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Winter is coming

C’est à un grand classique de la musique romantique que propose l’ensemble Miroirs Étendus. Le Voyage d’Hiver de Franz Schubert est proposé dans une version publique, enregistrée le 30 juillet 2023 à la Ferme de Villefavard dans le Limousin, avec Victoire Bunel (mezzo-soprano), Jean-Christophe Lanièce (baryton) et Romain Louveau au piano et à la direction. C’est en effet une interprétation à deux voix – masculine et féminine – qui est proposée ici, à rebours de versions solos et masculines plus classiques (celles de Dietrich Fischer-Dieskau en premier lieu), mais qui renoue ici avec une tradition plus ancienne comme le souligne Romain Louveau.

Les amoureux des lieder se raviront à l’écoute de ce voyage hivernal, dans lequel la nature, les saisons, le temps ou les intempéries font écho aux sentiments, à la mélancolie, à l’amour disparu et à la mort omniprésente. C’est l’âme du premier lied, Gute Nacht", interprété brillamment par la mezzo-soprano Victoire Bunel.

Ce Voyage d’Hiver, romantique et sombre, ne fait pas l’impasse sur les airs naturalistes, à l’image de cette girouette, dans le bref "Die Wetterfahne". C’est aussi ce village allemand (le délicieux "Im Dorfe"), un orage cinglant au petit matin (le bref lied "Der stürmische Morgen"), une corneille ("Die Krähe", cet "oiseau du malheur") ou bien ce tilleul aussi rassurant qu’un vieux sage ("Der Lindenbaum"). Un naturalisme qui ne laisse toutefois jamais longtemps de côté les affres de la douleur que Wilhem Müller, auteur des paroles, décrit avec une écriture concise qui n’en est pas moins poétique : "Des larmes gelées glissent de mes joues / Et je ne me rappelle pas avoir pleuré. / Ai-je pleuré ?" ("Gefror’ne Tranën", traduction d'Antoine Thiollier).  

Voyage réel, voyage mélancolique, voyage de souvenirs ou voyage métaphysique ? Un peu de tout cela à la fois. Cette œuvre s’écoute surtout comme une allégorie sur la mort inéluctable. La "Fixité" de Schubert ("Erstarrung") est l’impossibilité d’avancer dans la vie, que ce soit à cause de la neige ou à une douleur indépassable. "Mon cœur est mort" chante Victoire Bunet, prenant à bras le corps la musique de Schubert, impétueuse et tranchante, tel un vent glacial ne laissant aucun répit. Les "Inondations" ("Wasserflut") expriment ce flot de larmes, un flot ininterrompu que le poète voit ruisseler par les rues de la ville. Quant à l’amoureuse, elle est un fleuve impétueux, "aussi calme que la nuit", mais aussi insaisissable. Un cours d’eau mais aussi un arbre sur lequel l’amant grave le nom de son amour, tout comme la date et l’heure du premier baiser – comme de la séparation. A-t-on pu écouter déclaration plus romantique, qui parlera à toutes les générations ? La musique de Schubert se développe avec lenteur, grâce mais aussi gravité.

Voyage réel, voyage mélancolique, voyage de souvenirs ou voyage de souvenirs ? 

L’espoir et la joie viennent toutefois éclairer ce somptueux Voyage d’Hiver, à l’image de cette lettre attendue avec impatience par l’amoureux transit : le charmant "Die Post", interprété par le baryton Jean-Christophe Lanièce ("J’entends dans la rue le facteur / Pourquoi bas-tu si fort mon cœur ?"). L’heure de revoir la maison de l’être aimé est-il encore possible, interroge Schubert dans un lied bref et tourmenté ? "Je repense à ces jours heureux / Je veux encore une fois revivre ça / A nouveau sentir ce trouble / De me tenir paisible devant sa maison" ("Rückblick").

Le temps est-il notre ennemi ? Celui qui nous vole des instants de bonheur perdus à jamais ? La voix grave de Jean-Christophe Lanièce semble y répondre par le positif dans le sombre et poignant "Der greisse Kopf". Le givre, la neige et le froid parlent du temps qui passe, de la jeunesse trop tôt partie mais aussi de la vieillesse devenant une réalité soudaine "malgré la longueur du chemin".

L’artiste est "pensif" devant le constat d’un temps inexorable. Tel est le constat de Schubert dans "Letzte Hoffnung", "Dernier espoir"), un lied frappant par sa modernité (il a pourtant été composé, comme le reste de l’œuvre, en 1827). Pourquoi ne pas préférer le mirage qu’une invitation vaine ? ("Un malheureux comme moi sait qu’il y a toujours un rêve préférable à la nuit, au gel, au temps épouvantable : celui d’une maison, d’un coin de feu illuminé où nous attend une âme prête à l’amour" (le bouleversant "Täuschung"). Schubert a composé une œuvre à la charge émotionnelle puissante qui dit la solitude et la fuite des autres hommes. Une fuite au bout de laquelle il n’y aura qu’une seule issue, chante Jean-Christophe Lanièce.

Le voyage, en plein hiver donc, conduit le poète vers une auberge ("Das Witershaus"). Un bref repos est-il possible ? Même pas, car l’auberge est pleine et le voyageur malheureux doit passer son chemin, avec pour seul compagnon un bâton de marche. Du courage, il en faut pour ce périple au milieu de la neige et de la glace (le vaillant "Mut !) car le danger est là, comme le chante Victoire Bunel au sujet de feux follets capables de perdre l’arpenteur ("Irrlicht") et de le conduire vers le repos éternel (le sombre et épuré "Rast").    

L’auditeur sera sans doute frappé par cet éclat lumineux proposé par le lied bien nommé "Die Nebensonnen" ("Soleils parallèles"). Jean-Christophe Lanièce l’interprète telle une prière déchirante ("J’avais trois soleils à moi / Les deux meilleurs se sont couchés déjà / Toi, le troisième, s’il te plaît, disparais !"). Une autre éclaircie vient de ce délicat "Rêve de printemps" (Frühlingstraum"), l’un des rares lieder proposant au voyageur et poète des visions idylliques ("Il y avait des fleurs partout en couleurs, c’était le mois de mai, les prairies étaient vertes, les oiseaux chantaient fort").

Le Voyage d'hiver se termine avec le mystérieux et métaphysique joueur de vielle ("Der Leierman"), personnification d’une mort inéluctable, avec pour compagne la musique. Bien entendu.   

Franz Schubert, Voyage d’hiver,  Miroirs Étendus,  b•records, 2024
https://www.b-records.fr
https://www.miroirsetendus.com/un-voyage-d-hiver-2021

Voir aussi : "En image, en musique et en public"

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