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opéra de paris

  • Mi-figue, mi-raisin 

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    Voilà pour l’histoire, bien connue des fans de lyrique, qui savent aussi comment Mozart a su s’emparer de ce sujet léger, pour ne pas dire dépassé, pour composer une musique d’une fluidité, d’une élégance et d’une grâce inouïes, non sans ces moments où la douleur et le pathétique peuvent surgir derrière une mesure, une note ou un accent : que l’on pense à l’ouverture, au final du premier acte ("Si mora, sì, si mora") ou aux arias de Despina.

    L’Opéra de Paris en a proposé une interprétation inédite en 2017. L’orchestre était dirigé par Philippe Jordan sur une chorégraphie d’Anne Teresa de Keersmaeker. Cette version est disponible en DVD et Blu-ray chez Arthaus.

    Perplexité

    D’où vient cependant cette perplexité à la découverte de cette version du Così fan tutte, un opéra plus complexe que que l’on veuille bien le dire, comme le montre la fin – les noces des deux couples ?

    D’abord et avant tout, moins au décor (un entrepôt sans âme ) et à la mise en scène contemporaine – ce qui est maintenant monnaie courant, y compris et surtout dans les œuvres classiques – qu’à la chorégraphie.

    En faisant appel à la chorégraphe belge, l’Opéra de Paris a fat le choix d’un spectacle dans lequel le lyrisme serait étroitement lié à la danse. Et il est vrai que les danseurs et les danseuses font presque jeu également avec les chanteurs et chanteuses. C’est simple : ils fonctionnent en duo, soit muet, soit dansant.

    Ce qui est une bonne idée au départ devient un spectacle déroutant qui peut séduire comme il peut rendre hermétique. L’importance de ce Così fan tutte est donné autant aux voix qu’aux corps en mouvement, sur une scène vide.

    Il y a bien entendu la musique de Mozart, grâce à laquelle on pardonnera tout. Mais il faut aussi souligner l’interprétation pleine de verve de  Ginger Costa-Jackson dans le rôle de Despina. Disons-le : c’est elle sans doute la vraie grande surprise de ce Così fan tutte.

    Così fan tutte, opéra, Dramma giocoso de Wolfgang Amades Mozart, livret de Lorenzo da Ponte, avec Jacquelyn Wagner, Michèle Losier, Cyrille Dubois, Philippe Sly, Paulo Szot et Ginger Costa-Jackson, Arthaus, DVD, 2017
    Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, dirigé par Philippe Jordan
    Chorégraphie d’Anne Teresa de Keersmaeker
    Avec les danseurs et danseuses de la Compagnie Rosas
    https://www.operadeparis.fr/saison-17-18/opera/cosi-fan-tutte
    https://www.rosas.be/fr/productions/351-cosi-fan-tutte
    https://arthaus-musik.com/en/dvd/music/opera/media/details/Cosi_fan_tutte_3.html

    Voir aussi : "Toutes les mêmes, tous les mêmes"

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  • Deux pour le prix d’un

    Voilà à mon avis un des projets lyriques les plus étonnants de ces dernières années : proposer en une création unique deux opéras du XXe siècle, aussi éloignés l’un de l’autre que Le Château de Barbe Bleue de Béla Bartók et La Voix humaine de Francis Poulenc. Cette production de l'Opéra de Paris est disponible en DVD.

    Deux opéras du XXe siècle en un, composés à quelques dizaines d’années d’écart – 1918 pour l’un et 1959 pour l’autre – ayant pour unique point commun de parler de deux femmes piégées par l’amour et la mort : une épouse de Barbe Bleue et une amoureuse éconduite que Poulenc nomme simplement "elle", pour mieux en souligner l’universalité.

    Une création unique donc, favorisée par la durée courte de ces deux opéras : grosso modo une heure pour raconter deux tragédies, deux drames amoureux, qui nous parlent de tromperies, de personnages dupés et finalement de mort, à l’instar de l’opéra de Bartók, inspiré d’un célèbre conte.

    Krzysztof Warlikowski agence ces deux opéras, comme si l’un répondait à l’autre, au-delà des périodes difdérentes et de leur inconciliabilité apparente – l’adaptation d’un conte d’une part et un drame intimiste et moderne de l’autre. Il est vrai que pour Le Château de Barbe Bleue, le metteur en scène et l’opéra de Paris ont choisi un décor hyper moderne, délaissant le château traditionnel pour un intérieur clinique fait d’écrans HD, de canapé somptueux et de mobilier. Ce choix esthétique colle parfaitement avec le drame intimiste de Francis Poulenc.

    Le spectacle commence donc par Le Château de Barbe Bleue. Judith, jouée par une magnétique Ekaterina Gubanova électrisée, est follement amoureuse de son époux Barbe Bleue, l’inquiétant et torturé John Relyea. Tout juste mariée, la jeune femme découvre le château inquiétant du tueur légendaire. Bartók fait de cette demeure un être à part entière : "Ton château pleure", "C’est ton château qui soupirait", "Ton château saigne" : voilà ce que chante la nouvelle épouse de Barbe Bleue. Le lieu de ses crimes prend une figure métaphorique, pour ne pas dire psychanalytique : "J’assécherai les murs humides de mes lèvres" et "Les tristes pierres frémissent de plaisir" dit Judith à son mari, avant de réclamer de visiter le château pour découvrir ses secrets. Mal lui en prendra : "À présent il n’y aura plus que la nuit".

    Pour illustrer Le Château de Barbe Bleue, la mise en scène de Krzysztof Warlikowski s’appuie sur un décor glacial et inquiétant, traversé par des explosions de couleurs vives : la robe verte de Judith, la salle de torture rouge et les projections de sang sur les vidéos en noir et blanc de l’enfant. Le surréalisme et l’humour noir ne sont pas absents, à l’image de la boule de Noël, symbolisant l’empire dont se vante le meurtrier. Les projections d’extraits du film La Belle et la Bête de Jean Cocteau viennent donner un contre-point fabuleux à l’opéra de Bartók. Le metteur en scène veut aussi faire le lien avec le deuxième opéra, La Voix humaine, dont le livret a été écrit par Jean Cocteau lui-même. 

    Le moins que l’on puisse dire c’est que Barbara Hannigan donne complètement de sa personne

    Lorsque Le Château de Barbe Bleue s'achève sur l’image des victimes du criminel, une autre femme apparaît sur scène : Barbara Hannigan. La soprano canadienne, sans aucun doute l’une des plus grandes chanteuses lyriques du moment, porte à bout de bras l’œuvre de Poulenc, avec son audace, son engagement total, ses envolées bouleversantes ("J’ai eu un rêve...") et son expressivité, servie par une mise en scène tout aussi baroque. Le moins que l’on puisse dire c’est que Barbara Hannigan donne complètement de sa personne, comme elle l’avait montré dans Lulu de Berg, l’opéra où elle avait éclaboussé la scène de son talent exceptionnel.

    Cette version de La Voix humaine restera à coup sûr dans les annales. Pour ce mélodrame épuré – une jeune femme apprend au téléphone que son amant la quitte – Krzysztof Warlikowski choisit la même facture que sa mise en scène du Château de Barbe Bleue. Une audace récompensée : le spectateur oublie à quel point les opéras de Bartók et de Poulenc sont aussi éloignés l’un que l’autre.

    Contrairement aux représentations traditionnelles de La Voix Humaine, le téléphone est abandonnée dès le début de l’œuvre pour laisser voir une femme abandonnée et blessée, se refaisant à voix haute l’échange qu’elle a eue avec "lui".  En tailleur sombre, chaussures à talons hauts et fard à paupières dégoulinant, Barbara Hannigan traduit toutes les étapes de la rupture : la colère contre elle-même ("J’ai ce que je mérite") ou contre lui ("Regardez-moi cette vilaine petite gueule"), l’incompréhension ("Le coup aurait été trop brutal, tandis que là, j’ai eu le temps de m’habituer, de comprendre… Quelle comédie ?"), la rancœur ("Je te vois, tu sais"), la nostalgie ("Dans le temps, on se voyait. On pouvait perdre la tête, oublier ses promesses, risquer l'impossible") et l’amour malgré tout (" Dépêche-toi. Coupe ! Coupe vite ! Coupe ! Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime…").

    La Voix humaine fait du téléphone une "arme effrayante", alors qu’une arme – une vraie, celle-là – gît non loin d’"elle". Tout comme Le Château de Barbe Bleue, l’amour et la mort se disputent la première place, avec encore une fois une chanteuse majeure, Barbara Hannigan, à qui le public de l’Opéra Garnier a réservé un triomphe en 2015. Triomphe évidemment mérité. 

    Béla Bartók et Francis Poulenc, Le Château De Barbe Bleue/La Voix Humaine,
    opéras hongrois et français, mise en scène de Krzysztof Warlikowski,
    avec Barbara Hannigan, Ekaterina Gubanova, John Relyea et Claude Bardouil,
    Orchestre de Paris dirigé par Esa-Pekka Salonen, Arthaus Musik, 2018

    Filmé en direct du Palais Garnier en décembre 2015
    https://www.operadeparis.fr
    https://www.barbarahannigan.com

    Voir aussi : "Barbara Hannigan est Lulu"

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