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existentialisme

  • Sartre, l’œuf et l’humain

    Parlons théâtre, et plus précisément de Huis clos, le chef-d’œuvre de Jean-Paul Sartre. La Compagnie l’Œuf ou l’Humain propose une adaptation de cette pièce à La Folie Théâtre de Paris, depuis le 26 août et pour 34 représentations, jusqu’au 11 novembre.

    Trois personnes se retrouvent enfermées ensemble dans une même pièce. Leur présence n’est manifestement pas due au hasard… Petit à petit, le regard de l’Autre se mue en miroir insidieux où chacun est mis face à sa propre monstruosité et ses insupportables faiblesses, brouillant ainsi les frontières des genres et des identités. Quand les mots ne suffisent plus, la musique est là, grinçante et lancinante, pour exacerber la violence de leurs émotions.

    Une texture plus émotionnelle

    L'enfer, ce n’est pas tant les autres, c'est d’abord la relation qu’on entretient avec les autres. Quels que soient leur genre et le nôtre. Ce qui nous est infernal, c’est donc la manière dont on se perçoit soi-même, dans les yeux d’autrui.

    À la lecture existentialiste de l’œuvre de Sartre, la Compagnie l’Œuf ou l’Humain propose d’y ajouter une texture plus émotionnelle, avec l’utilisation de la musique composée par Valentin Santes, pour servir une adaptation sensorielle. Estelle, Ines et Garçin prennent, grâce aux interprètes, une dimension plus humaine que jamais.  

    "L’enfer c’est les autres" est la citation légendaire de Huis Clos, celle qui a marqué toute l’histoire de la pensée du XXe siècle. En incarnant les trois personnages de la pièce au rang d’hommes et de femmes, les créateurs de la pièce interrogent aussi celui du monstre et de la destruction de l’être social. 

    Huis clos, drame de Jean-Paul Sartre, par La Compagnie l’Œuf ou l’Humain 
    Avec Pauline Auriol, Axel Prioton-Alcala, Valentin Santes et Pierre-Louis Sémézis
    La Folie Théâtre de Paris, jusqu’au 11 novembre 2023
    Tous les jeudis, vendredis et samedis soirs à 21h30
    http://www.folietheatre.com/?page=Spectacle&spectacle=431

    Voir aussi : "Digne, quand tout s’écroule"

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  • Michel Foucault, l’archéologue du savoir

    Philosophie Magazine a eu l’excellente idée de sortir un hors-série sur Michel Foucault. C’est l’occasion ou jamais de s’intéresser au philosophe français disparu en 1984 et dont le quatrième tome inédit de l’Histoire de la Sexualité sort en ce moment. Foucault reste l’un des Français contemporain le plus connu à l’étranger et aussi l’un des intellectuels les plus influents de ces cinquante dernières années. Il faut dire aussi que les apports de Michel Foucault ont largement dépassé le cercle des initiés, comme l’ont prouvé ses cours au Collège de France, prisés par un large public.

    Comment expliquer le succès de cet intellectuel hors-norme, aux idées et aux travaux d’une pertinence toujours très grande en 2018, alors même que les théories de son contemporain Jean-Paul Sartre sont largement critiquées ?

    Sartre est du reste largement mentionné dans le hors-série de Philosophie Magazine. Une frise chronologique et comparative évoque les divergences et les rivalités de deux personnalités qui se sont affrontés, et dont l’un des paroxysmes fut la sortie de La Raison dialectique de Sartre en 1960 : "Magnifique et pathétique effort d’un homme du XIXe siècle pour penser le XXe siècle," étrille Foucault au sujet de l’ouvrage "hégélien" et "marxiste" de son confrère. Les événements de mai 68 permettent tout de même aux deux intellectuels de se rapprocher, sans pour autant que le fossé idéologique entre ces deux géants ne soit jamais comblé. Au cœur de cette rivalités, celui-ci fait figure de fossoyeur de l’existentialisme, au profit d’une "philosophie de l’histoire des sciences", comme l'analyse Frédéric Worms.

    Mais de quelles sciences parlons-nous au juste ? Une expression revient : "archéologie du savoir." Dans son ouvrage fondamental Les Mots et les Choses (1966), Michel Foucault s’efforce en effet de retrouver un socle commun aux sciences, un "inconscient du savoir" et une épistémè qui "ordonne secrètement le discours." Le philosophe se fait l’observateur critique de l’humanisme, jusqu’à oser cette phrase, en conclusion des Mots et les Choses, qui fera grand bruit : "L'homme est une invention dont l'archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la fin prochaine."

    L'homme est une invention récente

    Le hors-série revient sur des thèmes phares dans l’œuvre de Foucault : la folie et l’enfermement. Il en fait des objets d’analyse beaucoup plus proches de nous que ce que nous aurions pensé. Il les analyse sous le biais du pouvoir et du savoir, jusqu’à proposer une théorie lumineuse et bluffante : le concept du bio-pouvoir. Il écrit ceci : "Nous sommes sous le signe de la garde à vue. On nous dit que les prisons sont surpeuplées. Mais si c’était la société qui était suremprisonnée ?" Cette déclaration, écrite dans un manifeste du GIP (Groupe d’Intervention sur les Prisons) et datant de 1971, est d’une actualité criante. Il date bien avant le développement de l’informatique et des caméras de surveillance ou des réseaux sociaux. Antoinette Rouvray propose une relecture contemporaine de Surveiller et Punir (1975), à l’heure de Facebook, des algorithmes omniprésents et de l’individualisme. La philosophe ose un commentaire étonnant en expliquant en quoi ce que prônait Foucault s’est paradoxalement réalisé : "Ne pas être gouverné par autre chose que par soi-même. Et bien, on y est… et c’est l’horreur !"

    Un autre domaine phare a été étudié par Foucault, même s’il restera à l’état de projet du fait de sa mort du SIDA : l’histoire des sexualités. Le sexe doit-il se limiter au plaisir physique ? questionne le philosophe. Non, répond-il : le sexe est "une force créatrice que l’individu peut se réapproprier." Peut et doit. Du sujet le plus ancien, le plus débattu et le mieux universellement partagé, l’archéologue du savoir l’analyse finalement comme un domaine relativement récent dans l’histoire de l’humanité, à la fois tabou et utilisé par le bio-pouvoir : dressage des corps, contrôle de la société via les sexualités ou la régulation démocratique. Son Histoire de la Sexualité, commencé en 1976, reste l’un de ses ouvrages majeurs, resté inachevé mais dont le quatrième volume inédit, Les Aveux de la Chair, vient de sortir, plus de 30 ans après la mort de son auteur.

    Dans son engagement pour les libertés et la lutte en faveur du "soi", Michel Foucault s’est lui-même fait "expérimentateur et non pas théoricien." Et c’est un intellectuel attaché à l’éthique qui s’assume dans ses choix de vie (il est gay dans une France encore très homophobe dans les années 70 et 80).

    L'expérience du LSD en 1975

    "Me changer moi-même" et "se dépendre de soi-même" écrit-il, appelant à l’introspection pour ne pas esclaves de ses désirs, autant que pour expérimenter. À ce sujet, le hors-série relate un témoignage étonnant et édifiant. En 1975, Foucault est en Californie et découvre la Vallée de la Mort dans un road-trip psychédélique avec deux amis américains. Cette expérience n’est pas si anodine que cela : Simeon Wade, qui l’accompagne, témoigne de cette découverte du LSD et de l’impact que cette drogue a eu dans la vie comme dans l’œuvre de Foucault. Voilà qui peut donner une autre clé de lecture aux travaux du philosophe.

    Chercheur invétéré de la vérité, comme le rappelle le magazine dans une partie qui est consacrée à ce sujet, Michel Foucault n’a pas été sans aveuglement dans ses prises de position. L’exemple le plus criant est son soutien au renversement du Shah d’Iran et surtout au retour dans son pays de l’Ayatollah Khomeini en 1979. En théorisant sur cette révolution théocratique, "une spiritualité politique" comme Foucault le commenta non sans enthousiasme, l’intellectuel s’est fourvoyé dans un combat à la fois incertain et d’une utopie angélique.

    Finalement, c’est moins dans ses engagements politiques que l’archéologue du savoir est le plus notable mais dans ses réflexions sur la société, le bio-pouvoir et le rapport éthique à la vie et à la vérité. Le hors-série se termine par le rapport exigeant qu’avait Michel Foucault face à la mort, qu’il a eu le temps de voir venir. Comme souvent, il a vécu la mort comme une expérience, avec le même visage lumineux, un rire tonitruant et un sourire confiant à l’heure du dernier moment.

    Philosophie Magazine, hors-série, Foucault, Le Courage d’être Soi,
    Février 2018, 146 p.