Point de fuite (03/09/2020)

"Le chagrin est une œuvre d’art comme les autres" annonce Céline Guarneri en exergue de son dernier roman, Furtiva Lagrima (éd. La Trace). Il est vrai que son récit commence comme un drame que l’auteure va élégamment et avec justesse déployer sur quelques jours.

Ce drame est annoncé par le premier chapitre consacré à Louis Maurand, un critique et collectionneur d’art contemporain lyonnais qui a imposé son autorité sur sa famille, une épouse qui s’est volontairement effacée (et que le lecteur ne croise qu’épisodiquement) et surtout leurs quatre enfants avec qui les relations n’ont jamais été simples. Il y a les deux jumeaux, Maxime et Stanislas, la sœur Béatrice et Hadrien.

Stanislas est devenu violoniste international reconnu. C’est "le fils parfait, le fils préféré", coulant un amour a priori parfait avec sa fiancée, Salomé, une danseuse de tango argentine (un domaine que l’auteure connaît bien).

Maxime, qui est artisan ébéniste, cache de son côté deux secrets qu’il ne parvient pas à révéler à un père qui l’a toujours impressionné.

Béatrice, elle, s’est installée non loin de ses parents dans une vie triste, bourgeoise et frustrante, avec un mari qui a fini par l’insupporter et deux enfants, deux filles un poil têtes à claques ("Elle avait parfois une envie furieuse de claquer la porte, de monter ans un avion et de fuir son rôle de maman à plein temps").

Quant à Hadrien, sur lequel Céline Guarneri concentre peu à peu tout son récit, c’est un fils à la réussite éclatante : il est trader à Paris et coule le grand amour avec Daphné, une brillante et irrésistible intellectuelle parisienne. Il est aussi celui qui a pu rompre tout lien avec son père, à telle enseigne que lorsqu’il apprend son accident de voiture, il hésite à se rendre à son chevet, malgré l’insistance de sa petite amie.

Une figure paternelle à la fois incontournable, impressionnante et mystérieuse

Dans cette famille lyonnaise déchirée et aux lourds secrets, voilà donc la fratrie réunie à l’occasion d’un drame qui concerne une figure paternelle écrasante, suscitant tour à tour l’admiration, le respect, la colère, mais aussi la fuite, comme le devine d’instinct Salomé ("Décidément, les frères Maurand étaient tous porteurs du gène de la fuite"). La fuite est du reste ce qui semble l’emporter chez ces quatre rejetons qui ont toujours été en attente d’une forme de reconnaissance, à l’instar de l’ébéniste et artiste contrarié, Maxime.

Louis Maraud, personnage omniprésent, est singulièrement le grand absent de ces retrouvailles qui, des quais de la gare Lyon Part-Dieu aux couloirs d’un hôpital en passant par la luxueuse maison de Béatrice, font figure de "sinistre corrida des émotions."

Grâce à son écriture précise et sensible, Céline Garneri observe en entomologiste patiente cette famille dont la souffrance semble se transmettre inexorablement de père à enfants. De Paris à Lyon, en passant par Budapest et l’île italienne d’Ischia, l’auteure trace des points de fuite qui ramènent toutes à une figure paternelle à la fois incontournable, impressionnante et mystérieuse. La sœur et les trois frères, à commencer par Hadrien, s’interrogent sur la reconnaissance qu’ils n’ont souvent jamais eue et sur un amour paternel qui semble faire surface au cours de cette semaine tragique : "La mort nous jette sur une plage inconnue et austère où se côtoient souvent tristesse et colère, désespoir et culpabilité et cette terrible sensation d'abandon."

Cette période crépusculaire, Céline Guarneri la décrit aussi comme le moment-clé où des destins mais aussi des amours se jouent. Ce qui était une réunion familiale douloureuse se révèle finalement comme une catharsis salutaire, au risque de bousculer les vies et les couples : "Les émotions, c’est fait pour sortir. Les cornichons aussi sortent du bocal un jour."

Céline Guarneri, Furtiva Lagrima, éd. La Trace, 2020, 260 p.
https://www.celineguarneri.fr
https://www.editionslatrace.com/product-page/furtiva-lagr...

Voir aussi : "Roman-feuilleton 3.0 sur un air de tango"

Tenez-vous informés de nos derniers blablas
en vous abonnant gratuitement à notre newsletter.

Likez, partagez, twittez et instagramez les blablas de Bla Bla Blog !

Suivez aussi Arsène K. sur Twitter et Facebook

00:00 Écrit par Bruno Chiron | Tags : céline guarneri, roman, lyon | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | | |