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roman - Page 9

  • Tout le portrait craché de sa mère

    Les Réponses, le premier roman d’Elizabeth Little (éd. Sonatine), commence de manière singulière : Jane Jenkins, à peine trente ans, vient de sortir de prison après 10 ans d’enfermement pour le meurtre de sa mère, la respectée et respectable millionnaire Marion Elsinger. Un vice de procédure a permis à l’ancienne people de sortir prématurément de cellule, mais elle devient aussi l’une des personnes les plus haïe d’Amérique, notamment par Trace Kessler, un blogger qui a promis de la renvoyer en prison. Aussi n’a-t-elle d’autre choix que de fuir incognito grâce à son avocat Noah Washington.  

    L’ancienne prisonnière choisit cependant de fausser compagnie à son ange-gardien et de se rendre par ses propres moyens dans le Dakota du Sud : témoin d’un échange de sa mère avec un inconnu quelques heures avant sa mort brutale, elle trouve la trace de la petite ville d’Ardelle où elle pourrait bien trouver une certaine Tessa qui aurait un rapport avec sa défunte mère. Après un périple de quelques jours, elle arrive dans une région marquée par la conquête de l’or et qui est dominée par quatre familles. La clé du meurtre de sa mère pourrait bien se trouver dans cette ville où se déroule un festival local. Jane Jenkins s’y présente en historienne spécialisée afin d’intégrer la petite société notable.

    Cette enquête criminelle devient au fil des pages une quête identitaire  

    Pour son premier roman, Elizabeth Little frappait fort, avec ce thriller dense et cruel. Une fille de riche devenue matricide, puis détenue, part à la recherche de réponses sur le crime de sa mère : est-elle ou non coupable ? Elle-même n’en est pas vraiment certaine. Cette enquête criminelle – son enquête – devient au fil des pages une quête identitaire. Car la ville d’Ardelle et son double, la cité abandonnée d’Adeline, ont leur lot de secrets – souvent, du reste, des secrets de famille – et des faits divers que la police et la population se sont hâtées de cacher.

    Jane Jenkins, l’ancienne enfant gâtée de Californie et ex-prisonnière découvre une Amérique rurale inconnue et, partant, ses propres origines. Elle y découvre un milieu où tout le monde côtoie tout le monde. Les notables y font régner leurs influences, parfois avec cynisme et les habitants ne rêvent souvent que de fuir leur pays natal, en vain.

    Elizabeth Little a construit son personnage avec soin, grâce à une écriture racée : écrit à la première personne, Les Réponses montrent une jeune femme construite par une éducation bancale, cultivée par ses lectures à l’ombre et que 10 ans de prison ont rendu cyniques. Les hommes, en particulier, ne sont pas épargnés : lâches, sournois, sexistes, quand ils ne sont pas purement et simplement criminels, ils font figure de cibles favorites pour une auteure qui marquait là son entrée remarquée dans les lettres américaines.

    Je vous parlerai bientôt du dernier roman d'Elizabeth Little.

    Elizabeth Little, Les Réponses, éd. Sonatine, 2015, 448 p.
    https://www.lisez.com/livre-grand-format/les-reponses/9782355843204
    https://www.elizabeth-little.com/home

    Voir aussi : "Le top de Bla Bla Blog pour 2021"

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  • En attendant les jours meilleurs

    Sorti en 2014,  La Tête de l’Emploi de David Foenkinos (éd. J’ai lu) appartient à cette catégorie de romans coutumiers de l’auteur de La Famille Martin : une comédie douce-amère s’intéressant à des personnages ordinaires, des "invisibles" à la vie terne et sans aspérités. Ils pourraient être nos voisins ou des membres de notre famille qu’on finit par ne plus remarquer.

    Notre "héros", qui s’exprime à la première personne comme beaucoup de romans de Foenkinos, s’appelle Bernard. Il travaille dans une banque – la BNP – comme conseiller financier et est bien décidé à y rester jusqu’à la retraite.

    Dans sa vie privée, Bernard est marié avec Nathalie depuis plus de 20 ans. Ils ont eu une fille, Alice, partie vivre au Québec à l’âge de vingt ans. Lorsque le roman commence, Bernard a cinquante ans. Sa vie est un long fleuve tranquille, même si le lecteur devine derrière ce personnage, une faille qu’il aborde ainsi à l’ouverture de son récit : "Un jour, mes parents ont eu l’étrange idée de faire un enfant : moi".

    Ces parents, qui "auraient fait de bons personnages de roman", il en sera question plus tard dans le roman, lorsque Bernard aura commencé une descente aux enfers, descente qui commence par l’annonce par sa femme qu’elle souhaite qu’ils se séparent. Une séparation temporaire, juge d’abord le mari refroidi, qui le contraint à prendre une chambre d’hôtel. Mais comme souvent, le temporaire peut vite devenir définitif. Cette chambre est située non loin de son lieu de travail, et c’est justement là qu’a lieu la suite de son aventure tragi-comique. 

    Bernard entend bien sauver les apparences

    Son chef, Laperche, un de ces personnages de bureau machiavéliques et pervers – au sujet duquel il faudra bien  qu’une étude soit pour l’œuvre de Foenkinos – contraint le conseiller bancaire à occuper à mi-temps le guichet d’accueil pour remplacer une employée qui a été licenciée afin "d’alléger la masse salariale". Ce déclassement qui ne dit pas son nom va avoir de sérieuses conséquences professionnelles après sa crise de couple ("J’avais le sentiment que les trente dernières années de ma vie venaient d’être réduites à néant"). La seule issue de Bernard est de revenir vivre chez ses parents, un couple aussi déprimant que lui, aussi radin qu’ennuyeux. Mais Bernard entend bien à la fois sauver les apparences (sa fille ne doit surtout pas être au courant de sa déchéance) et rebondir, en attendant des jours meilleurs.

    On retrouve dans ce roman sorti il y a moins de 10 ans toutes les qualités de la plume de David Foenkinos : un style léger et virevoltant, le parti pris d’assumer sans rougir des histoires de gens ordinaires, et avec tout cela de l’humour, grinçant parfois lorsque Bernard retourne chez ses parents et constate qu’il redevient à à cinquante ans un adolescent infantilisé.

    Héros ordinaire, personnage a priori falot et ennuyeux, Bernard parvient tout de même à se rendre attachant lorsque, notamment, il brise son armure lors d’une soirée mémorable avec ses parents et leurs voisins. Les personnages secondaires s’effacent derrière cet homme aussi peu-moderne (il avoue qu’il aurait plus sa place en 1982 qu’en ce début de millénaire) qu’adepte de la routine mais que des circonstances extérieures mettent au pied du mur.

    On le devine : David Foenkinos va lui trouver un nouveau but improbable dans sa vie. Grâce à une femme, bien entendu. 

    David Foenkinos, La Tête de l’Emploi, éd. J’ai lu, 2014, 286 p.
    https://www.facebook.com/david.foenkinos
    http://www.gallimard.fr
    @DavidFoenkinos

    Voir aussi : "David Foenkinos, son œuvre"
    "Qui nous protégera du bonheur ?"
    "Anti fiction"

     

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  • Anti fiction

    Avec La Famille Martin (éd. Gallimard), son dernier livre sorti à ce jour, David Foenkinos abandonnait la noirceur de ces précédents romans (Charlotte, Vers la beauté, Deux sœur) pour une comédie littéraire sous forme de fausse autofiction, mais moins comique et plus tendre que cet autre roman, Qui se souvient de David Foenkinos ?

    Pour La Famille Martin, il s’agit encore d’une histoire d’inspiration et de création littéraire dans laquelle la matière vivante et le quotidien sont appelés à la rescousse pour produire un nouveau livre. Sauf que le quotidien en question n’est pas celui de l’auteur et narrateur mais celui des autres, des inconnus, des voisins et des anonymes qui ont plus à raconter que ce que l'on veut bien dire :  "Je ne voulais surtout pas me laisser embarquer dans l'écriture d'un roman qui servirait d'arrosoir pour les fleurs d'une tombe. Je préférais me consacrer aux vivants", écrit-il.

    Pour le narrateur, ce nouveau travail littéraire commence donc dans la rue, et précisément en bas de son immeuble. Presque par jeu, David Foenkinos (du moins, sans doute le double de l’écrivain) s’adresse à la première personne qu’il croise : ce sera elle l’héroïne de son futur roman ! Il s’agit en l’occurrence d’une vieille dame tout à fait ordinaire. Une certaine Madeleine Tricot (un nom de famille des plus ordinaires, lui aussi). Ce faisant, cette dernière va lui ouvrir les portes de sa famille, les Martin.

    On aurait tort de prendre La Famille Martin comme une de ces autofictions dans lesquelles l’auteur a le beau rôle. En réalité, David Foenkinos fait du hasard une arme romanesque pour rendre hommage à ses contemporains que rien, a priori ne distingue des autres. Grave erreur : car en s’invitant dans cette famille, l’écrivain en manque d’inspiration es persuadé qu’il peut y trouver matière à un roman. Après tout, dit-il, non sans malice, "la narration vient en narrant". 

    Héroïsme quotidien

    Outre Madeleine, il y a, dans cette famille Martin, Valérie, une femme lassée par son quotidien et par un mari, Patrick, terne employé sur le point d’être convoqué par un directeur pervers narcissique avant, croit-il, un licenciement. À cela s’ajoutent les deux enfants, Lola et Jérémie, respectivement 17 et 15 ans. Toute cette petite famille va servir de matière vivante à ce futur livre.

    Dans ce voyage dans une famille française, David Foenkinos se met lui aussi en scène et se trouve également obligé de se confier sur sa propre vie. Juste retour d’ascenseur pour celui qui se fait enquêteur jusqu’à traquer des secrets de famille ou des amours restés cachés.

    Un trouble saisit le lecteur au sujet de l’odeur de vérité de ce roman, tout comme l’auteur peut en être embarrassé : "Le vrai paraît souvent improbable. J’avais peur de m’emparer du réel, et qu’on l’estime moins crédible que la fiction.  Je redoutais qu’on puisse ne pas croire, qu’on se dise que toute cette histoire était inventée." Ainsi, "soumis à la vie de [ses] personnages", David Foenkinos se met en scène, dans une série de mises en abîme, en train d’écrire sur ses personnages, de prendre des notes, de les mettre en perspective, de douter sur leur "intérêt" aussi. Non sans humour, l’écrivain s’imagine en Pasolini et dans la peau du visiteur de Théorème, "la perversion et les rapports sexuels en moins", précise-t-il quand même.

    On pourrait presque en oublier David Foenkinos, obsédé qu'il est par son envie de saisir le romanesque de ces personnages de la vraie vie, les Martin. Sauf qu'il finit par devenir à la fois spectateur de la vie de cette famille et lui-même protagoniste de sa propre histoire, qu’il choisit de ne pas enjoliver. En se mettant en retrait et en s’effaçant comme il le fait lors du voyage de Madeleine en Californie, l’auteur finit par rendre à ces Martin toute leur folie et même leur héroïsme quotidien.

    David Foenikinos, La Famille Martin, éd. Gallimard, 2020, 226 p.  
    https://www.facebook.com/david.foenkinos
    http://www.gallimard.fr
    @DavidFoenkinos

    Voir aussi : "David Foenkinos, son œuvre"
    "À la recherche de l’idée perdue"

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  • Qui nous protégera du bonheur ?

    Sur cette histoire de couple, l’objet du roman En cas de Bonheur, David Foenkinos écrit ceci :"Personne ne savait que faire en cas de bonheur. On avait des assurances pour la mort, pour la voiture, et pour la mort en voiture. Mais qui nous protégera du bonheur ?" Ce bonheur était-il la "pire chose" qui puisse arriver ?

    Lorsque Jean-Jacques se pose cette question, il en est à un stade critique dans l’histoire du couple qu’il forme avec Claire. Disons-le autrement : il entame un adultère avec Sonia, une sémillante collègue de travail. Jean-Jacques travaille comme "conseiller en quelque chose, en rapport avec de l’argent". Claire, elle, est employée dans une boutique en cosmétique à l’aéroport de Roissy. Tous deux ont une petite fille de six ans, Louise.

    La vie à deux suit son cours, dans un quotidien morne, ponctué par des visites régulières chez les parents de Claire. Jean-Jacques, lui, trouve dans sa relation extraconjugale avec Sonia "sa raison de vivre". Il y trouve un certain équilibre : "[Avec claire], ils étaient unis. Il continuait à se répéter qu’il ne voulait pas d’une vie à la Édouard [son ami, célibataire et heureux a priori de l’être]". Mais Claire apprend l’infidélité de son mari grâce à une agence de détectives privés et elle annonce à son mari qu’elle le quitte. Désarçonné et incapable de s’engager avec sa maîtresse, Jean-Jacques entreprend de suivre sa future ex-femme. Il fait appel sans le vouloir à la même agence de détectives que sa femme.

    David Foenkinos déconstruit puis reconstruit la vie d’un couple ordinaire

    Fausse double enquête policière et vraie comédie sentimentale, En cas de Bonheur suit un homme et une femme dont le couple meurt, mais qui refusent, consciemment ou inconsciemment, l’idée de séparation. Les relations adultères ressemblent plus à des accidents qu’à de vraies possibilités, comme le montrent ces personnages secondaires gravitant autour de nos deux héros, que ce soit Sonia, Igor ou même Caroline, la jeune baby-sitter au "fessier" affolant. Le portrait de cette femme de 20 ans étonnera sans doute le lecteur et la lectrice de 2021. Il faut dire que le roman a été écrit en 2005, soit deux ans avant #Meetoo, si bien qu’En cas de Bonheur n’est pas exempt de considérations assez peu "female gaze", l’expression et le concept n’existant même pas à l’époque.

    Dans le tourbillon de crises, de malentendus, de cachotteries, d’entourloupes et de quiproquos, David Foenkinos déconstruit puis reconstruit la vie d’un couple ordinaire. L’auteur le fait en ne s’interdisant pas louvoiements, tergiversations et atermoiements, à l’image de l’histoire de Renée, la mère de Claire. Mais au bout du compte, l’auteur tient le sujet de son roman : celle d’un couple agonisant mais aussi cette recherche du bonheur qui est au cœur de ce roman virevoltant et non-dénué d’humour : "Le bonheur n’avait jamais été à l’horizon. A l’horizontal sûrement, mais certainement pas à l’horizon."

    David Foenkinos, En cas de Bonheur, éd. J’ai lu, 2005, 191 p.
    https://www.facebook.com/david.foenkinos
    @DavidFoenkinos

    Voir aussi : "David Foenkinos, son œuvre"
    "À la recherche de l’idée perdue"

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  • À la recherche de l’idée perdue

    Le lecteur peut se leurrer en ouvrant cet étonnant livre de David Foenkinos, Qui se souvient de David Foenkinos ? (éd. Gallimard). La couverture annonce qu’il s’agit d’un roman, en dépit de la facture autobiographique racontant une période de page blanche qui a suivi la publication de son premier succès, Le Potentiel érotique de ma femme. "J'étais alors dans la promesse. Pourquoi les choses ont-elles si mal tourné ? Depuis ce succès qui s'efface des mémoires, j'ai publié quatre autres romans et tous sont passés inaperçus. J'ai tenté d'analyser les raisons de mes échecs, mais il est impossible de comprendre pourquoi l'on devient invisible. Serais-je devenu médiocre ? Suis-je trop allé chez le coiffeur ?"

    Ainsi commence ce qui peut s’apparenter à une autofiction. Sauf qu’ici, il n’est pas question d’une autofiction sombre dans laquelle les récriminations le disputent aux ressassements et aux confessions les plus sordides . Non. Dans Qui se souvient de David Foenkinos ?, l’auteur de La Délicatesse opte d’emblée pour l’humour, et disons-le : ce livre est à la fois drôle, inventif et astucieux. L’auteur n’hésite pas à s’autocritiquer : "Était-ce la vie d’un écrivain ? Un écrivain à échecs, sûrement. Je me rappelle comment mon entourage s’enthousiasmait pour mes livres au tout début. J’étais un auteur Gallimard, le sang de Proust coulait dans mes veines… Déporté vers le néant littéraire, j’étais devenu décalé. Par rapport à quoi, ça je ne savais pas."

    Autodérision réjouissante

    Lorsque le récit commence, David Foenkinos est en proie à une série de crises dans sa vie : il vient d’avoir la quarantaine et ses projets artistiques battent de l’aile. Marié, père d’une adolescente, Victoria, légèrement tête-à-claque mais qu’une carrière de tenniswoman douée lui semble promise, l’auteur vit une crise de couple. Sa femme Laurence ne le supporte plus et se lasse de la voie sans issue de son écrivain de mari.

    Il y a bien ces voisins, les Martinez, un vieux couple fusionnel passionné de voyages mais pour le reste, David Foenkinos craint qu’il ne devienne bientôt qu’un inconnu dans le monde des lettres. Or, de retour en train de Suisse après un séjour pour se "régénérer", David Foenkinos a la certitude qu’une idée de livre lui a traversé la tête. Mais impossible de s’en souvenir. Il ne lui reste plus qu’à partir à la recherche de cette idée.

    Le thème de l’écrivain incompris et torturé par les affres de la création ("les affreux de la création" comme le chantait Serge Gainsbourg) est un poncif. Mais David Foenkinos le traite avec intelligence et humour, tout en faisant le portrait d’un homme – lui-même – se cherchant une place mais aussi l’amour. Car l’amour est présent dans ce roman parlant de littérature mais aussi de mort, comme l’écrit l’auteur. David Foenkinos croise tour à tour ces voisins attachants et bouleversants, la troublante Caroline ("[Elle] entrait dans ma vie parce qu’elle ne pouvait pas rentrer chez elle") et bien sûr Laurence, même si le couple qu'il forme avec elle n’en finit pas de mourir.

    Loin de faire l’autofiction d’un écrivain maudit, David Foenkinos fait preuve d’une autodérision réjouissante, même si cet humour peut être grinçant lorsqu’il est existentiel : "  Je venais de me diagnostiquer un amour et je savais par expérience les épuisements à venir. Quand on a deux cœurs en soi, les risques d'infarctus doublent."

    La solution à ce qui s’apparente à une dépression et à des doutes intérieurs, sera résolue au terme d’un nouveau voyage en Suisse pour retrouver la trace de cette idée – dont le lecteur ne saura rien. Là n’est pas le plus important : l’amour et la construction de soi, plutôt qu’un nouveau livre, auront le dernier mot. 

    David Foenikinos, Qui se souvient de David Foenkinos ?, éd. Gallimard, 2007, 179 p. 
    https://www.facebook.com/david.foenkinos
    http://www.gallimard.fr
    @DavidFoenkinos

    Voir aussi : "David Foenkinos, son œuvre"
    "A la place du mort"
    "Deux morts, deux divorces et autant d’histoires d’amour"

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  • Jodie Foster à la trace

    Il y a un peu plus de 40 ans, le 30 mars 1981, à Washington, un homme tirait sur Ronald Reagan. Le Président américain fraîchement élu était évacué d’urgence à l’hôpital. Il devait s’en sortir miraculeusement, auréolé de son image de survivant, presque de héros. Son porte-parole James Brady, le plus sérieusement atteint, sortira paralysé à vie. L’auteur de cette tentative d’assassinat se nomme John Hinckley. Il est arrêté aussitôt mais n’explique pas ce geste par des revendications politiques. La clé de son acte est une femme que l’Amérique connaît bien : l'actrice Jodie Foster.

    Clovis Goux revient, dans Chère Jodie (éd. Stock), sur cet événement qui a marqué le monde et l'Amérique. L’écrivain et journaliste retrace le parcours d’un homme perturbé, frustré et perdu. Mais ce roman richement documenté est aussi le portrait de l’Amérique du milieu des années 70 au début des années 80.

    Le livre de Clovis Goux commence par suivre Ronald Reagan dans cette journée pas comme les autres. Toutefois, il ne faut pas se tromper : ce n’est pas le Président qui intéresse l’auteur, même si l’Amérique est à une période charnière de son histoire. Les États-Unis viennent d’être humiliés en Iran suite à la Révolution islamique et le Président sortant Jimmy Carter est apparu comme un politicien trop prudent et peu à la hauteur des événements. C’est d’ailleurs lui que John Hinckley a pensé s’attaquer lorsqu’il a élaboré son projet fou d’attentat.

    Finalement, ce qui se joue ce 30 mars 1981 se trouve bel et bien dans la tête du tueur, et c’est la raison pour laquelle Clovis Goux suit à la trace cet Américain moyen, fils de bonne famille et rêvant d’une carrière de musicien. Sa vie prend un soudain virage en avril 1976 lorsqu’il découvre au cinéma le film de Martin Scorcese, Taxi Driver, avec Robert de Niro et surtout la toute jeune Jodie Foster. 

    Ce rêve porte un nom : Jodie Foster

    La comédienne, âgée seulement de 13 ans, joue le rôle d’une jeune prostituée à laquelle s'attache le mythique chauffeur de taxi Travis Bickle joué par Robert de Niro. La beauté et le magnétisme de l’actrice frappe John Hinckley : "Elle est là et le monde ne sera plus jamais le même. À cet instant précis, John Hinckley sait avec certitude que son existence a désormais un sens, que sa vie vaut d’être vaincu". Lui qui estimait ne rien valoir, être étouffé par son père, n’exister que pour une mère qu'il vénère, rater ses projets professionnels et artistiques et sa vie sentimentale, voit d’emblée une lumière et un rêve, et ce rêve porte un nom : Jodie Foster.

    Les cinq années qui suivent sont marquées par une obsession de plus en plus maladive : visionnages incessants du chef d’œuvre de Scorcese, collection d’articles de presse sur l’actrice, photos punaisées dans sa chambre, des centaines de courrier envoyés et même des coups de téléphone à l’intéressée. cette dernière tente de mettre une distance entre elle et ce fan qui lui paraît aussi inoffensif que détraqué.  

    Clovis Goux propose une passionnante plongée dans la folie d’un homme, qui est aussi la folie de l’Amérique des seventies. L’auteur ponctue l’odyssée de John Hinckley de chapitres bruts et parfois insoutenables sur l’ultraviolence américaine de ces années 70 : le massacre d'Ogden, l'affaire "Beth Doe" de White Haven ou les tueurs en série John Wayne Gracy, Rodney Alcala, Wayne Williams ou Ted Bunty.

    De très belles pages sont consacrées au cinéma et en particulier à Taxi Driver, proposant par exemple une lecture rarement faite sur la Palme d’Or 1976 : reprenant les propos du scénaristes Paul Shrader, il parle de "la fixation de Travis sur deux femmes, une qu’il peut avoir et l’autre qu’il ne peut pas avoir… Pour sortir de ce dilemme, il décide de tuer la figure paternelle de la bonne fille, qui est un politicien. Comme il n’y parvient pas, il chute et tue la figure paternelle de la mauvaise fille".

    Lorsque John Hinckley tire sur Reagan, sans doute pense-t-il à la figure inquiétante et salvatrice jouée par Robert de Niro. le libérateur d’Iris, la jeune prostituée. Toutefois, c’est bien Jodie Foster qui apparaît comme l’explication de son geste, comme il le lui écrit quelques heures avant son geste qui le conduira dans un hôpital psychiatrique : "En sacrifiant ma liberté et peut-être ma vie, j’espère te changer d’avis à mon sujet… Jodie, je te demande de regarder dans ton cœur et de me donner au moins la chance, avec cet acte historique, de gagner ton amour et ton respect."   

    Clovis Goux, Chère Jodie, éd. Stock, 2020, 335 p.
    https://www.editions-stock.fr

    Voir aussi : "Eva, mon amour"

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  • Deux morts, deux divorces et autant d’histoires d’amour

    Je dois bien vous confesser que j’étais passé à côté de l’adaptation ciné des Souvenirs de David Foenkinos, avec Jean-Paul Rouve à la réalisation et Michel Blanc, Mathieu Spinosi et la regrettée Annie Cordy dans les rôles principaux. Mais avant le long-métrage, il y a eu le livre. Pour la suite de notre hors-série sur l’œuvre de David Foenkinos, intéressons-nous donc au roman qui a inspiré le film, un livre sorti en 2011 entre La Délicatesse (2009) et Je vais mieux (2013).

    Le titre Les Souvenirs risque d’égarer le lecteur qui, en ouvrant le livre, peut s’attendre à une série de confessions de l’écrivain. Écrit à la première personne, Les Souvenirs est cependant bel et bien un roman, comme l’annonce l’éditeur en couverture.

    Les Souvenirs en question sont ceux d’un jeune homme se rêvant écrivain mais devant se contenter en attendant de travailler dans un modeste hôtel parisien. Il a des parents dont l’entente laisse à désirer et surtout deux grands-parents encore vivants. Au moment où le récit commence, son grand-père vient de décéder, laissant une épouse inconsolable.

    N’est-ce pas ce que l’on appelle l’altruisme ? 

    C’est à partir de cette grand-mère que commence véritablement l’histoire. Son petit-fils a pour elle un attachement particulier. Lorsqu’elle est envoyée par ses enfants en maison de retraite, le choc est rude pour elle et le narrateur assiste, impuissant, à une inexorable dépression, jusqu’à ce que la vieille dame décide de disparaître. Le jeune homme part à sa recherche.

    David Foenkinos laisse défiler les souvenirs telle une pelote de laine. La mort de son grand-père est le point de départ d’un récit de souvenirs donc, qui concerne le narrateur lui-même. Les événements se succèdent avec une logique imparable. Loin d’être décousus, ces souvenirs s’enchaînent en dépit de fausses pistes : le décès d’une ancienne danseuse, une femme croisée dans un cimetière et ces clients et clientes inconnus et romanesques qu’il croise à l’accueil de l’hôtel où il travaille, tout cela écrit avec un mélange d’innocence, de légèreté et de gravité.

    Dans ce roman, écrit à la manière d’une longue confession parlant de soi, de la famille, d’espoirs et d’amours, l’auteur multiplie les parenthèses et les digressions qui sont autant de souvenirs. Comme si le narrateur tenait à montrer que son passé compte autant que celui de ces inconnus croisés sur une aire d’autoroute ou dans un hôtel anonyme . N’est-ce pas ce que l’on appelle l’altruisme ?  

    David Foenkinos, Les Souvenirs, éd. Gallimard, 2011, 266 p.
    https://www.facebook.com/david.foenkinos
    @DavidFoenkinos

    Voir aussi : "David Foenkinos, son œuvre"
    "Cœurs perdus au mitan des nineties"

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  • Trop vieille pour toi

    Les romans épistolaires sont suffisamment rares pour ne pas mentionner celui-ci : Les Assiettes cassées d’Émilie Riger. 61 lettres composent cette étonnante histoire qui commence à la manière d’une enquête : celle entreprise par Nathan Miller, 35 ans, marié et parti à la recherche des coordonnées de Rose Tassier dont il a acquis une ancienne photo en noir et blanc encadrée. Elle a son âge sur ce portrait ancien mais en a le double au moment où elle lui répond.

    Ce qui n’était au départ qu’une "contemplation purement esthétique et bien inoffensive" devient une obsession pour Nathan qui parvient à retrouve la femme qui a posé : "J’aimerais tant pouvoir vous connaître dans la vie réelle, au lieu de m’écorcher sur mes chimères" lui écrit Nathan qui a fait du cliché encadré un objet sacré qu’il ne cesse de contempler, fasciné par la beauté de la jeune femme immortalisée.

    Sauf que depuis que Rose a posé, les années se sont écoulées. Malgré tout, commence une correspondance entre deux personnes qui n’étaient pas sensées se rencontrer et que la différence d’âge sépare a priori irrémédiablement.

    D’abord distantes, les lettres deviennent de plus en plus personnelles et intimes, au point qu’entre le jeune homme et la femme de trente ans son aînée une histoire d’amour commence, avec son lot de désapprobations, pour ne pas dire son parfum de scandale. 

    Avec tact et délicatesse, comme si l’auteure elle-même hésitait avant de se jeter à l’eau

    Émilie Riger construit une relation atypique, commençant par le vouvoiement – et qui ne passe au "tu" qu’à la page 87 ("Ce « tu » n’est pas une bonne idée. Il va nous embrouiller, fausser les limites et créer une intimité qui n’a pas lieu d’exister", se plaint l'ancienne modèle) – avant que les deux protagonistes ne finissent par se livrer complètement. L’auteure dévoile ces lettres avec tact et délicatesse, comme si l’auteure elle-même hésitait à se jeter à l’eau dans cette entreprise pleine d’interdits.

    Nathan et Rose sont deux êtres solitaires (l’une en raison d’un veuvage et  l’autre d’un couple qui bat de l’aile) qui avancent l’un vers l’autre, dans une relation à la "Harold et Maude". Pourtant, le lecteur parvient à oublier cette différence d’âge lorsqu’il lit ces mots de Nathan : "Moi qui croyais qu’un homme se construit tout seul, que l’amour n’est qu’une partie de sa vie… Tu as fait entrer l’amour dans ma vie comme le premier souffle d’un enfant qui vient au monde".

    On l’aura compris : le roman Les Assiettes cassées entend revisiter le roman épistolaire autant que la love story. N’oublions pas que les récits autour de la différence d’âge sont très rarement traitées lorsque le poids des années est du côté de la femme. Une preuve que le poids des traditions est encore bien présent. 

    Émilie Riger casse les codes tout comme Rose brise ses assiettes – par colère pour cette dernière. Ou plutôt par révolte. Une révolte qui n’empêche pas la vieille femme d’assumer sa condition de mère tout autant que de femme amoureuse : "Le concept d’âme sœur, l’idée d’avoir besoin de l’autre pour être entier, je n’y ai jamais cru. Et pourtant, toute ma vie se résume à ça". 

    Émilie Riger, Les Assiettes cassées, 2019, 202 p.
    https://www.facebook.com/emilie.riger.collins

    Voir aussi : "Cœurs perdus au mitan des nineties"

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