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Voir ou revoir le Napoléon d’Abel Gance

Encore Napoléon ! me direz-vous. Il est vrai que le bicentenaire de la mort de l’Empereur fait couler beaucoup d’encre. Mais je vous rassure : c’est de cinéma dont je vais vous parler cette fois.

En 1927, un peu plus de cent ans après la mort de Napoléon à Sainte-Hélène, le réalisateur français Abel Gance proposait une première version de son long-métrage retraçant le parcours de Bonaparte, de l’école militaire de Brienne en 1781 au début de la campagne d’Italie de 1796. Le Napoléon de Gance, devenu lui-même historique et considéré comme un chef d’œuvre du cinéma mondial, était sensé n’être qu’une partie de la fresque monumentale que projetait le cinéaste : Arcole, Les Pyramides (la campagne d’Egypte), Austerlitz, La Bérézina (La campagne de Russie), Waterloo et Sainte-Hélène. L’ambitieux projet n’a hélas pas pu aboutir, si on excepte son long-métrage Austerlitz, sorti en 1960.

Le  British Film Institute a sorti en 2016 une version de 5H30 du Napoléon d’Abel Gance d’après les négatifs originaux restaurés par Kevin Brownlow en 2000, le tout sur une musique de Carl Davis. Cette version existe en Blu-ray (en 3 disques – excusez du peu ! – de respectivement 114 minutes, 170 mn et 48 mn) et promet de n’être pas la dernière puisque la Cinémathèque française devrait proposer une énième restauration pour la fin de l’année, à l’occasion de ce fameux bicentenaire napoléonien.  

Regarder le chef d'œuvre de Gance c’est se plonger dans une aventure cinématographique aussi passionnante qu’intimidante. Il s’agit en effet d’un film proprement démesuré, que ce soit par la durée (5H30, soit la durée d’une mini-série), par la facture (un film muet en noir et blanc) ou par le choix artistique d’Abel Gance de ne souffrir aucune ellipse – ou si peu – dans un biopic documenté, réaliste mais non sans des fulgurances poétiques.

Le film commence par l’enfance de Napoléon Bonaparte, exilé de la Corse vers la Normandie pour faire une école militaire, où l’enfance subit les brimades en raison de ses origines. C’est là que celui qui deviendra héros de la Révolution française puis l’Empereur conquérant de l’Europe, dévoile ses ambitions comme son génie militaire. La bataille de boules de neige a bien entendu une portée allégorique, tout comme l’autre scène qui lui répond, celle des polochons, précédant de peu la libération d’un aigle domestiqué et vénéré par l’enfant. 

L’un des plus grands films de l’histoire du cinéma

L’acte II nous transporte pendant les heures les plus troubles de la Révolution française, en 1793 : les derniers mois de Louis XVI, les massacres de Septembre et les débuts de la Convention. Abel Gance fait le point sur Danton, Robespierre et Marat (hallucinant et halluciné Antonin Artaud) pour nous raconter la fièvre de la Révolution française, avec toutes ses contradictions que Bonaparte, encore jeune officier, devine : la Déclaration des Droits de l’Homme côtoie le chaos et des tueries sauvage, tandis que le souffle de la liberté est éteint par des tentations dictatoriales. La Terreur est déjà en place et n’importe quel citoyen peut en être victime. Bonaparte aussi, qui choisit de rejoindre sa famille en Corse, avant de devoir la fuir car en danger, y compris chez lui. Le réalisateur offre là une séquence maritime incroyable mettant en parallèle la tempête révolutionnaire et les flots menaçant de faire couler le bateau qui ramène Napoléon sur le continent.

Le troisième acte commence avec la mort de Marat alors que Napoléon est à Toulon. La ville est prise par les alliés royaux anglais, espagnols et italiens. Audacieux, l’officier déjoue tous les plans de ses supérieurs et se lance dans une attaque victorieuse. C’est son premier grand succès militaire qui lui donne une aura nationale alors que la Révolution s’essouffle. Nous sommes en 1793, année terrible s’il en est, mais aussi dangereuse. Danton est arrêté et exécuté. Bientôt viendra le tour de Robespierre ("Robespierre, tu me suivras"). Napoléon lui-même n’a pas que des partisans : il est emprisonné après Thermidor – coïncidence : en même temps que sa future femme Joséphine de Beauharnais. Abel Gance offre une série de séquences étonnantes tour à tour tragiques, comiques et pathétiques. Que l’on pense à la salle des archives où des gratte-papiers sont chargés de consigner les exécutions. On sort Napoléon de prison dans l’espoir que lui seul parviendra à éviter une insurrection royaliste et à sauver la Révolution. Ce qu’il parvient, en même temps qu’il convole en noces avec Joséphine de Beauharnais.

Le quatrième et dernier acte, le plus court (48 minutes seulement) est sans doute le plus impressionnant et le plus visionnaire du cinéaste. Il consacre cette partie à la campagne d’Italie (1796-1797). Cet acte marque à la fois l’achèvement de la Révolution et le début de l’ascension d’un jeune homme jusqu’au sommet de l’Europe, comme le suggèrent les dernières images.

Le spectateur aura bien entendu un sentiment de regret en visionnant cette quatrième partie aussi dense qu’incroyable visuellement : gros plans voire très gros plans, mouvements de foules, polyvision, colorisations (que l'on trouve d'ailleurs pendant tout le film), jeu hiératique d’ Albert Dieudonné qui ne se remettra jamais complètement de ce rôle emblématique. Il ne faut pas oublier ces séquences inoubliables comme l’assassinat de Marat par Charlotte Corday (Acte III), le siège de Toulon réalisé à hauteur d’homme (Acte II) et avec une caméra mobile ou la fameuse bataille de boules de neige (Acte I).

Le Napoléon d’Abel Gance est un monument du cinéma qu’il faut avoir la curiosité de regarder, ne serait-ce que parce qu’il a inspiré nombre de réalisateurs. On pourra regretter le jeu théâtral de certains acteurs et actrices. Pour le reste, Abel Gance a réalisé un monument inspiré jusque dans les mouvements de caméra, et sans oublier la musique symphonique de Beethoven ou de Mozart. Au souffle révolutionnaire, le cinéaste français a su donner au public une œuvre devenue mythique. Et l’un des plus grands films de l’histoire du cinéma. 

Abel Gance, Napoléon, biopic français d’Abel Gance, avec Albert Dieudonné, Antonin Artaud, 
Gina Manès, Harry Krimer, Eugénie Buffet et Edmond van Daële, musique de Carl Davis
332 mn, muet, noir et blanc, 1927, version 2016 par le British Film Insititute, BFI et Photoplay Production
https://www2.bfi.org.uk/whats-on/bfi-film-releases/napoleon
https://www.unifrance.org/film/9602/napoleon

Voir aussi : "Napoléon, l’homme qui ne meurt jamais"
"Quoi de neuf, encore, sur louis XVI ?"

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