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damien bonnard

  • Les Misérables vs La Haine

    Comparer les films Les Misérables, sorti il y a un an, et La Haine, dont nous fêtons cette année le 25e anniversaire a tout son intérêt, et mérite que l’on s’arrête sur ses deux films aux multiples points communs, mais aussi aux choix narratifs et visuels parfois différents, sinon opposés.

    Deux long-métrages salués par la critique, multi-primés (Prix du Jury au Festival de Cannes, César du meilleur film et représentant de la France aux Oscars pour Les Misérables et Prix de la mise en scène au Festival de Cannes, César du meilleur film et Prix Lumières pour La Haine), sans compter un large succès public et l’impression qu’ils marquent leur époque – même si, pour le film de Ladj Ly, il faudra attendre quelques années avant de l’affirmer de manière catégorique.

    La première ressemblance de taille de ces longs-métrages français réside évidemment dans la thématique et le décor : la banlieue parisienne et ses délaissés sociaux, qui se trouvent être des jeunes gens. Nous serions tentés de préciser qu’à chaque fois il s’agit de garçons et de jeunes hommes, les filles étant réduites le plus souvent à des seconds rôles, voire de la figuration, si l’on excepte toutefois la scène d’interpellation des jeunes filles à l’arrêt de bus dans Les Misérables ou à la scène de drague dans une galerie d’art dans La Haine.

    Ajoutons aussi que le mimétisme entre les deux films concerne aussi bien le minutage (5 mn seulement de différence) que le traitement des personnages puisqu’à chaque fois c’est un trio que nous suivons – masculin, répétons-le : Damien/Bento-Chris-Gwada (Damien Bonnard, Alexis Manenti et Djebril Zonga) pour Les Misérables et Vinz-Saïd-Hubert pour La Haine (au passage, les scénaristes ont choisi les prénoms des acteurs : Vincent Cassel, Hubert Koundé et Saïd Taghmaoui).

    Le mimétisme entre les deux films concerne aussi bien le minutage que le traitement des personnages

    Pour ces deux films que 25 ans séparent, la ligne narrative est simple : une journée a priori ordinaire au cours de laquelle trois personnages principaux traînent leur mal-être dans une cité populaire ravagée par la pauvreté, la saleté, les petites magouilles et le désœuvrement de ses habitants. Ici, nous avons trois ados allant d’un barbecue au sommet d’un immeuble à une excursion dans les beaux quartiers parisiens (La Haine) ; là, trois policiers font leur travail de ronde dans une ambiance lourde et vite explosive (Les Misérables). Le mimétisme entre ces deux films – n’en déplaise à Ladji Li – va jusqu’à la présence impromptue, voire surréaliste, de deux animaux : dans le film de 2019, un lionceau volé est le déclencheur d’une intrigue prête à exploser, alors que Mathieu Kassovitz fait de l’apparition d’une vache au milieu des tours un rare moment poétique, mais qui n’aura qu’une importance relative dans le scénario.

    "Une journée dans la vie de trois banlieusards", semblent nous dire les réalisateurs, sans toutefois que Ladji Li ne choisisse d’élargir son sujet sur une société fracturée, en évoquant la communion de tout un peuple lors de la coupe du monde de football de 2018 et la victoire de l’équipe de France. Ironique, car la parenthèse se referme bien vite pour plonger dans le drame de banlieues oubliées.

    Même s’il a nuancé ses propos, Mathieu Kassovitz a présenté lors de sa sortie en 1995 La Haine comme un film coup de poing "anti-flic." Ladji Li se montre singulièrement plus nuancé, alors qu’à l’époque de la sortie du film les violences policières étaient au cœur de l’actualité. En suivant non pas des jeunes de banlieue mais des policiers, le réalisateur prend le parti de la nuance, ce qui n’exclue pas la sévérité. La violence est omniprésente et n’est surtout pas dans le seul camp des policiers – Bento faisant même preuve d’une civilité frôlant la naïveté. Mathieu Kassovitz n’a pas non plus fait le choix du manichéisme, en dépit de sa charge contre les abus policiers (lors par exemple de la scène de la garde à vue) : les dernières minutes du film font de La Haine cet impitoyable brûlot renvoyant dos à dos policiers violents et adolescents desociabilisés et  devenus haineux.

    Esthétiquement, c’est là que les deux films divergent le plus, ce qui n’a pas empêché les réalisateurs d’obtenir chacun un prix de la mise en scène à Cannes. Pour Les Misérables, Ladji Li adopte un parti-pris naturaliste et hyperréaliste. L’utilisation de scènes filmées par drones a toute sa pertinence, puisque c’est un de ces appareils qui va être l’un des moteurs du drame. Mathieu Kassovitz choisit par contre une réalisation des plus classiques dans La Haine, tranchant radicalement avec une thématique très actuelle et le décor hyper contemporain : noir et blanc somptueux, cadrages travaillés, travellings lents, scènes larges et mouvements de caméra choisis avec soin.

    Deux films, deux époques, deux esthétiques mais un seul discours alarmiste sur la réalité des banlieues. Alors, oui, il n’y a pas dans La Haine ces éléments plus contemporains qui sont apparus depuis dans les banlieues (téléphones mobiles, réseaux sociaux omniprésents ou barbus islamistes), mais le discours de ces deux grands films disent finalement la même chose de ces zones abandonnées.

    Les Misérables de Ladj Ly, avec Damien Bonnard, Alexis Manenti et Djebril Zonga
    Drame français, 2019, 103 mn
    https://le-pacte.com/france/film/les-miserables
    La Haine de Mathieu Kassovitz, avec Vincent Cassel, Hubert Koundé et Saïd Taghmaoui,
    Drame français, 1995, 98 mn
    https://www.imdb.com/title/tt0113247

    Voir aussi : "La Haine ressort en salle"

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