre deux hommes dont il est question dans ce livre : celui d’un fils qui veut aborder des sujets personnels ayant principalement trait à son homosexualité, mais aussi celui d’un père qui garde depuis son enfance un terrible secret. Au terme de ce séjour, Linden choisit de revenir quelques heures sur les lieux de son enfance afin de retrouver la trace d’une histoire qui devait rester cachée à jamais.

    À l’instar de Boomerang ou À L’Encre russe, Tatiana de Rosnay a écrit un livre sur les hommes – mais aussi sur les arbres. Certes, les personnages féminins sont passionnants, que ce soit Tilia (son nom signifie "tilleul" en latin, alors que "Linden" en est la traduction anglaise), Oriel ou Candice. Cependant, c’est autour du fils omniprésent et du père silencieux que se noue le récit d’une forme de réconciliation dans un Paris apocalyptique.

    Il a d’ailleurs beaucoup été question de ces crues qui forment la charpente du récit. Le récit familial se déroule lentement et inexorablement, à la manière de ces crues dévastatrices. Contrairement à son habitude, Tatiana de Rosnay a choisi de raréfier les dialogues, comme pour ne laisser aucun moyen de souffler au lecteur et de l’entraîner avec elle dans les courants implacables de son récit. L’auteure a aussi rappelé qu’elle a commencé à écrire son roman peu de temps avant les inondations de juin 2016, un événement qui lui a ensuite permis de donner aux scènes de crues un très grand réalisme : "L’insupportable odeur de putréfaction. Luisant et visqueux à cause de toutes les immondices échappées des canalisations crevées, le liquide jaunâtre exhale des miasmes pestilentiels..."

    Sentinelle de la Pluie déborde de signes, de symboles et de personnages se regardant tels des miroirs. Ils ont beaucoup à se dire, submergés par des souvenirs et des émotions : il a suffi d’une inondation pour mettre à bas toutes les digues.

    Tatiana de Rosnay, Sentinelle de la Pluie, éd. Héloïse d’Ormesson, 2018, 367 p.
    http://www.tatianaderosnay.com

    Voir aussi : "Tatiana de Rosnay, son œuvre"
    "Sous l'eau"
    "Je viendrai te chercher"

    "Inondations de Montargis"