Stanley Kubrick [1] : Premiers pas d'un géant (12/03/2015)

Le bloggeur propose aujourd'hui une série d'articles sur Stanley Kubrick, réalisateur américain génial malgré sa filmographie peu développée (13 longs-métrages et 3 courts). Cinéaste éclectique (films historiques, péplum, science-fiction, drames, farce, etc.), un point commun au moins réunissait ses œuvres : l'exigence poussée à son paroxysme.

Retour sur un auteur atypique et d'une modernité exceptionnelle, à travers une biographie, une filmographie, quelques critiques de films ainsi qu'un focus sur ses rapports avec la musique.    

Stanley Kubrick naît le 26 juillet 1928 à New-York dans une famille de la petite bourgeoisie du Bronx. Élève moyen timide mais néanmoins d’une très grande curiosité, il se destine très jeune à la photographie, domaine où il exerce son premier métier à 17 ans dans la revue Look, luxueux magazine concurrent de Life. Cette première expérience sera décisive dans sa future carrière de cinéaste. Dès sa toute première création, un reportage photographique sur le boxeur Walter Cartier (Le Boxeur professionnel, 18 janvier 1949), le jeune Stanley Kubrick démontre déjà un grand sens du cadrage et de la lumière. 

Le cinéma devient rapidement une vraie passion. Cinéphile, le jeune photographe, à la technique déjà assuré, s’intéresse avec le plus grand sérieux aux innombrables films qu’il visionne. Vers la même époque, il découvre la musique classique, qui restera l’autre grand intérêt de sa vie.

En 1951, il scénarise, produit, réalise et monte son tout premier film, Day of the Fight, un court-métrage sur le même Walter Cartier qu’il avait suivi quelques années plus tôt. L’année suivante, il créé dans les mêmes conditions Flying Padre, un documentaire sur un prêtre aviateur, court-métrage dont il ne cachera jamais son mépris.

Ces deux premières réalisations, pour frustrantes qu’elles lui apparaissent, sont pourtant des succès encourageants : elles sont toutes deux vendues à bon prix à la société de production RKO Pathé. Kubrick en tire même un petit bénéfice et démissionne du magazine Look pour se lancer à temps plein dans le cinéma.

En 1953, Kubrick demande à un de ses amis, le poète Howard Sackler, de lui écrire un scénario qui devient sa première œuvre de fiction, Fear and Desire. Ce film de guerre raconte l’épopée de quatre soldats perdus derrière des lignes ennemies. Kubrick est déjà dans ce long-métrage non seulement un virtuose de l’image mais également un créateur soucieux de tout contrôler, au point parfois de malmener son équipe et ses acteurs (pour les besoins du tournage, il va jusqu’à faire pulvériser sur ses acteurs des litres d’insecticide depuis un avion, au risque de tuer l’ensemble de son équipe !).

Après un documentaire sur un syndicat de marins américains (The Seafarers), il réalise et produit Le Baiser du Tueur (Killer’s Kiss), l’histoire d’un boxeur raté (de nouveau une histoire dans ce milieu sportif !) poursuivi avec sa petite amie, une taxi-girl, par des tueurs sans scrupule. Malgré le soin particulier que met Kubrick dans le cadrage, les plans et le montage, Le Baiser du Tueur pèche par un scénario léger et par un jeu des acteurs honnête, sans plus. Cette erreur, Kubrick ne la reproduira plus.

Vers cette époque, son premier mariage avec son amie d’enfance Toba Metz bat de l’aile. En 1954, il s’installe avec Ruth Sobtka, une ballerine avec qui il se marie en 1957, sitôt son divorce. 

Entre temps, déjà soucieux d’assumer son indépendance, il fonde avec son ami James B. Harris leur maison de production la Harris-Kubrick Pictures Corporation.

L’Ultime Razzia (The Killing) marque l’arrivée en 1956 de Kubrick à Hollywood. Le scénario est écrit par l’écrivain de polars Jim Thomson (auteur notamment de 1275 Âmes ou du Démon dans ma peau) d’après le roman Clean Break de Lionel White. La United Artists propose de le financer à condition de voir dans ce film un acteur renommé. Sterling Hayden est contacté et accepte moyennant un cachet confortable. Cette histoire de hold-up brillamment réussi dans le milieu des courses hippiques mais qui se termine par un règlement de comptes au sein de l’équipe de gangsters est la première réussite complète de Kubrick : un polar haletant, des personnages ambigus aux motivations troubles, des mouvements de caméra élaborés. De bonnes critiques saluent le film bien que les entrées soient décevantes. Signe que Kubrick a réussi son entrée à Hollywood, il est approché par la MGM pour un nouveau film, Les Sentiers de la Gloire, dont les droits du roman de Humphrey Cobb viennent d’être achetés par Kubrick et James B. Harris.

Pour autant, la MGM reproche à Kubrick et Harris de se consacrer à d’autres films simultanément. Renvoyés pour cela, ces derniers continuent néanmoins de travailler sur Les Sentiers de la Gloire, dont le scénario est, comme pour le film précédent, travaillé en collaboration avec Jim Thomson. Le soutien financier et personnel vient de Kirk Douglas, la star hollywoodienne qui met tout son poids et son influence pour contraindre la United Artists à financer ce film. Sorti en 1957, Les Sentiers de la Gloire, film antimilitariste, raconte l’histoire de cinq soldats français fusillés en 1915 pour une mutinerie imaginaire. À sa sortie en 1957, ce long-métrage est un tel scandale qu’il est interdit en France jusqu’en 1974 et vertement critiqué dans de multiples pays. Les Sentiers de la Gloire est cependant considéré comme le premier chef-d’œuvre du cinéaste américain qui maîtrise à la perfection la caméra (travellings fluides qui feront sa renommée – et qui sont dédiés au cinéaste Max Ophüls décédé au cours du tournage en Europe). Le scénario haletant et bouleversant, le jeu inspiré de Kirk Douglas ou du second rôle Adolphe Menjou, les décors et le travail sur les lumières, achèvent de faire de cette œuvre une réussite totale même si la réussite commerciale n’est pas au rendez-vous.

Les Sentiers de la Gloire marquent en plus un événement personnel dans la vie du cinéaste : sur le tournage de ce film, il rencontre l’actrice allemande Christiane Susanne Harlan qui interprète le rôle de la chanteuse de cabaret. Il divorce une seconde fois et se marie avec celle qui partagera dorénavant le reste de sa vie.

Pour autant, il faut croire que Kirk Douglas ait été pleinement satisfait de sa collaboration avec Kubrick puisqu’il lui demande de tourner un nouveau film avec lui : Spartacus.

Le tournage débute rapidement, en 1959. Il s’agit pour Kubrick d’un film atypique par l’ampleur (une superproduction hollywoodienne de 12 millions de dollars) et par son investissement artistique : Kubrick remplace en effet un autre grand de la réalisation, Anthony Mann, fiable, expérimenté mais trop indépendant aux goûts de Kirk Douglas ; or, avec Kubrick, la star hollywoodienne ignore qu’elle va travailler avec un artiste autrement plus libre et incontrôlable ! Spartacus, péplum ambitieux sur la révolte d’esclaves romains au Ier siècle avant JC. Cette fable sur la liberté est tournée en pleine Chasse aux Sorcières américaine (l’un des scénaristes est Donald Trumbo qui a été lui-même poursuivi pour des activités communistes). Kubrick démontre surtout qu’en plus d’être un artiste hors pair, il peut réaliser des films rentables. Cette expérience douloureuse d’un tournage conflictuel, notamment avec Kirk Douglas, le convainc également de mettre du champ entre lui et Hollywood.

Le film suivant, Lolita, permet l'émancipation d'un artiste qui ne va avoir de cesse que contrôler toute son oeuvre...

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00:00 Écrit par Bruno Chiron | Tags : kubrick, kirk douglas, harlan, stanley kubrick, long-métrage, film, cinéma | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | | |